« Des malentendus. » C’est ainsi que Macron a décidé de nommer les violations, crimes de guerre, annexions, soutiens de partis d’extrême droite et propagande fasciste que Poutine a multipliés depuis les débuts de son règne, il y a vingt ans. Et le président français a promis au président russe, lors d’une rencontre à Brégançon juste avant le G7, de passer l’éponge sur tous ces « malentendus » construits, selon lui, depuis la fin du communisme, et qui empêchent la bonne entente et la coopération entre libéraux.
Car Poutine est libéral, selon les mots d’un Macron bien décidé à mettre toute sa philosophie politique au service du rapprochement avec la Russie. A la question de la réintégration de la Russie dans le G7, Macron explique que ce n’est pas possible à cause de « l’irritant » qu’est l’Ukraine mais que le G7 n’est pas le seul format de discussion :
« Je souhaite, dans le cadre de cette recomposition et du nouvel agenda, qu’on puisse lever beaucoup de malentendus qui se sont installés. Et c’est à nous d’inventer des nouveaux formats, d’être innovants. On n’est pas obligé de vivre avec les formats et les grammaires d’un monde qui a changé et qui est en train de changer encore de manière accélérée. »
L’innovation de la start-up nation et le progressisme en marche, deux fondamentaux du projet macroniste, que le président entend mettre entièrement au service de la réconciliation avec Poutine.
Ce projet macroniste de réconciliation avec Poutine, le président l’a encore explicité lors de son discours aux ambassadeurs le 27 août. Le président est désormais, dans ce projet de poutinisme, en lutte contre “l’Etat profond”, une expression qu’il emprunte directement aux plus ignobles discours de Trump afin d’évoquer ces forces occultes internes à l’administration qui semblent résister à son projet présidentiel d’alliance avec Poutine.
« Très profondément »
« Alors je sais que, comme diraient certains théoriciens étrangers, nous avons nous aussi un Etat profond. Et donc parfois le président de la République dit des choses, se déplace et dit quelque chose, puis la tendance collective pourrait être de dire: ‘Il a dit ça enfin nous on connaît la vérité on va continuer comme on l’a toujours fait’. Je ne saurais vous recommander de ne pas suivre cette voie. D’abord parce qu’elle est collectivement inefficace puisqu’elle décrédibilise la parole du président de la République et par voie de conséquence elle décrédibilise la parole de celles et ceux qui les représentent. Mais surtout elle nous enlève de la capacité à faire. Et donc, dans cette capacité à repenser les grandes relations, il y a notre relation avec la Russie. »
Macron indique ici que, comme on a pu le voir en de multiples occasions, il y a un clivage au sein des services et de la diplomatie entre, d’un côté, des pro-Poutine et des pro-Assad et, de l’autre, certains diplomates ou espions hostiles à cette ligne. En réalité la ligne d’alliance avec les dictateurs est largement infiltrée dans l’Etat au point d’être désormais la ligne officielle. Hubert Védrine, pourtant célèbre pour être un des artisans de la politique de complicité de la France avec le génocide rwandais et aussi invité régulier de Russia Today, est un des « visiteurs du soir » de l’Elysée. Ah, avoir des “visiteurs du soir”, cette tradition tellement de Gaulle-Foccart…
Autre signe de la bonne santé du courant de soutien aux dictateurs : la chaîne conspirationniste Thinkerview, connue pour ses invitations de Etienne Chouard, Laurent Obertone, François Ruffin, Kemi Seba, interviewait en direct Alain Juillet, ancien chef des services, lui aussi fervent pro-Assad, dans une émission réalisée en directe de l’Ecole de guerre devant les futurs officiers. On pourrait, pour illustrer la puissance d’influence de ce courant, multiplier les exemples des anciens des services ayant gardé des contacts, des experts « géopolitiques » d’extrême droite fondateurs de think tanks ou d’école de renseignement, ou de carrières d’espions, barbouzes ou journalistes s’étant construites sur le « dialogue » avec le régime d’Assad. Yves Bonnet, par exemple, ancien chef de la DST, évoquait récemment le pacte passé avec le groupe terroriste antisémite Abou Nidal (et donc avec Assad père).
En dépit d’oppositions internes, ce courant du « pacte avec le diable » est désormais assez puissant pour être celui qui dicte la ligne en matière de politique étrangère, et le discours de Macron est une prise de position claire, nette et surtout définitive en faveur de ce courant, doublée d’accusations et de menaces graves vis-à-vis de ceux qui lui sont opposés. Et il est grand temps de prendre la mesure du projet macroniste et de la virulence des attaques. Il est aussi vain d’espérer convaincre Macron d’abandonner son idée d’alliance avec Poutine qu’il est vain d’imaginer convaincre Poutine d’abandonner son alliance avec Assad.
Une alliance libérale
Et on peut parler de projet d’alliance même si Macron ne prononce pas le mot, mais le projet de “relation” avec la Russie que prévoit le président va loin, très loin.
“Nous sommes dans une Europe où nous avons laissé le sujet des armements à la main de traités qui étaient préalables à la fin de la guerre froide entre les États-Unis et la Russie. Est-ce que c’est ça une Europe qui pense son destin, qui construit ? Pour ma part, je ne crois pas, donc il faut avoir ce dialogue avec la Russie.”
Un « dialogue » sur l’armement donc et aussi penser ensemble une stratégie spatiale, bon, Macron veut parler missiles avec Poutine, pourquoi pas. Puis Macron ajoute même: « Il nous faut ensemble penser une stratégie sur le cyber, nous en sommes très loin. »
Dans le même discours, Macron mentionne pourtant les « attaques cyber » et la « déstabilisation démocratique » de la Russie sur l’Europe, donc il est au courant. On se demande donc ce qu’il entend par “penser ensemble une stratégie sur le cyber”: influencer les élections aux Etats-Unis, développer une “ferme de propagande” commune, à l’image de la fameuse Internet Research Agency, ou inonder les réseaux de propagande d’extrême droite et de négation de crimes de guerre ?
« C’est ce que feront les ministres de l’Europe et des Affaires étrangères et la ministre des Armées lorsqu’ils se rendront dans quelques jours à Moscou pour reprendre le dialogue 2+2. C’est ce que nous poursuivons par un dialogue constant avec le président Poutine et nous allons mettre en place ce groupe de travail pour avancer sur cette architecture commune », promet donc le président.
Mais Macron va encore plus loin et donne enfin l’explication très profonde de ce qui se cache derrière le fameux “ne pas pousser la Russie dans les bras de la Chine”:
“Je pense que la vocation de la Russie n’est pas d’être l’alliée minoritaire de la Chine et donc nous devons aussi savoir par ce dialogue exigeant et les conditions que nous poserons, offrir à un moment donné une option stratégique à ce pays qui va immanquablement se la poser, immanquablement, et c’est à nous de le préparer et de savoir avancer sur ce point.”
Si les mots ont un sens, ce que propose Macron ici comme “option stratégique” à offrir à la Russie, c’est un clair choix d’alliance : la Chine ou l’Europe.
Macron, le président libéral de la France européenne, a donc décidé de paver la voie de l’alliance avec Poutine, le président « libéral » russe. Oui, car les deux présidents sont libéraux.
Lors de la rencontre avec Poutine et devant son invité, Macron déclare en effet :
« Derrière le mot libéral on met des réalités qui sont parfois pas les mêmes, moi je crois que la Russie a une histoire avec ce que nous on appelle le libéralisme politique. Le libéralisme politique c’est l’Europe des lumières. C’est de dire « je crois dans l’individu libre et rationnel », la Russie y croit. Ou alors je connais mal mon histoire et j’aurais oublié les liens que la Grande Catherine aurait eus avec tant de nos philosophes et qui ensuite ont émaillé le temps. Je rappelais tout à l’heure l’importance de Dostoievski, je pourrais parler de Soljénystine ou de toutes ces grandes consciences qui ont fait de la Russie une grande puissance des lumières (sic). Donc la Russie elle est dans ce qu’on appelle le libéralisme politique. Elle a un rapport au libéralisme économique, je crois que c’est plutôt sur le sujet des mœurs ou je veux dire des évolutions de la société qu’il peut y avoir des désaccord ou des degrés de conservatismes qui ne sont pas les mêmes mais je voudrais qu’on remette la bonne grammaire quand on parle de ces notions. Et je crois au temps long. A l’échelle de nos nations, deux ans c’est peu de chose. Et j’ai cette humilité. »
Macron exprime ici une vision du libéralisme politique où les libertés sont des concepts philosophiques fondant « l’individu libre et rationnel », le reste étant composé de libéralisme économique. Un individu théoriquement libre et puis des échanges commerciaux. Evidemment, Poutine est tout à fait dans cette veine. En réécrivant un petit coup l’histoire de la Russie de Catherine à Soljénytsyne en passant par Dostoïevski, Macron passe un bon coup de peinture sur la petite période où la Russie rompt avec le culte de l’individu pour essayer le communisme, et le tour est joué.
Effectivement Poutine est totalement libéral au sens ou l’entend Macron.
L’humilité face au temps long que revendique Macron est aussi hallucinante. La démocratie, fondée par l’alternance du pouvoir et sa limitation dans le temps, doit ici se présenter « avec humilité » devant le « temps long » qu’incarne l’autoritarisme de Poutine, au pouvoir depuis vingt ans.
La nécessité d’accords commerciaux est supérieure aux droits de l’homme, le culte de l’individu justifie qu’on démembre tout ce qui peut fonder du social et les prétentions universalistes disparaissent devant les différences « culturelles » ou de « mœurs » qui sont le fondement d’incompréhensions grammaticales sur les degrés de conservatisme. Un peu arriérés, quand même, ces Russes, mais avec Poutine on peut faire affaire.
Cet abandon total des valeurs et des droits de l’homme correspond à l’évolution générale du libéralisme démocratique porté par Macron : un libéralisme qui ne défend plus aucune liberté ni sur le plan intérieur ni à l’international. Un abandon de la liberté en rase campagne qui n’est évidemment pas spécifique au libéralisme, certains à gauche ayant décidé d’adopter la même ligne d’alliance avec des criminels de guerre.
Une différence notable étant que ceux, à gauche, qui ont décidé d’abandonner la liberté tentent de se débarrasser aussi du mot et des symboles de gauche, tandis que le Macron qui propose l’alliance avec Poutine continue de s’assumer et de s’affirmer fièrement libéral. Autant les insoumis jurent leurs grands dieux qu’ils ne sont pas du tout pro-Poutine et qu’ils n’ont jamais dit ce qu’ils ont dit, autant les macronistes expliquent que dérouler le tapis rouge à Poutine et lui susurrer des mots d’alliance à l’oreille, c’est ce qu’on se doit de faire quand on est président des Français.
Autre différence et certainement en lien avec les précédentes : la violence et la virulence des débats internes à gauche contre la ligne pro-Poutine et pro-Assad face à la faiblesse et à l’extrême prudence des libéraux, même les plus anti-fascistes, lorsque Macron définit la Russie comme libérale et son projet libéral comme totalement tourné vers la Russie de Poutine et comment faire affaire.
Poutine est de toute façon arrivé à Brégançon en mode séduction libérale en introduisant son discours par les liens économiques et les investissements qui unissent les deux pays, jusqu’à se payer le luxe de promettre que renforcer la coopération économique (c’est-à-dire lever les sanctions) permettra de créer des emplois. Une levée des sanctions quasiment actée, que Macron évoquera dans sa conférence aux ambassadeurs par une douce litote : « Ce n’est pas notre intérêt d’avoir plus de sanctions. »
“Le continent européen ne sera jamais stable, ne sera jamais en sécurité, si nous ne pacifions pas et ne clarifions pas nos relations avec la Russie. Ce n’est pas l’intérêt de certains de nos alliés, soyons clairs avec ce sujet. Certains d’ailleurs nous pousseront toujours à avoir plus de sanctions, parce que c’est leur intérêt. (…) Mais ce n’est pas le nôtre très profondément.”
Et sinon, toi, ta répression ?
C’est sur le passage des Gilets jaunes que la rencontre entre Poutine et Macron atteint le meilleur point de friction, qui est aussi le point de jonction des deux dirigeants, désormais définis comme libéraux. L’évolution du libéralisme, qui est passé à l’éborgnement de manifestants et au « dépassement du syndrome Malik Oussekine » pour faire appliquer le programme libéral du président libéral, est un point de jonction et de friction avec Poutine. Et Poutine le sait parfaitement, c’est pour cette raison que, lorsqu’arrive la question sur les manifestations en Russie, Poutine renvoie les Gilets jaunes à la figure d’un Macron qui répond sur la liberté de se présenter aux élections.
Finalement les deux dirigeants tomberont d’accord sur le fait que le droit de manifester doit être strictement encadré pour que cela se fasse dans le respect de l’ordre public sinon c’est la fin de la liberté de manifester. Macron a invité Poutine avec l’idée de lever les malentendus et de tomber d’accord, Poutine a accepté l’invitation et c’est cela qu’il se passe.
« La liberté de manifestation a été protégée, lorsque certains attentaient à l’ordre public, bah, il faut protéger l’ordre public, c’est le corrélat de la liberté de manifester et en France, je le dis clairement c’est pour ça que comparaison ne vaut pas raison. Ceux qui ont manifesté se sont présentés librement aux élections. Ceux qu’on appelle les Gilets jaunes ils ont été librement aux élections européennes puis ils iront aux élections municipales et c’est très bien comme ça et je souhaite qu’ils s’expriment librement aux élections parce que ça réduit la conflictualité. Parce qu’on est un pays où les gens peuvent s’exprimer, librement, manifester librement, simplement on ne peut pas accepter qu’ils cassent et qu’ils troublent l’ordre public parce que ça empêche les autres d’avoir leur propre liberté. C’est la différence entre la liberté qui suppose l’ordre public protégé constitutionnellement, protégé par la cour européenne des droits de l’homme et le non respect de liberté lorsque des gens ont cette liberté réduite. Voilà. Mais il faut toujours distinguer les cas. Mais en tant que membre du conseil de l’Europe la seule expression que nous avons eu cet été et que j’ai rappelé dans mon propos liminaire c’était ça. Veiller on l’a dit l’un et l’autre et on va en parler, à ce que les gens puissent dans le respect de l’ordre public manifester exprimer leur opinion et participer à des élections. »
La différence entre démocratie et dictature ? C’est que Macron peut ici compter sur les bonnes poires démocrates et antifascistes qui iront expliquer que la démocratie et la dictature, ce n’est pas la même chose. « Comparaison n’est pas raison, » paraît-il après vingt minutes passées à expliquer que les grandes idéologies se rencontrent, que la France et la Russie partagent tant et tout, que la Russie est inscrite en Europe de fait, libérale comme Macron depuis Catherine II, assez droit-de-l’hommiste pour qu’on la réintègre au Conseil de l’Europe et qu’on est d’accord sur le respect de l’ordre public.
Comparaison vaut ici raison et, si le président français voulait se l’épargner, il pouvait au choix éviter de s’afficher aux côtés d’un fasciste autoritaire criminel de guerre ou alors respecter dans son pays la liberté de manifester, qui suppose qu’on puisse aller en manif ou écouter de la musique sans se faire crever les yeux ou finir dans le fond de la Loire.
Se prévaloir d’une posture de démocrate et de barrage aux fascistes pour déclarer Poutine tout à fait fréquentable et exiger en plus qu’on ne confonde pas les répressions va bien au-delà de la simple trahison des promesses. Elle fonde une doctrine Macron qui est non pas d’abandonner la démocratie mais d’amener la démocratie vers Poutine. Macron dans cette opération ne peut pas tourner le dos au barrage au fascisme et à la démocratie, mais au contraire il se fonde sur lui pour aller rencontrer Poutine. Macron n’est pas un fasciste. Il est un libéral fasciné et attiré par le modèle fasciste et convaincu que le meilleur barrage, c’est de laisser passer le fascisme mais avec lui pour ouvrir les vannes.
Mais au fait pour quoi au juste ? Quel projet tellement grandiose justifie qu’on s’allie avec Poutine ?
« Je crois que la vocation de la France est ce qui correspond à la nécessité du temps présent, c’est d’essayer de peser sur cet ordre du monde avec les cartes qui sont les nôtres pour ne pas céder à quelques fatalités que ce soit, mais tenter de bâtir un ordre nouveau, dans lequel non seulement nous aurions notre place mais nos valeurs, nos intérêts au fond pourraient l’avoir. Et donc, je ne crois qu’à une chose. C’est la stratégie de l’audace, de la prise de risque. Ce qui veut dire que tout ce que nous sommes en train de faire et tout ce que nous ferons ne réussira peut-être pas. Et il y aura beaucoup de commentateurs pour dire que cela ne réussit pas à certains moments. Ceci n’est pas grave. Ce qui est aujourd’hui mortel c’est de ne pas essayer compte-tenu de tout ce que je viens de dire. C’est la stratégie de l’audace, de la vision et c’est d’essayer de retrouver dans ce contexte qui caractérise profondément l’esprit français et au fond à mes yeux de refonder ce qui est profondément la civilisation européenne. Je crois que c’est cela ce qui doit être notre objectif dans notre pays, dans notre stratégie européenne et au niveau international. »
Que réussir ? Essayer quoi ? La stratégie de l’audace de faire quoi ? la nécessité du temps présent d’essayer de peser sur l’ordre du monde avec les cartes qui sont les nôtres pour ne pas céder aux fatalités, mais pour tenter de bâtir un ordre nouveau qui serait quoi ?
Ce que Macron propose, avec un cruel manque de complément d’objet direct, c’est juste la création d’un gros machin avec la Russie qui serait au milieu entre la Chine et les Etats-Unis et qui serait super parce que ça serait au milieu entre la Chine et les Etats-Unis et que ça serait un gros machin. La grandeur de la France et la fierté de l’âme russe pourront servir à faire avaler les réformes des retraites des deux présidents « libéraux ».
Une obsession de la grandeur et de la puissance que la géopolitique, cette pseudo-science, a réussi à rendre autonome et justifiable par elle-même. Il faut être grand et puissant pour des raisons de grandeur et de puissance. Peser sur la marche du monde pour peser sur le monde en marche. Faire des phrases avec le nom du général de Gaulle parce que c’est le général de Gaulle.
Notons bien qu’il était tout à fait possible de « peser » avec une vraie politique, c’est bien plus réaliste que les grandes envolées pro-Poutine. Il est tout à fait possible de maintenir une diplomatie anti-Assad et de soutien aux rebelles, par exemple, et avec exactement la même rhétorique. On en serait aujourd’hui à expliquer que la Turquie est une puissance européenne, qu’il faut la « réarrimer » à l’Europe, qu’il ne faut pas « la pousser dans les bras » de la Russie, etc. Bref tous les arguments aujourd’hui utilisés pour justifier l’alliance avec la Russie pourraient l’être pour vanter les mérites d’une alliance avec la Turquie.
On comprend que Erdogan ne fasse pas spécialement envie, « m’enfin », comme dirait le président, où est passé le temps long ? La dissipation des « malentendus » ? la Turquie a-historique et géopolitiquement immuable depuis des millénaires, avec qui il serait impératif de faire alliance pour « peser » dans les affaires du monde ?
Ce n’est pas son affaire à Macron, qui a à peine mentionné la Turquie dans les six heures qu’il a passées à parler de politique étrangère après le G7. La Turquie, Macron laisse ça à Trump et compte sur elle pour protéger les Syriens « particulièrement contre les combattants rebelles », car ce sont eux qui menacent les Syriens, évidemment.
« Le président Trump nous a exposé aussi les discussions en cours avec la Turquie et nous sommes tous très attachés à ce que cette zone-tampon puisse se maintenir, qui protège évidemment une partie de la population syrienne, en particulier des combattants rebelles, et qui est un élément de la stabilité. »
Le revers de la médaille
Si Macron a décidé d’amener la démocratie vers Poutine, Poutine cherche à utiliser la démocratie de façon poutinienne, au risque de s’y brûler un peu les ailes.
L’argument est à double tranchant et, puisque Poutine est tant désireux de se revendiquer comme un contre-modèle à la démocratie et de créer des points de comparaisons, alors ces points de comparaisons vont dans les deux sens.
Si véritablement Poutine et Macron, c’est comparable, alors tout ce qui a été dit sur la répression de Macron des Gilets jaunes peut l’être sur la répression de Poutine de son propre mouvement. C’est le problème auquel commence à se trouver confrontée Russia Today, qui n’apparaît pas encore, car Russia Today est une chaîne de propagande destinée exclusivement à la diffusion à l’étranger. Mais dès que l’information est la même dans les deux pays, les similitudes apparaissent et la problème de la répression ignoble commise par les deux dirigeants devient un point de jonction/friction.
C’est un spectacle inédit d’accusations croisées de fake news parfaitement parallèles auquel se sont livrés les deux dirigeants sur le sujet de la déclaration finale de la conférence de Brégançon.
Les services de propagande de Poutine ont accusé les médias français d’avoir dissimulé une phrase de Poutine sur les Gilets jaunes. C’était faux et c’était une erreur du service de traduction de Poutine. Quelques jours plus tard les macronistes ont accusé les services de propagande de Poutine d’avoir déformé les propos de Macron. C’était faux et là aussi une erreur des services de traduction mais de Macron.
Macron le souverainiste…
Ce n’est pas le seul sujet sur lequel les deux présidents ont décidé de se croiser. En fait Macron espère clairement, en proposant cette alliance avec Poutine, rallier les plus fervents soutiens de Poutine en France : les souverainistes.
« Je crois que nous avons très longtemps commis l’erreur de laisser le mot de souveraineté aux nationalistes. Souverainisme est un joli mot. »
« Ne pas laisser le terrain » est un grand classique des politiques faisant le choix d’aller courir sur les terres de l’extrême droite, et la volonté de Macron d’aller chasser sur les terres souverainistes indique combien ce courant politique est devenu puissant et hégémonique. Macron en profite pour donner sa version de la « souveraineté populaire », une version qui glisse évidemment vers le populisme comme l’y incite naturellement le souverainisme :
« [le souverainisme] renvoie à ce qui est au cœur de notre démocratie et notre République, c’est le fait qu’à la fin, celui qui est souverain, c’est le peuple. C’est lui qui décide. Mais si nous perdons la maîtrise de tout, cette souveraineté ne mène à rien. Et c’est une aporie démocratique qui consiste à ce que le peuple puisse souverainement choisir des dirigeants qui n’auraient plus la main sur rien. Et donc, la responsabilité des dirigeants d’aujourd’hui, c’est de se donner aussi les conditions d’avoir la main sur leur destin, l’avenir de leurs peuples pour pouvoir être responsable et agir. »
La souveraineté du peuple, dans l’idée de Macron, est donc la possibilité pour le peuple de choisir des dirigeants qui seront donc eux, souverains pour le peuple. Du souverainisme populiste bon teint avec un « peuple » élisant des dirigeants « souverains » c’est-à-dire sans contre-pouvoir, sans négociation, sans débat contradictoire et sans corps intermédiaires gênants, que Macron considère de toute façon comme « Etat profond ».
Evidemment l’autre aspect principal de cette « souveraineté européenne, » c’est les frontières et la lutte contre les migrants, pardon, pour que les migrants puissent rester chez eux.
« L’Europe, ces dernières décennies, s’est construite comme un espace formidable d’ouverture, d’amitié, de paix et de délitement de la souveraineté. » Il va falloir remettre un peu d’ordre là dedans et Macron a un plan en quatre axes :
– prévenir les départs
– accélérer les retours
– lutter contre les trafics d’êtres humains (en oubliant surtout de faire le tri entre militants pour l’accueil, ONG et passeurs)
– Permettre à ceux qui ont droit à notre protection de bénéficier de notre protection dans des pays tiers et de pouvoir quitter la Libye pour rentrer dans leur pays d’origine.
Enfin, après le populisme fascisant et la lutte contre les migrants, le souverainisme macroniste a un troisième pilier : l’imaginaire européen.
« les Romans, les rêves que nos concitoyens ont le droit d’avoir, de lire, de partager, les films, les spectacles doivent pouvoir relever d’un imaginaire qui est le nôtre, d’artistes qui sont les nôtres et pas simplement d’avoir le choix contre des produits d’importation et des imaginaires qui n’ont pas nos racines profondes. »
Les racines profondes pour lutter contre l’Etat profond et contre l’imaginaire d’importation qui n’est pas le nôtre, voilà l’avenir radieux de la « souveraineté » européenne incarnée par Macron allié à Poutine