L’interview que j’ai réalisé de Philippe Corcuff est à écouter ici:
Je vais tenter de faire un retour de lecture constructif du dernier livre de Phillipe Corcuff « la grande confusion, comment l’extrême droite gagne la bataille des idées ». Je m’excuse d’emblée auprès du lecteur si je n’analyse pas en profondeur sa vision de la pensée des intellectuels qu’il cite dans le livre (Notamment de Chantal Mouffe, Jean-Claude Michéa , Frédéric Lordon) ni en profondeur les tensions entre identitarisme et émancipation, ni si Corcuff est juste quand il se réfère à Maurice Merleau-Ponty, Max Weber ou Marc Bloch.
Néanmoins ce livre me semblant essentiel, sa lecture est possible sans avoir toutes ces références et il me parait important d’en faire une recension ici.
Phillipe Corcuff nous invite à la grande fête foraine du confusionnisme, à la kermesse des idées d’extrême droite, à la foire du post fascisme.
Il fait littéralement la fête à plusieurs penseurs dont les idées carnavalesques glissent malheureusement très vite sur le toboggan des idées d’extrême droite.
A travers trois grands univers “Dérèglement de la critique sociale dans les temps confus actuels”; “Déplacement confusionniste en cours, de l’extrême droite à la gauche” et “En partant de la gauche polarisation politiques, ankyloses intellectuelles et intersections confusionnistes”, il nous invite de stand en stand de sa fête foraine à analyser la pensée des clowns réactionnaires.
Le livre est un ouvrage pertinent et essentiel dans l’année électorale que nous sommes en train de vivre. Plutôt que de nous donner des outils pour combattre l’extrême droite, il analyse boulon par boulon la pensée de ce manège gigantesque
On peut noter que l’ouvrage n’est pas exhaustif et qu’il manque dans ce train fantôme plusieurs vampires qui sucent l’énergie des militants d’extrême gauche que nous aurions aimé que Phillipe Corcuff crucifie :
• Les éditions « Ring » et ses auteurs (Laurent Obertonne, Marsault, et Papacito ne sont jamais citées)
• Judith Bernard, dont l’organe qu’elle dirige a plusieurs fois servi de tuyau confusionniste en invitant Chouard à l’époque « d’arrêt sur image » (c’est Maja Neskovic qui avait fait l’interview) ou encore Jean Bricmont
• On aurait aimé un petit paragraphe sur Lundi Matin qui régulièrement fait preuve du confusionnisme. (En publiant par exemple les textes d’Agamben au sujet de la pandémie)
• Un petit chapitre sur l’alimentation et la santé par exemple en dénonçant les gourous comme Thierry Casasnovas ou Irène Grosjean aurait été bienvenu. (Pour plus d’information à ce sujet je vous conseille vivement le travail de l’extracteur)
• On peut aussi signaler que Corcuff fait l’éloge d’Usul alors qu’à l’époque de son émission « mes chers contemporain » ce dernier a déroulé un tapis rouge à plusieurs confusionnistes, Chouard, Bernard Friot ou encore mettre l’extrait d’une interview de Farida Belghoul sans mentionner ses liens avec égalité et réconciliation ici à 14:30 sur la complotiste Méta Tv et enfin Frédéric Lordon,( https://www.dailymotion.com/playlist/x6jyhv ) dont Corcuff démonte pourtant une à une les analyses dans son livre.
Enfin, ce n’est pas une critique mais les montagnes russes du confusionnisme vont tellement vite que Corcuff n’as pas pu s’occuper des penseurs qui se sont retrouvés les neurones abîmées par le grand huit de la pandémie et du séparatisme :
• Laurent Mucchielli dans une note est cité positivement au début du livre alors que depuis il à fait preuve du confusionnisme le plus crasse sur la pandémie ici (lien réinfo covid) ou ici. Il avait déjà fait preuve de confusionnisme ici à propos de l’antisémitisme.
• Même si les dérives confusionnistes de Pierre André Taguieff sont analysées dans le livre, son dernier livre L’imposture décoloniale a été publié trop tard afin d’être disséqué par Corcuff.
• Le livre fait régulièrement l’éloge de Conspiracy Watch mais ce site est récemment tombé dans des travers confusionnistes par exemple quand Marc Weitzmann met dos à dos Virginie Despentes et Eric Zemmour dans cette interview et accumule les poncifs sur l’islamo gauchisme.
D’ailleurs à plusieurs reprises Corcuff fait le point sur le moment où le livre a été écrit « au moment de la fin de la rédaction de ce livre en octobre 2020 », comme s’il avait conscience que les wagons du confusionnisme, du complotisme et du post fascisme allaient plus vite que la locomotive de son analyse.
On peut enfin reprocher à Corcuff le sous-titre de son livre. En effet il ne nous explique pas tant « comment » mais plutôt « où » l’extrême droite gagne la bataille des idées.
Et la réponse est triste, car c’est partout
D’abord chez des intellectuels plutôt classés à gauche comme Frédéric Lordon et son protectionnisme (les pages où il démonte l’argumentaire de la pensée du philosophe de Nuit Debout sont d’ailleurs réjouissantes), la bêtise de François Bégaudeau quand il fait l’éloge de Chouard en préface de son livre « histoire de ta bêtise ». Et enfin de Juan Branco et de son analyse sans aucun recul du mouvement des Gilets Jaunes.
C’est un véritable jeu de massacre sur la pensée radicale qui excite les bobos et le livre est une invitation à imprimer des photos de l’infernal trio des quartiers chic afin de les coller sur des boîtes de conserve pour jouer au chamboule-tout sur leurs pensées confusionnistes en compagnie de l’auteur.
Le jeu de massacre est drôle et ressemble au palais du rire de notre fête foraine (la pensée dominante et le mépris de classe en court dans la pensée de Lordon sont d’ailleurs analysés avec une précision chirurgicale).
Mais lorsqu’on arrive à la fin du livre et que la dernière partie est consacrée à la déconstruction de la pensée de Jean Claude Michéa, de Chantal Mouffe et d’Ernesto Laclau le rire jaune fait place à la mélancolie surtout quand ces derniers se réfèrent à Carl Schmitt (les notes abondantes du livre nous invitent à lire à lire sur le sujet “les droit de l’homme rendent-t-ils idiot“ de Jean Yves Pranchère et Justine Lacroix, l’article “et si on ne faisait rien de Carl Schmitt“ de Olivier Jouanjan dans Philosophiques et Hémisphère Gauche une cartographie des nouvelles pensées critiques de Ramzig Keucheyan.
En effet Corcuff prend plus de temps et de pages pour analyser la pensée des philosophes qui ont été plutôt de son bord. On ressent dans son texte une mélancolie extrême pour analyser la dérive vers la maison hantée de la pensée confusionniste de certaines personnes qui ont pu être ses camarades (Michel Onfray et Jean-Claude Michéa notamment). Cette longue analyse de la pensée des trois philosophes fait songer à un carrousel gothique mélancolique.
La multitude de notes et de références politiques donne au novice comme moi l’envie de se plonger avec friandise dans les pensées de March Bloch, de Maurice Merleau-Ponty et de Max Weber. Ces invitations rendent un peu “la grande confusion” optimiste car il allume des petites flammes vers l’analyse politique.
Une invitation est également faite à se battre contre les fascistes avec la pop culture en s’appuyant sur des objets aussi divers que Scream de Wes Craven, Munich de Spielberg ou encore les chansons d’Alain Souchon et d’Eddy Mitchell qui rythment le récit.
Ils nous renvoient aussi une image comme si nous errions dans un palais des glaces et nous met face à notre miroir des glissements souverainistes d’un côté (à travers les figures de Michel Onfray, de Natacha Polony et de Jean Pierre Chevènement) des glissements identitaires qui ont pu avoir lieu à l’extrême gauche ou dans la gauche radicale (la fascination pour Dieudonné et pour les Indigènes de la République notamment). Les deux dérives sont mises dos à dos et renvoient les militants républicains et identitaristes face à leurs contradictions et leurs similitudes). Pour Corcuff ces deux mouvances sont des freins à notre émancipation individuelles, politique et collective.
Le livre est une grande roue vertigineuse quand on voit la manière dont les idées d’extrêmes droite s’infusent dans la société surtout dans la gauche radicale (chez Eric Hazan quand au moment des Gilets Jaune il déclare “Les ennemis de mes ennemis ne sont pas vraiment des amis, mais un peu quand même.” et souverainiste (Laurent Bouvet et Natacha Polony) ou comment des penseurs d’extrême droite comme Hervé Juvin ou Alain de Benoist s’emparent d’idées de gauche comme la décroissance. Ce qui est vertigineux, c’est que Corcuff a dû lire, analyser, explorer et démonter boulon par boulon la pensée de chacun.
Il me semble que les boulons à déboulonner qui lui tiennent le plus à cœurs sont :
· La lutte contre le nationalisme et le repli identitaire
· La lutte contre l’antisémitisme et l’islamophobie
· La lutte contre les idées réactionnaires d’extrême droite et d’islamo conservateurs.
La somme intellectuelle foraine que vient de Produire Corcuff est un hommage à tous les militantes et militants de terrain qui se battent contre l’extrême droite de manif en manif, d’article en article, de conversation en conversation, et son livre est une lecture essentielle et rassurante contre le post fascisme.