Avoir peur ou ne pas avoir peur. C’est un peu le grand dilemme actuellement du Printemps Républicain face à ce que raconte Eric Zemmour et qui les touche en plein cœur. Le Printemps Républicain est composé de deux types de personnes: des Juifs qui ont peur, et des antisémites qui ont découvert qu’ils auraient le droit d’être antisémite tant qu’ils se prétendraient islamophobes. Tant que le “nouvel antisémitisme” ce sont les Musulmans, le vieil antisémitisme de Drieu ou de Céline peut se dérouler sur papier bible et se ranger proprement dans les bibliothèques, c’est l’idée maîtresse de ces courants.
Vous me faites peur… et en fait non car vous n’aurez pas le pouvoir
Et avec Zemmour ça coince car il est l’aboutissement ultime de la seconde logique, et qu’il faut alors ramer à contre courant pour convaincre ceux qui ont peur qu’ils doivent continuer d’avoir peur, mais des Musulmans, pas d’Eric Zemmour.
Ainsi Raphaël Enthoven qui a bravement été mettre son ego comme rempart à la convention de la droite, sublime ce principe en commençant son discours par « vous me faites peur » et en le finissant par « en fait non ».
Enthoven tente péniblement de se convaincre que cette convention de la droite ne lui fait pas peur car il y a le mot “droite” dans le titre, et qu’on aurait dépassé le clivage gauche / droite, remplacé, comme toujours, par un clivage libéral / souverainistes. Enthoven est persuadé qu’il est en fait face au P.S. et que, comme dans ses fantasmes, c’est au P.S. qu’il fait la leçon: « Je sais bien que certaines d’entre vous, tout en reconnaissant ce nouveau clivage, persistent à le tenir pour «politiquement inopérant». En cela, vous avez exactement le même discours que le PS. (…) En vous agrippant à la droite comme le PS s’agrippe à la gauche, vous vous condamnez au parasitisme politique (et à l’indécision sur la question européenne). »
Et Enthoven qui donc n’a pas bien compris où il était, réussit à sortir à une assistance de fanas du grand remplacement la phrase suivante :
« Vous avez peut-être vocation à représenter la minorité qui ne retrouve plus ses petits dans la France mondialisée du XXI siècle, mais avec un tel cahier des charges, vous n’avez pas vocation à devenir majoritaires. C’est impossible. Arithmétiquement. »
Zemmour, que les participants viennent d’applaudir, ne dit pas autre chose.
Enthoven assure qu’on ne revient pas sur une liberté acquise, “à moins bien sur d’un changement de régime”, précise-t-il. Zemmour, qui veut en finir avec le régime existant ne dit pas autre chose.
Couscous toujours
Puis reviennent évidemment, dans le discours d’Enthoven, les classiques obsessions racistes et culinaires, mises ici au service de l’amalgame entre l’extrême droite fasciste et les décoloniaux :
« En dénigrant le couscous non pour son goût mais pour son origine, en réduisant l’identité au respect d’un folklore ou d’un menu obligatoire, et la France à des rites dont le Français devrait être le militant, ces crétins patriotes ont mis le Français sur le même plan que le noir, le juif, l’homosexuel ou le musulman, c’est-à-dire le plan communautaire. »
Des obsessions racistes qui n’ont plus à opposer à l’extrême droite que l’amalgame avec le communautarisme. Le problème pour le Printemps Républicain n’est pas que l’extrême droite rejette les Juifs, les homosexuels, les Musulmans et les Noirs mais qu’elle mette le Français au même niveau. Enthoven veut ici parler du “Français” comme d’une super identité de citoyen qui dépasserait les affiliations communautaires. Le problème est que cette conception du Français comme citoyen et du Noir, du Juif, de l’homosexuel ou du Musulman comme non citoyen est exactement l’axe qui permet de passer du Printemps Républicain à Eric Zemmour. Lorsque le citoyen se revendique Français il est citoyen. Lorsqu’il se revendique Noir, Juif, Arabe, Musulman ou homosexuel il est communautaire.
En conséquence, Enthoven est à court de mot et de logique pour expliquer que se revendiquer Français ça serait mauvais et communautaire.
« J’aimerais tellement trouver les mots pour attirer votre attention sur le fait que, même si le discours de l’extrême-droite et le discours des Indigènes semblent s’opposer frontalement, ils se ressemblent plus qu’ils ne s’opposent. » C’est la seule manière dont le Printemps Républicain peut s’opposer à Zemmour, c’est en essayant d’en faire un indigéniste décolonial qui pense comme le PS.
Evidemment ça ne marche pas et le Printemps Républicain qui comptait mettre en avant le discours de Enthoven en gage d’héroïque opposition à l’extrême droite doit pondre un nouveau communiqué sur Facebook, qui permette de raccrocher les wagons entre la posture d’opposition ratée de Enthoven et un fond quelconque qui fasse mine de s’opposer. En substance, le Printemps Républicain fait donc ce qu’il sait faire de mieux : dire que l’extrême droite pose les bonnes questions mais apportent des mauvaise réponses. Ici en l’occurrence, le problème de Zemmour est qu’il propose des réponses trop « radicales ». le Printemps Républicain préconise de « Rejeter en bloc les solutions radicales : l’extrême-droite veut des lois d’exception, (…) Nous, nous voulons seulement que les lois existantes soient appliquées »
Le problème du discours de Zemmour serait son “fond radical” pour un Printemps Républicain qui incarne de plus en plus la partie modérée de l’iceberg.
« La forme n’a jamais été si lisse, ni le fond si radical. Car enfin, qu’a-t-on entendu ? Une demi-heure d’imprécation contre l’islam, le féminisme, les bobos, les jeunes, la gauche, les intellectuels, de la part d’un Éric Zemmour à qui la chaîne LCI a complaisamment laissé libre antenne ? »
Une critique très étonnante pour qui a un jour été lire les commentaires sur le mur Facebook de Bouvet.
Difficile de faire comme si les chefs, les membres et les amis du Printemps Républicain n’étaient pas adeptes des imprécations contre “Rokhaya Diallo”, contre “les féministes intersectionnelles racisées”, et contre “l’islamophobie comme concept inventé pour rétablir le délit de blasphème”, autant de termes repris par Zemmour dans son discours et qui lui ont valu les applaudissements des fascistes présents dans la salle.
Zemmour a même rendu hommage au “courage” de certaines fanges du Printemps Républicain, en expliquant qu’il n’est plus possible de « se battre comme certains l’ont fait courageusement avec la laïcité, l’intégration et l’ordre républicain »
Comme Bouvet, Zemmour explique alors qu’il y a plusieurs universalismes et que la France est prise en étau entre l’universalisme religieux musulman et l’universalisme qui joue les droits de l’homme contre les citoyens.
Là où Clavreul n’en est encore qu’à faire disparaître les mots « droits de l’homme ; citoyen ; et universalisme » de ses textes sur les migrants, Zemmour pose là que des migrants qui deviennent citoyen ça s’appelle le Grand Remplacement, et qu’il faut dépasser les droits de l’homme qui jouent contre la France.
Faut-il avoir peur de Zemmour? Le Printemps Républicain est incapable de trancher
Parce que Zemmour fait exploser le mythe que tentent d’entretenir Laurent Bouvet ou Gilles Clavreul. Le Printemps Républicain tente de faire croire que dans le rejet des Arabes (rebaptisés « musulmans » pour bien signifier qu’ils adhèrent à d’autres lois que celles de la République), il ne s’agit que d’un rejet mutuel. Les musulmans rejetteraient les lois de la République et donc, puisqu’ils ne veulent pas de la République, pourquoi en faire des citoyens ? Zemmour fait exploser ce mythe en exposant la phase suivante et radicale de cette logique : si on en fait des citoyens ce sera le Grand Remplacement. Ils utiliseront nos lois contre nous mêmes pour détruire nos libertés.
Cette idée d’un détournement de la loi pour attaquer « nos libertés », par ceux que l’on aura fait entrer dans la communauté des citoyens, se retrouve dans l’expression « Djihad Judiciaire », utilisée de façon commune pour défendre Zemmour, Bruckner, ou Bouvet.
Ainsi lorsque la FCPE, suite aux détournements racistes et islamophobes d’une de ses affiches par Bouvet et ses fans, porte plainte pour incitation à la haine contre les parents musulmans, les défenseurs de Bouvet parlent immédiatement de « Djihad Judiciaire ». En fait lorsqu’une victime de racisme entame une action en justice ce n’est pas une application de la loi républicaine mais un « Djihad Judiciaire ».
Et Zemmour est lui aussi victime parait-il selon les amis du Printemps Républicain du même “Djihad Judiciaire” en raison de son discours. Un discours qui ne fait que rappeler combien l’exclusion des musulmans d’aujourd’hui se fonde sur l’exclusion des Juifs d’hier. Le discours de Zemmour rappelle que c’est dans l’exception républicaine antisémite qu’a pu se fonder l’exclusion islamophobe d’aujourd’hui et que ce n’est pas tant les Musulmans qui ont un problème avec la République que la République qui a un problème avec les Musulmans, le même problème qu’elle a avec les Juifs : comment on intègre comme citoyen les communautés qui ne sont pas “naturellement” françaises?
Et soudain alors le Juif qui a peur se rappelle pourquoi il a peur. Et il entend parfaitement ce que Zemmour est en train de raconter, qui est d’ailleurs parfaitement clair entre les citations de Drieu la Rochelle et le nazisme moins dangereux que l’Islam, et le Printemps Républicain en face qui agite les bras en disant « chut, tu es trop radical, ne parle pas trop fort, ils vont t’entendre ».
Le Printemps Républicain tente, en désespoir de cause, dans son communiqué, de conclure en posant un faux clivage : « entre les républicains et les identitaires ». Mais ce que Zemmour explicite est qu’il y a ceux qui sont naturellement citoyens de la République et qu’on appelle de Français et ceux qui doivent se débarrasser de leur identité communautaire pour le devenir.
En réalité le clivage qui s’annonce est entre ceux qui pensent que la République se fonde dans le rejet de l’extrême droite et du fascisme et ceux qui pensent qu’être « républicain » c’est leur faire la coutre échelle.
Ce clivage existe profondément au sein même du pouvoir macroniste, qui pour le moment a choisi ouvertement de quel côté il préférait pencher.
Comme Zemmour, Macron souhaitait réhabiliter Pétain.
Comme Bouvet, Macron reprend le concept « d’insécurité culturelle ».
Dans les pas du Printemps Républicain (et en soutien à un de ses chefs dans la tourmente), Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Education, se prononce contre l’affiche de la FCPE et fantasme sur les Musulmans qui empêchent leurs filles d’aller en maternelle.
Enfin Macron a décidé, dans la logique commune à Zemmour et à une bonne partie du Printemps Republicain que Poutine avait mérité qu’on lui déroule le tapis rouge et qu’on parle alliance avec lui.