L’universalisme n’appartient pas à la France, il est universel. Ceux qui cherchent absolument à défendre le « modèle universaliste Français » alimentent la dangereuse pente d’un universalisme exclusivement national.
C’est cette pente qu’ont décidé d’alimenter certaines figures de la lutte contre l’antiracisme, en défense de « l’universalisme » qu’ils cherchent à opposer au mouvement antiraciste actuel. Manuel Valls dans Valeurs Actuelles, Naem Bestandji dans Marianne, Elisabeth Badinter dans l’Express ou Philippe Bernard dans le Monde expriment tous une offensive générale, une critique de l’antiracisme actuel importé des Etats-Unis au détriment de l’universalisme comme tradition nationale.
Le problème de l’universalisme défendu contre l’antiracisme, est que ses défenseurs fondent, par leurs diverses prises de position, par l’endroit où ils les expriment et par ce qu’ils choisissent de cibler, un universalisme raciste. Et le problème de cet universalisme raciste, est qu’il n’est pas autre chose qu’une défense du suprémacisme blanc.
L’universalisme n’a pas besoin d’être défendu contre le modèle « racialiste » ni contre aucun autre modèle. Il est un idéal, donc il reste le même de toute manière. Peu importe à l’universalisme que des racialistes demandent et obtiennent des droits, puisque l’universalisme réclame que tout le monde ait les mêmes droits. L’égalité ne combat pas les revendications des droits : l’universalisme dépasse et ne s’oppose pas. L’universalisme n’est pas conditionnel. On ne peut pas demander aux minorités d’être universaliste, c’est absurde puisque l’universalisme est un droit. De la même manière l’universalisme ne peut pas être menacé par ceux qui réclament des droits, il ne peut l’être que par ceux qui refusent de leur accorder.
Les Juifs, ces Blancs pas comme les autres
L’antisémitisme est un des fondements de la pensée anti-universaliste. La question juive est la question par laquelle la République a été obligée d’appliquer l’universalisme.
Et la persistance de l’antisémitisme continue de poser, chaque fois qu’il apparaît, l’échec de l’universalisme. Le combat contre l’antisémitisme doit être universel. Il ne peut évidemment être effectué dans Valeurs Actuelles derrière des couvertures sur Soros et des interviews de l’auteur antisémite Marc Edouard Nabe ou de Dieudonné. Mais ce qui se passe est encore bien pire. Ce que fait Manuel Valls en allant dans Valeurs Actuelles c’est exiger qu’au nom de la lutte contre l’antisémitisme on défende sa démarche d’autopromotion à l’extrême droite.
Manuel Valls fonde ainsi que les juifs ont un statut particulier. Pour eux il est permis d’aller mettre la lutte contre l’antisémitisme au service de leur oppresseur antisémite. De créer ainsi un « antisémitisme blanc » auquel ils doivent se soumettre, en échange d’une protection accordé par les préfets et les premiers ministres de la république contre les « autres » antisémitismes. Et c’est ça l’intégration « universaliste » qu’ils proposent : celle qui passe par accepter et se soumettre à l’antisémitisme de Valeurs Actuelles.
Les racistes sont aussi vent debout contre les « insultes » que subissent ceux qui, selon les termes de Badinter dans l’Express, « se dressent contre leur communauté pour défendre l’universalisme ». Difficile effectivement de défendre les accusations de « traitres », « bountys », « nègre de maison » ou « Arabe de service » servis contre ceux qui refusent de mettre en avant leurs origines. Le camp raciste n’est en effet pas avare d’invectives, inutile de sombrer dans leurs eaux. Les antiracistes universalistes se font régulièrement traité de terroristes, d’islamistes, accusés de vouloir mettre en place purges, censure, autodafés, totalitarisme, ou qualifiés d’insidieuse vérole qui cherche à diviser la société, selon les mots de Naem Bestandji dans Marianne.
Mais ce qui est intéressant c’est le double lien imposé par les tenants de l’universalisme raciste à ceux qui, comme le dit Badinter « se dressent contre leur communauté pour défendre l’universalisme ». On oppose donc universalisme et communautés, ce qui suppose que seul les individus peuvent rejoindre l’universalisme. C’est en tant qu’individus que sont ici considérés « ceux qui se dressent contre leur communauté ». Et cette injonction confirme aussi, malheureusement, que pour le raciste, l’universaliste est forcément un individu qui agit contre sa communauté minoritaire, en faveur de la communauté majoritaire. Mais attention, l’individu est aussi celui par lequel passe l’obsession identitaire « je crois que cette obsession identitaire est liée à une montée en puissance de l’égotisme et de l’individualisme. Comme si la différence était devenue essentielle au sentiment de soi-même. (…) Le communautarisme n’est donc pas incompatible, bien au contraire, avec cet individualisme moderne. On veut appartenir à des petits groupes qui nous ressemblent, et en même temps se différencier de la communauté globale. » explique plus loin Badinter.
Paradoxalement ce que les universalistes racistes admirent et félicitent est exactement ce qui est insulté comme « nègre de maison » ou « Arabe de service » : un individu qui a fait le choix d’abandonner sa communauté minoritaire pour aller vers la communauté majoritaire (que Badinter appelle « globale »). Et Badinter confirme bien que, dans ce mouvement, l’individu même doit aussi être dissout. L’universalisme raciste exige du racisé cette double injonction impossible : se débarrasser tout à la fois et de sa communauté et de son individu, et pose que l’acceptation dans la République ne se fera qu’à cette seule condition.
Manuel Valls, sur le même principe est plus clair en reconnaissant le principe du racisme anti-blanc « il y a donc aussi du racisme anti-Blanc. Des policiers noirs sont traités de “bounty”, “noirs à l’extérieur, blancs à l’intérieur”. Il leur est reproché d’être des “traîtres” car ils servent la France. ». Lorsqu’on est victime de racisme anti-blanc c’est parce qu’on sert la France selon Valls, qui assimile très subtilement la communauté globale et la république universaliste à la communauté des “blancs” victimes de ce racisme spécifique.
Du droit universel au devoir national
Mais l’universalisme ne saurait-être conditionnel. On ne peut pas reconnaître à l’autre des droits universels en échange de quelque chose, ou à la condition qu’il se comporte comme ceci ou comme cela. Les droits universels sont inaliénables et inconditionnels : on est homme on a droit aux droits de l’homme. Universel. De ce principe découle que l’universalisme, à la différence des préfets et des ministres de l’intérieur ne laisse pas des humains mourir en méditerranée. L’universalisme est aussi, exigeant, obligé de rapatrier les djihadistes français et ne pourra ni les déchoir de leur droits, ni accepter que leur soit appliqué la peine de mort sous-traité selon les crimes commis. Enfin l’universalisme suppose de ne pas distinguer entre les citoyens utiles, jeunes actifs bien portants, et les citoyens inutiles, faibles et vieux qu’on laisse mourir dans les EHPAD.
L’universalisme réclame sans cesse plus de droits, pour toujours plus d’humains, et sans aucune condition ou devoirs qui leurs seraient attachés. On n’a pas droit à la vie en échange de, ni de liberté d’opinion à la condition de, ni de protection contre la peine de mort seulement si. Et c’est en cela que l’universalisme est universel et antiraciste.
L’universalisme est aussi, tout à sa définition, universel. Il ne reconnaît pas de frontières. En principe. Car pour les universalistes racistes, (dans le sillage des souverainistes) l’universalisme est un « modèle français » qui s’opposerait au « modèle américain ». Un universalisme entre village gaulois et résistance à l’Empire.
Ainsi les racistes rejettent par dessus tout le lien entre le meurtre de Georges Floyd, dont ils reconnaissent le caractère raciste, et celui d’Adama Traoré qui doit, selon les mêmes, laisser place au doute. « Les écrans du monde entier ont diffusé la mort de George Floyd et chacun a pu voir qu’il a été exécuté. C’est une exécution capitale. Pour ce qui est d’Adama Traoré, on ne sait pas encore. Les expertises de la justice et les contre-expertises de la famille se contredisent. A partir de là, la seule attitude acceptable est tout simplement celle du doute. (…) Au nom de quoi estimerais-je, moi, en tant que simple citoyenne, que la police est a priori coupable ? » précise Elisabeth Badinter qui oppose ainsi les citoyens à ceux qui accusent la police.
Pour Manuel Valls, « Les comparaisons avec le meurtre raciste et ignoble de George Floyd sont inacceptables car elles servent à accuser la France d’être raciste, à démontrer un supposé racisme d’État. À faire croire que les “minorités” sont opprimées et réprimées par une police raciste. C’est la première fois que l’on cherche à nous imposer, avec un tel écho, cette grille de lecture. Elle est dangereuse pour l’intégrité de la République et pour nos institutions démocratiques. » La France n’est pas raciste et ceux qui cherchent à le dire viennent de l’étranger pour saboter les fondements de nos institutions et qu’il faut repousser hors de nos frontières culturelles.
Et pourtant…
Importations culturelles et nouvelles douanes
Paradoxalement c’est bien le lien avéré entre Adama et Floyd, le contexte U.S. et le contexte français qui fonde qu’il n’y a pas de privilège blanc. Rejoindre le mouvement venu des US contre les violences policières, poser le sujet des violences policières en France, c’est poser qu’il n’y a pas de privilège blanc puisque la question de la violence à l’égard des Gilets Jaunes est dans tous les esprits. C’est exactement ce lien qu’il convient de faire, fondé sur la dénonciation et du racisme et des violences policières, et qui permet, lorsqu’il arrive dans le contexte français, de poser cette double dénonciation. Impossible, lorsqu’on parle des violences policières en France, de garder l’idée d’un quelconque privilège blanc sur ce sujet.
Un mouvement international qui démonte le mythe du privilège blanc, en passant des Etats-Unis à la France, voilà quelque chose qui avait pourtant un début de sens parfaitement universaliste…
Mais pour la mouvance raciste qui se prétend universaliste, ils se doivent de maintenir la séparation stricte entre contexte français et américain. Ils se doivent de nier l’existence du privilège blanc mais de s’y référer constamment pour tenter d’en faire le cœur du débat. Pas un édito, une prise de position, une tribune ou une interview où cette mouvance omet de parler de « privilège blanc », de « retour de la guerre des races », de « racialisme », ou, comme le dit Philippe Bernard, « d’imprégnation progressive des universités françaises, où sont massivement entrés les enfants d’immigrés » venus transposer la question raciale en France (d’où parait-il elle était absente).
Cette mouvance, sous prétexte de combattre la « lutte des races », passe en réalité son temps à imposer ces notions dans le débat, à les utiliser entre guillemets, à les mettre en valeur, à prétendre les combattre pour mieux en parler, et à les rejeter sans aucun autre argument que l’invocation d’un universalisme essentialisé et réifié. Cet universalisme invoqué contre l’antiracisme ne repose plus vraiment sur aucun principe mais uniquement sur un prétendu héritage culturel, une histoire, « conquêtes nées de combats séculaires » pour Bernard, « étroitement lié à notre histoire » pour Bestandji, héritage des lumières pour Badinter, « valeur universelle » pour Valls qu’il place côte à côte avec la langue, la culture, l’histoire et qui fonde selon lui le « message National »…
« L’universalisme » comme nouvelle appellation des « racines judéo-chrétiennes », mais sans grand rapport avec l’égalité des droits entre les hommes.
La notion de privilège blanc est mauvaise, mais là encore nul besoin d’en faire le point axial du débat. Il suffit de prôner l’égalité des droits. Les « privilèges » n’en sont pas. Ils sont des droits que tous doivent avoir, et la notion de « blancs » disparaîtra aisément du jour où tout le monde les aura. Plutôt que de réclamer qu’on traque les membres d’une obscure cinquième colonne infiltrant insidieusement les université, les médias et les banlieues pour imposer leur hégémonie culturelle raciale, l’universalisme, le vrai, n’a besoin que de réclamer les mêmes droits pour tous.
Or ici ce que font les racistes ce n’est pas remettre en cause la notion de privilège blanc mais l’utiliser au contraire, comme élément étranger à combattre par la culture nationale qui serait « universalisme ».
En réalité la notion de privilège blanc est parfaite pour eux : elle leur sert à décrire des hordes minoritaires s’infiltrant progressivement à l’université et, sous couvert d’antiracisme, venues menacer les blancs et ce qu’elles perçoivent comme leur privilèges.
Ainsi, Naem Bestandji nous alerte contre ce racialisme qui n’est selon lui qu’un suprémacisme musulman qui menace les blancs. « le racialisme rejoint l’islamisme. Ce dernier souhaite depuis toujours faire de l’islam une race (supérieure) dont le voilement sexiste des femmes serait l’équivalent de la couleur de peau. (…) Par son rejet de l’universalisme, le racialisme nie les discriminations et le racisme intracommunautaires, l’antisémitisme dans les quartiers populaires, le sexisme et l’homophobie exprimés par des “racisés”. Seul le taux de mélanine compte pour lutter contre le “privilège blanc”. »
Face à cela on va opposer « l’universalisme », non comme principe fondant l’égalité et les mêmes droits pour tous mais comme barrage culturel français.
L’universalisme ici sert in fine à défendre le blanc contre le grand remplacement racialiste.
Pas de racisés, pas de privilèges, mais un suprémacisme
Le privilège blanc n’existe pas mais le suprémacisme blanc lui, est bien réel. Et il ne vient pas des Etats-Unis, la France ayant largement fait valoir sa spécificité et sa capacité d’innovation en matière de fascisme. Une spécificité que Valls nie complètement, allant même jusqu’à faire du « Grand Remplacement » une théorie américaine
« Aux États-Unis, il y a aussi un suprémacisme blanc, avec ses théories du “grand remplacement” et je n’oublie pas les tueries commises en son nom. » Manuel Valls, Valeurs Actuelles
Le Grand Remplacement est une invention parfaitement française le pays étant, comme l’avait si bien expliqué le regretté Zeev Sternhell, innovateur en matière de fascisme. Manuel Valls, comme tout lecteur de Valeurs Actuelles le sait parfaitement. Les tueurs suprémacistes aussi le savent et rendent hommage à l’apport français au fascisme, comme l’a fait Brenton Tarrant dans son manifeste. Mais ce mensonge de Valls est nécessaire pour faire des suprémacistes blancs et des décoloniaux islamistes les deux faces d’une même importation culturelle étrangère. C’est faux, c’est commode et ça permet de perpétuer une tradition celle ci bien française : le mythe de l’immunité de la France au fascisme, tant mis à mal par Zeev Sternhell.
Autre notion française et combattue farouchement par le camp raciste qui cherche à en faire le symbole de l’impérialisme culturel antiraciste: le terme racisé. Ce terme désigne, pour faire simple, les victimes de racisme. Son utilisation est assez instinctive, nul besoin de mille définitions, il est évident que le « racisé » est une façon de nommer celui qui est considéré par sa race ou réduit à elle, par le raciste donc. Et cette notion a de nombreux avantages. Celui déjà de fonder une et une seule catégorie de personnes victimes de racisme. Plutôt que d’obliger à séparer les victimes selon les racismes, et les racismes selon race, cette catégorie permet de les unir ensemble. Et c’est aussi une forme d’universalisme que s’approprient les victimes de racisme. En préférant s’unir dans une même catégorie discriminée plutôt que de se séparer selon les racismes et les victimisations.
Les universalistes racistes n’ont de cesse de dénoncer cette notion qui fonderait selon eux le retour de la race (parce qu’il y a « race » dans le mot) et qu’ils opposent systématiquement aux « blancs », notion qu’ils adorent utiliser entre guillemets.
Les racistes évidemment préfèrent les racisés divisés entre eux et selon les racismes. Qu’on ne confonde pas les victimes d’islamophobie qui n’existe pas, les victimes de racisme anti-Arabe qui n’existe plus vraiment, les victimes de racisme contre les noirs qui existe un peu mais pas sous formes de violence policière, les victimes du nouvel antisémitisme bien séparé de l’ancien antisémitisme.
Les racistes préfèrent aussi que leurs victimes restent des victimes. Le problème de la notion de « racisé » est qu’elle fait un peu trop disparaître l’élément « victime ». Il faut continuer de se dire « victime de discrimination » ou « victime de racisme » (ce qui permet de glisser “victime de racisme anti-blanc” à coté des autres) mais pas « racisé », beaucoup trop vague et universaliste. « Un nuancier serait nécessaire pour mesurer le degré de “racisation” ? » demande moitié ironique Naem Bestandji, qui ne comprend pas l’intérêt d’une notion un peu trop universaliste qui oublie de mesurer les degrés. Il n’est pas le seul et il existe évidemment aussi à gauche des gens qui, comme Bestandji, regrettent qu’on ne puisse pas mesurer le pourcentage de racisation d’un individu ou d’un collectif. Mais la notion de « racisé » toute seule ne le permet pas.
C’est pour les racistes une horrible appropriation culturelle de l’universalisme par des catégories de population qui n’avaient pas à s’en saisir par elles-mêmes. Pour eux l’universalisme doit être accordé à condition d’avoir prêté allégeance à ce qu’ils continuent d’appeler la République, certainement pas se traduire dans des notions qui fondent des unions contre l’oppression.
Mais pour eux l’universalisme n’a rien d’universel. Il est un suprémacisme blanc qu’il faut défendre contre des hordes de racisés venus menacer les cultures et traditions française en réclamant l’égalité avec des notions étrangères.