“Macron fait son Bachar à la ZAD”. Cette photo de tag apparue sur le net suscite les réactions. Car il dit beaucoup de la recomposition politique et du confusionnisme ambiant.
Ce qui surprend dans ce slogan c’est qu’il est tout à la fois une reconnaissance des crimes de Bachar al Assad et leur négation par la mise en équivalence avec les lacrymos de Macron. Tout en « humour » évidemment, une blague potache. De façon significative on reproche aux Syriens où à ceux de leur défenseurs qui ne goûtent pas la blague de manquer de sens du second degré ou de ne pas être capable de saisir le jeu de mot.
Pour tenter d’en comprendre toute la puissance nous avons cherché un peu l’origine de ce jeu de mot sur Twitter.
Généalogies
Depuis le 14 avril, des comptes pro-Assad et surtout FN diffusent de nombreux messages associant la question syrienne à celle de la ZAD. Mais au départ, il s’agit d’attaques contre les Zadistes, dont on demande l’évacuation violente. Les messages sont du type “Macron s’occupe de Bachar mais pas de la ZAD”. La propagande politique déployée est donc à la fois une dénonciation de l’intervention contre le massacre aux armes chimiques, et une exigence de répression accrue contre le mouvement social. Une position fasciste classique, qui conjugue le soutien à la dictature et la revendication d’élimination des forces progressistes au niveau national.
Mais peu à peu certains comptes d’extrême-droite développent une forme plus subtile de soutien à Assad en mettant l’ironie au service du relativisme sur les crimes contre l’humanité du régime syrien: la comparaison est faite entre la répression sur la ZAD et ces crimes contre l’humanité, en mode “Bachar va faire des représailles contre la France à cause du gazage de la ZAD”. La rhétorique repose sur un narratif fasciste bien rodé: les démocraties sont en fait des dictatures n’ayant aucune leçon à donner à quelque régime sanguinaire que ce soit. Elle reste toujours centrée sur un seul objectif, défendre le régime syrien, le “soutien” à la ZAD étant formulé sur le mode de la plaisanterie et du bon mot.
Dans le même temps, se développe dans d’autres sphères politiques un discours hostile aux frappes en Syrie. Il prend notamment la forme d’une dénonciation des frappes comme une stratégie du Président destinée uniquement à créer un sujet médiatique qui permette de “ne pas parler des vrais problèmes”. “Les frappes de Macron en Syrie c’est pour détourner l’attention de [insérez ici votre cause]”, puis inévitablement arrive la dénonciation du deux poids deux mesures.
C’est dans ce contexte, que les deux rhétoriques vont se rejoindre dans ce qui apparaît à première vue comme un soutien à la ZAD et une condamnation des crimes d’Assad.
Des soutiens des zadistes, qui par ailleurs relaient nombre de thèses conspirationnistes sur leurs comptes, jusqu’à des dessinateurs de presse vont assimiler les crimes contre l’humanité commis par Assad et la répression menée contre la ZAD, pendant que les fascistes purs et durs pro-Assad continuent aux aussi à broder sur ce thème.
Les symboles, les slogans et l’humour
Le tag donne cette impression étrange de reconnaître les crimes d’Assad pour mieux les nier car il mobilise en fait deux éléments très particuliers
Le jeu sur les symboles et la charge symbolique est essentiel pour joindre les univers narratifs et c’est aussi sur les symboles que tous les glissements sont autorisés. Ici le tag joue sur l’équivalence entre la ZAD qui équivaudrait à la révolution syrienne et la répression de Macron qui serait comparable aux massacres de Bachar al Assad. Le problème, c’est qu’assimiler des massacres chimiques à une répression policière violente n’est pas une solidarité concrète avec la révolution syrienne, à laquelle après tout, chacun peut s’identifier… si cela se fait sans un relativisme forcément pervers.Car si Assad et Macron, c’est la même chose, si les gaz lacrymogènes sont la même chose que les armes chimiques déployées par le régime syrien… alors sont effacés les morts des attaques chimiques. Et c’est en cela que la comparaison crée un trait d’union entre les défenseurs de Bachar al Assad (pour qui il n’a commis aucun crime réel) et certains militantEs de la gauche radicale qui comparent tout et n’importe quoi.
La mobilisation d’un deuxième élément, le jeu avec le gaz, ajoute une très forte charge symbolique, qu’on ne peut que relier aux narratifs négationnistes. Parce qu’il est au coeur des discours antisémites qui nient le génocide commis par les nazis. Les assimilations entre des gaz mortels et d’autres qui ne le sont pas, c’est à la fois le discours négationniste dans sa forme “sérieuse” et dans sa forme ironique, ricanante et allusive. D’ailleurs, dans les résultats Google sur la recherche ” Bachar à la ZAD”, l’un des premiers liens est celui d’une émission de radio d’un site néo-nazi.
C’est le même symbole “gaz / chimique” qui permet de poser une équivalence entre Bachar al Assad et les multinationales. Ainsi ce genre de chose que l’on a pu voir circuler et qui font une équivalence entre le gazage des populations par Bachar al Assad et Monsanto Bayer.
Notons que l’utilisation des symboles permet aussi l’usage de la caricature, de l’humour ou du raccourci qui permet de se déresponsabiliser au cas où ça ne passe pas: “C’était une image, oh ça va c’est une blague, oui c’est exagéré mais c’est pour mieux dénoncer que…” sont des moyens commodes de faire comme si on avait pas dit ce qu’on vient de dire.
On se rappellera par exemple du dessin de Fakir et de son “humour décapant” représentant Hitler choqué par l’augmentation des tarifs du gaz.
Or, le régime d’Assad présente des points de comparaison avec le régime Nazi: ses services de sécurités formés par Aloïs Brunner, son antisémitisme érigé en modèle de cohésion sociale, le fonctionnement du parti unique, ses fours crématoires installés à cotés des centres de tortures ou même le logo du “Parti Social-Nationaliste Syrien” qui combat à ses côtés.
Le tag utilise cette charge symbolique mais a besoin d’un autre élément qui lui permet d’assimiler Macron à Bachar al Assad: le courant théorique qui assimile le libéralisme et le nazisme.
Macron est un nazi
Un courant très puissant, fondé sur un relativisme extrêmement banalisé dans une partie de la gauche radicale, et qui lui aussi peut glisser très vite vers toutes les dérives pro-dictatures et antisémites.
Il y a quelques mois, Gérard Filoche diffusait ainsi un visuel antisémite soralien où l’on voyait Macron affublé d’un brassard Nazi avec le symbole du dollar remplaçant la croix gammée, les mains au dessus du globe terrestre. A l’arrière plan on pouvait distinguer les visages de Patrick Drahi, Jacob Rothschild et Jacques Attali. Filoche se défendait en expliquant qu’il n’avait pas distingué le second plan (obscurci à dessein par ses ennemi pour lui nuire précisera-t-il) mais qu’il voulait innocemment partager la critique tout à fait banale et valide de Macron = nazi, un dollar remplaçant la swastika.
Le tag “voilà Macron qui fait son Bachar à la ZAD” mobilise donc tous ces éléments et leur charge symbolique. C’est ce qui créé cet effet troublant du tag qui a l’air à la fois de reconnaître les crimes d’Assad et en même temps de les nier par leur équivalence avec les lacrymos de Macron à la ZAD. D’où le sentiment d’être face à quelque chose d’incroyablement pervers. Un slogan surgi apparemment de la ZAD, mais dont la généalogie immédiate renvoie aux réseaux fascistes. Un slogan , qui de facto est brusquement propagé “en même temps” par des négationnistes néo-nazis, des Zadistes, des défenseurs de la révolution syrienne et des pro-Bachar, tous unis contre Macron.
Comme souvent, une partie des militantEs non-fascistes qui partagent et diffusent ce slogan feront comme si on ne savait pas vraiment d’où ça venait ou ressortiront sans nul doute le bon vieux “oh ça va je pensais que les Syriens avaient de l’humour” qu’on sert au juif qui ne rigole pas à la blague antisémite.
D’autres réellement ne savent pas. Et le contexte de répression extrêmement violente déployée contre la ZAD, la colère que cette répression suscite légitimement, ne favorise évidemment pas le recul et l’analyse. La violence physique directe suscite évidemment à chaud des comparaisons exagérées.
Mais la propagation de ce slogan sur les réseaux sociaux, par le discours, le dessin ou le tag bien léché relève de bien autre chose, d’une collusion de propagandes qui est tout sauf spontanée.