Début septembre, nous sommes allés faire un tour du côté d’Israël, voir et comprendre ce qui se jouait là bas en terme de révolutions. Huit mois de manifestations consécutives, c’est quand même quelque chose, pourquoi donc ces manifs, ce mouvement, ce pays? Evidemment on ne savait pas que ces chroniques deviendraient une photo d’histoire figée juste avant les attaques terroristes du 7 octobre 2023. Voici la sixième chronique ici,
Les autres sont à retrouver là:
1 – l’aterresaintissage
2 – des vapeurs
3 – Shabbat à Kaplan Street
4 – Antifascist Defense Force, Division Hegel
5 – Les mots de la femme
6 – Si il y avait une constitution et qu’à Jérusalem il y avait la mer
7 – Gog et Magog
8 – Falafel Final
Entre Jérusalem et Tel-Aviv (ou plutôt entre Tel-Aviv et Jérusalem) il y a un train. Le voyage entre les deux villes prend 37 minutes…
La gare de Tel Aviv ne ressemble pas à grand-chose. Quelque chose entre la gare de province et la station de RER. Pour y aller il faut passer par les aspects moins rutilants de Tel Aviv. En clair les quartiers où on met les noirs et les junkies.
A Jérusalem en revanche, c’est tout l’inverse. On arrive dans un immense tunnel, sorte de cordon ombilical sensé vous propulser dans le ventre de Dieu…
Après une série de 4 escalators flambants neufs, dont les murs sont ornés de photos en hommage au génie humain bâtisseur qui a accompli cette œuvre, on arrive dans un quartier en pleins travaux, au milieu des grues, du tramway, et des juifs religieux. « Entre tradition et modernité » dirait le spot publicitaire des années 90 qui irait sur l’image.
Jérusalem n’est clairement pas, à première vue, moins américaine et consommatrice que Tel Aviv. Résolument plus moyen-oriental par contre. Autre point notable de différence, ici les vieux peuvent circuler sur les trottoirs. Et enfin, si je n’ai eu aucun mal (grâce à mon flair légendaire) à me réfugier dans un « art café », havre de hippie wokistes sirotant du mokkaccino en travaillant sur leurs portable, cette ville demeure clairement celle des religieux.
Je mangeais une pizza (végétarienne) en buvant un coca cola (casher) à une terrasse, lorsqu’un jeune en blanc et noir avec la raie sur le côté rangée sous la kippa s’assoit à la même table en demandant « can I sit here ? » sans attendre la réponse. Je pense qu’il emploie directement l’anglais car il me prend pour un touriste mais j’apprends plus tard en l’entendant réserver un « back massage » au téléphone qu’il ne parle qu’anglais. A peine assis il envois rouler un énorme molard en pleine rue sans vraiment de considération pour ma dégustation de pizza pourtant casher.
Bientôt rejoint par un pote, puis trois autres, c’est moi qui suis désormais invité à manger ma pizza sur ma table au milieu de jeunes juifs, kippa noir, chemise blanche, pantalon noir.
Je pars en disant bye, il répond un « nice meeting you » tout à fait sincère et bienveillant…
Je comprendrais plus tard d’où ils sortent et pourquoi ils sont aussi nombreux dans cette ville qui leur appartient…
« Mais du coup, lui il est pour la réforme judiciaire ? » Rakel avait explosé de rire. « Je sais pas ». Lorsqu’à la fin de notre entretien je lui avais demandé si elle connaissait des gens de l’autre camp, elle m’avait donné ce contact. Elle lui avait même écrit spontanément sur WhatsApp, ce qui était déjà suspect, vu à quel point normalement un camp ne parlait pas à l’autre.
Et effectivement Cyril était suspect.
« Je suis ni de droite ni de gauche. Je dirais plutôt que je suis et de droite et de gauche pour refonder la vraie démocratie, parce que la démocratie représentative ne représente pas le peuple ».
Ça faisait clignoter toutes mes alertes au rouge écarlate, mais on n’était pas en France place de la République à Nuit Debout. On n’était même plus vraiment en Israël, on était à Jérusalem, citée des milles messies, et cela changeait tout, sensiblement…
Cyril a fait son Alya il y a 26 ans. Arrivé de France. Ils sont venus chercher cet ingénieur informatique dans une campagne de recrutement d’Intel et il a dû travailler directement avant même d’apprendre la langue. Au bout d’un mois ils ont arrêté de lui parler anglais et il a appris l’Hébreux…
« Mais je me suis aperçu que je ne me réalisais pas là-bas. Impossible de donner des idées hors du cadre. ». Cyril a une idée de solution pour tout. Littéralement, tous les problèmes qu’il appréhende comme un ingénieur
« J’ai monté un mouvement citoyen en Israël : Maspik ! ‘Ça suffit’.
Le but est d’encourager les citoyens à s’unir dans la diversité. On n’est ni de gauche ni de droite ou plutôt et de gauche et de droite en simultané. »
Je suis évidemment dubitatif
« Tu connais le Rav Leon Ashkenazi ? C’est la voie du milieu »
Je ne suis pas moins dubitatif avec un Rav…
« On se place au milieu de ce conflit. Les deux côtés exagèrent grandement. Les torts sont partagés. Attention, ça ne signifie pas que les torts sont égaux » (il insiste grandement là-dessus, c’est important)
On est face à deux camps qui prennent en otage leur population qui vivent une sorte de syndrome de Stockholm. Ceux pour Netanyahu veulent seulement Netanyahu alors qu’il ne fait absolument rien pour eux. Et en face les autres sont pareil. » Pour lui « les autres » sont Lapid et Gantz. Mais le mouvement me semble déjà très loin des politiques en course.
Il a aussi une autre vision du gouvernement. « Ce gouvernement n’est pas un gouvernement d’extrême droite. Il y a une partie centre droit, une partie extrême droite, une partie gauche aussi, avec le Shas » (Le Shas de gauche, je ne sais pas trop. Pour lui c’est la gauche puisqu’ils s’occupent des classes populaires séfarades… On mettra ça dans la catégorie « Moyen-Orient-Compliqué »).
Pour Cyril, de toutes façons, ce n’est pas une vraie démocratie. « Pour la démocratie il faut trois choses. Un, la volonté majoritaire, deux les droits de l’homme, trois les libertés individuelles. » Ce sont ses trois piliers. Je remarque qu’en matière de démocratie on a tous nos piliers. Fragile construction, tu enlèves disons la simple liberté d’association et tout s’écroule…
« Aujourd’hui Israël n’est pas démocratique. On vote et ensuite ils font ce qu’ils veulent avec. Le problème est là, imaginons que les autres ne veulent pas mettre une dictature et ça permet de voir le problème ». Cyril n’aime pas la démocratie représentative.
« Ça remonte à la première Knesset. Ils devaient créer une assemblée constituante mais ils n’ont jamais réussi à se mettre d’accord. Alors ils ont fait des lois fondamentales à la place [qui devaient être les chapitres d’une future constitution]. Mais ils n’ont jamais fait de loi qui définisse ce qu’est une loi fondamentale ! »
Netanyahu et ses acolytes font passer leur réforme judiciaire pour une loi fondamentale et déclarent que la Cour Suprême est incompétente pour retoquer une loi fondamentale qui lui enlève ses pouvoirs. Et hop : crise constitutionnelle (ou plutôt crise fondamentale car, on le répète, Israël, n’a pas de constitution)
« Normalement la Cour Suprême ne s’est jamais ingérée dans une loi fondamentale » m’explique Cyril. « La Cour Suprême s’est octroyé ces droits en 1995 grâce à la jurisprudence d’Aharon Barak et le Jugement Mizrahi. » Ce nom vient du nom de la banque Mizrahi qui était la banque des Kibboutzim et qui s’est retrouvé en défaut de paiement. Le gouvernement a effacé la dette et la Cour Suprême a validé cette décision. Depuis cet arrêt, les lois fondamentales sont considérées comme supérieures aux lois ordinaires et la Cour Suprême s’est octroyé un droit de regard dessus.
« La cour suprême a des tendances très à gauche. Sur cette base ils valident la dérive de l’Etat ! Avant cette décision, Israël était une démocratie ! » (J’oppose que pour moi l’annulation de la dette n’est pas forcément absolument une si mauvaise idée selon les cas. En fait Cyril est d’accord avec moi, il trouve que c’est très bien mais… ils n’avaient pas le droit de le faire.)
« La Cour Suprême s’est attribué le droit d’invalider des décisions du gouvernement. Tous les hommes politiques on (sauf l’extrême gauche) considéré que c’était un problème. »
Depuis, Cyril trouve que la Cour Suprême a bien assez de pouvoir et que les laïcs ont déjà tout ce qu’il faut. « Ils ont fait reconnaitre le mariage civil déjà. Tu peux faire une cérémonie laïque et ensuite faire faire une reconnaissance, c’est comme un mariage civil alors pourquoi demander un mariage civil en plus ? »
Son idée c’est qu’on peut très bien tous vivre ensemble si on accepte des accommodements raisonnables.
« Une constitution en Israël c’est tout à fait possible ! Mais en hébreux le mot c’est Khouka et pour les religieux ça signifie que ça va remplacer la Torah ». Il suffirait qu’ils arrêtent de s’obséder là-dessus ou qu’on prenne le temps de leur expliquer.
« Les laïcs ont l’impression de vivre dans une oppression religieuse constante. »
Cyril m’explique que les religieux, à Tel Aviv, s’opposent au passage du tram dans leur quartier les jours de Shabbat. Je trouve ça totalement hallucinant et véritablement ingénieux. Tu vas coloniser en plein Tel Aviv et tu exiges que les transports publics ne passent pas dans ton quartier le jour de Shabbat. Soit on détourne le Tram soit on l’arrête sur toute la ligne et plus personne ne peut bosser ni se déplacer.
« Les laïcs sont persuadés que les religieux veulent les rendre religieux alors que pas du tout ! Ils ne veulent juste pas financer certaines choses avec leur impôt »
« Ils ne veulent pas que leurs impôts servent à faire fonctionner les transports publics le jour de Shabbat. De l’autre côté aussi ils ne veulent pas que leurs impôts servent à financer les colonies. En fait pour accommoder tout le monde on pourrait très bien faire que les gens pourraient choisir que 5% de leur impôt n’aille pas là où ils s’opposent. »
Il a calculé précisément le détail des reversements et réattribution de tous les pourcents que je ne reproduis pas ici… En fait je suis réellement fasciné par sa volonté à vouloir trouver des solutions pratiques à tout. Juste la démarche me semble résolument louable. J’ai eu l’occasion de croiser des chouaristes prétendument passionné de constitution (qui solutionnaient tout à coup de « Tirage au Sort », des « je ne suis ni de gauche ni de droite » et des « on est pas dans une vraie démocratie ».) Aucun n’a jamais pris la peine de chercher des solutions concrètes qui conviennent à la pluralité des parties.
« Je ne suis pas anti-Netanyahu je suis anti-tout. Netanyahu est pas du tout hors norme, malgré la rumeur qui décrète qu’il a un QI supérieur. » (Je ne connaissais pas cette rumeur…)
« A mon avis il ne veut pas la faire cette réforme judiciaire. Il a été discuter avec Histadrout, (c’est un syndicat monopolitique qui date de l’empire Ottoman, c’est un des fondements de la gauche de ce pays) et il leur a demandé d’organiser une grève générale ! C’est un manipulateur de la mort et personne ne s’en rend compte ! »
(Difficile de savoir. Histadrout et Netanyahu démentent. Par ailleurs le fait de se coordonner sur certains aspects entre un immense syndicat qui lance une grève générale qui va bloquer tout le pays et le premier ministre dudit pays qui va se retrouver totalement bloqué n’est pas non plus de la science-fiction. Et Netanyahu est bel et bien, factuellement et vérifié, un manipulateur de première qui trompe tout son petit monde.)
« Gantz aussi est idiot. Il a demandé à être premier ministre c’était débile, c’est la seule chose que l’autre ne pourra jamais lui accorder »
Cyril, s’il minimise beaucoup les divisions, ne minimise pas du tout le sérieux de la situation. « C’est très dangereux. Cinq élections ça a fait monter le conflit et la haine entre les gens, à aucun moment on n’a eu le temps de revenir aux relations normales. S’ils étaient moins civils ça partirait en guerre civile »
Il ne croit pas à la volonté des ‘autres’ (le gouvernement de Netanyahu) de faire une dictature. « Ils sont persuadés de perdre les élections. Ça serait idiot de faire une dictature pour que ce soit les autres qui en bénéficient ». Je ne suis pas hyper convaincu. Pour moi lorsque les fascistes perdent les élections peu de choses les empêchent de déclarer qu’ils ont en fait gagné et qu’ils ne reconnaissent pas leur défaite.
« S’ils annulent les élections, tout le monde descend dans la rue. Regarde Netanyahu quand il a voulu virer Gallant » (Lorsque Netanyahu a voulu limoger son ministre de la défense tout le pays est descendu dans la rue)
Bien, bien, je note quand même que merci la manif de rappeler les lignes rouge à pas franchir n’est-ce pas.
« Je pense qu’il l’a fait exprès » (Selon lui, Netanyahu a fait exprès de limoger son ministre de la défense et d’ailleurs il l’a réintégré juste après) « Ce sont tous des manipulateurs et du théâtre ».
« Même la loi qui supprime la clause de raisonnabilité ne sert à rien. La Cour Suprême peut faire exactement la même chose en utilisant une autre clause. La crise c’est s’ils annulent cette loi. »
Selon Cyril, la Cour Suprême pourrait utiliser le Conseiller Juridique du gouvernement. Cet « Attorney General » a un avis contraignant. Il est nommé par le gouvernement mais dans le cas présent il a été nommé par le gouvernement précédent et il s’oppose à la réforme.
Je demande si Netanyahu n’est pas sensé aller au tribunal à un moment donné.
« Mais il y est ! Simplement les charges contre lui sont extrêmement faibles. Je ne le défends pas je pense qu’il est totalement corrompu, comme tous les hommes politiques. Mais les témoins contre lui ont subi des pressions, tout ça c’est de la manipulation.
Un petit point, à ce stade du récit, me semble nécessaire pour expliquer un peu ce qu’est le conspirationnisme au Moyen-Orient (à défaut de pouvoir expliquer en quoi consiste l’anticomplotisme en Europe). Ici le conspirationnisme est une réalité. Pas par race ou culture, simplement par dictature. Les hommes politiques sont réellement tous corrompus, à un niveau bien différent. Les citoyens sont aussi à la fois beaucoup plus habitués à la corruption et beaucoup plus choqués des petits arrangements du quotidien qui se voient plus.
La guerre et la sécurité nuisent à la démocratie c’est une évidence. L’Etat d’Urgence aussi, on oublie de le rappeler, et de la même manière la pseudo “guerre contre le terrorisme”. Ça permet tout naturellement de mettre en « sécurité » et en « confidentiel » les petits arrangements de marché public, les « défense d’entrer » à la presse, les « secrets défense » dans les notes de frais, et les arrangements et remerciements d’un dirigeant démocratique ‘antiterroriste’ avec un dirigeant ‘antiterroriste’ non démocratique. Les dirigeants prennent leurs aises et l’état d’exception va aller manger autant le social que le sociétal, les passe-droits sous couvert de « confidentiel sécurité » s’appliquant à tous les domaines possible, social, sociétal ou sociétotal.
Les dirigeants sont très confiants dans la croyance que les citoyens les soutiendront dans leur effort de guerre consistant à faire ce qu’ils veulent sans droit de regard. Ce qui est le cas, la plupart du temps, mais ce qui n’empêche pas les citoyens, esprits bêtement complexes, de ne pas être dupes et de réussir à penser en même temps « merci pour la sécurité » et « dégagez tous bande de pourris ».
« Netanyahu empoisonne la vie politique aujourd’hui, je suis pour qu’il quitte » me dit Cyril. Il croit que les manifestants de Kaplan sont restés coincés sur le sujet Bibi or not Bibi et qu’il serait simple de se remettre d’accord. « On pourrait très bien imaginer un gouvernement Lapid plus Gantz plus Likoud, tendance centre droit centre gauche. »
Il assimile les manifestants à l’opposition politique et croit naïvement que mettre Lapid et Gantz au gouvernement contenterait les manifestants. Je dis naïvement, je n’en sais rien. Ce que je sais c’est qu’aucun manifestant ne m’a jamais semblé d’un enthousiasme débordant pour des vieux hommes politiques responsable de la crise actuelle, pas autant que Netanyahu mais pas très loin.
« La vraie extrême droite, c’est Smotrich ». Me dit quand même Cyril, pas naïf au point de ne pas voir le danger fasciste.
Belazel Smotrich, ministre des Finance. Le gars me terrifie. C’est un colon en Cisjordanie qui vit dans une colonie illégale et qui a construit sa maison illégalement en dehors du périmètre de la colonie illégale… Arrêté en 2005 par le Shin Bet en possession de 700 litres d’essence avec lesquels il comptait “protester” contre le retrait de Gaza, il est « fièrement homophobe » comparant les homosexuels à des bêtes. Il est le fondateur de « Regavim » une organisation fasciste qui traque les constructions illégales des Arabes et des bédouins en Cisjordanie. Après avoir évité le service militaire pour cause d’études en Yeshiva, il l’effectue finalement à 28 ans et en profite pour lancer simultanément sa campagne électorale. Il finit par prendre le contrôle de son parti d’extrême droite juste en 2019 au début de la crise politique puis manœuvre habilement jusqu’à devenir ministre de Netanyahu.
Le décrire comme raciste serait un euphémisme. Il défend la « shoot to kill policy » (le meurtre d’Arabes), la ségrégation raciale dans les maternités (« il est normal que ma femme ne veuille pas être à côté d’une femme dont le bébé voudra assassiner son bébé plus tard ») ; les attentats terroristes juifs contre des Palestiniens comme celui de Douma ; les saccages collectifs de villages Arabes par des juifs qui descendent par centaine pour tout cramer (je ne sais pas si on peut dire « pogrom »). Il est évidemment contre l’idée d’un Etat Palestinien et soutien publiquement que le peuple Palestinien « n’existe pas ».
Puisqu’on en parle, Belazel Smotrich a une double casquette : ministre des Finances ET ministre de la Défense adjoint, avec le contrôle sur les constructions (des colons) et démolitions (des Arabes) en Cisjordanie…
Cyril aime trouver des solutions aux problèmes et chercher le consensus. Son mouvement qu’il est sur le point de transformer en parti politique voudrait changer la loi électorale, qui permet aux petits partis (notamment ceux d’extrême droite) de mettre la main sur la vie politique. « Ça fait consensus, sauf les petits partis. Aujourd’hui un petit parti peut prendre en otage la vie politique. Ils jouent sur un autre problème : la démocratie représentative n’écoute pas les gens. »
Référendum ? Non « le référendum a deux problèmes : ça coûte cher et ça ne prend pas en compte ceux qui ne votent pas ».
C’est bien la première fois que je tombe sur un partisan de la « vraie démocratie, pas la démocratie représentative » qui a réellement réfléchi au problème et n’essaye pas de me vendre du tirage au sort et du référendum comme solution miracle.
« On est 25 activistes au nombre maximum et 100 personnes ont donné leur accord pour créer un parti ». J’ai posé la question au moins quatre fois pour vérifier que Cyril n’est pas un hurluberlu tout seul dans son coin. 25 activistes c’est tout à fait honorable, et plus que Lignes de Crêtes.
Comme ça ne vient pas directement dans la conversation je pose la question de la P.
« Ta question tombe bien, pas plus tard qu’hier j’ai fait un post là-dessus justement »
Sa position est un Ni-Ni, mais pas exactement le classique.
« Ni apartheid, ni apatrides »
Même si je suis moins d’accord avec le reste du discours, forcé d’admettre que ce slogan-là claque particulièrement.
« Ça a été mal géré depuis le 1er jour après la guerre des six jours ! » (Le 7eme jour donc… à Jérusalem depuis 2 heures et je suis déjà assailli de références bibliques…)
« Il n’y a eu aucune vision du long terme. Avant Oslo les Palestiniens vivaient beaucoup mieux, ils faisaient du commerce. Je dis Arabe Palestinien, même si je leur dénie pas du tout le droit de se définir et de se décrire comme peuple. »
« Rabin a été honnête, il a voulu donner un Etat et c’est Arafat qui a refusé sur la question du retour des réfugiés. Il voulait prendre la majorité démographique, son but a toujours été de détruire Israël. Malheureusement l’Etat Palestinien est impossible à faire aujourd’hui. Mais tout bien considéré, les seuls qui ont vraiment voulu donner un état aux Palestiniens ce sont les Juifs »
En même temps, donner c’est donner. Si tu donnes un état mais que tu mets des conditions (genre « on vous donne un état mais vous acceptez en échange qu’il n’y aura pas de retour des réfugiés ») ce n’est pas vraiment donner. Il aurait fallu accorder l’Etat Palestinien sans aucune contrepartie…
(Je ne sais plus qui a eu cette réflexion au cours de mon séjour. Peut-être moi, peut-être Cyril, peut-être mon ami au nom de prophète. Peut-être une idée commune… En tout cas la citation telle quelle est tout à fait exacte et je l’ai entendue).
Cyril est résolument contre l’annexion de la Cisjordanie. « Je suis même pour que la Cour Suprême puisse empêcher ça. De toutes façons, l’armée empêchera qu’on expulse un seul Arabe de Judée Samarie. »
Je ne suis pas forcément convaincu que l’armée israélienne empêchera l’expulsion des Arabes de Cisjordanie, vraiment pas. Mais le fait que des citoyens juifs (que je classe à droite) considèrent qu’il est du devoir normal de l’armée Israélienne de protéger les Arabes contre l’expulsion prévue par le ministre d’extrême droite, c’est clairement à noter.
« Il faut une vraie constitution à Israël avec une division des pouvoirs »
Je redemande si c’est une opposition entre Tel Aviv et Jérusalem.
« S’il y avait la mer à Jérusalem, ça changerait beaucoup de choses » …
Une constitution pour Israël et la mer à Jérusalem. Simple en fait
« Le temple c’est le plus gros problème, parce que c’est un problème religieux » Cyril a toujours une solution pour tous les problèmes, en tout cas une idée de solutions pour tous les problèmes. Là il sèche un peu.
« Les religieux veulent reconstruire le temple mais ça signifie raser l’esplanade des mosquées. Mais bon, même là il y aurait peut-être un moyen de construire le temple sans détruire quoi que ce soit. Je connais quelqu’un qui a une idée très ‘outside the box’ »
Il me montre une photo « c’est pas à échelle hein ». Un immense pont suspendu passe des centaines de mètres au-dessus des mosquées de l’esplanade des mosquées. « Pour pas que ça fasse de l’ombre ». Le 3eme temple est posé au-dessus, une colonne fait la jonction avec la terre « pour que ce soit casher ».
C’est… surprenant.
Cyril n’y croit pas forcément mais respecte surtout la démarche de chercher une solution pour contenter tout le monde. En vérité la démocratie c’est aussi ça, trouver du consensus. Pas seulement ça mais aussi ça.
« Faut pas avoir l’esprit figé, les Arabes, les Juifs, soit l’un soit l’autre, on peut réfléchir à comment satisfaire tout le monde »
Et comment on arrive à satisfaire les laïcs et les religieux ?
« En fait j’étais persuadé que les ultraorthodoxes ne voulaient pas être à l’armée, mais j’ai rencontré un religieux qui m’a expliqué. En fait ils voudraient bien y être mais il ne peut pas parce qu’il n’y a pas à l’armée les conditions de vie ultraorthodoxes… »
Je dis, sans employer le mot tartuffe, que c’est un peu tartuffe. L’armée c’est l’armée, si j’avais voulu y aller à 18 ans avec me dreads et ma weed en disant que c’est les conditions de vie rasta on m’aurait envoyé promener, armée Française ou Israélienne. Il est assez d’accord mais me répond qu’il y a des unités de l’armée spécialement dédiées à l’intégration des ultraorthodoxes et respectant leur mode de vie et que les ultraorthodoxes y vont.
L’idée d’un ultraorthodoxe armé me terrifie un peu, l’idée d’une armée ultraorthodoxe encore plus.
« Mais non, ce qui est un problème c’est le gars qui veut tuer des Arabes. Mais le gars qui fait l’armée pour défendre son pays y’a pas de raison d’avoir peur… »
On continue de discuter. J’abandonne l’entretien pour juste discuter car Cyril adore discuter. Il écoute, il prend les idées (je ne sais pas ce qu’il en fera) … On parle politique encore, démocratie toujours. Il pense de toute façon que le mouvement de Kaplan (celui que j’appelle Révolution) finira par devenir un nouveau parti politique qui va encore décevoir les gens…
A la fin de la conversation il me demande si je le vois comme il se voit, au milieu, en synthèse entre droite et gauche. Je réponds non, forcément. J’ai toujours été clair avec tous mes interlocuteurs que je ne venais pas sans opinion mais idée préconçue et que j’avais déjà choisi mon camp. Qui n’est pas avec la révolution est contre la révolution. Mais force est d’admettre qu’avec Cyril, je ne suis d’accord avec à peu près rien et en même temps avec exactement la moitié…