"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

Russophilies

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Analyse d’un désastre venu d’une ONG qui cherchait à tirer profit de la lutte contre les réseaux russes et qui les a, au final, considérablement renforcés.

Retour sur l’origine du délire. Nous sommes en pleine affaire Benalla qui est déjà un matériau politique extrêmement complexe à manier. Le garde du corps du président qui a pour passe-temps de tabasser du gauchiste, une manif-traquenard lancée à la Contrescarpe après un 1er mai qui rappelait les pire moments vallsistes, le délire de toute puissance des macronistes et leur mépris absolu du mouvement social, l’alliance de l’opposition Les Républicains, Rassemblement National, France Insoumise (aucun franchement hostile à Poutine)…

On est déjà dans du potentiellement explosif (et en fait du largement explosé). Et là, Eu DisinfoLab a l’idée géniale de commencer à faire du teasing sur une étude encore non-existante et qui révèlerait qu’il y aurait eu gonflage numérique sur l’affaire Benalla.

Le site de BFM en fait un article dès le 3 août Geraldine Woessner se place immédiatement sur le créneau

La faute de lémédia

La réaction de Vanderbiest annonce déjà la catastrophe : tout à la justification de ses chiffres, il n’a pas l’air de se rendre compte de la portée politique d’une phrase telle que “la plupart des fake news émanent de la presse”

« J’en n’aurais pas fait un article » se défend Vanderbiest qui a estimé justifié d’en faire un tweet et qui rejette immédiatement la faute sur le site de BFM TV, coupable d’avoir repris son propre tweet et une « pré-étude » qu’il avait publié sur son site ReputatioLab. Cette pré-analyse est déjà ahurissante. Analysant l’affaire Benalla sous l’angle totalement dépolitisé de la « communication de crise » – on y trouve carrément un lien Agoravox à qui il attribue (à tort) l’outing d’un faux compte macroniste.

L’article de BFM TV reprend donc cette pré-étude bidon, le tweet de Vanderbiest et des gros morceaux de l’associé de Vanderbiest, Alexandre Alaphilippe :

“4 millions de tweets, c’est du jamais-vu en France, note Alexandre Alaphilippe, directeur exécutif du EU DisinfoLab, auprès de BFM Tech. Pour #Balancetonporc, lancé à la suite du scandale Harvey Weinstein, nous étions autour de 780 000 tweets. Pourtant, environ 250 000 comptes se sont exprimés sur le sujet dans les deux cas.»

Alaphilippe déroule son argumentaire en se prévalant des “précédentes études” : « Lors de l’élection présidentielle française, nous avons mené sur plus de trois mois une analyse de la propagation de contenus liés à Russia Today et Sputnik. Il s’agit d’une communauté cohérente de gens qui se suivent entre eux, se retweetent entre eux et partagent des intérêts communs. Beaucoup n’interagissent pas sous leur vrai nom et sont difficiles à tracer. »
L’article original de BFM est consultable via web archive. Depuis le 1er août, en effet, il a été réédité pour inclure l’étude de EU disinfo lab du 8 aout. BFM vous n’aidez pas…

On a les conclusions mais on n’a pas l’étude

Toujours est-il que le 3 août, « l’étude » en question de EU DisinfoLab se fait toujours attendre. Mais l’AFP fait une dépêche sur ce qui est désormais une info et Alexandre Alaphilippe, pour l’ONG EU DisinfoLab, continue d’alimenter joyeusement son petit buzz en expliquant à l’AFP que des “russophiles” ont gonflé artificiellement le volume de tweets sur l’affaire Benalla.

L’AFP appelle Mounir Mahjoubi, secrétaire d’état au numérique, pour avoir une réaction, ce qui est assez logique, et la publie. Les autres médias reprennent, encore une fois normal mais pour l’instant, personne n’a dit de mensonge à part EU DisinfoLab et ses pourcentages anxiogènes obtenus avec une méthodologie biaisée, pour le teasing d’une étude pas encore terminée.

Finalement, la conclusion de cette étude repose entièrement sur la réputation que Vanderbiest a acquise en bossant sur d’autres sujets, ce qui donne comme réactions prévisibles :

1- C’est quoi cette ONG ? Pourquoi ils ont le même nom qu’une ONG sérieuse ?

2- Le boulot de Vanderbiest est super sérieux puisqu’il a bossé sur des vrais sujets avant, donc on peut lui faire confiance.

3- Donc c’est la faute des médias qui ont (encore) biaisé un travail scientifique et objectif à la base.

Pourtant dès le 6 août, Samuel Laurent du site Les Décodeurs du Monde alerte sur un certain emballement autour de ce qui a tous les atours d’un bon gros délire.

Réseaux russes ou pas, évidemment, les gens massivement choqués par l’affaire Benalla existent, c’est légitime, concret et la récupération politique est un autre sujet.

Après une semaine de teasing

Le 8 aout, enfin, arrive la fameuse étude :

Dès le départ tout est dépolitisé : L’étude part du principe que les militants de la FI qui tweetent sur Benalla le font juste parce qu’ils sont de la FI (alors qu’en soi, l’affaire Benalla est vraiment choquante et il y a de quoi dénoncer et débattre). Ceux qui sont de la FI ne sont pas considérés comme faisant partie de “l’ecosysteme russe” alors que le problème du confusionnisme rouge-brun et de la proximité avec Poutine est au coeur de la FI.

Utiliser Russia Today et Sputnik comme seul critère de « russophilie » est aussi vraiment limité. Encore une fois c’est de la dépolitisation absolue qui ne prend en compte aucune des motivations politiques des gens partageant du RT ni l’adaptation des contenus de RT à ces motivations politiques.

L’étude comptabilise les comptes qui n’ont pas renseigné leur localisation mais aussi le taux de pseudonymes et compte ça comme “fait intéressant”.

Cela n’a aucune valeur concernant le sujet étudié mais ça sert à laisser planer un faux doute.

Au final, les auteurs de l’étude semblent n’avoir aucune idée de ce qu’ils cherchent ni de comment le définir mais tiennent absolument à faire tenir ensemble “désinformation” et “russophilie” dans le même paragraphe.

La partie « méthodologie » est très limitée : il s’agit uniquement du listing des différents outils techniques utilisés dans l’étude. Sur la classification, par exemple, juste quelques lignes : “Sachant que le mot désinformation que nous utilisons à travers ce rapport est défini comme “la création et le partage délibéré d’informations fausses”. (Wardle, 2017)”
Une définition qui rend déjà caduque toute l’étude puisque la notion d’intentionnalité est impossible à attribuer à priori.

L’étude tire allègrement profit du boulot sérieux de fact-checking fait par ailleurs. Ainsi les auteurs se basent pour leurs calculs sur des rumeurs prouvées fausses par Crosscheck (c’est-à-dire par les journalistes qui alimentent Crosscheck) ou sur la diffusion de #SyriaHoax (impliquant de facto dans leur étude toutes les personnes ayant lutté pied-à-pied pour que soit reconnue la responsabilité du régime syrien dans les attaques chimiques). Tout ça est allègrement pompé et mis au service de catégories qui réussissent à être à la fois inutilement clivantes, stigmatisantes et totalement dépolitisées comme « réseaux de désinformation » ou « écosystème de désinformation russe » ou “russophile”.

Puis, sur une définition du Larousse on va classer comme « russophile » quelqu’un qui partage RT ou Sputnik et qui a donc une sensibilité aux « narratifs pro-russes ».

Là encore c’est une énorme erreur de méthodologie qui dépolitise complètement en ratant le mécanisme de propagation de la propagande russe. La plupart des « russophiles » n’ont d’attrait pour la Russie que lorsque celle-ci est opposée à l’Europe ou à l’occident. Ils sont tout autant “Sinophiles” “Chavezophiles” ou “Corée-du-Nordophiles” pour les plus hard. Ils cherchent à critiquer la démocratie occidentale avec un discours “alternatif” qui s’appuie sur un contre-modèle. La Russie en fait office en alimentant les fantasmes virilistes sur les abdos de Poutine ou la taille de la carte et surtout en se posant en opposant à “l’occident” et à son modèle démocratique. La “russophilie” cesse dès lors que la Russie vend des armes à l’Arabie Saoudite ou fait une réforme des retraites. Dans ces cas-là, Russie ne sert plus du tout de contre-modèle.

La diffusion de la propagande russe fonctionne, non pas parce qu’elle est “russe”, mais parce qu’elle se présente comme « alternative » à un discours qui serait « mainstream ». Le narratif qui permet la propagation est « les médias mainstream nous mentent donc on préfère les médias alternatifs comme Russia Today ». Quand EU DisinfoLab établit dans sa méthodologie un clivage « mainstream / alternatif », délire en considérant comme russophiles tout et n’importe qui, établit une corrélation automatique entre retweeter Russia Today et désinformation et en plus essaye de se placer du coté « mainstream », on a un peu le combo de la mort.

L’étude, toute à sa dépolitisation et au neutralisme absolu de son propos, a choisi de diviser l’énorme masse des comptes twitter analysés en quatre classes politiques avec d’autres erreurs majeures :

 

– Tous les LR tous ne sont pas souverainistes.
– Chez les insoumis, les passerelles avec d’autres communautés ne constituent pas des « faux positifs » négligeables mais le cœur du problème de cette communauté et des liens qu’elle entretient avec les courants fascistes et les souverainismes.
– Mettre les LREM dans la même classe que Les Médias pour les exclure de l’étude, en plus d’alimenter le fantasme sur Macron=lémédia, génère des biais ahurissants dont on se demande comment les auteurs ont pu les éluder.

L’étude continue ensuite avec des graphiques et des jolies couleurs pour en arriver à une conclusion très pauvre : ils ont identifié trois comptes ayant fait du “gonflage de volume” et postant tard dans la nuit, sans pouvoir dire si ce sont des bots ou pas et la communauté insoumise est celle qui partage le moins de “désinformation”.

Créer une catastrophe pour éviter ses responsabilités

Dans l’étude ou dans leurs tweets, les membres d’EU DisinfoLab se défendent de tout favoritisme à l’égard d’En Marche. Ils mettent en lien le PDF qu’ils ont fait en commentaire sur la proposition de loi contre les fake news en le brandissant comme “une prise de position très dure contre le gouvernement français.” A la lecture du document, ce n’est pas franchement ce qu’on perçoit.

Le EU DisinfoLab accueille favorablement la décision du législateur de se concentrer sur la propagation des manipulations de l’information. En se concentrant sur ces mécanismes, le Parlement montre que les risques qui pèsent sur les sociétés démocratiques sont pris au sérieux. Cependant, si le diagnostic est bon, les réponses apportées ne sont pas encore à la hauteur. EU DisinfoLab

EU DisinfoLab, à l’encontre de n’importe quel spécialiste ou journaliste un peu au fait de ces questions, trouve que l’idée d’une loi contre les fake news est bonne mais qu’elle ne va pas assez loin en se limitant aux périodes électorales. Ce qu’EU DisinfoLab réclame, c’est que le législateur force les plateformes à partager plus de données et à donner plus de sous aux “acteurs de la société civile” comme par exemple une ONG qui afficherait la lutte contre la désinformation dans son nom, ses conférences et ses plaquettes promotionnelles. Un modèle qu’ils ont déjà commencé à mettre en place en se faisant financer par Twitter.

Au coeur de la tempête et tout à leur expertise de « communication de crise » EU disinfoLab oublie de gérer la crise qu’ils ont déclenchée et vont essayer de se défiler de leurs responsabilités tout en multipliant les erreurs. Et on ne parle pas d’erreurs de communication mais bien d’erreurs politiques fondamentales qui montrent combien le libéralisme macronien est inadapté à la lutte contre la propagande anti-démocratique.

– En essayant dans l’étude de ne pas dire ce qu’ils ont dit dans leur teasing.
Ainsi on trouve dans l’étude des perles comme « la classe France Insoumise est la communauté qui a le moins tweeté de désinformation »

– En essayant de se racheter une posture d’objectivité en remettant Sputnik et Russia Today sur le plan des médias fréquentables. Ainsi dans son « mea Culpa » Vanderbiest rappelle combien ses analyses ont toujours plu au Monde ou à France Culture aussi bien qu’à Sputnik. Alaphilippe de son côté a l’idée géniale d’aller bafouiller des explications en interview directement à Russia Today.

– En rendant publics les fichiers qu’ils ont utilisés pour l’étude. Un premier fichier est publié avec les bio twitter des gens et la « classe » politique qui leur a été attribuée. Le fichier sera supprimé par Vanderbiest mais aura eu le temps de bien circuler. Deux autres fichiers sont ensuite diffusés : un avec tous les gens ayant tweeté sur Benalla, un autre avec quelques 3000 comptes élus qui ont été analysés pour l’étude.

On a donc une ONG qui se présentait comme fer de lance de la lutte contre la désinformation qui invente des manipulations russes là où, pour une fois, il n’y en a pas et qui finit par diffuser des fichiers avec les comptes de tous les gens ayant tweeté sur Benalla. Après ça, EU DisinfoLab a arrêté de communiquer… ouf !

Le problème, c’est que ce n’est pas la première fois que l’amateurisme de EU DisinfoLab leur fait commettre de grossières erreurs.
Au moment des Macron Leaks déjà, la chercheuse Stéphanie Lamy avait tenté d’alerter Vanderbiest qui se trompait de source dans l’attribution des Macron Leaks. Il avait d’abord nié dans une posture un brin masculiniste avant de corriger… sans mentionner d’où venait la correction, la grande classe.

EU DisinfoLab plaide la jeunesse et l’inexpérience. Vanderbiest et Alaphillipe prétextent une méthode encore très récente et perfectible, pour construire un nouveau domaine d’étude qui serait la Fake News et dont les outils ne seraient pas encore rodés ou en cours d’élaboration. Mais EU DisinfoLab, loin de s’améliorer, fait de pire en pire, alors que le domaine compte déjà des gens sérieux qui ont travaillé la question. Récupérer leur travaux pour coller dessus une étiquette de nouveauté et des jolies couleurs grâce à un algorithme, puis créer un désastre politique absolu, ce n’est pas seulement de l’inexpérience. Dans cette affaire, le résultat c’est la délégitimation à grande échelle de la lutte contre les rumeurs et contre les réseaux néo-fascistes et liés aux dictatures. Le résultat ce sont aussi des méthodes comme l’utilisation politique de fichiers crées à des fins commerciales capitalistes qui relèvent d’une bien étrange conception de la démocratie qu’elles prétendent défendre.

A la réception, toute la finesse de la propagande

Olivier Berruyer, comme chacun sait désormais, est un actif propagandiste pro-Kremlin, tout a fait réel, sérieux, idéologique et pas du tout ni troll ni robot, sur l’Ukraine, sur la Syrie évidemment et sur le souverainisme. Son blog accueille le souverainiste star de Russia Today et de Sputnik Jacques Sapir, auto-déclaré « en exil » (Sapir a, de longue lutte, enfin perdu son blog sur Hypothèses.org et se considère depuis comme “en Exil” sur le site de Berruyer).

Berruyer est aussi dans le métier de la fake news mais du côté « alternatif ». Le côté qui demande des sous pour pouvoir continuer de publier des éléments de langage qui plaisent aux pro-Poutine et se fait inviter comme spécialiste de la critique des médias à Le Média ou à l’université d’été de la FI grâce à son badge orange au Decodex qui vaut label anti-systême dans ces milieux.

C’est précisément dans le combat entre Berruyer et EU DisinfoLab qu’on pourra voir toute l’étendue à la fois de la bêtise et de la nullité de EU DisinfoLab et de la finesse nocive de la propagande pro-Poutine. Car c’est bien de propagande qu’il s’agit. Le problème n’est pas la “Fake News” en tant que telle (terme que tous les gens sérieux bossant sur le sujet cherchent à bannir car il sert les fascistes et les politiciens en premier lieu) mais ce que vise à produire la propagande.

Si l’information et le relais de faits établis permettent de produire de la démocratie, la propagande vise à détruire les processus démocratiques. Cela ne se fait pas à coup de “Fake News”, ni même forcément uniquement avec des mensonges grossiers, mais en instrumentalisant les peurs, les doutes, les ressentiments et en empêchant la possibilité de distinguer le vrai du faux et donc de produire un débat démocratique sain sur les faits. Alterner entre le vrai et le faux, mélanger le partisan et l’objectif, faire passer des délires cynico-fascistes pour de la géopolitique avec vernis scientifique, voilà ce que font réellement les propagandistes pro-Poutine.

Inventer une information fausse ou dénoncer une erreur dans un média comme « Fake News » participe de ce brouillage des lignes. Ni l’un ni l’autre ne sont des « Fake News », l’une est un mensonge de propagande destiné à diviser et semer le doute intentionnellement, l’autre est une erreur dans un média qui sera corrigée et surtout sanctionnée (ce qui fonde que c’est une faute). Mais le terme « Fake News » permet aux propagandistes de faire croire que les deux sont de même nature. “Les médias font des erreurs” et “nous on ment”, c’est pareil disent les propagandistes. Sauf que ce n’est pas tout à fait la même chose.

Le rêve de Berruyer c’est la catégorie Orange du Décodex. C’est la plus vicieuse car c’est celle-là qui permet de mélanger le vrai du faux, de brouiller la frontière et de repousser la limite du vérifiable. Ainsi Berruyer, d’un coup, se met à chanter la gloire du journal le Monde, à récupérer sans vergogne le boulot de Stéphanie Lamy, se paye même le luxe de partager un tweet de Samuel Laurent ou de citer favorablement l’article des Décodeurs. Berruyer se régale, pousse jusqu’à nous expliquer que c’est finalement grâce à la russosphère que l’article du Monde a pu être diffusé si massivement sur Twitter. Mais Berruyer fait ce brusque éloge des médias pour mélanger le vrai et le faux. Entre ses articles sur le scandale EU DisinfoLab, il en profite pour nous proposer une revue de presse gavée d’articles du WSWS un site atrocement fasciste, pour courir sur Russia Today parler de Russophilophobie et pour faire des appels aux dons.

De comment on utilise un fichier

Berruyer récupère le fichier original que EU DisinfoLab a utilisé pour son étude et que Vanderbiest, attaqué sur sa méthodologie plus que douteuse, a publié avant de l’effacer… Un fichier qui regroupe 50 000 personnes ayant tweeté sur l’affaire Benalla avec leur bio twitter et la “classe” politique que leur a attribué EU DisinfoLab.

Et c’est là que Berruyer va nous faire un cas d’école du mélange de vrai et de faux : le fichage des juifs et des lesbiennes sur le fichier de EU DisinfoLab. Dans ce cas, il est incroyablement aidé tout au long du processus par l’océan de bêtises de Vanderbiest qui les accumule et lui déroule le tapis rouge.

Berruyer prend le fichier, tape « juif, lesbienne » dans la barre de recherche, obtient en résultat la liste des profils qui ont indiqué « juif » ou « lesbienne » dans leur biographie et, fort de son stabylo magique, surligne bien net le mot « juif » pour indiquer que c’est possible pour quelqu’un de mal intentionné (pas comme Berruyer donc) de ficher les profils sur cette base. C’est en partie vrai, à cause de la publication des fichiers. Mais bien évidemment, toutes les études scientifiques, en sociologie notamment s’appuient sur des données publiques , qui incluent le recoupement de profils twitters et Facebook, si le sujet d’étude inclut ces réseaux sociaux. Et cela n’a rien à voir avec du fichage politique, comme celui qui est pratiqué, par exemple, par les militantEs des réseaux pro-dictatures qui établissent des listes de militants à harceler. Le problème posé par les documents d’EU Disinfolab n’est donc pas celui d’avoir recoupé des données, forcément personnalisées parce que c’est le principe des réseaux sociaux, mais le classement effectué, d’une part, et la diffusion publique de ces documents d’autre part.

Le piège est donc énorme mais ça marche, Vanderbiest dépassé par sa propre bêtise en commet une nouvelle. Il nie l’authenticité de son propre fichier qu’il ne reconnaît plus, réarrangé ainsi par le stabyloteur et indique qu’il va attaquer Berruyer en justice. Nouvelle pluie de cadeaux pour Berruyer : les fact checkeurs de Libé confirment que Vanderbiest a dit n’importe quoi que le fichier est bien le sien et que le démenti de EU DisinfoLab est faux. Et une menace de procès qui ne repose sur rien. Berruyer peut désormais brandir un article des fact-checkeurs de libé dans une sorte de nouveau “Berruyer a raison”. Il peut aussi adopter sa posture favorite : un procès contre le système « financé par Soros ».

“Je n’ai plus trop les yeux en face des trous. L’affaire prend des proportions folles.” Vanderbiest à Libération

Les réseaux russes existent

Et pourtant, c’est le plus paradoxal de toute cette histoire, les réseaux de propagande pro-Poutine existent. Sans eux, ni EU DisinfoLab ni Les-Crises n’existeraient. Berruyer car il en est l’incarnation, Vanderbiest car il entendait bien surfer sur leur réalité pour se faire une carrière dans la lutte contre la “Fake News” avec son algorithme et sa communication de crise.

C’est ce qui se dégage lorsqu’on regarde un peu la structure mise en place par Eu DisinfoLab. Le projet : récupérer le marché de la lutte contre la Fake News et les fonds que vont se mettre à verser les plateformes et se placer sur le secteur de la lutte contre la désinformation qui est en train d’émerger.

Cela fait suite à l’élection de Trump où, pour la première fois, les plateformes ont été directement renvoyées à la responsabilités de ce qu’elles publiaient. Twitter et Facebook ont toujours dépensé beaucoup d’énergie pour ne pas être considérés comme des « médias » et donc ne pas être tenus responsables de ce qui est publié sur leurs sites. Cette posture craque de plus en plus. Les révélations du scandale Cambridge Analytica, l’exposition du libéralisme de données, la révélation de l’existence des bots mis au service d’une cause politique, la dangerosité des rumeurs comme celle du Pizzagate, ont mis en lumière l’étendue du décalage : si les médias produisent de la démocratie libérale, les plateformes, en refusant leurs responsabilités, produisent du libéralisme et vendent la démocratie. On peut s’acheter une meilleure place dans l’algorithme (ce que n’hésite pas à faire Berruyer) ou les services de Visibrain (ce qu’on fait Vanderbiest ou d’autres partis politiques.)

Cette déresponsabilisation des plateformes a donc été mise à rude épreuve à la suite des élections américaines. Facebook est sommé de faire un peu le ménage entre ce qui est vrai et ce qui est faux et de regarder les contenus qui sont échangés et partagés sur la plateforme. Sa solution qu’il met en place à reculons : payer les fact-checkeurs qui faisaient déjà le boulot gratuitement, aider à diffuser l’information sous forme de mise en garde et jouer sur l’algorithme pour réduire un peu la visibilité des hoax. C’est encore le modèle le plus sain. Facebook, n’ayant aucune idée de comment faire la distinction entre vrai et faux, entre fait et opinion préfère confier ça à des humains dont la vérification est le métier (on les appelle des journalistes). Ceci dit Facebook vient d’annoncer en mars dernier le changement de son algorithme qui va désormais privilégier les contenus personnels de l’entourage (donc des opinions dans des bulles à filtre) au détriment des contenus d’entreprises (et donc des contenus des médias produisant une information vérifiée). Un pas en avant, trois pas en arrière…

Twitter a visiblement été moins complexe et a juste cherché à se débarrasser des sous qu’ils avaient bien mal acquis grâce aux pubs achetées par Russia Today et par Sputnik en refilant ça à n’importe quelle organisation estampillée « lutte anti-fake news ». C’est ainsi que EU DisinfoLab grâce à leur plaquette promo, leur joli logo, leur conférence et leur nom qui ressemble à un truc sérieux, ont réussi à obtenir des sous de Twitter.

Pour Berruyer c’est évidemment un peu moins transparent. On sait juste que ses attentes en terme de dons s’élèvent à 7000 euros par semestre. Dons dont on ne sait pas très bien s’ils sont déductibles des impots. Parfois, les appels aux dons orientent vers une page indiquant que ceux-ci sont déductibles, parfois il est précisé que certains ne le sont pas.

Le surlignage est d’origine

C’est assez obscur mais il serait interessant de savoir si effectivement le site « alternatif » anti-système indépendant garanti sans financement Soros est indirectement subventionné avec nos impôts et reconnu d’utilité public.

Dans tous les cas, Berruyer compte bien tirer parti de toute l’étendue de la bêtise de EU disinfo Lab. Grace à leurs idioties, il bénéficie d’une audience immensément plus large. Il profite aussi du procès contre EU Disinfo pour faire une nouvelle campagne d’appel aux dons pour financer son procès.

Enfin et c’est plus grave, il dispose du fichier que Vanderbiest a twitté et Berruyer est en train de mobiliser une task force (bénévole) pour l’exploiter et en tirer le maximum.

Berruyer jure qu’il supprimera le fichier qu’il ne conserve que pour aider la CNIL. On est supposé le croire sur parole. Malgré son expérience en matière de suppression de contenu on n’est pas forcément rassuré.

La diffusion du fichier est profondément choquante. On accepte de donner ses données personnelles et de finir dans des fichiers pour profiter d’un service public, par exemple la sécurité sociale. On accepte aussi de donner ses données personnelles en échange d’un service gratuit comme Facebook ou Twitter en essayant très fort de ne pas penser à pourquoi c’est gratuit et où vont ces données, ce qui contribue au choc lorsq’uon découvre à quoi elles servent. Par contre personne n’a signé pour qu’une bande d’amateur déguisés en cowboys anti-fake news se permette de ficher les gens pour essayer de revendre à Macron une communication de crise.

L’autre problème, c’est qu’en prenant ça à la légère et en privilégiant la recherche de jouets pleins de couleurs comme les algorithmes de EU DisinfoLab, on oublie qu’en face il y a des réseaux humains, professionnels, organisés et disposant de moyens et surtout, d’une idéologie fasciste qui extrêmement séduisante et qui ne cesse de progresser.

Activist, master in History, master in War Studies, spare time freedom researcher, reggae DJ and revolution writer. bloqué par Nadine Morano

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