Trois évènements avec des ressemblances frappantes, vus à travers les yeux d’une Berlinoise : Une manifestation pro-Assad, Les veilles du lundi (« Montagsmahnwachen ») et une manifestation de Die Linke.
Comment est-ce possible que, depuis 7 ans, les Syriens meurent sous les bombes de Poutine et d’Assad pendant que le monde entier les regarde et qu’au lendemain de l’intervention des Etats-Unis et ses alliés, qui dure à peine une heure, 1000 personnes descendent dans la rue à Berlin pour crier « non à la guerre ! » ? Qu’au-dessus de ces prétendus rassemblements « pour la paix » flottent les drapeaux fascistes d’Assad et de Poutine, se mélangeant en parfaite harmonie aux couleurs arc-en-ciel et au blanc de la colombe ?
Parler des réfugiés tout en niant leurs aspirations politiques
L’Allemagne se vante souvent d’avoir bien géré l’accueil des réfugiés. Certes, depuis 2011 environs 700 000 Syriens ont trouvé refuge en Allemagne et cela n’aurait pas été possible sans les milliers de bénévoles.
Mais avons-nous vraiment réussi cet accueil si, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, le seul soutien revient à Assad et Poutine et non pas aux démocrates syriens ? Quand les deux bords politiques tiennent parallèlement des manifestations qui pourraient être confondues par leurs titres et leurs allures et où même le public se recoupe ? Quand on refuse la parole aux Syriens dans les évènements qui se disent être « pour la paix en Syrie » ? Quand nous sommes qu’une dizaine d’Allemands se réunissant depuis 7 ans chaque semaine avec les révolutionnaires syriens ?
« Hands off Syria » – Berlin, Samedi 14 avril 2018, U.S. Embassy (Brandenburger Tor)
Fondé en 2016 par un comité de gens qui se disent pacifistes, Hands off Syria relie la propagande du Kremlin, ainsi que d’Assad point par point :
« It is a well-known fact that the Syrian “rebellion” is being led by Islamists manipulated by Gulf states including Qatar and Saudi Arabia on the behalf of the United States and Israel, in order to gain dominance in the region » est écrit dans le “qui sommes-nous” de leur commission.
« Il faut que je fasse attention à ne pas leur cracher à la figure. Tu vois, c’est comme de voir le drapeau de Hitler flotter librement à Berlin »
« Il faut que je fasse attention à ne pas leur cracher à la figure. Tu vois, c’est comme de voir le drapeau de Hitler flotter librement à Berlin », dit un ami syrien pendant que nous sommes en train de passer à côté du rassemblement pro-Assad, d’environ 70 personnes, sous le thème de « OTAN : touchez pas à la Syrie ! » (NATO : Hände weg von Syrien !).
Dans leur descriptif de l’évènement sur Facebook du 14 avril, Hands off Syria parle d’une attaque chimique « sous faux drapeau » dans la Ghouta Est, prétendent qu’il n’y jamais eu aucun groupe en Syrie qui défendait la démocratie. Ils reprennent mot pour mot la définition d’Assad du terrorisme, et sont pour « une Syrie moderne sous Bachar al-Assad ».
L’évènement est organisé entre autres par des Syriens pro-Assad ayant à Berlin un statut de réfugiés, comme certains shabihas (tortionnaires d’Assad), qui ont quitté la Syrie, mais continuent à soutenir Assad depuis l’Allemagne tout en luttant contre les révolutionnaires syriens vivants ici en exil. Avec eux, de vieux Allemands russophiles, le cerveau resté bloqué dans une logique de Guerre Froide où il faut absolument s’allier avec la Russie contre les USA et Israël.
Notre idée était de faire une sorte de « flash mob » – nous c’est-à-dire environs 50 révolutionnaires syriens et une poignée d’Allemands – jouer aux touristes pour ensuite sortir le drapeau de la révolution syrienne – avant de joindre la place de l’autre côté de la porte de Brandebourg que la police nous avait attribué pour la contre-manif.
L’idée étant évidemment foireuse face à des vrais fachos. Ainsi, après qu’un ami se soit fait violemment bousculé par une armoire à glace au crâne rasé et malgré l’intervention de la police, on renonce à l’action.
On reste sagement sur la place du 18 Mars (Platz des 18. März) pendant que les pro-Assad occupent la place de l’autre côté de la porte de Brandebourg, à peine à 50 mètres de nous. L’ambiance est tendue. Mais nous sommes là, plus nombreux qu’eux.
Ça danse, ça chante, ça crie des slogans de révolution, pour la liberté et la démocratie en Syrie et sous la devise : la révolution syrienne n’est pas morte.
Les « veilles du lundi », un vrai nid de néo-nazis – Berlin, Lundi 16 Avril 2018, Pariser Platz
La semaine suivante commence avec un autre cauchemar : les soi-disant « Manifs pour la paix » ou « veilles du lundi » (« Mahnwachen für den Frieden » ou « Montagsmahnwachen ») – qui ne se pensent ni gauche, ni droite mais juste « Pour la paix dans le monde » – font leur réapparition.
Inspirées, par le nom et la date, des manifs du lundi en 1989/90 en ex-RDA (Montagsdemonstrationen) et fondées en 2014 par Lars Mährholz avec pour principaux intervenants le populiste d’extrême droite Jürgen Elsässer et le journaliste, antisémite et conspirationniste Ken Jepsen, les « veilles du lundi » représentent un vrai nid de néo-nazis.
Comme il est insupportable pour les révolutionnaires syriens de voir que des fachos pro-Assad occupent de cette manière l’espace publique – avec des drapeaux du dictateur et des drapeaux russes – nous décidons d’y aller.
Mon ami syrien, introduit par le modérateur avec les mots : « Vous n’êtes pas obligés d’être de son avis », prends le micro:
« Vous-êtes-vous demandés pourquoi aucun Syrien n’est venu manifester avec vous aujourd’hui ? (…) Où étiez-vous ? Vous voulez la paix. Nous aussi on veut la paix. Vous êtes-vous demandés au moins une fois ce que nous, les Syriens, voulons ? (…) Vous-êtes-vous demandés pourquoi les Syriens mourraient depuis sept ans ? Évidemment nous voulons la paix et je ne fais aucune confiance à l’Amérique pour amener la paix en Syrie, mais vous êtes-vous interrogés sur ce que vous pouvez faire ? Depuis 7 ans nous mourrons et le monde entier nous regarde. Mon propre frère a été tué – et vous savez par qui ? Par un putain de missile russe! Et malheureusement je viens ici aujourd’hui et je vois que vous portez le drapeau russe ! Comment est-ce possible ? Comment on pourrait faire la paix avec un criminel de guerre ? »
(Ami syrien d’Alep, Pariser Platz, Berlin 16. Avril 2018)
Entretemps, le public d’une trentaine de personnes crie « enlevez-lui le micro » et « Tu as des preuves qu’il y a eu des armes chimiques », « as-tu des preuves que c’était les Russes ? » et d’autres atrocités, comme un « ne soit pas si émotionnel » de la part du modérateur.
Un homme, qui visiblement était déjà au rassemblement de « Hands off Syria » nous reconnait et dit dans le micro: « Ce sont ceux qui ont tenu des propos incendiaires contre Assad et Poutine à la porte de Brandebourg samedi dernier ».
Si les gens ne sont même pas capables d’écouter un Syrien qui a vécu la dictature dans sa chair, leur perte d’humanité est déjà assez avancée.
Impossible de rester longtemps en présence de tant de fascisme. Nous partons.
“Non à la guerre!” Die Linke – Berlin, Mercredi 18 Avril 2018, Pariser Platz
Le mercredi, un autre évènement « pour la paix en Syrie », présente une ressemblance frappante avec les deux mouvements fascistes précédents.
Le nombre de drapeaux russes et la présence d’un gros drapeau d’Assad qui flotte tranquillement au-dessus de la foule d’environs 1000 personnes étonnent même moi, qui m’attendait au pire. Nous sommes quand-même à une manif de die Linke (parti d’extrême gauche allemand). On dirait le portrait craché des lecteurs de RT-Deutschland et Sputniknews.
Sur une pancarte d’une manifestante on peut lire : « Irak : Mensonge de la couveuse, Syrie : Mensonge sur l’emploi d’armes chimiques. Non aux bombes d’OTAN, des USA et d’Israël » sur une autre « Merci Monsieur le président Wladimir Wladimirovitch Putin » en Russe et Allemand et « Pas de dénigrement contre la Russie ».
Nous sommes une dizaine de personnes avec des drapeaux de la révolution syrienne, quelques Allemand*es et des Syriens. Des commentaires directement racistes ne se font pas attendre. Des manifestants viennent vers nous en nous disant que nous portons le drapeau terroriste, que nous sommes des « Zion-Nazis », des « Trump-Angels » et des « Anti-Deutsche ». Les syriens se font harceler avec des : « mais pourquoi tu ne repars pas en Syrie ? On ne veut pas de terroristes ici.». Un homme m’interpelle:
« Toi t’es blonde et tu ne portes pas le voile… donc peut-être ce ne sont pas des terroristes»
« Toi t’es blonde et tu ne portes pas le voile… donc peut-être ce ne sont pas des terroristes. S’il y avait eu des femmes voilées avec vous, j’en aurais pensé autre chose ». Des dizaines de personnes m’interpellent directement sur ma pancarte « Assad et Poutine sont des criminels de guerre » en me demandant comment j’osais dire une chose pareille.
Sur notre tract, on peut lire notamment « Chère die Linke, merci de rappeler que la Syrie existe (…) car la neutralité représente le lieu le plus sombre de l’enfer ». Nous posons la question de comment il est possible que die Linke se rappelle seulement maintenant de la guerre en Syrie sans citer les crimes d’Assad et de Poutine.
Nous demandons pourquoi die Linke défend une position anti-américaine au lieu de défendre l’humanité des syriens. Nous nous faisons massivement critiquer par la plupart des manifestants qui nous interpellent directement à coups de : « Vous faites donc une contre-manif de paix ? »
Pendant ce temps-là, (vidéo) Sahra Wagenknecht, chef fraction au Bundestag de die Linke, parle du danger d’une Troisième Guerre Mondiale que Trump provoquerait avec des tweets concernant la Russie (plus précisément « Get ready Russia »). Elle met l’accent sur l’amitié russo-allemande, sur le besoin d’une « politique de détente » avec la Russie, qui elle protège la Syrie, pendant que les USA mènent une guerre d’agression. Elle parle de l’importance du gaz et pétrole en Syrie, de la « prétendue attaque chimique » et du devoir de cesser les propos incendiaires contre la Russie.
Les autres intervenants, dont Dietmar Bartsch, parlent de « stopper toutes les guerres » et de l’importance de négocier au lieu d’intervenir militairement.
Ute Finckh-Krämer, femme politique du SPD (parti social-démocrate allemand), relève même qu’il faudrait que « toutes les parties du conflit se mettent autour d’une table » et pour cela il faut d’abord « arrêter de démoniser ceux dont on a besoin ». La foule applaudit face à tous ces propos pro-Assad et pro-Poutine.
Quand les révolutionnaires syriens demandent de prendre le micro pour quelques instants, on leur répond « pardon, mais cela ne sera pas possible ».
Le lendemain de la manifestation, Ursula Behr (peintre), participante à la manifestation, publie sur son blog un article complètement délirant où elle nous qualifie de FSA-terroristes, de bellicistes et parle de comment on aurait agressés et encerclés des vieilles dames manifestants paisiblement. Elle poste notamment des photos avec les vrais noms de certains Syriens les nommant terroristes, ce qui relève d’une vraie stratégie fasciste et met en danger les Syriens vivants à Berlin.
L’antisémitisme au sein de la gauche Allemande
Ce que die Linke appelle « l’anti-impérialisme d’Israël » est critiqué sur la manifestation, qui a très clairement un caractère antisémite. déguisé en mode: l’ami (israélien) de nos ennemis (les Américains = impérialistes) n’est pas notre ami.
D’autres scandales antisémites au sein de die Linke ne sont pas rares, comme par exemple en 2011 quand Inge Höger portait une écharpe avec une carte de la Palestine sur laquelle Israël manquait, Hermann Dierkes qui appellait au boycott d’Israël, la manifestation antisémite de « Solid » (jeunes de die Linke) en Juillet 2014 où une foule de néonazis marchaient main dans la main avec die Linke, car ils félicitaient leurs propos antisémites ou le commentaire Facebook en 2017 de Mekan Kolasinac qualifiant Bernd Riexinger de « mauvais, perfide Juif », car il plaidait pour une sortie de Sahra Wagenknecht du parti die Linke. Toutefois, die Linke rejette bien évidemment tout caractère antisémite et se dit seulement « antisioniste ».
Plutôt que de se noyer dans l’antisémitisme et de relayer la propagande du régime d’Assad ainsi que du Kremlin, on pourrait faire une chose très simple: Commencer à écouter les révolutionnaires syriens.