Hier soir, Jean-Michel Blanquer, David Corceiro et Cécile Rilhac étaient en visite à Domont pour dresser un bilan élogieux de la politique éducative conduite sous le quinquennat Macron. Blanquer et ses porte-flingues offerts sur un plateau à la vindicte valdoisienne, on ne pouvait pas refuser ça. J’avais préparé un petit texte* pour l’occasion et je m’étais mis un costard pour me déguiser en militant LREM.
On est arrivés sur les lieux avec quelques camarades syndicalistes sur les coups de 20h. Là, bonne surprise, j’apprends qu’il y a des gilets jaunes et des stylos rouges pour nous accompagner. On rentre dans la salle, et on constate à vue de nez qu’il y a très peu de sympathisants LREM. On les repère facilement. Le rapport de force est avec nous. Un collègue s’assoit à côté de moi et commence à me dire: “Oh purée ça va être génial”.
Le meeting commence par un discours de Rilhac qui vante sa loi instituant un statut de directeurs d’école avec des mots creux. Dès le début, sa voix est couverte par le bruit de la foule. Au moment des applaudissements, on constate que seul un tiers de la salle est acquise au discours LREM – les premiers rangs en fait, tout le reste de la salle est ouvertement hostile à la politique de Macron et Blanquer. Des voix commencent à s’élever, des huées bientôt, et cinq minutes après le début, deux ou trois personnes apostrophent la députée se font sortir par la sécurité.
La suite est un brouhaha pas possible. Corceiro débarque sur l’estrade. Ce type n’est pas un politicien, c’est tout au plus un publicitaire, un bateleur de fête foraine. Il ne fait que balancer du chiffre, parle comme un vendeur de yaourts, c’est à peine croyable. Nous sommes sensés entendre parler d’éducation et nous assistons à un exercice commercial. Il est copieusement hué lui aussi et tente d’invoquer la démocratie et le débat contradictoire. Le débat n’a jamais existé durant ces cinq dernières années : forcément, quand on empêche les contre-pouvoirs de s’exercer, le pus ressort de manière inattendue.
Dans le même temps, les sympathisants LREM commencent à perdre leur calme. Une camarade filme les altercations, elle est prise à partie par un monsieur qui tente de l’en empêcher. On est obligés de lui demander de se rasseoir et de se calmer. Il récite des mots creux du genre “ça sert à rien de se plaindre, vous avez qu’à leur écrire, faites quelque chose de constructif”. Le problème, c’est qu’on a déjà essayé maintes et maintes fois.
Après l’intervention d’une lycéenne En marche (seul moment calme de la soirée, eh oui, on n’est pas des chiens, on ne s’attaque pas à une élève) le Master of Ceremony arrive, et les huées redoublent. Voilà une heure et demie que j’attends de lire mon texte et j’ai accumulé beaucoup de négativité avec tous ces slogans insipides. Blanquer continue à enfiler des perles, à rappeler que l’école était ouverte grâce à lui, et que c’était très bien parce que l’école, c’est très bon pour les enfants, et que les enfants, ils ont besoin de l’école pour trouver un travail plus tard. Je lève la main pendant vingt minutes histoire de me faire remarquer.
Au bout d’un moment, je me lève et crie: “Monsieur le Manager de l’Education nationale, on aimerait avoir la parole!”. Un micro circule alors. Deux premières interventions très pratiques: une anti-masque et un lycéen du privé faisant semblant de s’opposer aux réformes Blanquer sur des broutilles.
Au bout d’un moment, en forçant un peu, je parviens à m’emparer du micro et je débite mon texte. Je n’ai évidemment pas pu aller au bout. J’ai eu le temps de crier à Blanquer qu’il finirait dans les poubelles de l’histoire. Et au moins, j’ai privé le public d’une dernière question insipide.
Un type aux yeux fixes assis devant moi, hypnotisé par le discours publicitaire LREM depuis le début du meeting, s’est alors retourné et a tenté de me déstabiliser : “Nan mais ça sert à rien ce que tu fais, là tu t’es fait plaisir là, tu resteras pas dans l’histoire, mec.” Mais ça n’a pas fonctionné. Finalement, peu importe que je n’aie pas eu l’occasion d’aller au bout de mon texte. Le sabotage collectif était très réussi. Blanquer se souviendra du Val d’Oise. Il s’agit de montrer que face à l’adversité, il peut y avoir de la joie. Quand on n’est pas écoutés, quand on est méprisés, on peut toujours foutre le bordel, et c’est putain de jouissif.
Ce gouvernement mérite un retour de l’action directe partout où il passe. Il est temps de se réveiller.
* Le texte préparé avant le meeting pour venger nos collègues de cinq ans de mépris :
” Monsieur le Manager de l’Education nationale,
« Une politique publique menée dans la précipitation », « une navigation à vue », « la création de plusieurs générations d’élèves-cobayes », « un sentiment de défiance » vis à vis de l’institution à la fin de ce quinquennat impossible. Ces mots ne viennent pas d’un tract syndical opposé à votre politique mais d’un rapport paru il y a trois semaines à l’issue d’une mission d’information du Sénat. Les sénateurs qui ont produit ce texte sont pour la plupart convaincus par l’orientation libérale et autoritaire de votre politique, ce qui n’est pas le cas de la majorité des professeurs, et pourtant, les sénateurs vous adressent là un sacré taquet.
C’est qu’il faudrait être aveugle pour ne pas avoir constaté l’incurie dont vous avez fait preuve durant vos cinq ans de mandature à la tête du Ministère de l’Eduction nationale, réformant sans relâche, semant la pagaille, attaquant le droit syndical et la libre parole des uns et des autres, passant votre temps à vous faire mousser au sein de médias acquis à votre cause. Vous avez de la chance, Monsieur le Ministre, car vous avez toujours été entouré de flagorneurs dans tout ce que vous avez fait, et pourtant, votre bilan est celui de l’incompétence doublé de la méchanceté.
Vos réformes n’ont consisté qu’à casser les équilibres d’une insitution déjà fragilisée par votre prédécesseure NVB. Seulement, il y avait au temps de NVB encore un semblant de politique éducative au Ministère : depuis votre arrivée, l’éducation est passée au second plan, laissant place à une politique budgétaire détestable et à une révolution culturelle conservatrice imposée par en haut, assortie d’une conception de la vérité toute relative à vos intérêts et à ceux des classes sociales favorisées.
Monsieur le Manager, après votre mépris constant, après l’explosion du mal-être au travail et des suicides dans l’éducation, après le matraquage de notre jeunesse à chaque mouvement de contestation, après la création de votre syndicat pro-gouvernement, après vos saillies islamophobes et anti-wokes, après vos vacances à Ibiza et vos protocoles délirants, après les économies que vous avez fait sur le dos des élèves et de la communauté éducative, après les contaminations au Covid 19 que vous avez permises en milieu scolaire et après tous vos mensonges, nous ne pouvons pas vous laisser plus longtemps raconter vos salades à une assemblée convaincue. Il est temps d’élever la voix et de vous jeter à la figure votre bilan détestable, car vous serez bientôt remplacé et il ne faudrait pas que votre successeur se croie tout permis, au cas ou votre majorité l’emporterait à la présidentielle.
Adieu, Monsieur Blanquer, puissiez vous retourner dans les poubelles de l’histoire avec vos réformes d’un autre temps, et que nous passions vite à autre chose, car votre bilan est celui de la honte et du néant.”