Début septembre, nous sommes allés faire un tour du côté d’Israël, voir et comprendre ce qui se jouait là bas en terme de révolutions. Huit mois de manifestations consécutives, c’est quand même quelque chose, pourquoi donc ces manifs, ce mouvement, ce pays? Evidemment on ne savait pas que ces chroniques deviendraient une photo d’histoire figée juste avant les attaques terroristes du 7 octobre 2023. Voici la septième chronique ici,
Les autres sont à retrouver là:
1 – l’aterresaintissage
2 – des vapeurs
3 – Shabbat à Kaplan Street
4 – Antifascist Defense Force, Division Hegel
5 – Les mots de la femme
6 – Si il y avait une constitution et qu’à Jérusalem il y avait la mer
7 – Gog et Magog
8 – Falafel Final
Le concept m’échappe…
Le « centre » de Jérusalem est composé de rue propres, entremêlées de terrasses de restos et de bars qui jouent au combat de son avec de la musique partout, des chanteurs à kippa (dont un m’a posé sa version de Comfortably Numb, c’est à noter), où déambulent des jeunes attifés de toute la gamme de l’accoutrement religieux. Juste kippa, kippa + chemise ; kippas + chemise + tsitsit (les petits fils qui pendent des vêtements) ; Kippas + chemise + tsitsit + veste + chapeau…
L’avantage d’avoir une religion qui fais de la musique et qui boit de l’alcool…
Jérusalem est une autre version de la teuf mais la teuf toujours. Ça semblait vivre ensemble et les religieux n’avaient pas l’air bien méchants. Même si les hippies percés et gays semblaient devoir se cantonner à certains bars et certaines rues du centre, les autres ressemblaient tout autant à des hippies d’un autre genre. Comme si un genre de hippie religieux avait gagné sur l’autre genre hippie laïc en somme, mais tout le monde participant au même festival.
Si j’étais islamophobe je relèverais le sujet de la longueur des jupes dans cette ville. Leur révolution, car c’en est une, est une fête. Ça chante, ça danse, ça boit, ça fume et ça rigole, en jupe longue et en kippa, sur des versions hébraïques de Bellaciao.
Juste en dessous de mon hôtel il y a le genre d’école d’où sortent toutes ces jeunes filles et ces jeunes gars. « Aish HaTorah », le logo ressemble à celui de Tinder. « Avec des classes sur la Gemara et les textes classiques, ainsi que des prières, mysticisme, Halacha et développement personnel. ». Les jupes viennent de là. Jérusalem est un centre international de Yeshiva privées qui déversent dans cette ville un flot ininterrompus de jeunes juifs religieux internationaux…
Mon petit moineau (il y avait des moineaux à Tel Aviv, j’avais rencontré celui-ci à 1800 mètres dans les Alpes Françaises et on aimait enchainer les bières et les discussions métaphysico-politiques), mon petit moineau donc m’avait conseillé ce bar de Jérusalem, où l’on pouvait trouver de la bonne bière et une bonne ambiance style taverne un peu sombre. C’était d’ailleurs l’un des refuges des hippies laïcs de Jérusalem.
J’en étais donc là, au « centre » du centre des trois religions monothéistes. On pouvait fumer dans le bar.
Le jeune barman aimait l’émeute. Et la Révolution. Il me posa immédiatement des questions sur les Gilets Jaunes. Et sur mai 68. Il me cite, en fouillant un peu dans son esprit, le slogan « sous les pavés la plage » en version française. Il me parle aussi du G20 de 2017. En fait quand il m’a demandé pourquoi j’étais en Israël et que j’ai répondu « pour la révolution », il en a déduit que je venais la répandre. Nul n’est prophète en son pays mais à Jérusalem par contre c’est une autre affaire, tout le monde est prophète automatiquement. Mais il ne pense pas qu’aujourd’hui le mouvement de manifestation soit une révolution.
C’est un jeune juif de Moscou. Il vient de faire son Alya il y a tout juste un an (à 18 ans). C’est comment la vie à Jérusalem? « They have this island in Tel Aviv, but here is not that bad. » Il préfère ici de toutes manières. « a meaningful city », une cité qui a du sens.
Je commence à comprendre un peu plus le concept…
Cette ville a aussi tout à fait un autre rapport à la violence…
Mon voisin de droite a 37 ans, né à Jérusalem, deux enfants. Il a fait toutes les manifs en mode débordement. Lui aussi me pose des questions sur la violence des manifs en France. Il trouve qu’ici c’est un peu trop calme et que juste agiter des petits drapeaux israéliens contre des enjeux aussi cruciaux ça n’ira pas bien loin.
« Va faire un tour à Mea Shearim ou les quartiers ultra-orthodoxes, ce sont des pays indépendants dans la même ville. »
Il me paye un verre. Je vais pour lui retourner la politesse mais son téléphone sonne. C’est sa femme qui appelle et qui s’est rendue compte qu’il s’était glissé hors du lit pendant qu’elle dormait pour aller au bar.
Si, c’est drôle. « Mais tu dois rentrer chez toi maintenant, elle t’a grillé, Game over. Va retrouver ta femme et tes enfants. » Il veut pas. Il veut se bourrer la gueule. Le barman refuse de le servir. Apparemment quand il est bourré il fait des histoires.
« Je veux une autre bière
– Si tu veux mais pas ici »
Il me traduit la conversation (qui a pris un peu plus de mots) et me propose de l’accompagner dans un autre bar. Je vois le super plan d’aller se mettre absolument minable en s’embrouillant avec tout le monde dans des bars jusqu’à pas d’heure. Je n’irais pas. Je voudrais qu’il rentre chez lui. Qu’il retrouve tranquille sa femme et pas qu’il aille se faire casser la gueule pour rien bourré. Il ne veut pas. Il part tout seul prendre sa prochaine bière dans son prochain bar, vers sa prochaine baston.
Et merde. Foutu syndrome de Jérusalem, ça y est ça commence, j’ai envie de sauver les gens…
Mon autre voisin de bar, celui de gauche, est plus posé et bien plus calme. Lui aussi né à Jérusalem « tout ce quartier n’existait pas y’a 20 ans ». Je me disais aussi que je retrouvais pas trop mes repères de la dernière fois où je suis passé. On discute de la ville, de la vie, de la violence encore. Il est graphic designer, évidemment il fait plus de sous à Tel Aviv qu’à Jérusalem, mais il y a plus d’art à Jérusalem selon lui.
On parle de la P.
Je rentre à l’hôtel. Je ne veux même pas savoir l’heure qu’il est.
4h30 du matin, ils sont pires qu’à Tel Aviv…
On avait foncé à toute vitesse à travers la vielle ville.
David ne voulait pas être en retard au travail, et on s’était tous les deux réveillé un peu en retard pour cause de vapeurs différentes.
On avait quand même pris le temps d’aller parler au mur…
D’ailleurs depuis je me prenais des décharges électriques dès que je touchais un objet en métal. Ce qui était le cas évidemment de la Mezuza de la porte de Zion qui m’avait envoyé une bonne grosse dose…
La porte de Zion, criblée de balle « de la guerre », je ne savais plus laquelle, débouchait, assez logiquement sur Mount Zion (que David, en bon fan de reggae, ne traduisait évidemment pas, juste pour le plaisir de pouvoir dire Mount Zion). Mount Zion est une sorte de charmant terrain vague ombragé. « Ici c’est prière libre » m’explique David. « Tu peux parler à Dieu si tu veux, ou alors tu te parles à toi-même, comme le gars là bas. Ah et tu vois derrière le terrain de Basket il y a la vraie tombe du roi David, selon certains. Là-bas où tu vois les graffitis. »
On avait fini la visite dans la tranchée. Une vraie tranchée militaire, de la guerre de 47.
Jérusalem avait un rapport beaucoup plus direct à la violence et à la réalité…
L’après-midi (ou plutôt l’après sieste), j’avais voulu refaire un tour dans la vielle ville. J’étais venu jusque-là du temps et de l’espace, autant reprendre une autre dose.
« Tiens, quelle drôle d’idée de nettoyer la rue maintenant », me disais-je en repassant par la porte de Jaffa. On était passé ce midi avec David exactement à cet endroit. Et exactement à cet endroit un ami l’avait félicité pour son mariage et donné pleins de bénédictions. Et là exactement à cet endroit un policier empêchait les gens de passer et un type en combinaison nettoyait le sol avec un gros Karshär. Décidément, pays aux mœurs curieuses.
C’est en voyant qu’une petite rangée de journalistes s’était installés pour faire des directs que je me suis dit qu’il fallait aller voir sur internet s’il ne s’était pas passé quelque chose à Jérusalem aujourd’hui.
Un jeune Arabe de 17 ans avait poignardé deux personnes. Exactement à cet endroit. Un blessé léger et un blessé grave…
Bordel 17 ans…
En posant mes pas à l’endroit exacte qui venait d’être nettoyé c’était comme si mon âme se détachait de mon corps pour marcher juste à côté…
« The left has been living in a fantasy of peace » m’avait lancé la veille mon voisin de bar. Le voisin de gauche, le calme et posé.
« – et qu’est-ce qu’il y a à part la paix » j’avais demandé
« – Complex reality… »
Je retourne au bar de la veille. « The Sira pub », un refuge pour qui cherche à échapper aux jupes longues et au noirs et blancs chapeaux.
Bière, petit carnet, crayon, gomme, clope roulée, on expire…
« Are you writing a song? Or a poem? »
Ecrire des poèmes aux jolies filles et éviter de leur donner est typiquement un truc que je fais habituellement, mais là précisément non.
– Well… no, no poem this time. I write about the Revolution.
– Oh waouw, that’s a very powerful word! It’s really refreshing to hear you use that word. »
Lancer le mot révolution produit toujours un air révolutionnaire…
Néomie et Sarah. Israéliennes. “Well, originally I’m from L.A.” précise Néomie mais puisqu’elle vient tout juste de finir l’armée en mars dernier, dans mon catalogue des droits/devoirs ça vaut clairement citoyenneté.
On parle évidemment politique. « A l’armée personne ne parle politique. En plus tu es bien rasé, il n’y a aucun signe de reconnaissance, alors tu te fais des amis qui ne pensent pas du tout comme toi. »
Elles reviennent tout juste d’un tour en Europe et me racontent leur expérience, notamment de devoir cacher le fait d’être Israéliennes. Comment le silence se fait dans la pièce woke quand Néomie dit d’où elle vient, et comment quelqu’un pointe alors son doigt blanc vers l’Arabe en disant « euh, il est Palestinien ». Et il faut ensuite construire la paix, là, maintenant, entre deux jeunes gauchistes Juif et Arabe retrouvés par hasard dans la même pièce.
Elles viennent de Haïfa (prononcer Khaïfa), une ville où les jeunes Arabes homosexuels peuvent venir vivre un peu tranquille. Il y a des endroits où ça ne parle qu’Arabe. « I think it’s really important there are some places where they only speak Arab. If you loose the language, you loose the culture ». Elles me conseillent d’y aller, et ça fait déjà plusieurs personnes de Jérusalem qui me disent d’aller voir à Haïfa.
Elles me conseillent pleins de trucs. Une expo de photo sur les mouvements de protestation et manifestations en Israël, et d’aller à Hébron, dans les territoires. Pas n’importe comment, c’est ça qui me tente. L’organisation « breaking the silence » organise des visites à Hébron par d’anciens militaires qui témoignent et exposent la réalité de l’occupation Israélienne par ceux qui l’ont faite.
Sarah est étudiante en danse. J’ai oublié de demander à Néomie ce qu’elle faisait.
« Good luck for tomorrow » me lancent-elle en partant.
Demain je ramène de Jérusalem un rameau d’olivier, elles sont les premières personnes à qui je l’annonce.
« – I think that’s a very powerful symbol, it’s the first time I hear that!
– Well, I think it’s a bit cliché… »
Ouf, ça clive déjà…
Retour de Jérusalem…
En vie, et par le train.
Sur le chemin du retour, totalement par hasard, je recroise Néomie qui veut voir mon brin d’olivier que je ramène de Jérusalem. Elle le trouve très cool et me félicite.
Sur le chemin du retour, encore, et totalement par hasard, encore, (décidément cette ville et le hasard…) je croise Cyril. Il me dit qu’il y a justement une manifestation pro-réforme, en soutien au gouvernement un peu plus loin devant la cour suprême. Je vais aller faire un tour, sentir l’ambiance. Je voulais justement voir un peu l’autre camp, en fait j’étais même venu à Jérusalem un peu aussi pour ça.
C’est le tout début, mais on sent déjà qu’en terme de force on sera moins nombreux. Beaucoup de drapeaux, d’Israël aussi mais pas que…
Je vois aussi beaucoup de jeunes juifs avec kippa et papillotes qui brandissent au vent d’immenses drapeaux bleus avec un logo en noir et or qui ressemble à un temple. A ceux qui n’aiment pas le drapeau Israélien, celui-là est définitivement plus angoissant.
C’est bien un troisième temple sur ce drapeau. J’aurais confirmation plus tard en montrant la photo à un ami. « Et ils m’érigèrent un Temple » c’était leur slogan. Dieu avait dit ça apparemment. (Je suis un Juif super doué en apatridie, en mondialisme et en finance internationale mais très mauvais en religion…)
Une journaliste de Haaretz avait aussi vu, dans la même manif, des drapeaux du parti Kach et des slogans de soutien à Meir Kahane.
Meir Kahane, fondateur du parti Kach et de la Ligue de Défense Juive, prône ouvertement le meurtre, l’expulsion d’Arabes, l’explosion de l’esplanade des mosquées afin d’y mettre un temple, la transformation du parlement en Synagogue, et l’amnistie pour les terroristes (juifs). Ses partisans tuent et assassinent régulièrement. En 1984 Kahane arrive à se faire élire au parlement faisant entrer à la Knesset l’une des tendance les plus ouvertement terroriste de l’histoire d’Israël. Il est assassiné à New York en 1990. En 1994, suite au massacre de Hébron commis par Baruch Goldstein, un disciple de Kahane, le parti Kach est interdit en Israël en vertu des lois antiterroristes…
Les fascistes pro-gouvernement se plaignaient qu’ils n’étaient pas entendus en démocratie. Que le système actuel ne leur permettrait jamais de faire valoir leurs idées. Qu’ils n’avaient pas droit au chapitre du grand livre d’Israël. Ils étaient les rejetés du système injuste qui ne leur laissait aucune place, alors que la démocratie normalement devait faire une place à tout le monde.
Il faut dire quand même, en défense de la démocratie, que le 3eme temple ça prenait quand même beaucoup de place. Surtout si en plus ça nécessitait de massacrer les Arabes dans des attentats Kahanistes afin de déclencher la 3eme guerre mondiale d’Israël qui permettrait, une fois gagnée, de raser l’esplanade des mosquées…
Enormément en fait de jeunes gars avec kippa et papillotes dans cette manifestation.
Ici aussi, écrans géants et sonos énormes. Il parait que Smotrich va parler…
Personne n’a l’air très loquace vis-à-vis du type avec son afro, son sac à dos (et qui se trimballe son rameau d’olivier). Encore moins loquace en anglais. Mais j’ai assez d’ambiance pour avoir peur. La droite ici, c’est un peu autre chose.
Allez, partons, j’ai un train à prendre.
En partant une femme m’aborde. Elle a un stand avec des petits livres en hébreux, bien emballés dans du plastique. Elle les offre. « Prend celui que tu veux ». Mais j’ai un peu du mal à choisir parce qu’évidemment, c’est en hébreux et je ne parle pas un mot. Je demande naïvement ce qu’il se passe, pourquoi ce rassemblement ?
« – Oh il y a la droite et la gauche qui manifestent. Ici c’est la droite mais nous on est avec tout le monde. On est le Kabbalah center, on offre des livres pour réussir sa vie. Tiens prend celui-ci, c’est pour trouver une femme. »
Je ne recherche pas tellement une femme mais y’a l’adresse du site internet de la secte au dos et ça m’intéresse, j’irais voir…
En attendant, vite, sautons dans ce train et fuyons cette ville. Et surtout, fuyons le vendredi soir du lendemain à Jérusalem pour profiter du jeudi soir de ce soir à Tel-Aviv.