"Je n'ai pas vécu la liberté, mais je l'ai écrite sur les murs" (la révolution syrienne)

Pendant ce temps, sur Israël (4 – Antifascist Defense Force, Division Hegel)

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Début septembre, nous sommes allés faire un tour du côté d’Israël, voir et comprendre ce qui se jouait là bas en terme de révolutions. Huit mois de manifestations consécutives, c’est quand même quelque chose, pourquoi donc ces manifs, ce mouvement, ce pays? Evidemment on ne savait pas que ces chroniques deviendraient une photo d’histoire figée juste avant les attaques terroristes du 7 octobre 2023. Voici la quatrième chronique ici,
Les autres sont à retrouver là:
1 – l’aterresaintissage
2 – des vapeurs
3 – Shabbat à Kaplan Street
4 – Antifascist Defense Force, Division Hegel
5 – Les mots de la femme
6 – Si il y avait une constitution et qu’à Jérusalem il y avait la mer
7 – Gog et Magog
8 – Falafel Final

Le lendemain je profite de la matinée pour aller découvrir ce que les Israéliens appellent Schnitzel. Je connais de Vienne mais la version Israélienne je ne connais pas, et je me dis qu’entre l’histoire des juifs en Autriche et celle de la migration culinaire en Israël la version a du quelque peu changer.

Et bien c’est vachement bon… (aussi j’ai demandé pimenté et ici le pimenté c’est du vrai pimenté, pas comme au Liban.)

L’après-midi je retrouve à l’hôtel mon ami barbu au nom de prophète. C’est lui qui fut mon guide lors du « pub-crawl », qui m’avait dit qu’il serait à Kaplan et j’en profite pour l’interviewer un peu sur le mouvement (Il parle anglais, je traduis ici) …

« J’ai commencé les manifestations à la fin du mois de janvier. J’y suis allé en famille avec ma sœur et son mari. J’ai passé la barricade pour aller bloquer l’autoroute et j’ai été le premier arrêté. Depuis je fais toutes les manifs, et même deux fois par semaines quand il y en a. Celles du ‘days of disruption’. Ça me prend énormément de temps, j’ai mis tous mes projets en pause ». Il fait un master d’histoire après cinq ans à l’armée.

« J’ai été arrêté et blessé. Je suis entré au parlement aussi, en juillet, j’ai été arrêté aussi à ce moment-là. Regarde, j’ai eu Taly Gotlib ! » Il me montre la vidéo où il est dans une des salles de la Knesset en train de perturber une réunion et de se faire maitriser et dégager par les services de sécurité. C’est très drôle parce que justement la veille David m’a parlé précisément de cette députée-là !

Il a créé son groupe sur les réseaux sociaux pour s’organiser pour aller bloquer l’autoroute à la fin de la manif. L’idée est de pousser un peu plus loin la contestation mais sans déborder. « A step further but non-violent ». « We need to achieve … (il cherche le mot en anglais) awareness ». Eveiller les gens à ce qui se passe. « Interférer dans l’espace public » c’est sa doctrine de non-violence. « Si on descend dans la rue et qu’on brûle Tel Aviv c’est contre-productif ! » La manifestation de Erythréens qui a eu lieu la veille a servi de contre modèle. Le gouvernement veut les renvoyer en Erythrée, ils n’ont pas le choix. La manif a dégénéré et fait de nombreux blessés« Nous on doit perturber (disrupt), c’est non-violent. Il y a pleins de recherches qui montrent que c’est plus efficace ».

En dehors des fameuses études (que je n’ai pas encore eu le temps d’aller retrouver) il y a plusieurs éléments qui permettent la non-violence à prendre en compte. D’abord le fait que les manifestants maitrisent parfaitement la violence puisqu’une immense majorité d’entre eux est passé par l’armée. Il m’a montré une vidéo d’une de ses arrestations, la maitrise est parfaite. Il évite les prises qu’il connait, se laisse emmener les bras tout à fait raides et les paumes grandes ouvertes. Il me raconte aussi la fois où il a manifesté à Jérusalem et des types d’extrême droite sont venus les frapper. Si la police ne l’avait pas retenu lui et son ami ils les massacrait.

Le deuxième élément qui permet la non-violence c’est aussi qu’on est dans une ville d’un minuscule pays ultra connecté. Il y a des vidéos de tout et la moindre violence policière est filmée. Comme d’habitude. Mais là où ça fait la différence, c’est que l’ultra connexion et le petit pays fait que la vidéo de la violence policière arrive dans les mains de la victime immédiatement, qui peut se défendre en justice avec (aidé par une association d’avocats qui font du pro-bono pour défendre les manifestants).

Troisième élément, et non des moindres, la Police est véritablement bisounours (« Oh, we are pussies » me-dit-il quand on parle comparaison avec la France). Moins violente parce qu’ils ne sont pas fondamentalement contre le mouvement de protestation et qu’ils n’ont pas cette rage de vouloir casser du gauchiste à chaque manif. Et aussi moins violente parce qu’en face, encore, ce sont des gens qui ont fait l’armée et qui savent parfaitement ce que c’est que d’avoir le monopole de la violence légitime, et que les flics n’ont aucune envie d’avoir ni la bataille du monopole ni celle de la légitimité…

C’est d’ailleurs le moment où le gouvernement s’en est pris à l’Armée que ça a galvanisé le mouvement. Le 26 mars, Netanyahu limoge son ministre de la Défense Yoav Gallant, qui venait de demander une pause dans la réforme judiciaire. Gallant est préoccupé par le nombre inquiétant de jeunes et des réservistes qui refusent le service et la grogne dans l’armée en général, qui refuse de défendre un Israël non démocratique. Netanyahu vire Gallant et là, c’est tout Israël qui descend dans la rue. On ne vire pas le ministre de la Défense d’un pays en guerre, ça touche à la sécurité des citoyens. Ce moment-là est absolument historique et tous les militants m’en ont parlé comme d’un tournant, surtout d’une apogée du mouvement.

« C’était dingue, on a brulé des feux sur l’autoroute pendant 6 heures ! » (Quand il me dit ça je ne peux m’empêcher de penser au Liban qui fait pareil). « On a forcé Bibi à négocier ». De fait Netanyahu (qu’ici on appelle « bibi ») a été obligé de réintégrer Gallant séance tenante pour calmer le pays, et d’annoncer une pause dans la réforme. « Depuis c’est l’équilibre » me dit-il car le mouvement, rompu aux manœuvres politiciennes de Netanyahu depuis 12 ans n’a pas du tout confondu « arrêt » de la réforme et « pause » de la réforme et tout le monde se doutait bien qu’ils allaient reprendre.

« Maintenant c’est plus calme parce que c’est les vacances [parlementaires] ».
Il ne souhaite pas non plus nécessairement renverser Netanyahu. « Ils ont voté » me dit-il en parlant des électeurs de Netanyahu (et des électeurs en général), et le vote est pour lui un des fondamentaux de la démocratie avec cependant deux autres bienvenus : « the ability to change the ministers, and checks and balances » : l’équilibre des pouvoirs.

Haaretz a fait un shéma de la crise constitutionelle

En Israël qui n’a qu’une chambre parlementaire, la seule institution permettant d’équilibrer les pouvoirs est la Cour Suprême. « Mon job c’est de leur montrer qu’on les soutient. Ils doivent annuler la législation ! La cour Suprême ils ne sont pas politiques. Enfin s’ils sont politiques, tout le monde est politique mais ils ne sont pas politiciens je veux dire. »

La crainte est évidemment que sans contre-pouvoir, le gouvernement des fous fasse passer n’importe quoi. L’idée de la législation est d’enlever le pouvoir de la cour suprême parce que les ministres fascistes trouvent que on n’a rien le droit de faire (suite logique et radicale du On Peut Plus Rien Dire).

« Ben Gvir est un type fou, messianiste qui veut faire des trucs de fous. Des lois discriminatoires, la séparation des hommes et des femmes, l’annexion de la Judée Samarie… C’est la première fois qu’on a des colons au gouvernement. Ils ont une vision. Et leur vision est différente de celle d’Israël normal. Ils veulent une théocratie, Israël avec un Temple… » Je rigole, pas parce que je ne le crois pas mais parce que ça semble totalement surréaliste. « Tu vois toi-même tu rigole mais ils sont très sérieux, ils ont un plan ».

Il sort un livre en hébreu et me le montre. C’est un type qui a écrit sur le projet des sionistes religieux. « The Donkey and the Messiah » C’est le titre du livre. « Parce que les juifs pensent que le messie reviendra sur un âne. Ici l’âne, c’est nous, les juifs laïcs, et eux veulent faire venir le messie sur notre dos. Ils ne se contentent pas d’attendre le messie comme des religieux, ils veulent activement préparer sa venue sur terre. ». Le livre est de Sefi Kholevsky analyse la doctrine du Rabbi Cook qui veut activement amener le Messie par l’autoémancipation.
« It’s revisionist Zionism with religious aspects ». Du sionisme révisionniste avec de la religion. « Ils se basent sur deux choses : la corruption et la religion ».

Dans la vision religieuse, il n’y a pas de Tel Aviv. Le Juif dans les vieux textes il vient des montagnes. Leur rêve c’est l’annexion de la Cisjordanie, ça veut dire apartheid.

En Israël, en fait ça ne passe pas. L’âne, qui fait l’économie et qui meurt à la guerre, n’a aucune envie de porter un messie fondu et inutile. « L’hégémonie est la gauche libérale. La droite se sent non représenté. Le seul pouvoir qu’ils ont c’est le gouvernement. » David m’avait dit pareil la veille. Tous les piliers de la société sont de gauche libérale (ou centre gauche), la droite et l’extrême droite n’a que le gouvernement, dont les pouvoirs sont encore limités par la cour suprême. D’où l’argument fallacieux mais le sentiment bien réel pour l’extrême droite d’être injustement mal représenté en n’ayant « que » le gouvernement. En face, Kaplan, le mouvement de protestation ce sont les avocats, les militaires, les médias, la finance, la tech.
« Je sais bien que c’est une bataille entre élites. Moi je dois être un peu une sorte de mercenaire dans cette bataille. J’ai lu Hegel, je suis un syncrétiste. Je dois me brainwash moi-même. Je sais très bien que Kaplan est une grosse part de lavage de cerveau mais j’ai besoin de me laver le cerveau avec ça. »

« J’ai commencé avec le mouvement Balfour durant le COVID. J’ai vu que Netanyahu était toujours réélu, ça m’avait dégouté. On a une mentalité de pays du tiers monde : il nous faut un leader fort, un patriarche, un père etc.
Aujourd’hui on a des extrémistes au gouvernement parce que la gauche, enfin la gauche, y’a plus de gauche, parce que les centristes ne peuvent simplement pas s’asseoir dans la même pièce ».

L’enjeu est aussi ça. Les politiques ne peuvent plus se sentir, les citoyens sont ultra clivés après 5 élections, les extrémistes sont complétement fous et Netanyahu veut juste échapper à un procès. « Bibi est le principal danger d’Israël. Plus que le Liban, plus que le Hezbollah, le Qatar, le Hamas ou le Fatah. Il est prêt à brûler son propre pays pour sauver ses fesses d’un procès ».

« Maintenant c’est le climax. Plus personne ne sait où va ce pays. »

J’ai l’impression, toute personnelle, que c’était déjà le climax avant et que ce sera encore le climax après, et même que c’est le climax depuis un bon moment.

« Si la cour suprême dépose Bibi c’est la guerre civile. S’ils ne font rien c’est la fin d’Israël »
– Et si ça ne marche pas ? je demande. Si le mouvement échoue et qu’ils passent quand même ?
– Alors il n’y a plus rien à faire et je partirais de ce pays. »

Comme le sujet ne vient pas j’aborde la question de la P. « et alors, pour l’autre côté de la frontière ?
– Si la droite gagne, on est en ligne directe pour un apartheid. Un apartheid plus que maintenant je veux dire. Maintenant les militaires arrêtent quand même les colons quand ils commettent des crimes. »

« Les religieux veulent la Cisjordanie. Dans la vision religieuse, il n’y a pas de Tel Aviv. Le Juif dans les vieux textes il vient des montagnes. Leur rêve c’est l’annexion de la Cisjordanie, ça veut dire apartheid. S’ils annexent, la seule solution pour avoir un « état juif » c’est l’apartheid. »

Il espère qu’un des leaders du mouvement ira en politique. Moshe Radman ou Shikma Bressler « la jeanne d’arc ». Mais l’occupation reste un tabou. « A la fin il faudra y faire face. Je ne suis pas naïf, je suis pour la sécurité d’Israël, on doit pouvoir se défendre, mais je pense qu’on peut vivre dans une prospérité mutuelle. Ça n’arrivera jamais avec les autres. »

J’ai une image ultra cliché qui me vient en tête et je demande si vraiment on est dans un conflit entre Tel Aviv et Jérusalem.
« Mais totalement. A 100% c’est ça. Jérusalem est une cité faillie (failed city), subventionnée par l’état. Tel Aviv c’est ouvert, libre, libéral, LGBT, immigré. Tu peux aller à la Synagogue ou faire la fête. Jérusalem est une municipalité ratée. »

En gros pourquoi est-ce que Tel Aviv qui assure la jeunesse (militaire) et l’économie devrait payer et mourir pour que des dingues aillent étudier la torah dans des colonies au milieu des Arabes ? En plus de vivre sous perfusion des subventions publiques, les religieux sont exemptés de service militaire.

« Je suis pour l’état providence mais la Torah n’a jamais dit que tu pouvais pas aller travailler pour gagner ta vie en fait. Si tu veux 10 enfants va gagner ta vie, les libéraux en ont 3. Garde le mode de vie Haredi mais va bosser ».
« Il y a deux populations privilégiées en Israël, et ce ne sont pas les blancs ashkénazes, la plupart se sont fait tous seuls, ils ont les privilèges parce qu’ils ont bossé pour. Les deux populations vraiment privilégiées : les juifs orthodoxes qui ont pleins de subventions, et les colons. Par exemples dans les colonies t’es payé 13000 au lieu de 7000 parce que tu travailles dans une ‘zone dangereuse’.

« Et tout ça, ça vient aux dépends de l’éducation. A Dimona, Ashkelon, Beer-Shev’a, Ça vient aux dépends de l’éducation dans les quartiers pauvres de la périphérie. »

En plus ce gouvernement est absolument et radicalement incompétent « Ils ont célébré le fait que les écoles aient pu ouvrir à la date prévue. T’imagine ? rien sur l’éducation, les profs, les programmes, juste on a réussi à faire la rentrée dans les temps ! »

Je ne peux m’empêcher de penser à une autre classe d’incompétents d’un autre pays, dans le même domaine et dans le même style…

On parle un peu islamophobie. Oui je présente LDC, donc je dis le mot Islamophobie. Sans surprise il est très virulent contre la Sharia, les fascistes islamistes qui sont les mêmes que ses religieux orthodoxes etc. Mais bon, il voit bien le problème démocratique dès lors qu’on empêche les gens de faire des associations ou de pratiquer leur religion tranquille sans déranger personne.

De lui-même il me parle du fait qu’on empêche les jeunes filles d’aller à l’école, ça en revanche, ça le révolte particulièrement…

Prochain épisode: 5- Les Mots de la Femme

Activist, master in History, master in War Studies, spare time freedom researcher, reggae DJ and revolution writer. bloqué par Nadine Morano

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