“Islamiste ou pas, bon ou méchant,
si on transige sur l’Etat de droit pour les autres on le paye soi-même ou des proches un jour“
Si les erreurs judiciaires ne correspondaient pas aux errements de l’opinion publique, elles seraient vite réparées.
Mais les raisonnements, contraires à tous les principes fondamentaux en démocratie, qui ont conduit Abdelhakim Sefrioui à être placé quatre ans à l’isolement, au titre de sa complicité présumée avec l’assassinat de Samuel Paty, avant d’être condamné à 15 ans d’incarcération, sont malheureusement très partagés en France.
Quels sont les faits exacts qui lui sont reprochés ? Il ne connaissait pas l’assassin de Samuel Paty, et celui-ci n’a vu aucune de ses vidéos. Il n’y a donc pas eu la moindre association entre eux.
“Rappelle-moi vite, un malade a assassiné le professeur”, s’est-il exclamé en apprenant le crime, sans savoir que son téléphone était sur écoute. Et, en garde à vue, ses premiers mots ont été : “ Si j’avais pu donner ma vie pour protéger le professeur (…) j’aurais donné ma vie ”.
Abdelhakim Sefrioui est militant contre l’islamophobie. Comme tous les militants, il a appliqué un principe simple : croire celle qui s’adressait à lui en se disant victime et la défendre avec toute sa force de conviction.
On peut naturellement critiquer cette démarche qui fonde le combat de tous les activistes, musulmans ou non. Mais elle est commune et rarement reprochée à d’autres acteurs du débat public : lorsqu’il n’y a pas si longtemps, toute la classe politique et médiatique s’émut pour une jeune fille qui se disait victime d’une grave agression antisémite dans le RER (1), laquelle se révéla fausse, beaucoup de ceux qui applaudissent aujourd’hui la condamnation d’Abdelhakim Sefrioui ne s’excusèrent pas d’avoir défendu cette jeune fille et tiré d’immédiates conclusions politiques. Et ils avaient des raisons de prendre son parti, car en matière antiraciste et antisexiste, toutes les statistiques montrent que les mensonges sont excessivement rares. La foi dans la parole de la victime, réelle ou supposée, est donc bien légitime. Évidemment, les conclusions politiques précises qu’on tire de cette parole sont autre chose.
Dans l’affaire du RER D, de nombreux acteurs aujourd’hui très actifs contre les musulmans ont immédiatement crié à la validation de leur thèse islamophobe sur le « nouvel antisémitisme ».
Abdelhakim Sefrioui, lui, a simplement demandé des sanctions administratives et légales contre un enseignant dont il s’inquiétait des pratiques pédagogiques qui lui avaient été rapportées et dont le comportement avait déjà été signalé à l’inspection : d’une part, ce qui semblait être une volonté non pas de critiquer des croyances religieuses, mais d’insulter spécifiquement la religion musulmane à travers exclusivement des caricatures du prophète de l’islam ; d’autre part, et de façon plus caractérisée encore, l’exclusion d’élèves musulmans en tant que musulmans.
Voilà donc condamné non pas un bourreau mais un critique ; non pas un homme qui a assassiné, mais un homme qui s’est indigné et mobilisé pour que soit prise une mesure légale face à ce qu’il estimait être une injustice. Et voilà que, dans une confusion que ne renieraient pas les régimes les moins démocratiques, l’un devient synonyme de l’autre : l’indigné devient l’assassin, la critique, une mise à mort. Imagine-t-on un instant ce genre d’équivalence appliqué à un contexte où les personnes incriminées ne seraient pas musulmanes ? Les syndicalistes qui pourfendaient nominativement et régulièrement “les grands patrons”, les anti-militaristes qui dénonçaient “les généraux” n’ont jamais – et c’est heureux – été tenus pour responsables des assassinats dont ceux-ci ont été victimes de la part de groupes comme Action Directe.
Nous tous qui avons condamné, y compris avec virulence, les pratiques islamophobes de Charlie Hebdo, sommes-nous donc tous des “terroristes” ? Il semble que oui, a cru pouvoir dire la Cour d’assises spéciale de Paris.
Car nous sommes en 2025. Le simple fait de comparer un militant musulman contre l’islamophobie à un activiste contre l’antisémitisme ou à un syndicaliste non-musulman génère des cris d’indignation et prend valeur de scandale.
L’atmosphère surchauffée par une extrême-droite aux portes du pouvoir a, en effet, érigé en norme la déshumanisation et la mise au ban systématiques d’une catégorie de droits humains : ceux des musulmans.
Pour condamner Abdelhakim Sefrioui, au prétoire comme dans l’opinion publique, un seul argument semble suffir : Samuel Paty a été assassiné de manière atroce… par un musulman. Fin du débat.
Mais si l’on défend l’universalisme des principes, et les règles de base de l’Etat de droit, force est de constater que la violence et le crime d’un homme ne sauraient justifier la condamnation à l’identique d’individus parfaitement étrangers à ce crime… excepté si le criminel est musulman.
Le tueur du marché de Noël de Magdebourg était un islamophobe convaincu, abonné aux comptes de nombreuses personnalités d’extrême-droite françaises et allemandes. Il interagissait de longue date dans cette sphère virtuelle. Personne, pour autant, n’y sera poursuivi pour association de malfaiteurs terroristes.
En remontant un peu plus loin, il est établi que Brenton Tarrant, l’assassin de masse de la mosquée de Christchurch ( 51 morts et 49 blessés ), avait voyagé en France, contacté et fait des dons au Bloc Identitaire et se déclarait inspiré par cette mouvance. De même, l’assaillant de la mosquée de Bayonne qui fit deux blessés graves en 2019 commentait sur Riposte Laïque et avait été candidat du RN. Riposte Laïque n’a pour autant jamais été poursuivie, quand bien même trouve-t-on sur le site des apologies explicites des tueurs suprémacistes comme Tarrant. Tout juste le site fait-il parfois l’actu lorsqu’il en vient à menacer les juges et les avocats dans l’affaire des assistants parlementaires du Rassemblement National.
Mais, en droit, le crime des tueurs suprémacistes blancs reste leur crime. Et pas celui de ceux qui ont pourtant été en contact soit simplement politique et indirect, soit même direct avec eux.
C’est heureux ! Quand bien même on a la plus profonde répugnance politique pour l’extrême-droite, quand bien même on la combat de toutes ses forces dans le débat démocratique. En démocratie justement, l’on est coupable seulement de ses actes.
Les sept semaines de procès d’Abdelhakim Sefrioui ont démontré, qu’à aucun moment, il n’avait agi ou inter-agi avec l’homme qui a assassiné Samuel Paty. Il doit donc être acquitté en appel.
L’ensemble des acteurs des droits humains, l’ensemble des défenseurs de la démocratie doivent aujourd’hui se mobiliser pour un procès juste et non dicté par la rumeur, l’émotion et le ressentiment.
Cela va nécessiter d’affronter la meute fasciste. Ce n’est pas simple.
Mais…“Islamiste ou pas, bon ou méchant, si on transige sur l’Etat de droit pour les autres, on le paye soi-même ou des proches un jour”. (Alex Robin, LDH PACA, répondant à Sam Abramovitch)
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(1) En jullet 2004, une jeune femme, Marie Leblanc affirme avoir été agressée avec sa fille de 13 mois par des arabes et des noirs dans le RER D , en présence d’une vingtaine de passagers. Des croix gammées auraient été taggées sur son ventre sans susciter aucune réaction.
De la présidence de la République aux députés socialistes, en passant par des chercheurs comme Pierre André Taguieff, tout le monde dénonce ce “nouvel antisémitisme”. Mais la police établit en 48 heures que la jeune femme a inventé cette histoire.
On trouvera ici un article de Mogniss Abdallah où figurent beaucoup de citations de l’époque, attestant de la virulence qui se manifesta. Cette affaire est celle qui permit aux défenseurs de la théorie du “nouvel antisémitisme” de percer dans l’espace médiatique.
Après la révélation du caractère mensonger des propos de la jeune femme en détresse psychologique aigue qui voulait attirer l’attention de son compagnon et pas de la France entière, Jacques Chirac affirma “ne pas regretter sa réaction “.Dominique Strauss Kahn, député ” Un coup monté ? Cela ne changerait rien au fait que c’est la 10ème ou 20ème aggression de ce genre”.
Alain Jacubowicz , avocat, président de la LICRA, ex-président du CRIF Rhône Alpes eut ces mots forts justes “Il est préférable de s’indigner à tort, et de bonne foi , plutôt que se taire”