On a voté pour le même candidat au 1er tour au moins pour une raison commune : contre le néolibéralisme autoritaire, inégalitaire, patriarcal et climaticide de Macron. Pour rejeter l’amplification d’une politique antisociale, la promesse de plus de précarisation pour les classes populaires, la poursuite de la remise en cause des grands piliers de la redistribution des richesses et de la protection des travailleur.ses (sécurité sociale, retraite, droit du travail, syndicats, …) des droits fondamentaux (droit d’expression, de manifestation, liberté de culte, d’association, d’information, équilibre justice/police, …) et des services publics. Pour rejeter aussi des inégalités territoriales qui se traduisent non seulement dans les taux de chômages, mais aussi en nombre de morts COVID. Pour rejeter une politique patriarcale qui nomme à la tête du Ministère de l’Intérieur un militant anti PMA visé par une procédure judiciaire pour viol et harcèlement sexuel. Une politique qui nomme Garde des Sceaux un machiste ennemi déclaré du mouvement #MeToo ou de l’Association contre les Violences faites aux femmes. Pour rejeter une politique climaticide qui a piétiné les accords de Paris, qui a fait condamner l’Etat français pour préjudice écologique, poursuivi les centrales à charbon, rien fait pour limiter les émissions des gaz à effets de serre dues au transport, défendu un modèle agro-industriel productiviste et polluant. Contre tout ça, on a fait front ensemble au 1er tour.
De mon côté, je considère que le macronisme n’est pas encore la dictature, pas encore le fascisme, il n’est pas encore question de supprimer physiquement et méthodiquement les opposants politiques. Mais on peut parler de fascisation, quand Macron réhabilite les symboles de l’extrême-droite (Maurras, Pétain, Valeurs actuelles), ostracise la population musulmane (stigmatisation des femmes portant le voile, loi « séparatisme »), réprime dans la violence les manifestations, restreint les libertés civiles (loi sécurité globale), et exploite la stratégie d’extrême-droite de renversement des valeurs (délit de solidarité, criminalisation de la lutte contre le racisme, récupération des termes « woke » et « islamo-gauchisme »). Fascisation, donc, qui prépare la voie au fascisme.
Et puis j’ai pensé aussi qu’on avait fait cause commune contre le fascisme et le racisme de Le Pen. En tous cas, c’est ce qu’on pouvait lire sur ton mur avant le 1er tour. Que l’Union Populaire, c’était le vote des quartiers populaires, c’était le vote des gens qui refusaient, en tant que victimes ou en tant qu’allié.es, la discrimination, l’islamophobie, la citoyenneté de seconde zone, voire le déni de citoyenneté. Que l’Avenir En Commun, c’était une promesse pour toutes et tous, personne laissé au bord de la VIème République. Tu semblais même convaincu.e comme moi que Le Pen était pire que Macron en matière sociale, écologique, patriarcale (https://bit.ly/3xBkqaa).
Bon, pour être tout à fait franc avec toi, cet humanisme universaliste insoumis que tu as exposé sur ton mur avant le 1er tour, je ne vais pas te dire que j’y ai cru : je fais partie de ces 11% des électeurs de Mélenchon du 1er tour qui resteront à convaincre que l’Union Populaire n’est pas juste un attrape-tout électoraliste, une machine à prendre le pouvoir, une UMP ou LRM de gauche quoi. C’est même un peu plus grave, en fait. Parce qu’avec les casseroles fascistoïdes de LFI, avec mes potes antifascistes, on a longtemps débattu pour savoir s’il fallait vous qualifier plutôt « d’antifascistes des jours pairs », ou de « néofascistes des jours impairs ».
Les casseroles fascistoïdes de LFI ? Rho, mais si, souviens toi : Kotarac passé direct de LFI au RN ; Kuzmanovic souverainiste poutinophile qui a inspiré la politique internationale du parti avant d’aller se prendre en photo avec Philippot, Asselineau et Dupont-Aignan ; le négationniste Chouard adoubé à de multiples reprises par Ruffin (oui je sais il a dit a posteriori qu’il ne le referait plus… à chaque fois) ; Ruffin que ça ne gêne pas de « faire des quenelles », ou de réclamer le « rétablissement des frontières sur les personnes », parce que les frontières ça permet aussi de « se construire » ; les interviews de Mélenchon (jusqu’une semaine avant les élections), comme celle de Ruffin auparavant, sur le média rouge-brun et pro-Poutine Thinkerview ; « Le Pen bienvenue en manif », à l’encontre du mot d’ordre syndical ; Les œillades antisémites (la « génuflexion contre les oukazes du CRIF », « l’ennemi ce n’est pas le musulman, c’est « le » financier ! », …) ; l’instrumentalisation de la peur du vaccin, et la promotion des « convois de la liberté » ; « Poutine va régler le problème en Syrie » après que ce dernier y a massacré des civils et la résistance à Bachar El Assad ; la mise en doute des armes chimiques utilisées par le boucher de Damas ; l’oppression des Ouïghours en Chine qui ne vaut pas d’être combattue ; le refus de qualifier Poutine de dictateur, parce que « l’intérêt de la France » ; la minimisation de la menace Russe en Ukraine malgré les 150 000 troupes déployées à la frontière, la justification de cette menace en osant parler publiquement d’« annexion de l’Ukraine par l’OTAN » ; puis quand les crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés par l’armée russe sont avérés, l’appel à ne pas soutenir la résistance ukrainienne parce qu’il faudrait défendre la paix (alors qu’en 2014, selon le même Mélenchon, en pleine annexion de la Crimée par la Russie, il fallait honorer nos contrats et livrer des armes offensives à Poutine).
Voilà, ça c’est pour les jours impairs. Mais il faut être juste, il y a aussi eu des jours pairs. Et récemment, Mélenchon et les leaders insoumis ont été parmi les seuls au sein de la gauche politique à porter la bataille de façon claire contre l’islamophobie et contre les violences policières. A dénoncer la loi séparatisme, et à dénoncer la manif du syndicat policier d’extrême-droite Alliance qui s’attaquait à l’institution judiciaire, quand les représentants des verts, du PCF et du PS s’y associaient. Ils ont appelé à marcher contre l’islamophobie. Et ça, très franchement, ça n’est pas rien.
Alors voilà, même si je garde toutes mes réserves antifascistes contre l’appareil LFI, j’ai cru à ta sincérité quand tu appelais à voter barrage à Le Pen dès le 1er tour. Parce que tout le monde peut évoluer après tout. Et je me suis dit aussi que s’il y avait vraiment une dynamique de mobilisation des quartiers populaires et des camarades racisé.es, même si c’était derrière LFI avec ses casseroles, vu qu’il n’y avait aucune autre perspective du côté de la gauche politique, c’était un espoir dans une « union populaire » que je n’avais pas le droit de doucher.
Mais apparemment, cette « union populaire » n’aura duré qu’un temps dans ton esprit. Le temps de la victoire pour ton chef. Et passée cette perspective immédiate, Le Pen n’est pour toi plus un risque, mais une opportunité. L’espoir douché est venu de tes rangs.
Tu vas donc voter pour l’extrême droite. Donner ta voix au refus du Grand remplacement qui a inspiré le terroriste de ChristChurch, cautionné ceux qui jugent que les mineurs réfugiés sont des « voleurs, violeurs et assassins ». Tu vas t’associer aux syndicats policiers qui réclament le droit de « tirer dans le tas » et qui en appellent à un « apartheid militarisé » et aux militaires qui ont appelé à un coup d’Etat contre les « hordes de banlieue ».
Tu vas voter pour la préférence nationale, qui va déchoir de tout droit et de toute aide sociale 5 M d’étrangers en France, expulser 1M d’entre eux de leurs logements, mettre fin au regroupement familial, supprimer le droit du sol, déléguer l’étude du droit d’Asile à la Libye ou la Turquie, supprimer l’Aide Médicale d’Urgence qui est pourtant une ressource vitale pour les exilés. Tu vas voter pour le renforcement du délit de solidarité.
Tu vas voter pour un parti homophobe et qui applaudit aux mesures d’Orban contre les LGBT. Un parti qui discute en son sein de déremboursement de l’IVG. Tu vas voter pour le fascisme qui a déjà prévu de contourner le parlement et le conseil constitutionnel, par voix référendaire, de façon à sortir d’un texte fondateur, la constitution, qui protège les minorités contre l’arbitraire, de façon à pouvoir gouverner sans les élus, et de façon à se défaire des engagements de la France liés aux conventions internationales de défense des droits humains. Tu vas choisir l’interdiction des femmes voilées de l’espace public, l’arrêt des subventions pour les associations communautaires des droits des minorités. Tu vas voter contre la liberté de la presse, de manifester et d’être syndiqué. Pour l’Etat policier et l’impunité des violences policières déguisée en présomption de légitime défense.
Bon après, si ça se trouve, ton appel à voter Le Pen, tu l’as écrit un jour impair. Un jour où tu étais prêt.e à sacrifier à ta colère légitime contre Macron les personnes racisées, musulmanes, LGBT. Et les élections tombent cette fois un jour pair.
Mais quand même. Tu me parles déjà des législatives, en oubliant que le fascisme n’est pas là pour gouverner ou cohabiter, mais pour détourner les institutions afin de prendre et conserver e pouvoir sans partage démocratique.
Et tu peux bien brandir « tes » 22% du 1er tour comme une future victoire annoncée, tu sais, quand on a été victime de discrimination et d’oppression, on se souvient, dans sa chair. Et c’est une mémoire que l’on se transmet de générations en générations. Et la mémoire des luttes et de la résistance se souvient aussi, de qui a été là jusqu’au bout, de qui a pactisé, de qui s’est tu. Et puis on n’est jamais que seul dans l’isoloir, avec sa mémoire individuelle et familiale, la mémoire de ses bourreaux, de leurs complices, et de leurs spectateurs silencieux.
Alors sincèrement, je te le dis sans passion, depuis mon vote Mélenchon du 1er tour : les gens qui ont répondu à ton appel pour faire barrage à Le Pen au 1er tour, font désormais appel à toi pour faire barrage à Le Pen au second tour. Ton Union Populaire ne se fera pas sans eux, tu le sais. Alors fais en sorte qu’elle ne se fasse pas contre eux. Parce qu’il n’y a pas de fascisme populaire.