J’ai avorté. Pourquoi, ce n’est l’affaire de personne, sauf la mienne.
La semaine dernière, j’ai participé à un rassemblement local de la Journée d’action pour défendre le droit à l’avortement. Parallèlement aux demandes de dons et à la participation sur le terrain, les organisateurs ont demandé à celles qui avaient bénéficié d’un avortement de partager leurs histoires. Les organisateurs ont théorisé qu’en parlant de nos expériences, nous pouvions personnaliser l’acte, l’humaniser. Comme pour la sexualité ou le genre, peut-être, devions-nous nous définir par nos avortements.
Mes fils d’actus de réseaux sociaux sont remplis d’histoires d’âmes courageuses offrant leurs traumatismes en sacrifice à la justification de l’avortement. Pour beaucoup, il y a un élément émotionnel profond dans la décision d’avorter. Elles confessent toutes les raisons de leur décision comme si elles demandaient pardon. Victimes de viol. Victimes d’inceste. Victimes d’abus. Foetus non viables. Complications potentiellement mortelles pour la mère ou l’enfant.
Mon coeur a mal pour elles , vraiment. Je crois que leurs motivations sont nobles. Mais leurs histoires détournent l’attention de la manière dont cet argument devrait vraiment être encadré.
Qu’en est-il de celles d’entre nous qui ne sont pas victimes? Qu’en est-il de celles qui se sont simplement retrouvées enceintes? L’avortement ne doit pas nécessairement être motivé par un traumatisme.
J’ai avorté. Je ne vais pas vous dire quel âge j’avais, ou quelle était ma situation à l’époque. Je ne vous dirai pas si j’avais utilisé ou pas une autre méthode de contraception. Je ne vais pas vous dire si le mec fait ou ne fait plus partie de ma vie, s’il s’agissait d’un combat d’une nuit ou d’une relation à long terme. Je ne discuterai pas de la santé d’une des parties impliquées dans le sexe consensuel ou non, ni de la viabilité de l’embryon. Aucun de ces détails n’est pertinent. J’étais enceinte. Je ne voulais pas être enceinte. J’ai eu une procédure médicale pour remédier à la situation. Arrêt complet.
Je ne suis pas mon avortement. Tout ce que je suis, cependant, est à lié à cet avortement.
Je ne vous dirai pas si je me suis mariée et si j’ai des enfants des années ou des décennies plus tard. Si j’ai des regrets ou si je n’y ai jamais réfléchi. Les détails sont pour moi et moi seule. Ils ne sont pas pertinents. Les connaître ne devrait avoir absolument aucun impact sur la validité de mon choix. Mon choix. Le mien.
Je suis une adulte saine d’esprit et de corps. Mon gouvernement m’a décrété capable de voter, d’utiliser des véhicules motorisés, d’acheter des armes à feu, de payer des impôts. Pourquoi cette ligne irrationnelle tracée quant à l’autonomie du corps?
Une question rhétorique, évidemment. L’autonomie des corps n’est pas égale dans tous les domaines
Par exemple, en tant que citoyenne américaine, j’ai le droit de refuser un traitement médical vital. Sauf autorisation expresse de ma part, personne ne peut prélever un organe de mon corps – même pour sauver la vie d’une autre personne. Même après le décès, personne ne peut effectuer de recherche ou enlever des parties de mon corps sans consentement préalable.
Pourquoi mes décisions en matière de procréation ne relèvent-elles pas de ces libertés de choix reconnues par la société et la loi ? La question du contrôle et de l’assujettissement du corps de la femme est une histoire aussi ancienne que la civilisation. Exercer une autorité sur ce que je loge ou non dans mon corps n’est pas moins oppressant que de restreindre la religion que je peux pratiquer ou le choix de l’adulte consentant que je peux épouser.
J’ai avorté et je n’ai besoin du pardon de personne. Je n’aurais pas non plus besoin de votre permission. En défendant les droits en matière de procréation, nous devons nous abstenir d’articuler les débats autour des cas les plus extrêmes et les plus saints, dans l’espoir de convertir davantage de partisans. Lorsque nous essayons de trouver des circonstances dans lesquelles l’avortement devient acceptable, nous diluons le message simple selon lequel l’autonomie du corps devrait être un droit, sans distinction de sexe.
Alors, racontez vos histoires. Partagez vos expériences. Humanisez cet acte. Faisons ce que nous devons faire pour que le choix reste disponible pour celles qui en ont besoin. Mais s’il vous plaît, n’oubliez jamais que le droit devrait toujours être le nôtre, peu importe la raison de nos choix.
Elly Lonon, Washington Post, 27 mai 2019
Traduction Lignes de Crêtes.