18 avril 2020
Allez, viens, on sort, on se voit, de toutes façon, c’est fini le confinement, ça ne sert à rien de rester enfermé comme ça, ça rend tout triste, allez on s’en fout des vieux, des fragiles, on s’en fout comme on s’en foutait avant quand on se foutait de tout, allez, t’inquiète pas, de toutes façons faut bien mourir un jour.
Allez… Qu’est-ce que tu fais ? Pourquoi tu ne veux pas ? Pourquoi tu restes chez toi tout le temps ? Regarde-les, le monde est dehors, le 11 mai c’est le jour officiel de la fin du confinement, le point final, toutes les écoles seront ouvertes, la preuve.
Quoi ? Tu attends quoi encore ? Tu as peur ? vraiment ?
Mais enfin, qu’est-ce qui te prend ? Il faut se ressaisir, je t’assure, nous avons eu une faiblesse passagère, je ne sais pas ce qui nous a pris, une folie, une hystérie collective, soudain nous avons mis en pratique nos discours, grave erreur.
Nous nous alarmions de l’indifférence, de la cruauté, de l’individualisme, nous faisions des pétitions, des manifestations, mais c’était pas sérieux, c’était une mascarade enfin, il ne fallait pas le croire. C’était pour pleurer un peu, parfois, c’était hygiénique ces larmes là, pas plus.
Je ne sais pas ce qui nous a pris, une sorte de tsunami humanitaire, une force incontrôlable, un besoin irrépressible de protéger nos anciens. Pourquoi ? je n’en sais rien, vraiment.
Peut-être que si les chinois les avaient laissé mourir, sans confiner personne, sans les soigner à l’hôpital pour ne pas saturer leurs services, peut-être qu’on aurait fait pareil qu’eux.
Les chinois nous ont imposé une réaction humanitaire.
On ne pouvait tout de même pas être plus barbares que les chinois quand même. On ne pouvait pas faire moins. On a une réputation à tenir, l’Europe, berceau de la civilisation humaniste.
Alors, on leur a emboîté le pas, mais sans trop bien comprendre pourquoi. Nous n’étions pas prêts à se soucier des uns des autres. Ni hier, ni aujourd’hui.
Allez viens, on s’en fout de cette maladie, ça tue les vieux, la belle affaire, ils sont mortels, leur heure est venue, n’en parlons plus. Il faut vivre.
Allez viens, je t’invite chez moi, je me ferai livrer des sushis, on regardera des films en ligne, et on discutera avec des potes, faut que je te présente mes amis skype.
Arrête de t’inquiéter pour le voisin, depuis quand tu fais ça ? Depuis quand tu aides quelqu’un d’autre que toi-même ? On n’est pas prêt pour ça, laisse tomber.
Si tu veux je te ferai lire de grands philosophes d’Etat avec des journalistes qui leur tendent le micro. Eux aussi ils disent qu’on s’en fout, qu’il faut sortir, les laisser crever tous ces vieux mortels, que tout ceci a assez duré, que c’est une crise des valeurs, se battre pour sauver des vies, on n’a jamais vu ça, et c’est pas le moment de changer toutes les règles du jeu du jour au lendemain.
Pour bien faire, soyons honnêtes, on ne devrait même pas les accueillir à l’hôpital, ça suffit de saturer les services hospitaliers pour rien, qu’ils meurent et voilà tout, on n’en n’a pas fait toute une histoire en 2003, et toutes ces grippes qui faisaient des tas de morts, on n’a jamais essayé de sauver tout le monde, franchement je ne sais pas ce qui nous prend, mais il faut arrêter, c’est pure folie.
On ne peux pas continuer comme ça, demain il faudra aussi protéger les plus jeunes pendant qu’on y est ?
Tu me vois prendre les transports en commun pour aller au boulot, sous prétexte que les bébés, se prennent trop de pollution dans la gueule ? Soyons sérieux.
Et Venise qui dit qu’elle veut, elle aussi, devenir plus raisonnable, en finir avec le tourisme de masse qui l’a trop abîmé, et certains qui applaudissent… il faut arrêter cela tout de suite.
Allez viens, quoi, fais pas la gueule, il y aura peut-être d’autres occasions d’entrainer notre humanité, t’inquiète pas pour ça.
Tiens si tu veux j’écris pour toi un texte larmoyant tout plein, je parle des gens qui sont morts sur un bateau, en Méditerranée, jeunes et gonflés de vie, qu’on a laissé mourir de faim et de soif, juste par réflexe, par habitude.
Tu vois, on tient le bon bout, mais on revient de loin. J’ai eu peur.
22 avril 2020
Bon, comme je n’ai toujours pas envie de faire ce que je devrais faire depuis 1 mois, je fais autre chose, tout aussi utile, si, si, si, je lis le matin mon journal de presse et d’opinion Facebook. Tu penses bien que ce n’est pas par plaisir que je fais ça, non, pas du tout, mais par intérêt professionnel uniquement, si, si, si.
Je me dois en ces temps de confinement où je n’arrive plus à glaner des conversations en terrasse, dans les transports, dans les magasins, aux sorties des écoles, dans une entreprise, n’importe où en somme, je me dois de rester quand même très connectée à notre sorte d’inconscient collectif, et tous ces déploiements.
C’est pour le boulot, tu sais, les personnages que je campe, je dois les nourrir, tu vois, je dois être ultra crédible, bref je dois m’informer.
Par contre ça m’énerve beaucoup. Je n’arrive pas encore à lire certains posts sans fulminer, après je me calme, et j’incorpore la pensée, je classe les arguments, je les ressortirai c’est certain, lors d’une mise en situation, pour l’un de ces personnages qui me terrifie et auquel je prête mon humanité.
Aujourd’hui nous savons tous que bientôt le déconfinement aura lieu, ça ne fait plus l’objet de débat, c’est sur la table.
Les petits lâches en profitent donc pour faire semblant de polémiquer sur l’intérêt du confinement.
Evidemment une fois qu’on a dit qu’on serait déconfiné, normalement le débat devrait être clos, mais les petits rats, ont peur quand même. ils ont un peu peur que nous fassions comme au Japon, qu’on ferme à nouveau les écoles une semaine après les avoir ouvertes.
Ils préparent le terrain, ils préparent la pensée à ne plus jamais être confinées. Voilà pourquoi le débat continue, voilà pourquoi en ce moment ils sont si virulents et qu’ils sortent du bois.
Il y a une chose qui ne trompe pas pour débusquer la petite ordure opportuniste de gauche, j’ai moins de contacts de droite, mais j’imagine que c’est pareil.
Cet indice là, c’est l’étalage soudain qu’ils font de tous les pauvres gens sur terre, des rayons entiers, tous les cas de figure: SDF, sans papiers, indiens, africains, précaires, femmes battues, enfants, tout je te dis, tous ces gens dont ils se contrefoutent en réalité. Ils agencent leur petit étalage indécent avec plus ou moins de style, sur le vide grenier de la conscience, tu trouves des perles abjectes magnifiques.En général quand tu commences à voir ce type de listes de tous les plus misérables du monde, dis toi que ça pue, toujours.
Camille sait très bien ou il/elle veut en venir. Camille veut sortir, bosser, gagner de l’argent, le plus vite possible. Camille a peur, pour le moment il/elle tient, mais il ne faut pas que ça reprenne le confinement, à aucun prix.
Seulement Camille ne le dira jamais. Camille est censé être une.e intellectuelle, l’intellectuel ça ne mange pas, ça ne paye pas de loyer, ça ne chie pas, ça regarde le monde d’en haut et ça analyse, oui bien sûr…. oui, oui, oui….
Camille flippe sa race. mais Camille ne peut pas parler d’argent de façon aussi grossière, Camille ne peut pas à ce point ressembler aux suprémacistes blancs américains, ça la foutrait mal quand même. Camille est de gauche allons, enfin… bref tu m’as comprise.
Camille doit donc utiliser les plus pauvres et les plus précaires, pour tenter de défendre sa cause.
Mais Camille n’en a jamais rien eu à foutre de ces gens, ils les utilisent juste comme pare-feu, comme caution humanitaire, en somme il suffit aujourd’hui de les nommer et ça suffit.
Il suffit de ponctuer tes discours des mots clés : SDF, étrangers, sans papiers, précaires, femmes battues, etc… et hop, c’est bon tu as ton ticket de gauche, tu es légitime.
Tu peux donc parler librement et affirmer que le confinement est une mesure criminelle, oui rien que ça…. une mesure criminelle, oui monsieur, en Inde il va y avoir des millions de morts de faim et donc par solidarité envers eux, il ne faut plus jamais se confiner.
Pardon ?
Oui par solidarité pour les travailleurs pauvres d’Inde qui vont sans doute mourir de faim.
Alors là, j’en ai lu des conneries, pour justifier que plus jamais on ne se confine, peu importe une deuxième vague, peu importe le nombre de morts, ils sont vieux, on s’en fout, peu importe tout, je marcherai sur des corps gisants au sol, j’irai les étouffer moi-même s’il le faut etc… , mais alors là, l’argument des pauvres en Inde, c’est vraiment, mais vraiment, trop pourri… je ne le met pas dans ma corbeille, les gens se foutraient de moi, je perdrai toute crédibilité.
Sinon, ben pour le moment, non il n’y a pas 500 personnes qui meurent de faim en France, et ce n’est pas grâce à Camille, je peux te l’assurer.
Camille aime que le monde ne bouge jamais. Camille aime qu’il y ait des SDF, des pauvres, des précaires, il aime cela, c’est son gagne pain de s’insurger contre les inégalités. Mais imagine un peu, si un jour un gouvernement décide de filer des logements aux plus pauvres, vraiment, plus personne à la rue, si vraiment on logeait en fonction des revenus, en fonction de l’utilité. Si par exemple il s’avère plus simple, plus efficace, plus écologique, de garder les travailleurs essentiels sur place, à Paris, au lieu des gratte papier qui peuvent bosser en banlieue. Par exemple… hop on échange les apparts, Camille se retrouve à Epinay sur Seine.
Camille serait vent debout encore pour dire que c’est criminel.
Camille veut un 100 mètres à Paris, Camille a les boules parce qu’il ne l’a pas. Ca s’arrête là. Quasiment toute sa pensée s’arrête là.
Ne jamais oublier la motivation profonde du personnage, et tout ce qu’il déploie pour la cacher.
Ces deux textes sont parus initialement sur le mur Facebook de Marie-Laure Malric.