26/09/2020 L’hôpital
“C’est plus difficile de remonter que de descendre” me dit la dame sur le patio, en tirant sur sa cigarette. J’étais en train de grimper à ma fenêtre du rez-de-chaussée. Sacrée belle métaphore pour la dépression, je lui réponds en rigolant.
Je suis arrivée hier, en train et en taxi. Au beau milieu de la carte de France, dans le Berry. J’y avais jamais foutu les pieds et j’aime pas Richard Berry mais faut avouer que c’est joli. Je relis Christian Bobin, “La grande vie”, au milieu de la petite forêt de la clinique et ça aussi c’est très joli. Il fait enfin frais, je porte un bonnet et une écharpe et je suis ravie.
J’ai dû refaire un test PCR (mon deuxième en un mois bordel de chiotte) avant mon arrivée. C’est très chiant mais c’est normal, je viens d’un département rouge-sa-mère et le Berry est dans le vert.
Troisième protocole de curage de nez ce matin et rien n’y fait, je continue à attraper les mains de l’infirmier en marmonnant for fuck sake dans ma barbe. Et en attendant les résultats lundi, et ben je dois rester confinée dans ma petite chambrée. On m’apporte mes repas et j’ai le droit de fumer des clopes à la fenêtre. Ce matin, l’infirmière qui m’a fait mon ECG m’a dit que je pouvais faire le mur pour fumer mon CBD, trop compliqué d’expliquer aux collègues que ça sent la weed mais ça n’en est pas.
Le jeune psychiatre de garde m’a vue hier soir, à 21h, j’étais en train de me brosser les dents en pyjama. Très étrange cette irruption médicale dans mon rituel du coucher. Je lui ai tout raconté : ma sclérose, mon handicap, ma dépression, ma mère, ma reconversion, mon licenciement, mon pétage de dents. Il m’a écouté avec attention, je devinais de la compassion derrière son masque chirurgical. Quelle vie ! La pandémie.
Je lui ai raconté comment j’avais rassemblé mes dernières forces après mon licenciement pour aller en “HDJ”, en hospit libre comme on dit dans le jargon, à Tassin, en juin. Et puis je me suis éteinte.
Les autres patient.e.s m’ont “rallumée”, heureusement. On étais tous et toutes isolé.e.s, dans la galère, précaires… on s’émerveillait (et se désespérait) de se trouver tous et toutes foncièrement gentil.le.s. Intergénérationnel, notre groupe s’étale de 18 à 65 ans. On n’avait pas besoin de faire semblant, on s’est confié, on s’est raconté des blagues nulles, on a fait des jeux de mots pourris qui nous faisaient rire. Heureusement, putain. C’est pas passé loin.
Ensemble, on a pleuré, on a gueulé, on a claqué des portes, colorié des fucking mandala, joué au triomino et au uno. On a fumé des millions de clopes et bu du déca dans la cage d’escalier dégueulasse. On s’est couché sur des tapis de yoga pour faire la sieste parce qu’il n’y avait que 2 chambres de repos pour 13 patient.e.s. 7 heures par jour, 5 jours par semaine, pendant 3 mois. Ça crée des liens, hein. On s’appelle, entre nous, gentiment, la brigade des taré.e.s.
“Le soin”, ielles n’avait que ce mot à la bouche. Ce truc à Tassin, c’est une garderie glorifiée, l’antichambre de l’hôpital St Jean de Dieu où ma mère et mon ami Pierre ont été enfermé.e.s. “Vous êtes très déprimée Madame Keenan” me dit la psychiatre d’un ton doucereux. Oui merci, j’suis bien au courant, ça fait un moment. Elle me demande sur le même ton si j’ai “des idées noires”, si j’ai compté mes médicaments. Je dis oui, je dis non. Y’a tout un monde entre avoir des idées suicidaires (point A) et “élaborer des scénarios” (point B). En psychiatrie, en fRance, ielles ne pensent pas – et théorisent encore moins – à ce monde entre ces deux points.
J’avais pas envie de crever, j’avais juste envie que le monde, trop dur, trop violent, s’arrête en fait. Mais la vie est bien faite et c’est un peu ce qui est en train de se passer.
27/09/2020 Ruth Bader Ginsburg
J’ai pas beaucoup dormi cette nuit. Vers minuit, Trump annonçait le remplacement de RBG.
La dystopie – si jamais on en doutait – se déroule comme un fil devant nos yeux ébahis. Amy Coney Barrett. C’est La Servante Écarlate, titre Newsweek. Un ami qui travaille au parlement à Londres fait une blague de trop, trop tôt et m’envoie un article de Politico; j’ai la flemme, je ferme Whatsapp et me replonge dans le bouquin que ma pote de l’hosto m’a offert pour mon anniversaire. “De la fiction stp, j’ai besoin de mettre mon cerveau de côté “. Sur les conseils de sa libraire, elle choisit “L’année du lion” de Deon Meyer.
Elle me dit que c’est un truc dans la même veine que “The road”… l’histoire d’un père et de son fils, seuls contre tous. C’est vivant comme écriture, j’aime quand on plonge dedans et que tout un tas d’images se forment, comme au cinéma. Bref, c’est très chouette, j’ai lu la première centaine de pages et surprise ! pour de la fiction, ça sonne étrangement réaliste. La coquine.
Alors oui ok, on s’échappe un peu: ça prend place en 58 en Afrique du Sud après “La Fièvre”. Je pense à NTM, je pense à la Dengue fever… mais non les enfants, on parle en fait d’un putain de coronavirus, lol. A mon arrivée à l’hdj, j’étais traumatisée de mettre fait virer au milieu d’une putain de pandémie à cause de ma santé et de mon statut de travailleuse handicapée. Et franchement dépitée de la gestion du bordel en France. On a beaucoup parlé du virus à l’hosto, surtout quand on s’est retrouvé.e.s cas contact: un infirmier (qui avait raté sa vraie mission de vie, être maton en prison) l’avait contracté. BREF. Elle a 65 ans et j’ai la SEP. Nous sommes “à risque”. C’est une ancienne de la lutte, on partage beaucoup, on a parlé philo et politique pendant les groupes de paroles et je l’adore. Je vais l’appeler tout à l’heure.
Revenons à nos moutons. Les deux protagonistes font partie des 5% restants de la population mondiale, les enfants. Une histoire de chauve-souris malade dans un manguier qui contamine un homme séropositif assoupi à son pied. I know riiiight?.
Je suis toujours en quarantaine, si tout va bien je rejoins la Gen Pop lundi, youpi. J’attends mon petit déjeuner en faisant des mots fléchés.
28/09/2020 Le sevrage
C’était chaud patate aujourd’hui. 3ème jour de sevrage d’escitalopram, mon vieil antidép qui ne marche pas/plus et qui est dans mon système depuis presque 4 ans. J’ai eu des douleurs et crampes diverses, une mini hallu, une attaque de panique et des cauchemars de ouf. Beau bilan.
Le premier: absolument l’enfer. Je suis dans ce quartier imaginaire dont j’ai déjà rêvé plusieurs fois cette année, des grandes barres d’HLM art déco qui me rappellent le quartier de Grattes Ciel à Villeurbanne (look it up, it’s gorgeous). Le bordel est 150% chaotique et dystopique, je me débats dans la panique la plus totale. Une défilé de vieilles connaissances qui refusent de porter le masque (coucou Sigmund) semble durer mille ans… mais le temps évolue différemment dans le monde merveilleux de l’inconscient, dans la réalité je me suis assoupie un peu moins d’une heure. Et mes aïeux, ce réveil ! It was THE FUCKING WORST.
Mal de crâne fulgurant. Du côté droit alors que j’ai systématiquement mal du côté gauche (ce que j’ai toujours mis sur le compte de mon nerf optique défoncé par une poussée il y a quelques années). Je prend ça pour la manifestation – celle-ci bien tangible – de l’effort monumental que j’ai fait pour ouvrir les yeux. My poor fucking brain.
Alors bon, Il y a deux boutons d’appel d’urgence, rouge avec une petite tête d’infirmière: un emoji. Je trouve ça drôle et un peu flippant. J’en presse un, j’en presse deux. Faut pas déconner. Y’a du monde pour m’aider ? Vous me mettez des boutons rouges ? Je vais les presser. Quand Anne, une des infirmières de nuit arrive enfin (elles sont bien sûr débordées même si c’est une petite structure, toujours la même histoire: y’a pas assez d’infirmières et elles ne sont pas assez payées alors qu’elles font le plus gros du taf), je suis en PLS sur mon tapis de yoga. Elle est douce, elle a de beaux yeux bleus et les cheveux couleur prune, j’ai confiance, je lui raconte.
J’avais lu dans un groupe d’auto-soin que le sevrage de cette molécule (qui s’appelle aussi Seroplex en France) était super tendax. Mais le premier et le deuxième jour, j’allais bien. Je suis passé de 15mg à 10mg puis à 0, plantage de mon dossier sur le système informatique. Je l’ai vu et j’ai rien dit, j’me suis dit fuck it, vas-y, cold turkey. Erreur.
Je pleure un peu, la première fois depuis mon arrivée, je lui dit merci, heureusement que vous êtes là, heureusement que je suis là. Je m’imagine avec horreur faire ça toute seule chez moi. J’allume une clope et j’appelle ma pote californienne de l’hdj, on raconte de la merde, on rigole, ça me fait du bien. Anne me donne la molécule du soir espoir et 1 Xanax. Je prends une douche bien chaude et me masse lentement avec des huiles essentielles. Ça y est. Je suis tout à fait, de nouveau, moi. Je vais dormir à poings fermés.
Nope. Réveil à 2h30 puis re-réveil à 5h. C’est fatiguant ces conneries. Je mange un kiwi et j’écris. Après mon rêve à dystopia town, je rêve en long en large et en travers que j’annonce à mes ex employeur.euses mon arrêt de travail définitif. Pour toujours. Ne travaillez jamais qu’il disait ! Beaucoup d’embarras et de culpabilité en tout cas; j’ai incroyablement peur d’être jugée comme un vulgaire petit parasite que je ne suis pas.
Bref, je le sais maintenant, je le sais profondément: il y a d’autres moyens que d’être salariée, que de travailler, pour faire “partie de la société”. J’ai de nouveau de chouettes projets à l’horizon. J’avais plus rien y’a quelque temps, plus de ressources. Le réservoir était vide. C’est cool d’arriver à se projeter vers un “après”, whatever that fucking means.
30/09/2020 Le déconfinement
Hier soir, l’infirmière me dit bonne nouvelle, vous sortez de confinement demain. Enfin !
Ce matin, j’étais encore réveillée à 5h, j’ai écouté Jeff Buckley et puis vers 7h je me suis dit nikomouk la quarantaine, je vais sortir fumer une clope (ielles ferment les fenêtres à clé la nuit ici). Well, dear readers, it was fucking weird.
Il faisait encore nuit, je croise les deux hommes que j’avais repéré comme à priori les plus perchés. Olivier me demande une clope. Ça y est, ça commence. Les autres patient.e.s m’avaient prévenue, l’aide soignante m’avait dit de ne pas lui en donner. Je lui dis non, déso et je sors dans la petite cour intérieure. Les accès au parc sont encore fermés. Olivier me suit et se plante là, à me fixer. Je lui dis “Tu fais quoi Olivier ? Tu m’fais un peu flipper dans le noir, je viens de me réveiller je veux juste fumer ma clope tranquille.” Spoiler alert: c’était du CBD. Il me répond je sais pas et s’éloigne, shuffling. Fucking weird.
C’est le 4e jour de mon sevrage, c’est pas la forme mais y’a un truc qui me remonte le moral dans la mâtinée: grâce à la portabilité, mon ex employeur casque pour mon séjour ici et comme j’avais pris l’option “sérénité” de la mutuelle en rajoutant 14€ de ma poche, je me retrouve avec “la suite confort” ici, à partir d’aujourd’hui. C’est la fête du slibard. On m’offre un fucking peignoir, j’ai maintenant une machine à café dans.ma.chambre, la TNT, la WiFi, un “kit de toilette” bio au tea tree avec un peigne et une brosse à dent neuve. LOL. Life.
Je sors prendre l’air vers 18h (=smoke in the woods). Je m’assois au pied d’un arbre, il fait plus doux aujourd’hui. Je sens une vague de mélancolie, je me sens lourde. Je traîne les pieds jusqu’à la salle à manger, je suis plus sûre de vouloir rejoindre Gen Pop. J’apprends dans la matinée qu’on a une place désignée et JPP des Oliviers et des Jean Pauls (j’apprends aussi que je ne m’étais pas fourvoyée, ce sont bien eux les plus perchés).
Géraldine, l’aide soignante me dit gentiment “Ah. Je vous ai mise là”. Je m’assois donc avec Madeleine, Lucile et Vincent. En moins de 5 min chrono, on est déjà en train de se bananer. Vincent m’énumère tous les ateliers, les formations aux TCC des psy et les sorties piscines du jeudi (youpi youpi). Madeleine nous parle de ses amours de jeunesse, j’apprends que Lucile est cheffe de chœur et joue du piano pour les chanteur.euses de la clinique tous les soirs à 22h. Je fait un signe à Géraldine et lui souffle merci, elle y répond par un sourire en coin et un simple “de rien, je sentais que vous vous entendriez bien.”
31/09/2020 Le Hilton
Je me réveille à 4h30, de plus en plus tôt didon. Je prends une méga douche, j’enfile mon peignoir de duchesse et j’édite le texte de la veille. J’allume Spotify; je rouille le premier album d’Alicia Keys depuis quelques semaines en me réveillant; ma sœur m’avait envoyé un podcast d’un entretien entre elle et Fearne Cotton que j’avais pas réussi à écouter. Fearne’s voice right now? Non merci, trop chiante. Bref, Alicia Keys me rappelle “ma jeunesse”, deux chansons me viennent en tête, depuis quelques semaines: Some people & You don’t know my name (paging Dr Freud, again).
Tan de l’asso Polyvalence me sort de ma rêverie et me rappelle que c’est le premier débat présidentiel aux States. Je m’y prends à plusieurs reprises, il me faut des pauses. “A shitshow inside a dumpster fire inside a car crash” : le slogan officiel de 2020.
Je suis allée à la petite ville d’à côté (qui est très mimi) acheter du tabac et des chaussons et poster mon dossier d’AAH aka la base. Mais point trop n’en faut et tout les stimuli, les bruits…m’ont cannée en moins d’une heure. Comme j’ai commencé le nouvel antidep juste aujourd’hui, je suis fatiguée, j’ai un peu le vertige toussa toussa. La navette n’arrive que dans 2h et vu que maintenant je suis madame la duchesse avec ma suite confort et mon peignoir, j’ai pris un taxi. Le type s’appelle Mr LÉGER, vous y croyez ? Il porte un jersey de l’équipe de rugby irlandaise et me parle des fjords qu’il a vu en Nouvelle Zélande et des cyclamens des sous-bois et c’est #synchronicity.
Je suis donc de retour au château avec le bruit des oiseaux et les arbres. Je rentre dans ma petite chambrée et je m’emmitoufle dans mon plaid doudou en regardant des redifs de Grey’s anatomy doublé en français, ce qui me fait glousser tellement c’est nul.
Mon stylo s’arrête de marcher alors que je me rends compte de la symbolique du truc. C’est un stylo que j’ai piqué au Hilton (décidément, madame la duchesse) de l’aéroport de Gatwick il y a environ un million d’années. J’avais été tellement, violemment malade que je n’avais pas pu monter dans l’avion qui me ramenait à Lyon. C’est la seule fois où je me suis retrouvée en fauteuil roulant. Touchons du bois. Tous les hôtels étaient complets, il ne restait plus que le Hilton, ça ne s’invente pas.
Je me rappelle du moment tellement douillet quand tu arrête enfin de gerber, tu sais ? Le truc où tu te dit ça y est c’est bon, non seulement je vais survivre mais en plus je vais pouvoir, genre boire de l’eau et manger un toast.
J’étais dans mon queen size bed au Hilton-sa-mère à regarder de la merde à la télé sur Channel 4, j’avais enfin réussi à rebooker un avion, je voyais la lumière au bout du tunnel. Alors j’ai “piqué” le stylo du Hilton, like a badge of honor.
01/10/2020 Les phacoprécaires
Je me réveille à 2h10, en sueur. Je sais qu’Anne, l’infirmière de nuit, est là ce soir, je l’ai vue toute à l’heure. Comme une belle couillonne qui se sent pousser des ailes, je lui dit vers 22h (à la prise des médocs nocturnes) “nan mais c’est bon, je dors pas beaucoup mais je crois pas que je vais me retaper des angoisses comme l’autre soir ahaha”. Vlan, dans les dents.
Petite parenthèse enchantée: après la prise de médoc, on se fait un karaoké de fortune dans le foyer et on reprend des grands classiques de Disney, à plusieurs voix s’il vous plaît. Après avoir braillé Hakuna Matata en faisant les phacochères on décide qu’on s’appellera les phacoprécaires et c’est la joie.
Bref, avant de retrouver Anne, qui tourne dans les chambres à cette heure-ci, je croise Jean-Charles dans les couloirs. Je pleure un peu mais surtout je me marre. C’est un homme très calme, spirituel, la cinquantaine, en burn-out professionnel. Il sort aujourd’hui. Je suis contente pour lui, évidemment, mais bon c’est con, on ne se sera pas trop connus.
Le premier matin de zombieland, en sortant de ma quarantaine, c’est sur lui que je tombe (au même endroit dans les couloirs, c’est notre lieu de rencard) après Jean-Paul et Olivier; il a cru que j’étais infirmière, bichon. Je lui dis non-non je suis en dépression. On s’est penchés un peu sur nos troubles respectifs, il me dit que je m’exprime bien et que ça lui faisait plaisir d’avoir une discussion “sensée” à 7h du matin. Jean-Charles si tu nous entends: big up, tu vas nous manquer. Bon vent.
Je prends mon Xanax, je remercie Anne et je retourne m’allonger. A cette heure-ci la télé est coupée alors je fume mes dernières poussières de CBD, allume de l’encens que ma pote coco m’a offert pour mon anniversaire et je m’allonge sur mon tapis de yoga. Je fais des twists pour essayer d’”essorer mes organes”, je respire profondément. Ça va mieux. Mon pote Stéphane m’avait envoyé un clip de l’INA sur la sorcellerie dans le Berry alors je regarde ça en attendant de retomber dans les bras de Morphée. Je me réveille à…. 7h30 ! C’est déjà ça de gagné.
Je me prépare doucement en attendant qu’on vienne toquer à ma porte pour le ptit dej. (et ça c’est pas parce que #jesuisduchesse, tout le monde profite de ce service le matin, ce qui est vraiment chouette, surtout pour les patient.e.s qui tournent aux somnifères.)
La journée commence gentiment, distrib’ de masques et prise de températures. Il pleut sa grand-mère mais moi ça me va. J’étais prête. A 10h, je vais pour la première fois à “la villa”, un petit pavillon juste en face, pour l’élaboration du menu de l’atelier cuisine du lendemain. On fait la liste des courses. Céline, l’aide soignante/animatrice, embarque dans son mini van celles et ceux qui veulent aller avec elle cet aprem. Je dis non merci hihi. La sortie d’hier m’a suffi et la perspective d’aller à Intermarché ne me fait pas particulièrement bander.
Ensuite c’est atelier libre d’art thérapie (c.a.d tu rentres et tu sors du machin quand tu veux, pas d’obligation d’horaires). Il y a TOUT le matos dont tu peux rêver à la villa, même un mini atelier pour bosser le bois ! Vincent a fait une motherfuckin birdhouse et a peint une superbe mésange sur le devant au motherfuckin cure-dents ! Je me sens instantanément admise au paradis des travaux manuels et autres arts créatifs. En plus, y’a du café.
J’ai très envie de faire un sigil à l’encre de chine. Hier, avant mon petit visionnage spécial sorcière, j’avais zoné un peu sur FB. Rob Brezny venait de poster son Free Will Astrology pour la semaine du 1er octobre et ce que j’ai lu m’a beaucoup plu. Quoiqu’on pense de l’astrologie, Brezny est charmant et passionnant politiquement. Sur la page de garde de son site, il y a un oiseau, la tête de profil, les ailes ouvertes. C’est naïf et païen, ça me plaît bien.
Et cette citation: “Don’t forget to bless yourself. You have to participate relentlessly in the manifestation of your own blessings.” – Elizabeth Gilbert.
Right on, Elizabeth. Will do, thank you.
02/10/2020 FUCKING KARMA
Trump a testé positif au COVID.
Je suis réveillée depuis 4h, on ne change pas une équipe qui gagne. Vers 6h30, la télé est de nouveau active et je regarde des dessins animés, ce qui est fantastique pour “reprendre contact avec my inner child.” J’imagine l’ensemble des psychologues et psychiatres que j’ai consultés ces 15 dernières années trinquer à ma santé.
J’annonce la bonne nouvelle à chaque personne que je croise, patient.e.s, aides-soignantes, infirmières. Lucille m’interpelle à travers “le jardin d’hiver” (3,5 plantes en pots qu’on a pas le droit d’arroser) : Maeve ! Trump à chopé le COVID ! On fait une petite danse de la victoire tout en se disant qu’il y avait pas mal de chance qu’il mente, ce gros bâtard, vu sa prestation au premier débat télévisé, ça pourrait “l’excuser”, mais là tout de suite, on s’en fout.
J’envoie des textos, fait péter les réseaux, whatsapp, messenger, la totale. J’écoute WBUR live (station locale de la National Public Radio à Boston). Je glousse en lisant le post de Black Witch University sur Facebook: “there’s something so poetic about it… on an Aries full moon while Mars is in retrograde and Mercury in the shadows“.
Je sors fumer une clope avec mon café, Thierry est déjà au courant et sourit jusqu’aux oreilles. Elizabeth aka la baronne (ma voisine du tiek de luxe) rejoint la conversation, enfin s’insère dans la conversion, comme elle le fait tout le temps. C’est une “femme de lettres” qui “adore la langue anglaise”. Elle est haute comme 3 pommes et a l’air très douce aux premiers abords SAUF QUE elle a d’énormes accès de rage bien violent. Du coup on l’a voit pas souvent.
La scène est lunaire.
Elizabeth – Oh moi j’ai dit à ma voisine de chambre qu’on allait tous le chopper, c’est sûr !
Tout le monde – …
Moi – Elizabeth, stp. 1) le mec refusait le port du masque et 2) j’ai la SEP, c’est pas “juste une grippette” pour moi, je peux y passer, c’est l’angoisse ce truc…
(elle me coupe)
–Ah j’avais un ami qui…
(I snap)
–Nope, tu sais, ça fait des années que dès que je dis que j’ai la sclérose, systématiquement, la personne en face m’interrompt pour me dire qu’elle connaît un ami, une voisine, une vieille tante en fin de vie et j’en peux plus en fait. C’est pas comparable, on a tous et toutes des formes différentes, des symptômes différents…
(elle me coupe, actually fucking yelling and stomping her foot)
–Maeve! Ça suffit ! Je te dis…
(I LOSE MY SHIT)
–You don’t get to scream at me about this Elizabeth. Don’t fucking talk to me like this, I am not a child. Tu es en souffrance, je le suis aussi, réserve ta rage pour les psys.
Bref, c’est partit en cacahuète. Mon baptême de feu, les collègues m’avaient prévenue. Anthonin intervient et calme le jeu: hého il est 8h du mat, on se calme. Je dis oui, sorry, on en reparlera plus tard. Elle acquiesce d’un grognement.
Je change de sujet et je demande à Thierry s’il a bien dormi. Elizabeth boude, finit sa clope et se carapate. J’ai le palpitant qui fait des bonds, tout le monde me dit bravo, tu as eu raison. Ok, peut-être mais je ne suis pas sereine du tout; je pars marcher dans le parc. Je facecall mes collègues à l’hdj, ça me fait du bien. Ma pote coco pète le feu, et pas qu’à cause de Trump. C’est beau à voir, elle sort bientôt..
Donc bon, revenons à nos moutons. Atelier cuisine ce matin, ça tombe bien. I’m a kitchen witch, j’adore cuisiner et je suis douée. Et j’en avais absolument perdu le goût ces derniers mois. Je file à la villa.
C’est Alex qui est à l’origine du thème Canadien. Au menu nous avons: de la soupe de potimarron, un crumble de patate douce et parmesan et en dessert des poires poëlées au sirop d’érable et des palets bretons… alors on écoute du Céline Dion et on imite l’accent comme des cons. Céline (l’aide-soignante/animatrice hein, pas la chanteuse) coordonne le tout: on a chacun.e une recette, Mathilde et moi s’occupons de couper et creuser les potimarrons, c’est très automnal et de saison, ça va mieux, c’est bon.
Et puis non, c’est le drame: Anthonin vs le consentement. Je sors de la villa et vais voir si je peux chopper le psychiatre de garde qui fait le tour des chambres en ce moment parce qu’entre le clash Élisabéthain et ça… j’en ai besoin.
Le doc me dit patiemment que je n’ai pas surréagi avec Elizabeth. Puis avec un regard appuyé, j’entends que lui aussi a ses limitations avec elle. C’est bref mais c’est appuyé, j’ai juste le temps de penser que techniquement, il n’aurait pas dû me le faire transparaître.
Il conclut notre entretien et finit par me dire “Je peux vous poser une question ?” euh oui… “Vous n’avez pas quelqu’un de votre famille qui travaille pour le groupe?”
“Avec le même nom de famille vous voulez dire?” (ça risque pas)
“Non-non, c’est juste quelqu’un qui vous ressemble énormément, même dans votre façon de vous exprimer” GROS BLANC. Je sais pas trop mais je crois bien que ça non plus, il aurait pas dû me le dire.
Ce jour-là est décidément étrange. Ça commençait pourtant tellement bien. Mon pote m’envoie une BD sur la gestion des émotions, à point nommé. Je me sens un peu (beaucoup) submergée.
Le repas de midi à la villa se passe relativement bien, j’envoie bouler Anthonin en lui disant que maintenant il fallait me foutre la paix. Céline me prend à part pendant que je fume une clope et me dit qu’il ne peux pas comprendre le terme de consentement. Sous-entendu: son handicap l’en empêche, alors que si en fait, il le comprend très bien.
Dès que j’ai prononcé le mot magique, il me dit “Hihi de quoi tu parles, parce que moi j’ai l’esprit mal tourné.” Bleurgh. Donc, je lui redis que non c’est non et que je ne veux pas de massage. Ok ouais, mes cervicales sont pinées depuis l’altercation de ce matin mais je m’en occuperai moi-même hein, merci bien.
Je rajoute, pour que ce soit bien clair, que je ne suis pas du tout tactile, ce qui est faux en soi mais bon, je ne le suis pas avec les hommes que je ne connais pas quoi.
Je passe l’après-midi à dessiner des sigils dans ma chambrée, Héloïse me tire les tarots par visio et c’est très très beau. Comme carte dans l’oracle des literary witches, j’ai eu Emily Dickinson.
04/10/2020 Les fenêtres
About ma chambrée, je crois bien que j’ai la meilleure quand même. Deux fenêtres, beaucoup de lumière, une vue sur les arbres et le ciel. Comme chez moi mais en mieux, ici et maintenant. D’ailleurs, les fenêtres, purée. Odile m’a fait flipper hier, j’y reviens.
Je suis de nouveau réveillée à 4h du mat (mais pas en sueur, win!). Un peu dég parce que la veille j’avais dormi 7h mais bon j’avais pris 1 Seresta, puis 2 au coucher donc 3 = 7h de sommeil d’affilée. Normal tu me diras, sauf que non. Déjà le Seresta, c’est pas top comme anxio pour les risques d’addictions et moi avec mon passif et ma génétique, je suis pas sortie des ronces.
Evidemment on me l’avais re-prescrit à l’HDJ parce que FUN FACT, le premier anxio que la psychiatre m’avait prescrit, de l’Atarax, ma pharmacienne l’avait littéralement jeté sur le comptoir d’à côté quand elle a relu la prescription. Oui, car avec mes autres traitements interférents, il y avait des risques de “torsions cardiaques” – wtf is that, I don’t even want to know. La psychiatre avait balayé ce détail du dos de la main (vu que j’ai pas d’”antécédents cardiaques”, sauf dans ma famille hein, c’est sur mon dossier médical partagé) quand je lui en ai parlé… et elle m’a re-prescrit du fucking Seresta.
Bref, j’étais censée donner tous mes médocs à l’entrée mais j’avais retrouvé une plaquette de secours dans ma sacoche et je l’avais pas dit. Oui, je sais, c’est pas bien. Mais encore une fois: comme les infirmières sont presque toujours débordées, si t’as un coup de trafalgar, tu as largement le temps de te faire une bonne attaque panique en attendant que l’on t’amène ce qu’on appelle ici un “si besoin”.
Tout le monde a un “si besoin”, parfois deux ou trois; moi j’ai le Xanax et le Gaviscon mais le Gaviscon ça compte pas trop. C’est pour mes brûlures d’estomac pendant le sevrage et le changement de traitement. Au début je trouvais l’expression “mon si besoin” assez charmante mais en fait, pas tant.
Mais revenons à nos moutons: pourquoi ai-je donc pris tout ce Seresta? Odile et les fenêtres, voilà pourquoi. Pour le deuxième soir d’affilée, Odile est rentrée sans frapper et vraiment comme une bourrine. A 22h, l’infirmière de nuit est censée venir fermer les fenêtres à clé “pour notre sécurité” et pour que personne n’aille baiser dans les sous-bois, faut pas déconner.
Donc Odile m’allume un gros trigger de derrière les fagots, je sursaute, mon cœur avec, énorme bouffée d’angoisse. Gros sanglots, ma pote Aurélie ne comprend pas tout mais elle voit que je suis submergée. Elle m’accompagne parler à sa référante à l’infirmerie puis à la cuisine, pour voir Odile. On s’arrête dans le jardin d’hiver pour caresser le chat de la clinique qui est sur sa chaise habituelle, sous la tonnelle, histoire de chopper un peu de dopamine.
Odile a le dos tourné, elle chauffe les bouillottes aux noyaux de cerises parce que les vraies, celles que j’aime sont considérées comme trop dangereuses. “Excusez-moi, je sais qu’on est pas à l’hôtel ici mais vous êtes la seule à ne pas frapper avant d’entrer pour la tournée des fenêtres.” Elle se bidonne.
“Ah oui, vous faites bien de le dire!” Ben, tiens. On est quand même des êtres humains hein.
Je me réveille donc à 7h, fraîche comme un motherfucking gardon. Le soleil est en train de se lever doucement, je sors marcher un peu.
Hier, c’était vraiment hardcore. Premier samedi ici et il a plu toute la journée. La villa étant fermée le week-end, pas possible d’aller peindre sa douleur ou quoi que ce soit.
Y’a aussi une meuf qui vient de sortir de quarantaine. Elle n’arrête pas de parler, c’est beaucoup trop intense. Je crois qu’elle est en phase maniaque, enfin je sais pas hein je suis pas médecin.
La pluie s’arrête un peu après le dîner au poulailler, je décide d’aller marcher plutôt que de rester sur le patio avec les copaines à l’écouter déblatérer. Je trouve un spot plus ou moins sec au milieu de 4 chênes. Je prends une grande inspiration de nuit et de nature mouillée.
5/10/2020 Jean-Michel Cliché
14h16 – je me suis barrée de musicothérapie pour aller me balader dans la forêt. L’intervenant nous demandait de faire des échauffements de voix en roulant les R, je cite, “comme les Africains“. My eyes rolled so far back into my head I nearly went blind.
Je me suis dit: OK, encore un qui “voit pas le problème”. Il en rajoute une couche en nous demandant de les rouler comme les Arabes. Si-si vous savez, comme dans halouf, habdullilah etc… Spoiler alert ce sont des H et toi, t’es un trou d’balle.
J’ai prétexté mon faux-palet qui m’empêche de pratiquer et ma micro-nuit qui m’empêche de “relativiser”. Allez ciao, Jean-Michel Cliché.
10/10/2020 Turns out Mr LÉGER est un gros RELOU
J’avais préparé mon coup: ce samedi, pour ma perm, je vais à Châteauroux. Je l’attends au soleil sur le banc en dessous de l’if – je repense à ce qu’on s’est dit avec Nico, je m’y suis installée naturellement sur ce banc, dès la première semaine et ce n’est qu’après coup que je me suis rappelé que c’était mon préf quand j’étais gosse, j’aimais ces baies rouge, j’en faisais de la “colle” avant d’apprendre qu’elles étaient poisonneuses – et pis c’est beau, “what if”.
Mr LÉGER est chafouin; quand je lui demande comment il va, il me grogne un truc du style “faut bien”. Après la pluie de ce matin je lui dit, ça fait plaisir ces éclaircies. Il se met à parler à une dame âgée en bas du chemin de la clinique: “Votre mère est rentrée ?”, “elle est mourante”, “c’est mieux que de monter à Paris”. Elle continue à lui parler, il redémarre.
Je regarde le beau paysage berrichon qui défile pendant qu’il me déballe TOUT. Ma patience est en meilleure forme (j’ai mon dernier Seresta dans le bec) mais elle s’étiole au fur et à mesure qu’on fait des bornes.
Florilège(r)s aka monologue d’un homme qui sait tout et adore le son de sa voix:
– La psychiatrie, je comprends pas, moi j’ai fait ma thérapie tout seul après mon divorce (ok boomer).
– Un client de 80 ans que j’amenais à sa chimio, un gars bizarre, un pédéraste (jesus fucking christ).
– Moi j’ai bossé, j’ai cotisé. Maintenant je vais voyager (s’ensuit la liste des 90 000 pays qu’il a déjà visités).
Le gars a tout vu, il me parle des plus vieux et des plus dangereux animaux du monde (c’est toi non ?) : “non c’est pas celui-là, non je sais, j’y étais.” Ça pourrait être intéressant, comme discussion, si c’était pas un gros con.
Ah, il a une très grande maison, un buis de 125 ans, “ça n’a pas de prix, ça” je lui dit. “J’ai un copain assureur qui m’a dit 25 000 euros”. Ah bah si tiens, ça a un prix.
Je vais à Châteauroux pour acheter du CBD chez Chanvre Berry Détente (lol). J’ai eu mes règles hier, je douille sa mère, et mon sommeil est relativement bon mais trop court.
“Rhô on peut plus passer par là, y nous font chier à tout piétonniser.” Bien sûr, il laisse le compteur tourner pendant que je m’y rends finalement à pied, pour qu’il ferme enfin sa gueule sur l’état de la voirie. Bien sûr, je ne cours pas, même s’il pleut. Mes gambettes me portent bien mais moins quand je suis fatiguée et Mr Léger m’a épuisée.
La dame de l’adorable boutique est tout aussi adorable, je l’avais appelée en avance hier, tout est prêt. Je redéboule dans l’habitacle. Il me dit “Y‘a une banque au coin là.” je lui répond que j’ai repéré un crédit mutuel à l’entrée de la ville, dans cette zone industrielle/commerciale qu’il y a maintenant à chaque entrée et sortie des “villes de campagne”.
Jusqu’à ce qu’on y arrive, il me montre d’autres guichets je lui dit non, je vais retirer à ma banque pour payer moins cher mon retrait. Et il ne me croit pas, mais alors pas du tout.
“Ah bon ? Mais non. A côté du magasin de moto ? Ah non. Je l’ai jamais vu.”
Je prends tout ça à la rigolade, parce que c’est moins fatiguant. On finit par y arriver, il peste de plus belle contre les gens qui osent faire leurs courses le samedi dans ces zones bien délimitées par les politiques d’aménagement rural. Oui, je dis, c’est horrible.
Sur le chemin du retour, il me parle de tous les bons vins très chers qu’il a dans sa cave. Je lui dit, oui, Château Margaux 78, c’est incroyable. Mon patron d’il y a longtemps, Dermot, m’en avait offert une à Noël. “Faut la faire respirer“, C’est ce qu’on a fait, on l’a décantée, “un jour à l’avance“. Ok.
On arrive enfin, je lui demande de me poser à Pont-Chrétien, il me parle d’un mec qui est mort cramé dans sa voiture à l’endroit où on passe (alors que moi, je regarde les grands arbres et le joli cours d’eau). Je lui dit “Ah bah c’est super.” On arrive, la petite épicerie est fermée, il me dit d’attendre, elle va sûrement ouvrir. Spoiler, elle ne s’ouvrira pas.
“Combien je vous dois ?”
“88 euros.”
“Pardon ??”
“A bah oui, 60km… pour aller retirer un paquet!”
“Euh j’avais pas le choix en fait. J’ai pas assez.”
“Faites-moi un chèque.”
Mr LÉGER ne s’étouffe pas dans la compassion, normal il a porté son masque sur le menton tout le temps du trajet pour bien respirer sa propre merde.
14/10/2020 J’ai un rendez-vous chez la tatoueuse
C’est cliché hein? Rienafout.
Je passe une partie de la matinée à courir après le médecin pour qu’il me signe ma permission de sortie, je suis ravie. Ce tatouage, c’est le pendant de celui que j’ai sur le bras droit et ça fait un moment que j’ai envie/besoin de me le faire piquer. A la machine cette fois-ci.
L’autre c’est Marlène qui me l’avait fait, à l’ancienne, à l’aiguille, un dimanche 11 novembre sur la petite estrade du Rita-plage. Marlène, elle a fait un bébé et elle a accouché comme une warrior au milieu de la première vague. Autant te dire que passer une heure ininterrompue sur mon bras gauche, c’était juste logistiquement pas possible.
17/10/2020 On repasse en rouge
Martine l’infirmière fait son annonce en salle. Les perms sont quand même maintenues mais on doit se plier à un protocole spécifique en rentrant à la clinique. Je sais que tout le monde ne porte pas son masque à l’extérieur ou se douche et change ses vêtements en rentrant.
Je pleure trop pour finir de manger, je me carapate, Martine me trouve. On parle longuement de la gestion du gouvernement et de mon licenciement à la sortie du premier confinement. Derrière son masque, je vois qu’elle entend et comprend. Je lui dit “C’est fini, je vais plus risquer ma vie pour le SMIC”. Elle me dit oui, une association c’est une bonne idée, vous ne pouvez pas retravailler à un rythme normal dans cette période anormale. Je la remercie, je repense à mon ex-psychiatre freudien qui m’avait dit “Vous n’aurez jamais la reconnaissance que vous demandez”. Certainly feels like I just got it.
On m’amène le reste de mon plateau en chambre, je ne retournerais plus au poulailler. On sait que les temps de repas (sans masque donc) dans un espace clos, c’est la contamination assurée. Je m’en fous d’avoir l’air parano.
21/10/2020 JE SUIS CAS CONTACT. AGAIN.
J’alerte l’équipe et je m’auto-isole, même si les risques que je l’ai contracté et transmis sont plus que mineurs. J’étais dehors, j’ai respecté les gestes barrières et comme je me tape une petite névralgie cervico brachiale des familles, je suis restée dans mon cocon au lieu de zoner dans les couloirs… Good timing parce que bordel, on sait comme ça se répand vite ce truc. “Une trainée de poudre”.
Je suis très en colère car la personne touchée avait perdu le goût et l’odorat (les seuls symptômes dont on connaît sans équivoque le sens maintenant) et ne me l’a pas dit.
Je suis doublement en colère parce que c’est moi et mon complexe de sauveuse qui fait que je suis allée la voir à sa fenêtre. Cognitivement, je pense que ça va s’imprimer là, c’est bon.
Quand même, rattrapée dans ma lancée – fait chier.
Je publie mon premier “unpopular opinion” sur Facebook: On est pas toutes et tous égaux devant ce virus, c’est sûr. Tout le monde ne va pas en crever ou avoir des séquelles. Mais svp pensez à la probabilité de la contamination des autres.
23/10/2020 Je suis nég et je suis dég
Je me déconfine, mais vite fait. Je sais que le premier round peut être un “faux nég” et qu’en vrai, rien n’est sûr. Bref, je vais marcher dans la forêt, communion avec la nature, toussa.
25/10/2020 L’enfant Seul
5:22 am Je me réveille avec “l’Enfant Seul” d’Oxmo Puccino dans la tête et j’accuse Raoult. Je crois bien que c’est à cause de toi que dans ma tête, depuis le début, j’y arrive pas . “Il mate par la vitre, la solitude qui l’mine fait passer la (chloro)quinine pour un sucre.”
07:13 am Je publie mon deuxième unpopular opinion: Ça fait quelques jours que ça me picote. Vraiment, je comprends les rassemblements, les manifestations, les insurrections… Mais là, les chiffres parlent. Vraiment. Prenez soin de vous et des autres. Ça sert à qued si on es toustes malades la semaine prochaine.
Y’a quelques pouces en l’air et des emojis “solidaire”.
26/10/2020 LOCKDOWN
Amy Coney Barrett est confirmée comme remplaçante de Ruth Bader Ginsburg. Je garde bon espoir qu’elle ait choppé le COVID chez l’agent Orange et qu’elle claque. Ce n’est pas dans mes habitudes de souhaiter la mort de quelqu’un mais bon, adressez vos plaintes à la Cour Suprême. Les postes de juges sont à vie, hein. On fait comme on peut, ça laisse pas tant d’options quant à la fin de son règne.
Je repense à Simone de Beauvoir, que je mets en suspens généralement mais cette phrase reste avec moi : ” N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. ”
Je repense aux enfants et aux mères de Tuam en Irlande, à leurs “dossiers” que l’on veut sceller pour encore une vingtaine d’années. Church and State should be separated, always.
9h C’est officiel, la tournée de premiers PCR a révélé qu’on a, à minima, un deuxième cas ici. Hashtag je me reconfine, hashtag youpi.
11h La bonne nouvelle vient du chef de clinique qui m’explique que oui, mon traitement pour la SEP fait que je suis immunodéprimée donc plus susceptible de l’attraper. MAIS ça me protège des formes graves… comme mon corps s’auto-attaque, il ne peut pas s’emballer jusqu’à l’embolie pulmonaire, apparemment. En d’autres termes, c’est la première fois que je me sens avantagée depuis mars dernier.
13h Silence, plus personne dans les couloirs. 3ème cas confirmé et les suspicions continuent à grimper. La wonder woman de généraliste vient de passer pour mon 6ème PCR et le psy vient de passer (dépassé) en hazmat suit pour me proposer une visio vendredi. Dystopie mon amour! Vivre la fin du monde en hôpital psy c’est quand même glamour non?
Non.
28/10/2020 APPEL A GREVE GENERALE
Première prise de parole gouvernementale depuis le couvre-feu. On nous annonce un confinement qui n’en est pas un puisque: les écoles + ton taf restent parfaitement ouverts = les plus grands vecteurs de contaminations. Tu rajoutes à ça les transports en commun…SUPER.
Je réalise aujourd’hui qu’en fait, c’est moi qui ai provoqué le confinement total ici. Le médecin de garde de la semaine dernière n’a pas vu que la nouvelle patiente n’avait pas fait de PCR avant de venir. Alors qu’elle venait d’une zone rouge-sa-mère. C’est moi qui en ai informé le chef de clinique qui était très énervé qu’on ne lui ai rien dit. Je le serais aussi.
Je repose les choses et fait le compte: ça fait 2 semaines que les perms étaient encore autorisées à Châteauroux alors que le coin repassait en rouge. Les protocoles sanitaires n’étaient peut-être pas respectés par toustes… mais je refuse le terme d’incivisme que ce même médecin a prononcé hier.
Je lui dis refuser également d’endosser la “responsabilité individuelle” car je suis allée voir cette nouvelle patiente à sa fenêtre la semaine dernière (avant de savoir qu’elle n’avait pas fait de PCR). Par contre, je vois bien mon truc de “Tu prends soin des autres en dépit de ta propre santé” et je le regarde bien en face. Ça suffit maintenant.
Heureusement je suis restée isolée. Sinon, j’aurais pu infecter toute la baraque en quelques heures. “Comme une traînée de poudre”.
Selon ce même médecin, on a donc 2 cas confirmés: la nouvelle patiente et une ancienne patiente. Bien plus selon les aides-soignantes. On verra bien, on reçoit la suite des résultats aujourd’hui.
Hier, il m’avait annoncé que sa compagne de chambre et les personnes à sa table avaient testées négatives”par contre”. LOL.
– Et la période d’incubation ?
– Oui c’est sûr, c’est pour ça qu’on prend ces mesures de confinement total, ça peut paraître excessif…
Je le coupe, je lui dis non, ce n’est pas excessif. Je pense à cette nouvelle étude suisse qui reparle de la diffusion en lieu clos et de l’importance de ces micros (macros?) gouttelettes.
Il me reparle d’incivisme et des fumeurs et fumeuses agglutiné.e.s sur le patio.
For fuck sake.
02/11/2020 8 cas de COVID and counting
Mais on stoppe le confinement en chambre en attendant les résultats du dernier round de PCR. Il y a maintenant une aile COVID dans la clinique, séparée par des bâches en plastique. Le chef de clinique me dit qu’il n’a jamais vu ça, il touche l’embrasure de la porte, du bois, en m’annonçant le nombre de cas. Je lui dis que je ne veux plus être suivie par l’autre médecin.
Je sais maintenant qui est la deuxième personne qui a été diagnostiquée, c’est pas de bol, c’est LA personne qui portait presque jamais son masque et qui était littéralement PARTOUT.
J’en veux à ce mec d’avoir minimisé les possibilités de contamination ET blâmé “l’incivisme” de la population. C’est bon, on a compris, tu soutiens Macron jusque dans ta gestion de crise, apparemment. Je lui parle des masques payants, il me dit “ah non-non, moi je les ai prescrits aux personnes à risques dès le mois de Mars.” je lui dit ah bon? Moi j’en ai pas eu avant Mai, pour le déconfinement. Faut dire qu’en Rhône-Alpies, dans la métropole en tout cas, c’était du gros foutage de gueule. Sans compter qu’on nous en donne 10 par semaine, au compte-goutte pour “éviter le recel”. On sait aussi qu’on doit le changer à minima toutes les 6h – Il n’entend rien de tout ça.
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Après le repas, toujours servi “en plateau” parce qu’on limite les dégâts, y’a une personne qui chante (faux) Sad world/Mad world, sous ma fenêtre, sous la pluie.
C’est faux… mais c’est beau ? Franchement, je sais pas.
Je veux rentrer chez moi.
Le jeune psy qui me dit depuis vendredi qu’il faut que je trouve une nouvelle mutuelle pour que je puisse rester 2 mois supplémentaires pour traiter mes traumas à la sauce EMDR vient d’annuler, encore une fois. Urgence de prendre soin de l’équipe soignante, ce que je comprends, raisonnablement. Émotionnellement, c’est une autre paire de manches. Je me sens profondément délaissée et infantilisée. Cet après-midi, alors que je me préparais pour notre rdv (je venais de prendre une douche, je venais de me réveiller, en nage, d’une sieste dégueulasse où j’avais rêvé qu’on me changeait de chambre parce que la mutuelle me la faisait à l’envers et je me retrouvais à partager avec une personne cas contact) BREF. Il frappe à la porte et rentre. Je lui dis que je ne suis pas habillée, il me dit ah désolé MAIS il re-frappe: “Je peux vous dire quelque chose ?” qu’est-ce que tu veux que je te dise putain, oui. “Je dois annuler notre rdv de 16h (il est 15h15). Il y a une réunion avec l’équipe soignante, je suis désolé, je ne peux pas faire autrement.” Silence on my side. “Je reviens en fin d’après-midi pour vous voir et fixer un rdv mercredi.” Il ne reviendra pas.
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Texto du psy à 20h30 : blablabla je dois annuler mercredi aussi blabla je suis profondément désolé.
Les sanglots me secouent tout le haut du corps, j’appuie sur le bouton rouge, Anne et ses beaux yeux m’apportent mon “si besoin”.
Les seuls mots qui tournent dans ma tête avant que je m’endorme devant Star Wars sont: je veux rentrer chez moi, je veux rentrer chez moi, je veux rentrer chez moi.
J’en peux plus qu’on m’apporte mes médocs en dernier car je suis au fond du couloir et qu’étant à risque, je ne peux pas sortir de ma chambre.
J’en peux plus qu’on ouvre la porte toutes les heures, toutes les nuits, pour vérifier si je dors “bien” et probablement, si j’ai pas fait le mur – car les fenêtres sont ouvertes maintenant.
J’en peux plus de manger ce que je n’ai pas cuisiné, et vitef hein parce que toute la clinique est en plateau et l’équipe épuisée a un timing plus que serré pour débarrasser.
J’en peux plus du voisin et de ses grosses basses de bollosse et qu’il frappe au mur dès que je bouge le fauteuil de mon bureau (qui est TROP FUCKING LOURD pour mes petits bras de meuf sclérosée, merci bien).
J’en peux plus de devoir baisser les stores pour que certain.e.s ne zieutent pas, inquiets, l’intérieur de ma chambre.
J’en peux plus de devoir annuler tous mes autres rendez-vous extérieurs (même la kiné, même l’osteo mais on m’a dit que si je faisais une poussée on ferait une exception, lol), de ne plus avoir mes sorties champêtres au village d’à côté, mes tisanes en terrasse, mes visites à l’épicerie. Tout ce qui faisait que je me sentais encore à peu près normale, en vrai.
Je veux rentrer chez moi.
05/11/2020 Je rentre chez moi.
Bah voilà, c’est torché.
J’ai formulé, j’ai expliqué, j’ai dit que je reviendrais “si besoin”, après. Quitte à être confinée, je veux être chez moi, à Lyon. J’ai des ami.e.s formidables qui sont en train de créer de nouvelles chaînes de solidarité. Je veux retrouver mon autonomie: me faire à manger, balayer, étendre ma lessive en culotte si ça me chante, arroser mes plantes, retrouver ma place. J’adopte un bébéchat. C’est bon là, on y va.
Les derniers moments sont, bien sûr, incroyables. Il y a un rayon chaud de soleil qui remplit tout le jardin d’hiver. Je salue les arbres, de loin. Je ne suis pas vraiment retournée dans le jardin. Je fais le guet pour Madeleine qui pique un peu de terreau pour planter ses boutures de pothos. J’entends Aurélie qui chante “Vole” de Céline Dion pendant que Lucille l’accompagne au piano, au loin. Madeleine me dit en rigolant: tu t’en souviendras de ton départ hein.
Je chiale dans mon masque entre deux gorgées de chocolat chaud. C’est vachement beau.
Maeve Juliette