Ce texte a été initialement publié sur un blog antiraciste en février 2017
« Entre une baston de caillera à Paris et une journée à Pyonyang paisible, je préfère la journée de Pyonyang paisible. La Corée du Nord c’est pas noir tout le temps. »
Yann Moix France Inter, 9 février 2017
Mardi 7 février 2017, Nagui recevait dans son émission « La Bande originale » sur France Inter, l’écrivain, essayiste, chroniqueur, filmographe Yann Moix.
L’occasion de se demander comment « on » définit un fasciste. Normalement une personne qui vante les qualités d’un des régimes dictatoriaux les pires au monde, tout en tenant un discours ouvertement raciste peut être rangé dans cette catégorie.
Mais lorsque Yann Moix déroule le « coup de gueule » dont il sera question ici (l’intégralité du passage est retranscrit en fin d’article), une gêne s’installe. Le format de l’émission de Nagui n’est absolument pas prévu pour ce genre de propos. C’est une émission bienveillante, « Au programme : du gai savoir, des livres, des chroniques et de la bonne humeur… ». Nagui et ses chroniqueurs reçoivent des acteurs ou personnages de la culture qu’ils apprécient, taquinent les invités avec les humoristes, leur posent des questions personnelles.
L’émission de Nagui est totalement politique, sans l’être : un invité pourra y tenir les propos politiques qu’il veut mais le format « léger » rend les réponses plus malaisées à ceux qui se veulent avant tout « animateurs bon enfant ».
Ainsi lorsqu’en fin d’émission, Yann Moix part dans un « coup de gueule » sur la racaille, la politesse du Nord-Coréen inculquée par un régime autoritaire mais qui n’a pas que des mauvais côtés, puis sur un mélange infâme assimilant Daech, le rap, le shit et les manifestations contre la Loi Travail, l’équipe de la bande originale ne sait plus trop quoi faire.
On notera les belles oppositions de Nagui (« Casse-toi »), les oppositions de Leila Kaddour-Boudadi (« Je peux pas vous laisser dire ça ») qui cherche à reprendre le fil de sa chronique, les tentatives aussi, moins belles, de ramener le discours inacceptable de Yann Moix à quelque chose d’acceptable (« c’est pas inintéressant mais faut faire la distinction ; faut faire attention ; faut être précis »).
Yann Moix profite de cette déstabilisation pour dérouler les outrances, et les tentatives des chroniqueurs de le ramener à l’acceptable l’encouragent simplement à aller un peu plus loin, en faisant comme s’il ce qu’avait dit procédait de la logique sans mauvaise intentions.
L’explication la plus plausible sur cette tension entre l’opposition claire au discours fasciste et la tentative de le faire rentrer dans un format acceptable est que l’équipe de Nagui ne s’attendait pas à recevoir le fascisme et à ce qu’il s’exprime à l’antenne. L’équipe de Nagui attendait un chroniqueur, un collègue parmi d’autres, un « animateur » de débats lui aussi, qui passe à la télé chaque semaine.
Et c’est le cœur du problème,la banalisation du discours pro-fascistes dans tous les médias. Une banalisation qu’il est difficile à reprocher à un média en particulier. C’est toute une chaîne de réputation que le fascisme construit de bout en bout pour se rendre acceptable. Yann Moix a publié dans la Règle du Jeu, à fait « Podium » un gros film à succès, est devenu chroniqueur chez Ruquier (qui s’était pourtant excusé d’avoir permis le succès de Zemmour).
Mais il y a une autre face de Yann Moix, qu’aucun de ses employeurs ne peut ignorer. Un aspect du personnage qui va très bien avec ses discours pro-Corée du Nord et anti « racailles ». Yann Moix est un homme qui croise très souvent des membres des sphères antisémites et négationnistes les plus radicales, mais toujours malencontreusement, toujours “par hasard”, toujours à l’insu de son plein gré .
Pour commencer par la fin, en avril 2016, les sites d’extrême-droite antisémite s’amusent beaucoup en rediffusant un selfie de Frédéric Châtillon avec un Yann Moix souriant. Frédéric Châtillon est un des pivots qui relie le Front National, Marine Le Pen, et les mouvances soraliennes, dieudonnistes, et néo-nazies.
Ex- dirigeant du GUD , entrepreneur florissant, pro-Assad, violemment antisémite, Châtillon est actuellement au cœur des enquêtes judiciaires qui secouent le FN.
Que fait Yann Moix avec Frédéric Châtillon ? Rien, il l’a croisé « par hasard » à Rome et le fasciste a voulu faire un selfie avec lui. Yann Moix affirme sur son compte Facebook avoir été piégé car il ne connaissait pas Châtillon.
Une explication plausible ? Pour d’autres oui, pour Yann Moix, elle pourrait sonner faux.
En effet, ce n’est pas la première rencontre « accidentelle » de Yann Moix avec l’extrême-droite la plus assumée. Une autre au moins a été médiatisée : celle de sa signature en 2010, sur une pétition en faveur de Vincent Reynouard, néo-nazi et négationniste. La pétition est initiée par Paul Eric Blanrue, figure des milieux d’extrême-droite et du royalisme depuis des dizaines d’années, hagiographe du négationniste Faurisson. L’immense majorité des signataires est issue des milieux fascistes les plus durs. Yann Moix qui s’affichait plus jeune avec Soral et l’écrivain antisémite Marc-Edouard Nabe ne peut pas ne pas avoir croisé une partie d’entre eux.
Là encore, Yann Moix affirme s’être fait piéger. Il recourt pour l’occasion à une justification parfaitement ignoble : Paul Eric Blanrue lui aurait promis la signature de Robert Badinter, et finalement ce fut Robert Faurisson. Yann Moix s’appuie sur le fait que Badinter a toujours été contre la loi pénalisant le négationnisme pour expliquer sa « méprise ».
Or, qui peut penser que Robert Badinter aurait signé avec les négationnistes et les néo-nazis qui le poursuivent de leur haine depuis des années ? Moins de trois ans avant cette pétition, en 2007, Faurisson a ainsi osé traduire Badinter en justice devant le tribunal pour « diffamation ». Pendant l’audience Badinter se retourne vers Faurisson et lui dit “Pour moi, jusqu’à la fin de mes jours, jusqu’à mon dernier souffle, je me battrai contre vous et vos semblables. Vous serez toujours des faussaires de l’histoire” .
Yann Moix qui prétend se battre contre l’antisémitisme de toutes ses forces, peut-il ignorer ces choses là ? Étrangement, à part les journalistes de Droites Extrêmes, personne ne se posera la question.
Personne et surtout pas Laurent Ruquier qui embauche Yann Moix pour « On n’est pas couchés » en 2015. Or juste avant le lancement de l’émission, Paul Eric Blanrue sort sur son blog un exposé de sa longue relation avec Moix. Encore une fois, celui-ci prétend n’avoir jamais entendu Blanrue parler d’antisémitisme… chose tout à fait extraordinaire à propos d’un homme qui a fait de l’antisémitisme sa profession. Yann Moix prétend avoir rompu avec Blanrue après l’affaire de la pétition, Blanrue publie des mails postérieurs de plusieurs années à la pétition de soutien à Reynouard.
A retracer tous ces “malheureux hasards” des rencontres entre Yann Moix et l’extrême-droite la plus dure, évidemment ses propos admiratifs sur la Corée du Nord, ou son envolée contre les « racailles » est moins étonnante.
Une question demeure : parmi mille chroniqueurs possibles, mille écrivains de talent, pourquoi Laurent Ruquier et d’autres choisissent ils Yann Moix, qui est pour le moins dans un rapport ambigu avec les fascistes assumés ?
La question d’ailleurs ne se pose pas que pour Yann Moix , mais pour l’ensemble des intervenants qu’on voit partout et qui suscitent ces brefs moments de « gêne » lorsqu’ils dévoilent le fond réel de leur pensée, et qui sont pourtant maintenus à l’antenne, à commencer par Eric Zemmour.
Malheureusement, la question est de fait rarement posée : ainsi personne n’aura vraiment remarqué l’envolée de Yann Moix sur la Corée du Nord et les « racailles ». Elle ne suscitera aucune protestation spécifique dans les jours suivants. Il faut dire que la semaine était déjà bien chargée entre un sketch violemment homophobe de Canteloup dirigé contre un jeune victime d’un viol policier, et un syndicaliste justifiant le terme de “Bamboula” à l’antenne de C dans l’air.
Voilà où nous en sommes. A devoir choisir le plus choquant et le plus raciste et à n’avoir que l’embarras du choix.
Retranscription des propos de Yann Moix, 7 février 2017, La Bande Originale France Inter.
Yann Moix : « bah moi je me sens bien en Corée du nord, ça relève peut être de la psychatrie mais parfois je me sens mieux en Corée du Nord qu’en France ca m’arrive, là bas ils sont carrés ils sont polis ils y’a pas d’incivilités
Nagui: Vous aimez la dictature alors ?
YM : Parfois oui j’aime bien la dictature. J’aime pas le régime nord coréen je vais pas dire ça mais…
N: bah si vous voulez le dire dites le!
YM : Non mais y’a en Corée du nord quelque chose dont on ne parle jamais c’est la population. Et la population nord coréenne qui est une population, qui est sous le joug, qui est endoctrinée et qui subit, donc je ne fais pas l’apologie du régime mais je dis parfois que il y a dans l’éducation coréenne et on le retrouve d’ailleurs au sud quelque chose qui est basé uniquement sur le respect de l’autre, mais là c’est poussé à son paroxysme évidemment en Corée du nord mais euh… entre une baston de caillera à Paris et une journée à Pyonyang paisible, je préfère la journée de Pyonyang paisible. La Corée du Nord c’est pas noir tout le temps. Il est clair que on aimerait que ce régime obscurantiste cesse et qu’il soit remplacé par un régime démocratique…
N: mais faudrait peut être comprendre pourquoi y’a une baston de caillera d’un côté et pourquoi c’est paisible de l’autre.
YM : Oui mais vous savez en France tout n’est pas explicable par ce que euh on va, euh… Nietzsche appelait la pulsion causale et à force de toujours trouver des excuses à des gens qui nous pourrissent en fait l’existence au jour le jour.
N: Non mais je parlais de chercher des solutions pas de trouver des excuses.
YM : Oui d’accord mais souvent dans le fait de chercher des solutions et c’est ce que disait Manuel Valls qui s’est fait taper dessus pour cette phrase que je trouve tout à fait juste, euh au bout d’un moment, toujours se flageller pour savoir pourquoi ces pauvres petits sont malheureux alors qu’une des motivations, souvent, c’est simplement de foutre la merde gratuitement non mais gratuitement! Ils faut arrêter de penser que les gens… vous savez toujours on dit c’est dégueulasse de stigmatiser les musulmans à cause des attentats, mais y’a une autre catégorie de personnes qu’il faut arrêter de stigmatiser c’est les gens qui sont dans la misère sociale. Parce que les gens qui sont dans la misère sociale et dans la pauvreté ne se transforment pas tout le temps en délinquants, et je peux vous dire que au bout d’un moment toujours justifier la dégueulasserie de petits cons qui dans le métro agressent les gens gratuitement, qui nous emmerdent à brûler des bagnoles gratuitement, pour une espèce de revanche d’on ne sait d’où elle sort, alors que la plupart des gens qui sont dans la misère sociale ne font rien de mal! euh… vous savez y’a une phrase de Sylvain Tesson qui me…
Là je me met un peu en colère parce que j’en ai marre de la racaille en fait, et je crois que beaucoup de gens en ont marre de la racaille, et le mot racaille a été confisqué par l’extrême droite et par la droite et moi qui ne suis vraiment pas de ces bords là je peux vous dire que je l’utilise sans problème, parce que Sylvain Tesson a dit un truc très juste un jour il a dit « la France est un pays de gens qui sont au paradis et qui se croient toute la journée en enfer. »
Donc les petits combats des petits cons toute la journée qui molestent gratuitement les gens qui agressent des personnes, et qui font qu’à cause de leur connerie on finit par tomber dans la case, je dit « on », beaucoup de français, du front national font que c’est vrai qu’en Asie, quand vous voyez que les gens sont dans la politesse dans le respect, la civilité, quand on revient en France on a l’impression de revenir dans la jungle. Et ce petit coup de gueule gratuit Nagui n’est pas un coup de gueule de réac mais un coup de gueule d’un type qui ne veut plus qu’on confisque, que ce discours soit confisqué par des gens qui sentent la mort.
(gros silence de 2 secondes. Leila enchaîne)
Leila Kaddour: D’accord. Euh bah en vous écoutant, je me disais euh bah juste avant le coup de gueule que je vous verrais bien écrire un récit de voyage (rires général, un peu forcé) nan mais c’est vrai, nan mais en même temps ce que vous dites…
N : après votre coup de gueule je pense à un truc c’est casses-toi! (on entend « euh quand même »)
L: nan c’est pas du tout ça, nan je dis que c’est intéressant, puis après euh je crois que la position de Manuel Valls que vous venez d’évoquer elle est pas inintéressante non plus sauf que il faut aussi savoir faire la distinction entre tout d’un coup ce que vous appelez vous la racaille…
YM : oui j’assume ce mot hein…
L: voilà qui cherche des ennuis gratuitement aux gens…
YM : D’ailleurs je vais écrire un livre qui va s’appeler Racaille parce que j’en ai marre que ce mot soit confisqué par la droite et par l’extrême droite et que c’est tout à fait hypocrite, tout le monde sait, tout le monde sait qu’en France en ce moment y’a une racaille, d’ailleurs les gens qui partent faire le djihad c’est pour ré-instituer (et David Thomson l’explique très bien) racaille land. Toutes les incivilités grandeur nature sur le terrain, le rap, le shit euh les nanas auxquelles on manque de respect les français sur le terrain là bas choquent même les djihadistes les plus aboutis par leur comportement avec les femmes y’a un…
(Leila le coupe) L : le rap en revanche je peux pas vous laisser dire ça parce que c’est associer un mouvement musical…
(quelqu’un): non un certain rap
YM : un cert…, voilà!
L: voilà non mais attention…
YM : non mais ils expliquent, la première chose qu’ils font là bas… non mais attendez, tout est miné en France, à chaque fois que vous dites un mot en France le mot est miné et dès que vous marchez sur le mot quelque chose explose et quand vous parlez avec les gens…
N: c’est vous qui venez de le miner en disant que le rap était une insulte aux femmes.
YM : Non j’ai dit un certain rap (il ne l’as pas dit quelqu’un l’a dit à sa place)
(Nagui se rassure) N : ah oui, d’accord…
YM : J’adore le rap par ailleurs donc euh…
L: voilà non mais faut être précis.
YM : Et je peux vous dire une chose le livre de David Thomson est passionnant parce qu’on voit très bien qu’ils essayent d’instituer là bas toutes les incivilités ici qu’on essaye de leur demander de garder dans leur poche. Là bas c’est racaille land à Raqqa et quand je dis racaille il n’y a pas de stigmatisation parce que c’est un mot qu’on aime beaucoup y compris sur France Inter, sur toutes les radios, de milieux social, je répète, la racaille c’est pas forcément des gens défavorisés je viens de le dire, c’est des gens aussi qui croient qu’il faut avoir ce genre d’attitude pour exister. Et si vous voulez et après je me tais la dessus, c’est que toutes les conversations, des gens de gauche comme des gens de droite, et Hollande dans le livre avec les deux journalistes le dit qu’il y a un problème, y’a un type d’individus en France qui sèment la zizanie qui fout la merde, tout le monde dans les conversations parisiennes le reconnaît mais plutôt, on préfère mourir que de le dire dans un micro à la radio. Oui en France et tant pis si ça choque les auditeurs de France inter, y’a une catégorie de la population qui n’est pas forcément défavorisée, que j’appelle la racaille, dedans il peu y avoir des français, euh, de toute éternité comme le dirait Marine le Pen, et c’est ça qui est grave d’ailleurs, c’est qu’on ne peut plus appeler quoi que ce soit comme il le faudrait… qu’est-ce qu’il faudrait dire des blancs européens ? Dedans y’a des chinois, y’a des japonais y’a des coréens, y’a de tout, si vous voulez. Il ne faut évidemment pas dire que ce que j’appelle Racaille viendrait des milieux arabes musulmans ça c’est faux…
L: non mais le mot est connoté.
N: y’a des voyous partout et y’a des cons partout.
L: non mais le mot est connoté, le mot est chargé…
YM: sauf que, vous voyez bien que…
L: et c’est là où je dis que si vous faites la distinction vous…
N: faut créer une autre motivations…
L: en faisant cette définition là, c’est un terme qui peut être réutilisé ensuite et on en parle toujours hein…
YM: non je vais prendre racaille… bah justement j’essaye de l’arracher à ceux qui l’utilisent toute la journée, les casseurs etc. y’a une bande de types qui en France euh, vraiment commence à agacer les patiences, contre lesquelles on ne fait rien parce qu’on a justement peur qu’à chaque fois qu’on les touchent, tout d’un coup ça va être récupéré soit par l’extrême droite soit par l’extrême gauche. Il faut arrêter d’être pris dans un étau entre d’un côté avoir peur de passer pour un raciste et de l’autre passer pour un facho, appelons un chat un chat et…