Aujourd’hui, je voudrais parler de mes doutes sur #MeToo.
Alors je transpire un peu, j’ai l’impression que je devrais me fendre d’un disclaimer, dire que je suis féministe et que oui #MeToo c’est important. Et ça déjà, ça m’interroge, d’avoir ce réflexe de me défendre : #MeToo c’est un peu sacré, on n’y touche pas.
Mais moi j’ai plein de questions, de doutes, et un peu de colère, aussi.
Allons-y, un peu en vrac.
Confinée dans des sphères bien précises
Je ne sais pas si le mouvement, la “vague” #MeToo, a réellement su dépasser les cercles initiaux d’où elle est née. S’est-elle répandue ailleurs que dans les milieux professionnels et la sphère publique, que les femmes fréquentent en tant que travailleuses comme en tant que clientes ou usagères ? Je n’en ai pas l’impression. On a parlé des violences conjugales tout de même, mais je ne vois aucun avant/après en termes de chiffres sur les féminicides conjugaux, qui sont même en France en augmentation cette année.
La vague #MeToo a-t-elle même dépassé le cinéma et les médias, a-t-elle dépassé certaines sphères professionnelles tout de même bien précises, la vague s’est-elle insinuée dans tous les bureaux, les supermarchés, les usines et les fast-foods ? Je ne crois pas.
La vague #MeToo, née à Hollywood, dans ses effets concrets a-t-elle vraiment dépassé le contexte états-uniens ? Pas pour les Depardieu, les Kechiche ni les Besson, clairement. Etc.
Ca n’est pas un échec, et tant mieux si la dégueulasserie hétérosexiste d’Hollywood et de ses porcs a éclaté au jour, tant mieux si les professionnel.les de secteurs comme le cinéma, la presse, l’hôpital, la gynécologie, les transports en commun, ont aujourd’hui de la matière pour repenser leurs pratiques dans la perspective de respecter les femmes, qu’elles soient leurs collègues, leurs employées, leurs usagères ou leurs clientes. #MeToo c’est peut-être, pourquoi pas, un début, une étape, bref : je ne jette pas le bébé avec l’eau de la vague.
Mais il faut qu’on regarde ces limites. Il faut qu’on acte leur réalité, si c’est le cas. Parfois je me crispe à lire ces articles et ces titres d’ouvrages qui semblent unanimes : #MeToo est un tsunami qui a changé la face du monde, emportant le sexisme partout, il y aurait un Avant, et un Après. #MeToo est utilisé à toutes les sauces, #MeToo est un mot-clé qui sans doute fait vendre ou cliquer.
Mais nous sommes féministes, critiques, et si nous avons besoin de moments d’espoir pour continuer à lutter, rassurez-moi, nous ne sommes pas dupes ? #MeToo n’est pas rien, loin de là ; mais #MeToo n’a pas noyé l’hétéropatriarcat, loin de là. Parce que d’ailleurs, #MeToo ne parle pas beaucoup d’hétéropatriarcat. #MeToo parle de “rapports hommes-femmes”, parfois #MeToo parle de sexisme, de domination masculine.
#MeToo parle surtout de femmes et d’hommes. Sous-entendu bien sûr, de femmes et d’hommes cisgenres hétérosexuel.les. #MeToo ne parle pas beaucoup d’un système plus global, dont les victimes ne sont pas que les femmes hétérosexuelles cisgenres. Et #MeToo, à travers la voix de nombreuses personnes, a en fait noyé de nombreuses autres voix ; et en a tout simplement ignoré bien d’autres.
Les mecs trans ont aussi vécu les violences faites aux femmes
Lorsque le mouvement a pris en France, sous la forme des témoignages sur les réseaux sociaux, il y a eu immédiatement plusieurs voix qui n’ont pas vraiment été encouragées, voire à qui on a demandé de la fermer. Celles des hommes, cis ou trans, qui témoignaient des violences sexuelles qu’ils avaient pu vivre. On a plus ou moins ignoré ces témoignages, voire on a reproché à ces personnes (en particulier les hommes cis) de silencier les femmes, on leur a dit que c’était misogyne de prendre la parole à cet instant.
Personnellement cette idée me révolte et m’atterre aussi. Comme si la parole était nécessairement limitée, comme si l’ouvrir, signifiait nécessairement amener quelqu’unE d’autre à la fermer. Comme si #MeToo et ses voix étaient une propriété privée des femmes (hétérosexuelles cisgenres). C’est révoltant mais c’est aussi profondément stupide. C’est ignorer tellement de choses.
l’hétéropatriarcat et ses corollaires comme la “masculinité toxique”, la culture du viol, la culture de l’inceste, ont d’autres victimes que les femmes.
Si j’en reviens aux mecs trans, c’est ignorer déjà qu’ils ont été perçus – voire le sont toujours – comme femmes à un moment donné de leur vie. Ignorer, minimiser voire empêcher leur participation au mouvement #MeToo, parfois plus ou moins au nom du respect de l’identité de genre, s’inscrit dans la continuité de la vaste arnaque qu’est un certain courant (trans)féministe néo-essentialiste actuel. Les hommes trans ont été perçus comme des femmes, et sont donc absolument et pleinement légitimes à l’ouvrir pour parler. Mais avez-vous lu beaucoup de mecs trans prendre la parole pour parler via #MeToo?
Je ne suis pas sur twitter, donc je ne sais pas comment ça s’est passé sur ce réseau social, je le reconnais volontiers. Mais j’ai vu passer très peu de témoignages via Facebook, par rapport au nombre de témoignages de femmes cisgenres. Et par la suite je n’ai trouvé aucun article en français qui parlerait de la nécessité d’entendre ces voix-là, la presse française se contrefout des mecs trans.
J’en ai trouvé quelques uns en anglais, heureusement. Des articles rédigés par des hommes trans et qui rappellent l’évidence énoncée au début de ce paragraphe. Pourtant plusieurs de ces articles semblent malgré tout demander la place pour les hommes trans au sein de #MeToo, plus qu’affirmer leur légitimité à y être, sans s’entourer de précautions. Des articles dont les auteurs rappellent leur conscience des innombrables (!) privilèges masculins acquis, s’enjoignant même parfois à ne pas prendre tout de même trop de place, car #MeToo ne serait pas vraiment leur moment, ou en insistant sur la pertinence de les inclure parce que leur voix serait utile depuis une place stratégique (celle d’avoir connu les deux façons, homme ou femme, d’être perçu.e par autrui).
Mais attendait-on des femmes qui témoignaient sous le hashtag #MeToo que leur témoignage soit utile ? Non, leur témoignage avait droit d’exister et de circuler sans condition, d’utilité ou autre.
Je ne blâme pas du tout les auteurs de ces articles, mais bien un mouvement féministe qui amène certains des siens à prendre mille précautions et détours oratoirs pour y rester sans braquer les officielles et légitimes femmes cisgenres (hashtag ironie). Bref, et pardonnez moi de continuer à filer lourdement la métaphore aquatique, je ne crois pas me tromper de beaucoup en disant que si des voix transmasculines ont tenté de s’élever elles n’ont été que des gouttes d’eau dans la vague #MeToo. On ne les a pas encouragées, éventuellement on les a tolérées, et depuis on ne les a plus entendues.
Mais un vécu passé, plus ou moins récent, de “perçu femme” n’est pas la seule raison pour laquelle nous devrions écouter ces voix.
De nombreuses tendances féministes ignorent, au sens non pas de l’ignorance crasse, mais de l’ignorance volontaire, ignorent donc le fait que l’hétéropatriarcat, et ses corollaires comme la “masculinité toxique”, la culture du viol, la culture de l’inceste, ont d’autres victimes que les femmes.
Nous préférons passer à côté d’une analyse globale de la culture du viol par exemple, ou de la famille comme lieu primaire des violences, par peur de perdre notre place de victime chèrement acquise. Comme un statut qu’on a déjà tant de mal à faire reconnaître que le partager nous fait peur.
On a demandé aux pédés qui tentaient de parler des agressions sexuelles vécues, dans une communauté gay absolument pas exempte de culture du viol, de la fermer. Tout simplement. Demandez autour de vous, plein de mecs ont des anecdotes à raconter sur eux ou leur pote à qui on a fait la leçon sur twitter, alors qu’ils évoquaient un viol vécu. Les mecs eux-mêmes entre eux, pour être un “bon allié”, se silenciaient.
Mais, fuck, on n’est pas un allié, quand on est concerné…
Quant au tabou ultime d’hommes agressés ou harcelés par des femmes, ça n’est même plus de l’ordre de l’ignorance volontaire, c’est carrément du déni de la part des féminismes. Il semble très très difficile de reconnaître que des femmes soient capables de violences sexuelles, car l’évoquer serait misogyne. Pourtant ces violences découlent elles aussi de la culture patriarcale du viol dans laquelle les femmes sont elles aussi élevées.
Et l’on préfère garder aussi intacte que possible ce stéréotype pourtant terriblement essentialiste et sexiste, celui de femmes incapables de violences, plutôt que de prendre le risque de complexifier nos analyses et nos discours sur ce que le système hétérosexiste nous fait.
Et le plus tristement ironique, c’est l’échec de cette stratégie: on laisse du coup l’élaboration du discours de la violence des femmes, à nos ennemis. On laisse les masculinistes parler pour nous. En témoigne le fait que les seules occurrences médiatiques de mentions d’abus d’une femme sur un homme dans le cadre de la “vague #MeToo”, n’ont servi qu’à tenter de décrédibiliser le mouvement, en décrédibilisant une femme qui s’était exprimée dans #MeToo en tant que victime (Asia Argento) et une féministe (Avital Ronell).
En laissant les seuls masculinistes et autres détracteurs de #MeToo parler des femmes agresseuses, on n’a rien dit de ce qui peut amener une femme, elle-même pourtant (faux paradoxe ?) victime de violences sexuelles ou de sexisme, à un jour harceler ou agresser à son tour. Et cette prise de parole par les masculinistes au sens large n’a évidemment pas permis non plus aux hommes agressés de parler ; le discours réactionnaire sur les femmes agresseuses n’avait pas d’autre but que de décrédibiliser des femmes, dont l’une qui avait parlé dans le cadre de #MeToo, et donc tenter de décrédibiliser le mouvement tout entier. Il nous faut d’urgence nous attaquer au chantier de la réflexion réellement globale sur le système hétéropatriarcal, sur la culture du viol, qui nous façonne touTEs, qui amène certaines femmes à se trouver parfois du côté oppresseur. Nous n’en serons pas moins féministes, et un discours féministe sur ce fait est possible. Le chantier est énorme et effrayant, mais je le répète : tant qu’on ne s’y attaque pas, on laisse les masculinistes, les réactionnaires et les psychanalystes discourir sur nous et contre nous.
Voilà un rapide tour (sans doute partiel) des voix qu’on a tentées activement de faire taire, parce qu’elles ne s’inscrivaient pas très très bien dans un mouvement réformiste préférant parler des rapports hommes-femmes que de destruction du système hétéropatriarcal.
Et la rééditions des tabous sur les putes, les femmes trans, la pédophilie…
Et il y a aussi toutes les voix qui s’élevaient déjà avant #MeToo, et que le mouvement a juste ignorées et n’a jamais intégrées.
Tant que les putes ne porteront pas le discours abolitionniste, il leur sera plus ou moins clairement interdit de parler des violences qu’elles subissent.
Soit tu es (ex)pute entièrement victime y compris de la prostitution en tant que telle, et tu auras alors le droit d’étayer le propos avec des exemples de violences de clients ; soit tu la fermes.
Pourquoi le mouvement #MeToo n’a-t-il jamais fusionné avec d’autres voix pour leur faire bénéficier de son incroyable audience depuis deux ans et demi ? Je ne sais même pas si ma question a du sens, #MeToo est un truc sans leader, sans centralité, et si ces voix ont été ignorées est-ce la faute de toutes ou de personne ? je n’en sais rien. Mais le fait que des ponts qui auraient dû être créés ne l’ont pas été, confirme que #MeToo n’est pas un mouvement de lutte radicale, qui intégrerait toutes les dimensions de l’oppression hétéropatriarcale et en analyserait les racines communes.
#MeToo a ignoré les femmes trans, en particulier racisées, immigrées, travailleuses du sexe et pauvres, au Brésil, aux États-Unis, au Mexique, en Turquie, en Inde, ou en France. En France justement, le meurtre de Vanesa Campos, exceptionnellement médiatisé grâce au travail d’activistes et de collectifs militants, n’a jamais été traité par un seul média sous le hashtag #MeToo. Et les centaines de femmes trans assassinées chaque année dans le monde n’ont pas pu compter sur le mouvement #MeToo comme caisse de résonance pour amplifier les voix sur un phénomène qui dure depuis des années sans que sa connaissance ne dépasse réellement des cercles plus ou moins politisés.
Quant aux putes, trans ou pas, le discours féministe abolitionniste majoritaire les a depuis toujours tenues écartées de la possibilité d’élaborer un discours sur les violences subies, de la part des clients comme d’autres instances (Etat, police). Tant que les putes ne porteront pas le discours abolitionniste, il leur sera plus ou moins clairement interdit de parler des violences qu’elles subissent.
Soit tu es (ex)pute entièrement victime y compris de la prostitution en tant que telle, et tu auras alors le droit d’étayer le propos avec des exemples de violences de clients ; soit tu la fermes. Il y a eu des tentatives d’inclusion des TDS, comme lors du cortège “#NousAussi” à Paris le 24 novembre 2018. L’initiative, par ce nouveau hashtag (qui ne connaîtra jamais le millième de l’ampleur de #MeToo), souligne le fait que le courant #MeToo majoritaire exclue bien du monde et que tout le monde n’a pas eu la possibilité voire la permission de se reconnaître dans ce “Me”.
Evidemment, #MeToo a ignoré les femmes victimes de violences de la part d’autres femmes. Si les hommes agressés par des femmes sont un phénomène qui ne peut qu’attirer le premier connard réactionnaire venu, les violences entre lesbiennes: là c’est franchement tout le monde qui s’en fout. Les féministes peinent là encore à ébaucher un discours assumé sur un phénomène pourtant tout sauf rare. Mais quoi, pourquoi, comment cela ne serait pas le cas ? Les lesbiennes, elles non plus, ne vivent pas plus que les autres en dehors de la violence hétéropatriarcale, qui tolère, minimise, voire encourage largement les violences conjugales, valorise l’appropriation de l’autre via le couple monogame et applaudit à la jalousie comme belle preuve d’amour.
… l’inceste aussi…
#MeToo n’a jamais non plus intégré la problématique de la pédophilie en général ni de l’inceste (des plus âgé.es sur les plus jeunes) en particulier. Le tabou de l’inceste existe bel et bien, non pas comme norme sociale qui rejetterait les pratiques sexuelles entre individuEs de même parenté, mais comme sujet dont on ne parle pas, et dont surtout on ne parle pas autrement que de faits isolés.
Pourtant nous vivons dans une société de l’inceste au même titre qu’une société du viol. Le continuum incestuel est présent dans beaucoup, beaucoup de familles ; je me permets de l’affirmer, pourquoi sinon est-ce que j’entendrais tellement d’histoires absolument glauques et révoltantes autour de moi, des faits incestuels voire clairement incestueux, dont les auteur.es ne seront jamais inquiété.es ? Les féministes le disent depuis plusieurs décennies déjà: la famille est le premier lieu des violences faites aux femmes et aux enfants. Pourquoi la dénonciation de l’inceste, berceau des dominations, n’a-t-elle pas trouvé d’écho en #MeToo ?
J’ai besoin qu’on parle des mères (des tantes, des grand-mères) toxiques, abuseuses, maltraitantes, incestuelles ou incestueuses, et qu’on le fasse en tant que féministes.
Et, une fois encore, cette dénonciation est encore plus inexistante – si c’est possible – lorsque les auteurEs d’inceste sont des femmes. Si il est déjà si difficile d’élaborer un discours sur la violence des femmes, le fait qu’elles puissent sexuellement agresser, un.e enfant qui plus est, fait complètement buguer l’ordinateur féministe. Pourtant, ces incestes existent, et sous des formes sans doute différentes et paradoxalement mieux tolérées que pour les incestes des hommes.
En tant que féministes, là encore, nous devrions pourtant étudier ce phénomène, l’inscrire dans une compréhensions féministe du monde, analyser ses multiples facteurs – qu’il s’agisse de répétition d’abus subis, de la place toute particulière des mères et du poids écrasant de ce rôle, de la valorisation du “care” sans penser qu’il y a toujours deux corps en jeu là-dedans – et l’un toujours plus faible et dépendant que l’autre, de la dépendance des enfants, justement, aux adultes et en particulier aux femmes qui s’en occupent, de la famille comme lieu clos où toutes les folies peuvent s’épanouir ; je lance mille pistes peut-être absurdes mais j’ai vraiment très soif d’une vague féministe à cet endroit. J’ai besoin qu’on parle des mères (des tantes, des grand-mères) toxiques, abuseuses, maltraitantes, incestuelles ou incestueuses, et qu’on le fasse en tant que féministes.
La pédophilie dans l’Église Catholique, elle non plus n’est pas #MeToo
J’évoquais plus largement la pédophilie, dont l’inceste est une grande part, mais pas la seule. En tant que personne ayant été élevée dans la religion catholique et m’en étant radicalement détachée pour beaucoup de raisons, je suis très sensible aux multiples dénonciations d’abus sexuels au sein de l’Eglise Catholique, dénonciations qui émaillent l’actualité depuis des années. Ces dénonciations prennent il me semble de plus en plus d’ampleur et d’écho médiatique. Il devient difficile pour l’Eglise d’ignorer les scandales, et les chiffres, terribles chiffres qui concernent les milliers d’enfants victimes, les milliers de prêtres pédophiles, ou encore les décennies pendant lesquelles ces viols et abus parfois complètement sadiques se déroulent en toute impunité. Des fictions et des documentaires participent désormais à cette visibilité (The Keepers, Examen de Conscience, Seulement, ne le dis à personne, Grâce à Dieu… pour n’en citer que de très récents).
Mais ce mouvement de dénonciation massif n’a jamais croisé la route du mouvement #MeToo. Comme des vagues parfaitement parallèles. Je ne comprends pas pourquoi. Parce que les victimes sont très majoritairement des petits garçons (mais pas que, voir The Keepers ou Seulement, ne le dis à personne) ? Parce que l’Église serait une structure à part du monde ? Pourtant, si une institution oeuvre de tout son possible pour maintenir l’ordre hétérosexiste du monde, c’est bien l’Église Catholique.
Mais sans doute que la pédophilie endémique de l’Eglise ne relève pas des “rapports hommes-femmes”, donc pas de #MeToo. Et c’est bien dommage, là encore, de parcelliser les phénomènes, au lieu de les lier dans une analyse complète et complexe du fonctionnement hétéropatriarcal de nos sociétés, dans toutes ses dimensions.
J’ajouterai que récemment, c’est un nouveau scandale qui entache l’Eglise, celui des nonnes abusées par des prêtres. Est-ce que ce scandale, dont je prédis qu’il n’est qu’à ces débuts et s’avèrera d’une ampleur similaire à celui de la pédophilie cléricale, arrive trop tard dans la vague ? Là encore, est-ce que les victimes, qui sont pourtant des femmes adultes cisgenres agressées par des hommes, s’éloignent déjà trop, par leur particularisme, du discours #MeToo sur les rapports hommes-femmes développé pour la société laïque ? Je ne sais pas, je n’ai pas de réponse, je constate juste que je n’ai lu ou vu nulle part que les nonnes étaient des victimes de l’hétéropatriarcat, #themtoo.
J’ai brossé un rapide panorama de groupes sociaux exclus, pour diverses raisons, de la grande vague. Je le fais parce que depuis plus de deux ans, je me sens de plus en plus en colère de constater que moi, des camarades, des proches, nous ne nous sentons aucunement la légitimité de causer via #MeToo, en tous cas pour une partie des violences ou abus que nous avons pu subir dans nos vies. Nous sommes féministes, nous avons vécu des violences que j’impute à l’hétéropatriarcat, mais parce que ce que nous avons vécu n’est pas très exactement une violence-subie-en-tant-que-femme-cisgenre-hétérosexuelle-adulte-et-exercée-par-un-homme-cisgenre-hétérosexuel-adulte, nous ne nous sentons pas vraiment concernéEs par #MeToo.
À plein de moments, je ne me sens pas concernée par #MeToo.
Quand j’entends les histoires, les vécus de proches, je suis en colère que #MeToo n’intègre par ces vécus.
Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la forme de discours que #MeToo a très largement privilégié : le témoignage. “Briser le silence”, “libérer la parole”, multiplier les témoignages pour mettre en avant la récurrence et la similarité des situations qui font système, tout cela est important. Mais n’oublions pas non plus que certainEs d’entre nous ne peuvent ou ne veulent pas témoigner, à fortiori à travers la forme quasi unique de post sur les réseaux sociaux.
Restons vigilantEs à développer d’autres formes de discours et d’action qui incluent celles et ceux qui ne témoignent pas, qui n’ont pas envie de lire “coeur coeur soutien”, qui ont l’impression de devoir réduire leur vécu à un mot-dièse, ou qui ressentent, à force, comme une injonction le fait de passer par le témoignage public et s’y refusent.
Il est temps, après presque 3 ans, d’identifier les limites et écueils de la vague. Seule, évidemment, je n’ai ni le recul ni les outils ni la méthode pour analyser sa réelle portée et ses conséquences, qui sont peut-être plus positives que le constat pessimiste et à vrai dire en colère que je fais. Mais collectivement, en tant que féministes radicales, creusons la vague, et effectuons ensemble ce retour critique.
(les images utilisées dans cet article sont en accès libre sur le site du MET Museum)