Cher.e militant de gauche,
Dans une semaine, Le Pen est non seulement donnée gagnante du 1er tour des élections présidentielles, mais elle n’est plus qu’à 1,5% de la Présidence face à Macron au 2nd tour. Zemmour a rempli sa fonction : achever la dédiabolisation de Le Pen (déjà portée par la brochette Macron-Darmanin-Blanquer depuis 5 ans) tout en lui constituant un réservoir de voix pour le 2nd tour et en organisant la passerelle avec les électeurs de la droite traditionnelle. La détestation légitime du Président sortant fait le reste : le « tout sauf Macron » profitera largement au RN.
L’hypothèse de la victoire du RN aux présidentielles est donc tout sauf improbable. La France a été tellement sonnée par la violence de la politique de Macron (violence sociale, violence policière, violence raciste, violence pour l’ensemble des droits fondamentaux) que le risque Le Pen est devenu un non sujet. Même à gauche, les camarades sont par avance glacé.es de replonger pour 5 ans de macronisme, mais peu semblent avoir envisagé avec sérieux les conséquences d’une victoire de Le Pen.
Mais voilà, les intentions de vote pour Mélenchon sont en hausse, le plaçant même à 3% de Le Pen dans 2 récents sondages (24 et 26 mars). 3%, c’est un écart qu’il est possible de réduire, alors pour moi c’est acté, je ferai barrage à Le Pen dès le 1er tour en votant Mélenchon. Et je vois de nombreux militants antifascistes autour de moi s’apprêter à voter LFI malgré nos profonds désaccords avec ce mouvement. Sans voir en lui une « chance historique pour la gauche », sans oublier ce qui a été trahi des valeurs de gauche par les insoumis, et donc sans lui dénier son statut d’impasse politique. Voter Mélenchon pour faire barrage au RN dès le 1er tour, et basta.
Et je comprends le manque d’entrain du camp antifasciste à suivre cette voie. Le risque est grand de donner une légitimité à un parti défendant des positions sociales et nationalistes, de le placer au centre d’une très hypothétique (re)construction de la gauche politique. Ceci dit, LFI n’a pas attendu nos votes pour imposer par le vide son hégémonie à gauche, dans une pure tradition mitterrandienne. Mais très franchement, lorsqu’on a voté Macron pour faire barrage à Le Pen au 2nd tour en 2017, on ne s’est pas posé la question du risque de mettre au centre du discours de gauche le laïcisme islamophobe du Printemps Républicain, issu du PS et devenu l’inspirateur de la politique « antiwoke » de Blanquer et de Vidal. On a voté Macron au 2ème tour en 2017 pour faire barrage à Le Pen. En 2022, le risque RN s’est accru, le barrage devra se fera dès le 1er tour.
En revanche, il y a un truc que n’importe lequel d’entre nous peut faire d’ici le 10 avril. Un truc qui en principe devrait nous rassembler toutes et tous. Et d’ailleurs, un truc que même ceux qui vont voter Jadot, Roussel, Poutou, Arthaud ou Hidalgo peuvent faire. C’est faire campagne dans la dernière ligne droite contre le programme du RN. C’est dénoncer l’imposture de Le Pen, grande fortune chantre de l’ultra-capitalisme, qui parvient à faire adhérer à son programme anti-social les camarades qu’on a échoué à représenter collectivement : ouvriers (58% d’intentions de vote RN au 2nd tour), précaires (51%), employés (57%), et les 25 à 34 ans (55%).
Je propose donc ci-dessous un argumentaire de barrage au RN. A compléter et à diffuser le plus largement possible…
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Derrière un discours pseudo-social, la lecture du programme du RN fait apparaître très clairement ses promesses anti-sociales :
- Alléger la fiscalité des TPE-PME (charges sociales, impôt sur les sociétés) et mettre fin au compte pénibilité, aux détriments des salariés et de l’équilibre de la Sécurité sociale.
- Exclure le patrimoine de la taxation sur la fortune, au profit des plus riches.
- Réduire les obligations à l’embauche, c’est-à-dire précariser les salariés embauchés.
- Fragiliser la représentation syndicale.
- Autoriser la négociation sur l’allongement du temps de travail au niveau des branches professionnelles.
Sur le front des luttes sociales, le RN prolonge la tradition de haine antisyndicale de l’extrême droite. En décembre 2019, après avoir fait mine de soutenir les grévistes, le RN s’en est violemment pris à la CGT, déclarant qu’elle n’avait pas le « monopole de la contestation », et qu’elle était l’alliée « des islamistes ». L’urgence sociale de l’extrême-droite, alors, c’est Gilbert Collard qui demande une « trêve de Noël », ou Riposte Laïque, qui décrit les grèves comme un complot musulman visant à ruiner Noël. Puis Marine Le Pen qui le 14 janvier 2020 déclare « on a toutes les raisons de détester la CGT et Monsieur Martinez ».
Contrairement à une idée rabâchée, l’expérience du pouvoir du RN à la tête de (seulement !) 9 mairies n’a pas démontré la respectabilité d’un parti « gestionnaire ».
- A Fréjus, David Rachline fait fermer trois bureaux de poste malgré les pétitions des riverains. Il supprime le local mis à disposition d’une association de quartier : l’Association pour la Qualité de la Vie à la Tour de Mare, qui existe depuis de très longues années dans un quartier de 8000 habitant-e-s .
- A Le Luc en Provence, au chapitre de la politique antisociale, la mairie a décidé de faire payer les Nouvelles Activités Pédagogiques 1€ de l’heure.
- A Mantes-La Ville, la mairie réduit systématiquement les aides aux plus démunis, tout en stigmatisant de manière constante la communauté musulmane.
- A Bollène, après les suppressions des centres sociaux et des moyens humains dans les écoles, Bompard a projeté de mettre en vente le stade municipal des Tamaris, seule installation sportive dans ce quartier excentré de Bollène.
- A Villers-Cotterêts, Franck Briffaut refuse dès son arrivée de participer à la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Il supprime les aides aux écoles participant au dispositif d’enseignement des langues et cultures d’origine. Il introduit une « clause de neutralité politique » pour les artistes invités à la Fête de la musique. Il censure, dans une exposition municipale, un livre contenant une œuvre symbolisant la montée de l’extrême droite.
- A Hénin-Beaumont, Steeve Briois lance une charte anti-migrants signée notamment par Julien Sanchez, à Beaucaire, et David Rachline, à Fréjus .
- Plusieurs maires RN partent en croisade pour le retrait des subventions à certaines associations, voire leur expulsion, comme le Secours populaire, menacé à Hayange, ou la Ligue des droits de l’homme chassée par la mairie d’Hénin-Beaumont.
- A Béziers, Hénin-Beaumont ou encore Beaucaire, les élus installent une crèche au sein de l’Hôtel de Ville, allant ainsi à l’encontre du principe de laïcité républicaine. Pendant ce temps, à Beaucaire, on supprime les repas de substitution dans les cantines scolaires en y annonçant du porc tous les lundis. A Fréjus, le maire s’acharne à vouloir détruire la mosquée de la ville. Et à Hayange, Fabien Engelmann créé dès son élection une « fête du cochon ».
- Dans ces mairies RN, « l’Algérie française » est à l’honneur : Julien Sanchez débaptise la rue du 19-Mars-1962 – date du cessez-le-feu en Algérie – pour lui préférer celle du 5 juillet 1962 marquant le massacre de pieds-noirs et harkis à Oran. Robert Ménard à Béziers remplace une rue du 19 mars par une rue hommage au commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, figure du combat pour « l’Algérie française ». A Fréjus, Rachline inaugure une stèle « en hommage à tous ceux tombés pour que vive la France en Algérie ».
Concernant l’environnement, le Rassemblement national et la famille Le Pen se sont distingués ouvertement jusqu’en 2017 par leur contestation des données scientifiques et leur climatoscepticisme. Avec ses alliés climatosceptiques de l’Afd (Allemagne), du PVV (Pays Bas) et de UKIP (Grande Bretagne), le Rassemblement National s’est opposé à tous les grands textes proposés en faveur du climat au parlement européen. Si Marine Le Pen a souhaité verdir son discours, on ne trouvera aucune proposition dans son programme contre le productivisme et le capitalisme effréné qui détruit notre planète. Aucun appel à une coopération entre les peuples pour affronter un problème qui est global. A la place, le « localisme » qui n’est pas simplement destiné à verdir un discours nationaliste, mais qui est aussi une « écologie des populations », philosophie identitaire qui rejette à la fois l’immigration et le métissage.
Marine Le Pen dit lutter pour le droit des femmes, mais on se souvient encore de son projet de salaire maternel pour confiner les femmes au foyer, projet toujours défendu par Jean-Marie Le Pen. Elle prône la suppression des avantages pour le congé parental réparti entre les deux parents. Quant à l’IVG, même si sa suppression n’est plus dans le programme, des discussions au sein du parti laissent présager son déremboursement, ce qui introduirait des inégalités sociales d’accès catastrophiques. Pour ce qui est des violences faites aux femmes et les féminicides, le RN n’en parle que dans une logique raciste, suspectant tout étranger d’en être la cause. Les affaires d’agressions sexistes et sexuelles au sein du parti, quant à elles, n’ont jamais été condamnées publiquement et sont renvoyées par Marine Le Pen à « la vie privée de ces personnes ».
Plus largement, sur les questions de genre, le RN reste fidèle à sa vision hétéronormée et LGBTQIphobe. En bonne place dans le programme du RN à la présidentielle, on trouver la fin de la PMA et la réforme du PACS. En 2021, Marine Le Pen affiche son accord avec la loi anti-LGBT adoptée par Orban en Hongrie. Elle va jusqu’à reprendre les mots exacts du chef d’état hongrois d’extrême-droite “Je pense qu’il ne faut faire la promotion d’aucune sexualité auprès des mineurs”, alimentant l’amalgame entre homosexualité et pédophilie.
Le projet raciste et nationaliste du RN est enfin toujours aussi présent. Son analyse du « mondialisme » qui serait à l’origine de la crise sociétale est en droite ligne avec le rejet par Jean-Marie Le Pen d’une société cosmopolite. Le chômage et la pauvreté, pour Marine Le Pen, ne sont toujours pas un problème de répartition des richesses, mais d’immigration. Et si elle laisse à Zemmour formuler l’immonde théorie conspirationniste du grand remplacement, elle continue de stigmatiser l’islam en instrumentalisant la laïcité. Et en opposant honteusement les classes populaires françaises et les étrangers, elle continue de prôner la « préférence nationale ».
Pour terminer, alors que Marine Le Pen annonce vouloir gouverner avec Zemmour, on ne passera pas sous silence le programme rétrograde de ce dernier :
- Très clairement ultra-libéral : « travailler plus pour gagner plus », report de l’âge de la retraite à 64 ans, baisse des charges pour les entreprises, baisse majeure du taux d’impôt sur les sociétés, limitation du dialogue social en relevant le seuil de consultation en entreprise de 50 à 250 salariés.
- Ultra-autoritaire : présomption de légitime défense en cas d’usage de leurs armes par les policiers, armement des polices municipales,
- Fermeture totale des frontières à l’immigration, fin du droit d’asile, suppression des droits élémentaires pour tout étranger vivant en France.
- Interdiction des prénoms non issus des « calendriers français et régionaux »
- Rétablissement de la blouse à l’école et interdiction du port du voile dans l’espace public.
- Exclusion des systèmes d’éducation mixtes des enfants handicapés.
- Suspicion de fraude généralisée pour les allocataires des minimas sociaux : « imposer des contrôles systématiques des allocataires », « création d’une brigade nationale de lutte anti-fraude », « lutter contre les arrêts maladie frauduleux »
Il nous reste peu de temps avant que le post-fascisme ne risque de prendre le pouvoir. Ce serait bien sûr une catastrophe politique et morale pour la France, pour les personnes racisées, et également pour les travailleur.euses et les précaires. Il nous reste peu de temps pour convaincre, autour de nous. Les hésitant.es, les mal informé.es, celles et ceux, parmi les plus jeunes, qui ne connaissent pas l’histoire du RN et qui ont été berné.es par la stratégie de dédiabolisation.