Comment redonner espoir aux petites filles dont la vie ne ressemble pas aux récits antiracistes et/ou féministes de Netflix ? Celles pour qui le malheur quotidien ne cesse pas parce que la petite princesse est tellement forte et merveilleuse qu’elle dépasse toutes les oppressions générées par une société injuste en trois épisodes.
C’est une question que se posent beaucoup de parents aujourd’hui. Parce qu’ils sont pauvres et que leurs enfants vivent la stigmatisation sociale et la privation de consommer tous les jours, et de pire en pire. Parce que juste un livre pour enfants de temps en temps, c’est déjà un effort et que leurs filles se comparent forcément avec celles qui ont tout. C’est aussi une question qui touche toutes les mamans dont la fille n’est pas une petite Barbie -même racisée, mais est impopulaire parce que trop grosse, pas assez valide, trop timide. C’est surtout une question que se posent souvent les parents qui sont absolument désolés de ne pas correspondre aux modèles de parentalité des réseaux, ceux qui n’osent pas inviter d’autres enfants pour l’anniversaire des leurs, ceux qui refusent toujours que leur gosse parte en vacances chez d’autres parce qu’ils ne pourront pas renvoyer l’ascenseur. Ceux qui se sentent tout simplement trop différents dans une société où la liste des différences positives est établie de manière exhaustive par le gouvernement et la plupart des gens.
L’histoire de la sage Sofia, petite fille musulmane est de celles qui sont faites pour ces familles là. Sofia est une petite fille qui n’a pas de marraine fée qui débarque pour l’emmener au bal, pas de pouvoirs magiques pour être acceptée comme elle est par les petites harceleuses favorisées des cours de récréation. Sofia n’est pas une petite princesse orientale, et pas non plus une petite fille en butte à la méchanceté raciste de son pays la journée, MAIS une super héroïne la nuit.
Sofia est juste une petite fille, dont la famille est pauvre et stigmatisée. Une petite fille qui n’est la bienvenue nulle part dans une ville hostile, où elle essaie vainement de cacher sa particularité. Mais de l’école aux magasins, ça ne marche pas. Partout, des règles injustes sont appliquées contre Sofia non par des ogres terrifiants ou des lutins maléfiques mais seulement par des personnes normalement islamophobes qui voient l’Ennemi même et surtout chez les enfants musulmans, parce que les enfants sont l’Ennemi qu’on peut humilier immédiatement. Sofia n’est même pas tranquille et rassurée en famille, parce que même la figure la plus respectable d’une famille, le Grand Père, protecteur, doux et exemplaire est méprisé par la société qui l’entoure. Sofia n’a pas vraiment non plus de maison à elle, car une maison à soi est une maison où la porte se ferme. Dans le quartier où vit Sofia, les portes sont ouvertes en pleine nuit, dans un ballet angoissant de sirènes et de lumières rouges.
Pour être comme les autres, Sofia fait une bêtise. Et tout devient pire. Ou pas, car certes Sofia est une petite fille aux allumettes, triste et persécutée, qui n’a pas de solutions miracles pour en sortir .
Sauf son cerveau et son cœur, et la sagesse accumulée par les siens, ceux d’un très lointain passé et ceux du présent. L’histoire de la sage Sofia est donc celle de gens qui pensent et qui aiment. Dans un monde où peu le font. Et où peu peuvent donc apprécier la Vie. Sofia et sa famille ont cette richesse et cette force là et c’est donc une histoire fabuleusement optimiste.
Évidemment, dans ce livre là, l’Optimisme s’appelle Islam. Et malheureusement, comme la France ressemble au pays où vit la sage Sofia, beaucoup d’enfants tristes n’auront jamais accès à la littérature musulmane pour enfants. D’abord parce qu’elle se trouve principalement dans les librairies musulmanes et que tout le monde pense que les librairies musulmanes sont seulement intéressantes pour les musulmans. Et que les autrices musulmanes pour enfants font exprès de ne pas vendre leurs livres dans les librairies ordinaires, parce qu’elles ne voudraient pas que des enfants qui lisent des contes de Noël ou des fables avec des dieux éléphants touchent à leurs livres à elles. Ce n’est rien de cela. C’est simplement l’islamophobie qui sépare tout ce qui est musulman du reste de la société. Et pire, le décrète laid et dangereux pour les enfants. Comme ces livres où le visage des personnages n’est pas dessiné, ce qui dans les contes de bonne femme obscurantistes des plateaux télé est réputé provoquer des troubles graves . Toute personne censée ayant chez soi des pantins en bois sans visage, et ayant essayé de donner un livre comme cela à ses enfants aura constaté le réel: l’enfant s’identifie à son personnage préféré, et souvent dessine lui-même les yeux, la bouche, et surtout les sourires ou les larmes selon l’interprétation qu’il se fait du récit. Ou alors, il ou elle se contente de parler de la couleur des robes, du ballon ou de la gentillesse du papa et de la maman de l’histoire.
De même, la petite fille qui lit la sage Sofia ne deviendra pas musulmane si elle ne l’est pas déjà. Elle sera juste moins malheureuse parce qu’elle espérera à partir de préceptes musulmans, comme elle le ferait à partir de morales sur le courage, l’obstination, la patience, l’empathie ou la capacité à voir la bouteille à moitié pleine, tirées de n’importe quelle tradition populaire .
Avec un peu de chance, même, la lecture du livre permettra à certains parents de progresser énormément et de comprendre que devenir musulmane ne serait pas forcément un immense drame pour leur fille.
Avec une immense retenue, beaucoup de poésie et d’apaisement, c’est en effet un des messages que délivre ce livre. L’absurdité d’une société horriblement triste, où même les méchants et les dominants sont malheureux, une société bloquée dans une persécution intemporelle, une société qui ne peut pas avancer, parce qu’elle ne cherche jamais l’aide des petites filles intelligentes, imaginatives et volontaires et au contraire les rejette dès leur plus jeune âge.
Les sages Sofia grandissent quand même et deviennent des autrices ou des enseignantes talentueuses ou les deux. C’est le cas de Nibel Seddoud Le cahier pédagogique qui accompagne l’ouvrage est accessible même aux parents qui ont des difficultés à aider leurs enfants à faire leurs devoirs parce que ce n’est pas leur métier.
La sage Sofia – inspiré des sagesses d’Ibn Ata Allah – Nibel Seddoud – Al Bayyinah