NDLR: La première partie de cette étude critique d’Alain Gabon consacrée à l’ouvrage de Florence Bergeaud-Blackler , “Le Frérisme et ses réseaux” se trouve ici
Les demandes de suppression de fonds pour la recherche (quelle ironie de la part d’une chercheuse), les calomnies contre ses collègues, la diabolisation des associations antiracistes et de champs disciplinaires et universitaires qui lui sont manifestement étrangers ne constituent qu’une partie des problèmes de l’ouvrage et des interventions médiatiques de son auteure.
Partout, « entrisme », « infiltration », « endoctrinement », « complot »
FBB stigmatise les pratiques cultuelles musulmanes les plus banales. Elle confond bel et bien, quoi qu’elle s’en défende, islam et islamisme. Elle le fait notamment lorsque la consommation de nourritures Halal et la simple pratique du jeûne du ramadan se voient mettre en accusation.
Pour FBB, tout signe d’appartenace musulmane est” islamiste”, et donc menace existentielle pour l’édifice républicain, et tout musulman “visible” est d’emblée “frériste” ou pire.
Pas plus que son avocat, FBB ne supporte donc de voir des hijabs, fut-ce en posters et encore moins des féministes musulmanes disposer de quelques misérables minutes d’antenne sur une chaîne publique. Son compte Twitter regorge d’attaques et d’accusations d’”islamisme” contre toute activiste ou toute musulmane voilée dès lors qu’elle est invitée dans les média, aussi rarissimes ces invitations soient-elles. Sans doute faudrait-il à ses yeux exclure encore davantage celles qui le sont déjà systématiquement par la majeure partie des institutions françaises. Ses tweets mettant en avant avec insistance sa qualité de chercheuse reconnue par une institution publique (le CNRS) , comment ne pas y voir l’expression d’une véritable islamophobie d’État? Ironiquement, ses propos confirment la dimension structurelle, systémique, et étatique de cette islamophobie qu’elle s’évertue à nier. Dans ce délire anti-musulman, FBB fait feu de tout bois : Bruxelles est ainsi selon elle en train de « sombrer dans “ islamo-gauchisme le plus radical ». Pour quelle raison ? Du seul fait que l’U.E., dans le large spectre des associations qu’elle soutient, finance des associations anti-racistes promouvant l’inclusion des musulman(e)s.
Ailleurs (sans trop de surprise dans le Figaro), entre deux illustrations la montrant dans la pose avantageuse d’une “femme des tempêtes”, elle s’inquiète (sans qu’il soit difficile de deviner pourquoi ) de la nomination du nouveau Premier Ministre écossais; Elle s’en prend également à Marion Larisse, la Coordinatrice de l’Union Européenne pour la lutte contre la haine et les discriminations anti-musulmans dont elle a fait une de ses bêtes noires. Larisse se bat contre l’islamophobie, elle est donc dans la vision pathologique de FBB une “frériste” elle aussi; Elle attaque l’islamologue Rachid Benzine, qui a le seul tort de ne pas partager ses fixations obsessionnelles, ce qui suffit à ses yeux à faire de lui aussi comme de tous les autres un idiot utile qui “sert le projet frériste”.
De même, s’en prend elle à l’ONU accusée d’avoir à ses yeux commis le crime suprême… de décréter une Journée Mondiale contre l’Islamophobie, donc on s’en doute si l’on connait son disque rayé, de céder au “frérisme”.
Pour FBB, à contre-courant de la littérature scientifique, des institutions internationales, ou de la simple réalité sociale, “la réalité de l’islamophobie”, comme elle l’écrit dans son ouvrage et le répète ad nauseam dans ses interviews, “n’a jamais été prouvée”. Elle ne serait qu’une arme politique que les « islamistes » ou « fréristes » ont fabriquée pour l’utiliser contre nos sociétés dans 3 buts : 1) faire taire toute critique de l’islam et de l’islamisme (un vieux classique Fourest-Zemmour) objectif que selon elle ils ont réussi à atteindre. Les musulmans occidentaux et les observateurs attentifs de la scène médiatique française seront surpris de l’apprendre, 2) Empêcher les musulmans de s’intégrer dans les sociétés occidentales. D’aucuns auraient pu penser que c’était l’islamophobie réelle, non sa dénonciation ou encore moins son étude universitaire, qui faisait obstacle à leur intégration. Mais non, pas pour FBB. 3) « Rééduquer le regard occidental » sur l’islam, dans les médias, les écoles et les universités, la police, la justice, etc. ; changer nos perceptions négatives sur cette religion et ses pratiquants pour produire « une vision plus positive et tolérante » de l’islam, afin de nous “accoutumer à sa présence” comme elle le dit ailleurs, pour regretter une telle “accoutumance”.
Tous ceux pour qui ces objectifs sont au contraire justes et nécessaires ont donc tort, et FBB utilise ici encore un terme-épouvantail bien stigmatisant et un cadre explicatif paranoïaque lorsqu’elle explique que l’accoutumance aux signes islamiques, au halal, au hijab etc. est le résultat de la “stratégie” des Frères Musulmans pour rendre nos sociétés “Charia compatibles”. Dans sa “logique” aussi ridicule que maladive, si vous vous habituez à la présence autour de vous de femmes portant le hijab ou de musulman consommant halal voire même faisant le ramadan, alors c’est que vous êtes vous aussi contaminé par le “frérisme”.
Dans cette vision des choses, les ONG anti-racistes (en France, en Europe, aux Nations-Unies, partout), les études sur l’islamophobie, les politiques inclusives, les femmes voilées, le halal, le ramadan lui-même, l’Union Européenne, l’ONU, et maintenant le Premier Ministre écossais et Rachine Benzine, tout n’est que signes effrayants de « l’entrisme-fréro-islamiste-en-train-de-conquérir-l’Europe » et du succès de la “stratégie” des Frères.
Mais que l’on se rassure, FBB nous le répète à longueur d’interviews: elle n’est aucunement complotiste.
Obsession anti-voile
Dans cette autre présentation, notre anthropologue explique, dans un atavisme bien français pétri de préjugés coloniaux et orientalistes, que le port du voile ne peut jamais être un choix libre, ajoutant qu’il ne peut qu’être le résultat d’un « endoctrinement depuis l’enfance ».
Ici aussi, Bergeaud Blackler révèle et son ignorance des innombrables études sociologiques sur ces femmes (y compris des pratiques radicales comme la burqa) qui montrent le contraire, et son mépris le plus total pour nos compatriotes musulmanes voilées, qui apprécieront de se voir elles aussi insultées de la sorte, nier tout libre-arbitre, mises toutes dans le même sac et décrites publiquement de la façon la plus grossière comme au mieux de pauvres filles lobotomisées (“endoctrinées”) incapables de choix authentiques, au pire des ennemies de la République et des agentes islamistes.
Dans cette vision vulgaire, basée non pas sur une familiarité de terrain avec ceux et celles dont elle parle avec tant de préjugés et d’incompétence (FBB n’a à l’évidence aucun lien avec ces musulmans et musulmanes) et encore moins sur une recherche en sciences sociales intègre et rigoureuse (n’importe quel chercheur n’aura aucun mal à voir les “sévères lacunes scientifiques” de cet ouvrage dont les thèses pétries de biais “essentialistes, culturalistes, et anti-sociologiques” sont de plus “invalidées par les réalités empiriques des musulmans en Europe”, comme le dit elle-même une des plus grandes islamologues au monde reconnue comme telle par tous, Jocelyne Césari de Georgetown University et Harvard), toutes ces femmes sont à la fois les signes, les marionnettes, et les agents de la “conquête islamiste de l’Europe”.
On est bien dans la vision apeurée d’un islam imaginaire à la Michel Houellebecq, qui sans surprise déclare d’ailleurs avoir été influencé par…Gilles Kepel pour sa “compréhension” de l’islam et des musulmans aujourd’hui, dont on peut écouter ici en quoi elle consiste.
Une terrible et visible ignorance et du terrain et de la recherche
Malgré les arguments d’autorité (ses « 30 ans de recherche sur ces sujets » qu’elle ne manque pas de rappeler chaque fois qu’un média lui tend un micro, sa position au CNRS etc.) derrière lesquels elle tente de cacher la pauvreté de sa “pensée” houellebecquienne, la médiocrité de sa recherche, et la nature polémique, idéologique et militante de son ouvrage si éloigné de l’objectivité, de la neutralité, de l’intégrité et de la rigueur scientifique des sciences sociales qu’on était en droit d’attendre du CNRS, F. Bergeaud-Blackler montre amplement qu’elle ne sait rien et ne comprend rien à ces musulmanes françaises, européennes ou autres qu’elle dit pourtant avoir étudiées. Leur présence dans son pourtant copieux ouvrage, fruit de “30 ans de recherche et réflexion” est limitée…à un seul et unique “focus group”, en plus famélique: une petite quinzaine de femmes réunies par une certaine “Lina” pour trois sessions de discussion thématique sur la halal, dont d’ailleurs seules deux sont présentées dans l’ouvrage. On ne saura jamais pourquoi la troisième et dernière session est totalement absente du résumé de ce seul focus group. De plus, comme l’a bien vu l’excellent spécialiste de l’islamisme Haoues Seniguer, les extraits cités de leurs conversations ne révèlent aucunement ce que FBB tente de leur faire dire: les données fournies par l’auteure elle-même dans les extraits choisis qu’elle nous livre (sans d’ailleurs donner au lecteur l’accès à la totalité des transcripts comme il se devrait) tendent en fait fortement à invalider ses conclusions, qu’elle tente malhabilement de plaquer et forcer sur ces participantes et leurs discussions, qui ne correspondent pas à la description qu’elle en fait. Tout cela aussi fait de son ouvrage de la très mauvaise recherche qui frise la malhonnêteté et l’escroquerie intellectuelle.
Loin des thèses de FBB, ces femmes démontrent aisément, du moins pour qui les connait, qu’elles sont au moins aussi libres dans leurs têtes que cette chercheuse au regard rétrograde et aveuglé par ses propres préjugés, idéologies, et « endoctrinements », et qui prétend en plus libérer les musulmans des « islamistes », comme le prétendait déjà Bernard Rougier dans le plus pur des paternalismes néo-coloniaux du type Mission Civilisatrice et « complexe du sauveur blanc ».
Outre L’Islam en France pour les Nuls et quantité d’ouvrages universitaires, études savantes, rapports, et documentaires sur ces sujets, groupes et individus, qui tous pulvérisent les fantasmes de FBB et permettent de comprendre que c’est bien plutôt des personnes comme Bergeaud-Blackler et Bernard Rougier qui sont un problème pour les musulmans et au delà pour la France et la République, on leur conseillera la lecture du classique de Lila Abu-Lughod.
- Bergeaud-Blackler ne fait au final que recycler les vieux clichés éculés et méprisants hérités en droite ligne de l’imaginaire colonial: femme voilée = femme soumise, « endoctrinée » ou radicalisée, musulman « fourbe » et “rusé” qui « s’infiltre » partout en pratiquant la “taqiya” pour nous conquérir avant de nous subjuguer par la “charia” et nous réduire tous en “dhimmis” dans un “Califat” européen puis mondial, etc. Loin d’un ouvrage scientifique, rigoureux, et novateur comme elle s’en vante elle-même à tous les micros bien que ça ne soit pas à elle d’en juger mais à ses pairs universitaires, nous sommes ici au contraire sur un vieux terrain connu. On devrait dire dans le vieux bourbier de l’islamophobie banale, familière, facilement reconnaissable, ici estampillée CNRS, tristement pour cette institution.
- Bergeaud-Blackler révèle donc une ignorance manifeste, bien peu académique, pour les innombrables recherches savantes qui depuis des décennies malmènent ces stéréotypes sur les musulmanes voilées.
Permettons-nous un trait d’humour: à l’écouter, à la regarder et à la lire halluciner des “frères”, des “signes de conquête” et du “frérisme” partout, on croirait entendre Elie Semoun et son sketch sur les chinois dont « il faut se méfier, car c’est petit mais ça se faufile partout si on n’y fait pas gaffe ! »
Tant le script et du livre et de sa médiatisation est connu d’avance comme le retrace précisément ici Nadia Meziane, on se dit également souvent que l’on pourrait s’épargner le temps de la lecture et lire à la place une colonne Valeurs Actuelles sur le Grand Remplacement ou un de ces innombrables pamphlets sensationnalistes ou autre “enquête-choc” sur “l’islamisation de l’Europe”, “l’islamo-gauchisme” et le “déni-des-français-qui-ne-voient-pas-la-menace-ou-la-sous-estiment”, ouvrages devenus un sous-genre convenu dans lequel le livre de Bergeaud-Blackler comme celui avant elle de Bernard Rougier s’intègrent parfaitement. Ils appartiennent tous deux pleinement à cette sous-production qui a fait le lit de toutes les islamophobies, étatiques et autres, comme tant d’autres avant lui et en attendant la prochaine “enquête-choc” sur la “conquête islamiste de l’Europe”..
Mais il y a pire encore.
Guerre contre le halal et méconnaissance de la France
Lors de son audition du 20 janvier 2020 devant la Commission du Sénat sur « la lutte contre la radicalisation islamiste », au moment où la France était déjà en plein maccarthysme anti- «islamo-gauchistes » et « séparatistes », après avoir présenté le burkini et le “hijab running” comme une “norme genrée et sexiste dans l’espace public” (la fixation anti-voile si typiquement française qui vaut désormais à notre pays une réputation internationale détestable), Bergeaud-Blackler déclara (on a envie de dire décréta) :
“Le halal est incompatible avec les valeurs de nos sociétés démocratiques et intolérable pour le modèle républicain d’assimilation.”
D’abord, mesure-t-elle ce que ces propos signifient pour tous les musulmans français et européens qui entendent respecter la norme halal, comme notre droit et nos constitutions leur permettent parfaitement? Ici c’est donc bien F. Bergeaud-Blackler qui a un problème avec nos régimes de droit et nos libertés civiques, pas ces femmes qu’elle stigmatise.
Ensuite, nous l’invitons à écouter ce qu’explique le sociologue Hissam Benaissa sur les faux “couples oppositionnels” de type Islam contre Democratie–fausses contradictions binaristes qui n’ont aucune base empirique et sont de pures artifices islamophobes visant à exclure du cadre de la “démocratie” ou de la “République” tout musulman et toute pratique islamique qui insupportent des gens comme elle (ici mn 51).
Troisièmement, et cela est proprement stupéfiant pour une anthropologue CNRS travaillant en France et en Belgique sur les musulmans, pas une seule seconde F. Bergeaud-Blackler ne semble réaliser que la toute première et la meilleure des preuves a contrario de ses propos gratuits est là encore, comme avec les femmes voilées, apportée chaque jour par des millions de musulmans français, européens ou autres qui ont fait le choix du halal et sont pourtant parfaitement et tranquillement intégrés dans nos sociétés démocratiques, dont la quasi-totalité d’entre eux partagent les valeurs et respectent les principes. Intégrés, voire même pour la majorité, y compris les « tout halal », assimilés au point qu’il est la plupart du temps impossible de savoir qui vit ce « tout halal » qui dérange tant F. Bergeaud-Blackler et ses fans de Valeurs Actuelles/Marianne.
Cette chercheuse qui semble si peu connaître les sciences politiques de même que les nombreuses études sociologiques et autres sur les musulmans de France, pourtant dans ses domaines de spécialisation, ne réalise ainsi même pas que non seulement le halal n’est aucunement « incompatible avec les valeurs de nos sociétés démocratiques », mais que, vu que ces valeurs incluent justement et aux premiers rangs la liberté religieuse, la liberté de conscience etc., le halal est non seulement compatible mais protégé, y compris constitutionnellement, par ces valeurs et par les grands textes de loi qui fondent notre civilisation. Textes piliers et fondateurs de notre République dont, à l’écouter partager non de la science mais des purs préjugés personnels devant la représentation nationale, on se demande même si elle les a lus une fois dans sa vie.
On lui conseillera donc entre autres grands textes la lecture de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui à elle seule suffit à invalider les inepties islamophobes de FBB comme celle sus-citée, très grave vu sa teneur radicale et le contexte dans lequel elle parlait.
Aucune « incompatibilité » donc, en plus bien sûr de l’abondante preuve empirique offert tous les jours par nos concitoyens musulmans qui ont adopté le halal, mais aussi par la recherche universitaire de pointe sur ces sujets, dont son ouvrage ne fait pas partie et que notre si peu scientifique chercheuse ignore sans doute également.
Si il y a donc bien ici une personne qui ne connaît pas son pays, ses musulmans, ses valeurs, ses lois, et son régime républicain, c’est elle, pas les femmes voilées et autres « halalisés ».
Quatrièmement, F. Bergeaud-Blackler ne réalise pas plus que le « modèle républicain », qu’elle confond dans son propos avec la culture majoritaire française et son injonction effectivement “assimilationniste”, n’est pas intolérant vis-à-vis du halal, qu’il tolère au contraire parfaitement.
La preuve, c’est qu’un interdit contre le halal ou son “extension” serait rapidement et sans l’ombre d’un doute invalidé par le Conseil Constitutionnel. Ce qui est sans doute la raison pour laquelle aucun parti politique y compris celui de Zemmour n’a osé et n’osera jamais s’y essayer, même si certains cherchent désormais à légaliser une telle répression des libertés religieuses des musulmans par petites touches, par étapes, par érosion granulaire via une succession de nouvelles lois toutes répressives et liberticides comme celle sur le « séparatisme islamiste » et celle de mars 2004 contre les signes religieux, ou par de franches campagnes de persécution. (Celles-ci sont d’ailleurs régulièrement dénoncées et condamnées par tout ce que le monde compte d’organisations de défense des droits de l’homme, d’Amnesty et Human Rights Watch aux Nations Unies, de même que les plus grands médias étrangers que ce soit ceux du monde arabe ou de la presse anglo-saxonne.)
Ce ne sont donc ni les « valeurs démocratiques de nos sociétés » ni le « modèle républicain » français qui s’opposent à l’intégration du halal. Sinon il serait d’ailleurs déjà banni alors qu’il n’a aucune chance de l’être. Nos démocraties, nos modèles, nos valeurs, nos lois, notre bloc de constitutionnalité en entier comme rappelé plus haut et nos régimes politiques sont parfaitement capables d’accepter la pratique musulmane, le halal y compris, elle et bien d’autres.
Rappelons ici que nos régimes libéraux et nos cultures européennes d’ouverture acceptent même les différents néo-fondamentalismes, qui existent et souvent prospèrent en toute légalité dans nos pays, que cela plaise ou non à des petits esprits chagrins, étroits et inquiets devant toute pratique religieuse un tant soi peu conservatrice, visible, ou rigoriste. Attestent de cette ouverture, acceptation, et protection constitutionnelle qui sont le propre et l’essence-même des véritables démocraties libérales et de la civilisation européenne en général, les dizaines de milliers de Juifs loubavitch ultra-orthodoxes qui vivent parfaitement bien en France (et sont d’ailleurs bien plus “séparatistes” dans leurs pratiques comme le refus des mariages mixtes et des écoles publiques que ces musulmanes voilées exécrées par FBB), les chrétiens évangélistes et fondamentalistes de tous bords qui eux se comptent par centaines de milliers, les différents catholicismes intégristes, les Témoins de Jéhovah qui en matière de zèle prosélytiste font passer les Frères Musulmans pour des amateurs car eux cherchent à convertir tout le monde, pratiquent même le porte-à-porte et font cependant pleinement partie du paysage français depuis des lustres, les laïcards bigots et autres néo-républicains ou “républicanistes” autoritaires, grands falsificateurs de la laicité qui transforment la République en religion civile, tendance dont FBB fait pleinement partie et qui ne valent pas mieux que les fondamentalistes “aveuglés et endoctrinés” qu’ils dénoncent, les royalistes monarchistes qui militent pour le retour de la Royauté et donc l’élimination de la République, et bien d’autres, que notre pays avec son régime libéral généreux accueille et accepte pleinement, comme toute démocratie véritable se doit de le faire.
On remarque d’ailleurs qu’aucun de ces groupes, et la liste ci-dessus est partielle, ne gêne FBB, y compris ceux qui tout comme les Frères ont bel et bien eux aussi ce qu’elle appelle schématiquement une “VIP” (Vision-Identité-Plan universel et à long terme), comme entre autres les évangélistes voire les catho-royalistes, dont le “VIP” est lui franchement incompatible avec une République libérale comme la nôtre. Et pourtant, ils font partie de la France, expriment leur “Vision-Identité-Plan” librement, publiquement, et collectivement, et la République les accepte et protège leur “VIP” à eux aussi, tout “incompatible” qu’il est.
C’est cela, la démocratie, n’en déplaise à FBB qui déplore régulièrement que tout ce que font les Frères et “fréristes” est “parfaitement légal” et semble tellement regretter que tout ne soit pas criminalisé.
La République française, nos démocraties libérales, et la civilisation occidentale ont heureusement l’esprit (et les textes) plus ouvert que ce petit trio képelien bien trop médiatisé. Nos pays savent faire place même à des cultures religieuses et politiques comme celles sus-citées qui en contestent ouvertement les fondements, les régimes, la culture libérale, et les institutions démocratiques, car le propre de la démocratie est d’accepter également l’anti-démocratisme, la contestation et le rejet de la démocratie. Par contre, des chercheurs si peu scientifiques comme Florence Bergeaud-Blackler, Bernard Rougier, et leur mentor Gilles Kepel, avec leurs peurs, hantises et fantasmes qu’ils transforment en vulgaires sous-notions (« djihadisme/frérisme atmosphérique », “islamo-gauchisme” et autres « écosystèmes islamistes ») taillés sur mesure pour les grands média et pour stigmatiser, exclure, voire criminaliser tout musulman un peu trop “visible” à leur goût, semblent eux bel et bien déterminés à dés-intégrer nos concitoyens musulmans.
Du danger politique des faux experts et des mauvais chercheurs
Loin de produire une recherche sérieuse et fiable, Bergeaud-Blackler, Kepel, et Rougier (dont l’ouvrage de 2020 fut pour elle un prototype et une source d’inspiration revendiquée) sont en fait bien plus des agents idéologiques et politiques dont la popularité dans nos média et plus dangereusement chez nos politiques est due non pas à la qualité, à l’exactitude, à la rigueur universitaire ( y compris méthodologique), et à la fiabilité de leurs récents travaux tous au mieux faibles, pour rester charitable (Kepel fut autrefois un excellent chercheur) mais au fait qu’ils fournissent à nos média et gouvernements un prétexte et des alibis pseudo-scientifiques clé-en-main (“djihadisme d’atmosphère”, “écosystèmes islamistes”, “frérisme”, etc.) qui servent facilement et utilement de vernis et caution universitaire à des politiques islamophobes. La fonction idéologique et politique essentielle de cette petite poignée d’intellectuels, qui explique leur surmédiatisation par rapport à de bien meilleurs spécialistes, est de confirmer la nécessité de restreindre toujours plus les libertés des musulmans et de fournir des concepts justifiant le bannissement et la criminalisation de toujours plus de pratiques, tendances, écoles de pensée, individus, et groupes au sein de l’islam, pour au final ne tolérer qu’un islam dit “républicain” ou “de France”, un islam officiel, rassurant, docile, servile, invisible et quiétiste, celui qui plait à nos gouvernant et grands média et dont l’imam Chalghoumi est devenu la caricature et la version drôlatique (avec des figures publiques islamiques comme Ghaleb Bencheikh pour en représenter la version érudite inversée). La popularité médiatico-politique de cette petite caste de képeliens qui se serrent les coudes (car ils savent que leur crédibilité scientifique est désormais plus que limitée parmi leurs pairs dans l’université) est donc due principalement à leur complicité idéologique avec des gouvernants et média tous largement “islamo-paranoïaques” (Raphaël Liogier). Leur rôle est essentiellement un rôle de répression, de “sécuritisation” (Jocelyne Césari) de l’islam et des musulmans plutôt qu’un rôle scientifique de connaissance et de compréhension. Voir à ce titre les recommandations de Bergeaud-Blacker dans sa conclusion, surtout ses conseils au gouvernement, qui font froid dans le dos car si ils étaient appliqués, ils mettraient véritablement fin aux libertés religieuses des musulmans, à la possibilité même d’islams autres que celui voulu et contrôlé par le gouvernement, ainsi qu’à la laïcité française, toutes choses déjà bien mises à mal.
On vient d’ailleurs de voir à nouveau les effets toxiques de ces politiques et des mauvais chercheurs qui leur servent d’alibis scientifiques, dans le retentissant scandale du fonds Marianne avec ses pseudo-experts à la Mohammed Sifaoui. Sifaoui était sans surprise déjà auditionné lu aussi par la “Commission contre la Radicalisation Islamiste” de 2020, avec Bergeaud-Blackler, Rougier et l’autre “képelien” de ce quarteron omniprésent, Hugo Micheron (qui revient des USA en plein mode catastrophiste “threat inflation” pour agiter à nouveau, quoi d’autre, le spectre du “danger djihadiste” que bien évidemment nous dit-il nous continuons à “sous-estimer”). Comme le reconnaissent de plus en plus de chercheurs et ainsi que l’a démontré le fiasco total du fonds Marianne et au-delà du “contre-discours républicain” du CIPRD (dont le patron Christian Gravel vient de démissionner suite au scandale fonds Marianne, la honte de la démocratie française), nos gouvernements devraient un peu mieux sélectionner leurs “experts”.
Le problème en France, ce ne sont pas les musulmanes voilées ou les « tout-halal ». Ceux qui les connaissent le savent parfaitement. Le problème, ce sont des gens comme ce petit trio Kepel/Rougier/Bergeaud-Blackler qui depuis trop longtemps tient le haut du pavé dans les grands média français et dont l’énorme « surface médiatique » est inversement proportionnelle au sérieux de leurs thèses éronnées, à la crédibilité scientifique de leurs grossiers concepts, et au crédit que leur accordent leurs pairs, chercheurs et universitaires spécialisés sur l’islamophobie, l’islamisme, l’islam et les musulmans en France et dans le monde. C’est-à-dire désormais pas grand chose.