Une interview de Christian Velot sur France Soir le 30 juin dernier a circulé largement au-delà du public habituel du support complotiste, véhiculant largement une série de doutes sur la technologie vaccinale ARN messager (ARNm). La posture « vaccino-prudente » de ce chercheur proche de Jacques Testard et son profil d’ancien élu de gauche et de de lanceur d’alerte anti OGM ont sans doute contribué au succès de sa vidéo.
Alors que l’espoir d’éradiquer le virus dépend aujourd’hui principalement de l’atteinte d’un seuil d’immunité collective de 90%, cette interview nourrit une défiance envers la vaccination. Il semble donc important de resituer les propos du militant-chercheur et de décoder également ses incohérences, approximations et mensonges, pour outiller les militants antivax dans les luttes en manf ou en ligne.
Biologie moléculaire, lutte contre les OGM et théories du complot
Pour se faire une idée du sérieux d’un entretien, il n’est jamais inutile de rappeler qui parle et sur quel support.
Qui est France Soir ?
Ancien quotidien généraliste français créé en 1944 et issu de la résistance, ce support est resté une référence durant 60 ans avant de cesser de publier en version papier en 2011. Racheté en 2014 par Xavier Azalbert, entrepreneur dans la banque en ligne, le BTP et la dépollution des sols, ce média licencie en 2019 les 4 derniers journalistes de l’équipe qui dénonçaient une ligne éditoriale sans contenu. Mis de nouveau en ligne en 2019, France Soir s’est fait connaître comme le moteur promotionnel du pseudo-documentaire Hold Up en septembre 2020, après avoir donné audience des mois durant à une large partie de ses protagonistes. (lien)
A l’occasion de la crise COVID, par une stratégie marketing opportuniste d’interviews de personnalités en vue dans les sphères rassuristes, covidosceptiques et complotistes, France Soir est rapidement devenu la première plateforme conspirationniste francophone.
On y trouve ainsi de nombreux articles antivax (Tess Lwarie, Luc Montagnier), des articles niant la dangerosité du virus (« Covid 19, une maladie bénigne »), de nombreuses tribunes de Didier Raoult, des articles issues de la mouvance QAnon ciblant Antony Fauci, personnalité scientifique ayant tenu tête à Trump, des théories fumeuses autour Bill Gates (« Bill Gates connaît la date de fin de la pandémie ») ou des articles vantant la politique sanitaire de Bolsonaro (« Au Brésil, 5 fois moins de morts d’un Etat à l’autre : l’impact des traitements précoces ? »).
France Soir est également parmi les membres fondateurs de l’association covidosceptique BonSens créée par les principales personnalités complotistes françaises (Alexandra Henrion-Caude, Martine Wonner, Valérie Bugault, Silvano Trotta, Louis Fouché), association à qui il donne une tribune régulière sur sa plateforme.
Comme souvent dans la complosphère, les connexions avec l’extrême-droite sont très présentes et on trouve des vidéos de TV Libertés, chaîne montée par un cadre du FN, et des portraits élogieux de Philippot, Asselineau et Dupont-Aignan.
Qui sont Christian Vélot et le CRIIGEN ?
Lui est Docteur en biologie, maître de conférences en génétique moléculaire, ancien conseiller régional EELV d’Ile de France de 2012 à 2015.
Le CRIIGEN, dont il préside le Comité scientifique, est présidé par Jacques Testard, et se présente comme un organisme scientifique lanceur d’alerte sur les risques des OGM.
Dans les faits, le CRIIGEN est controversé pour ses arrangements avec la rigueur scientifique. Le laboratoire s’est notamment fait connaître par une polémique sur une étude controversée de 2012 sur le maïs transgénique NK603, qui a fini par être rejetée par la communauté scientifique parce que biaisée et non concluante.
Plus récemment, le CRIIGEN s’est fait remarquer lors du lancement de la campagne vaccinale contre le COVID pour avoir été impliqué dans le détournement du site ViteMaDose au moment de sa mise en place. Une copie du site a alors orienté les visiteurs souhaitant se vacciner vers une vidéo de Christian Vélot appelant à se méfier du vaccin. Une technique digne des techniques antivax les plus agressives.
Principe de précaution vs bénéfice-risque.
Remarque liminaire, la grille de lecture de Christian Vélot sur le vaccin ARN messager est calquée sur le principe de précaution plutôt que sur une approche du bénéfice-risque. Deux approches complètement différentes : la première se focalisera sur la possibilité, même infime, d’un risque pour la santé et condamnera tout ce qui ne présente pas un risque zéro ou approchant ; la deuxième établira des mesures comparatives des bénéfices/risques d’un traitement face aux risques d’une maladie pour sauver des vies.
Vieux débat juridico-scientifico-politique, si le champ d’application du principe de précaution est reconnu comme salutaire dans le champ de l’environnement et de l’alimentation (sauf par les lobbys industriels et les défenseurs politiques d’un libéralisme économique non-régulé), il est en revanche discuté et discutable lorsqu’il s’oppose à la prévention santé et notamment vaccinale.
Le principe vaccinal reposant sur l’atteinte d’un seuil d’immunité collective, et donc sur la confiance de la population, le principe de précaution est effectivement l’outil idéal pour anéantir l’adhésion à un vaccin : la suspension en 1998 de la campagne de vaccination scolaire contre l’hépatite B sur la base d’un risque non documenté et plus tard infirmé, a durablement entamé la confiance du public, et le taux de vaccination ; plus récemment, la suspension par la France du vaccin Astrazeneca sur la base du principe de précaution (30 cas de thromboses pour 17 M d’injections lors de sa suspension en mars 2021) et contre l’avis des experts médicaux qui établissaient un bénéfice-risque très positif a décrédibilisé un vaccin pourtant essentiel pour limiter les victimes du virus.
On comprend donc pourquoi l’extension du principe de précaution au champ de la prévention santé est largement récupérée et instrumentalisée par les mouvements antivax, qui n’hésitent pas par exemple à communiquer autour du cas des rares personnes ayant subi des effets secondaires du vaccin (parfois en inventant des cas), et en taisant systématiquement le cas des victimes, bien plus nombreuses, de la maladie combattue.
Une approche du risque du vaccin fantaisiste.
Invoquant ce principe de précaution, toute la thèse de Christian Vélot repose sur la possibilité d’une modification du génome humain par l’ARN messager. Or selon la jurisprudence, le principe de précaution n’autorise pas à adopter des mesures de restriction pour un simple doute, et le risque redouté ne doit pas être un simple fantasme, il doit être au moins plausible. Par ailleurs, le principe de précaution doit également tenir compte du principe de proportionnalité et les mesures de précaution doivent être les plus adaptées au risque (financer une rechercher pour mieux cerner le risque, retirer provisoirement un produit, en assurer le suivi, l’interdire définitivement…).
Même si l’on défend le principe de précaution, il faut donc documenter a minima la probabilité de survenue du risque, et convenir que les mesures d’encadrement d’un produit sont bien proportionnées aux risques et aux bénéfices qui y sont associés.
Il faut ici commencer par préciser que la technique de l’ARN messager n’est pas la thérapie génique, contrairement à une rumeur qui enfle. L’ARN injecté ne pénètre pas dans le noyau des cellules, or, c’est dans ce noyau cellulaire que se situe notre matériel génétique. Par conséquent, même après l’injection du vaccin, lors de la division cellulaire, les noyaux continuent à ne contenir que notre ADN humain naturel (lien). Par ailleurs, on sait que l’ARN messager disparaît de la cellule très rapidement après son introduction, et que les effets graves des vaccins se déclarent dans les 3 premiers mois. On a donc aujourd’hui le recul nécessaire pour considérer que les risques à long terme sont extrêmement limités.
Le risque évoqué par le chercheur ne concerne donc pas le cœur même de la technologie des vaccins, mais celui d’une incorporation accidentelle d’ARN messager ou d’ADN issu des vaccins dans le génome d’autres virus, selon le principe de la recombinaison virale. Sauf que selon Etienne Simon-Lorière, responsable du laboratoire Génomique évolutive des virus à ARN à l’Institut Pasteur, « Les adénovirus utilisés comme vecteurs pour le vaccin ne possèdent pas de machinerie permettant d’effectuer l’intégration vers le génome de l’hôte. Une intégration est d’autant plus improbable que ces vecteurs ne sont pas capables de se répliquer. Cela impliquerait une série d’événements (cassures et réparations) qui sont tellement rares qu’il est difficile d’en quantifier la probabilité ». (lien)
Autrement dit, d’un point de vue purement théorique, c’est effectivement possible mais hautement improbable. Le problème fondamental de l’argumentaire de Christian Vélot est qu’à aucun moment, ce risque n’est documenté ou mesuré, le chercheur allant même jusqu’à dire qu’il est infinitésimal, et d’évoquer le taux de risque d’un sur un million (il avait évoqué 1 sur cent millions dans une vidéo de mai dernier…). Interviewé par Libération, Cédric Feschotte, professeur au département de biologie moléculaire et de génétique de l’université Cornell (New York), estime que la probabilité de cet événement génétique est « de l’ordre de celles des mutations qui peuvent arriver aléatoirement dans les cellules considérées ». On serait donc à l’échelle de l’évolution humaine. Dans le même article, Eric Kremer, chercheur à l’Inserm et directeur adjoint de l’équipe Adénovirus, précise que « Le risque biologique d’avoir ce fragment d’ADN [issu de la vaccination] intégré dans le génome d’une cellule, puis que l’évènement se traduise par un effet délétère perceptible, est le même risque que de gagner au loto et d’être frappé par la foudre le même jour. On parle d’un risque réellement si faible qu’il n’est même pas intéressant d’en discuter sur le plan théorique ».
Le principe de précaution invoqué par Christian Vélot reposant sur une absence de probabilité, il peut donc être qualifié de fantaisiste, et de dangereux si on le rapporte au risque de la maladie.
Ignorance de l’état des connaissances et négation du bénéfice du vaccin
La fragilité de l’argumentation du chercheur sur le risque du vaccin étant actée, qu’en est-il de sa perception du bénéfice et de l’encadrement médical du vaccin ?
Au fil de son intervention, Christian Vélot enchaîne les approximations et contre-vérités, témoignant de son incompétence en matière de médecine préventive et en particulier sur la COVID-19. Parmi les énormités relevées :
• « On ne sait pas si le vaccin protège des formes graves ». C’est faux, on sait que 91% des vaccinés ARNm ne développeront pas la maladie et que si elles la développent la forme sera nettement bénignes (lien). Une étude récente montre ensuite que seulement 6% des 2 120 personnes testées positives au COVID-19 entre le 28 juin et le 4 juillet sont complètement vaccinées (lien).
• « On ne sait pas si le vaccin protège de la transmission ». C’est faux, on sait que le risque de se contaminer au sein d’un foyer passe de 4% si tout le monde est vacciné à 59% si personne ne l’est (lien).
• « On n’a aucun recul sur cette technologie ». C’est faux, l’ARNm a été découvert en 1960, les chercheurs travaillent au sérum ARNm depuis 30 ans, des vaccins ARNm ont été testés contre les virus Ebola et Zika. Des vaccins ARNm testés depuis le début des années 2000 contre le cancer ont montré qu’il n’y avait pas d’effet à long terme de cette technologie vaccinale (lien).
• « On ne suit pas les personnes vaccinées et on n’a aucun registre d’étude sérieux pour évaluer les effets secondaires ». Au contraire, on n’a jamais mobilisé un registre aussi fourni, avec 40 000 personnes volontaires uniquement pour les essais cliniques Pfizer (https://bit.ly/36XDQaw). Et en France, on sait que pour 46 M d’injections pfizers qui ont été réalisées, on a identifié 9 000 cas graves (lien)
Posture « rassuriste » et négation des risques du virus
La vision du chercheur est-elle plus affutée sur le risque du virus que sur le bénéfice du vaccin ?
Il faut attendre la dernière partie de l’interview pour comprendre son positionnement, que l’on peut qualifier de « rassuriste » et de favorable à une immunité naturelle : « Si le virus était gravissime », « le virus tue peu », « le COVID n’est pas un virus tueur » assène le chercheur. Selon lui, la cause des millions de morts est la fragilité des personnes : elles meurent d’abord parce qu’en fin de vie ou du fait de leurs comorbidités, pas à cause du virus.
Après quoi il appelle solennellement à « laisser le virus circuler via les jeunes » pour atteindre une immunité collective naturelle. S’il avait donné son interview à un journaliste professionnel plutôt qu’à un organe de propagande complotiste, on ose espérer qu’il aurait reçu plusieurs objections en retour :
• Que fait-il des 17 M de personnes en France qui sont considérées comme à risque (lien), et dont une part importante n’a pas conscience de l’être ? Que fait-il des 5 M de personnes à risque non encore vaccinées en particulier (lien) ? On laisse circuler et on laisse faire la loi de la nature ?
• Que fait-il de l’échec criminel des politiques d’immunité collective aux US de Trump et au Brésil de Bolsonaro, ou encore en Suède ?
• Que fait-il de la dangerosité beaucoup plus forte du variant delta, qui s’annonce en 4ème vague d’ici la fin de l’été, et notamment auprès des plus jeunes ? Que fait-il du rajeunissement flagrant depuis janvier des personnes hospitalisées (lien) ?
• Que fait-il enfin des 250 000 à 300 000 personnes atteintes de COVID longs qui souffrent de symptômes persistants, invalidants (troubles respiratoires, cardiaques, pertes de mémoire, difficultés de concentration et fatigue permanente) six mois après leur contamination et qui ont une moyenne d’âge de 40 ans, sont actives et ne souffrent d’aucune comorbidité (lien) ?
Allégeance pro-Raoult et principe de précaution à géométrie variable
La mauvaise foi du chercheur s’exprime dans une lumière crue lorsqu’après avoir remis en cause, sans preuve ni mesure, une technologie validée par la communauté scientifique et les autorités sanitaires mondiales (mais admettons que ça ne suffise pas), il avoue une confiance aveugle dans le fameux traitement, pourtant invalidé, de Didier Raoult et reprend les thèses farfelues du professeur marseillais :
• « Quand même, Didier Raoult, le plus grand médecin du monde ! » : Christian Vélot nous invite à adhérer aux travaux d’une personnalité sur un simple argument d’autorité, ce qui est un contre-argument scientifique.
• Le chercheur se demande « pourquoi balayer une solution (hydroxychloroquine + AZT) d’un revers de main ? (…) d’autant qu’on a du recul sur l’utilisation de la chloroquine ». On peut difficilement parler de « balayer d’un revers de main » un traitement qui a fait l’objet de 300 études, monopolisé bien trop de moyens de recherche, pour aboutir à des résultats négatifs (lien). De plus, il omet de préciser qu’on n’a pas de recul sur le cocktail hydroxycholoroquine + AZT, sur une maladie nouvelle, et avec un dosage jamais testé à grande échelle.
• « La mortalité a été inférieure à Marseille (sous-entendu grâce Hydroxychloroquine et AZT) ». Cette thèse de Raoult a notamment reposé sur une comparaison entre les morts à Marseille et à Paris infondée et déjà débunkée. L’argument phare en appui à cette thèse étant le faible de taux de létalité des patients de l’IHU de Marseille, sans jamais rappeler que cet établissement n’a pas de service de réanimation, et donc que ces statistiques ne peuvent pas être comparées à des établissements traitant des cas graves en service de réanimation.
• Reprenant les propos de Raoult, le chercheur présente enfin l’Inde comme un modèle thérapeutique, sans doute parce que ce pays produit et a prescrit des traitements comme la chloroquine et l’Ivermectine. Il faut toutefois être assez peu connecté à la réalité pour parler de modèle thérapeutique à propos du pays ayant connu un nombre de victimes record et dont les chiffres sont notoirement sous-évalués (on parle de 4,5 M de morts en Inde contre les 450 000 officiels). C’est également oublier que l’Ivermectine a été retirée des traitements prescrits la deuxième quinzaine de juin, et que l’hydroxychloroquine n’y est plus prescrite non plus.
En totale incohérence avec le principe de précaution qu’il revendique contre le vaccin, le chercheur n’hésite pas à cautionner le refus par Raoult du recours à des études randomisées (comparaison entre une population traitée et une population sous placebo), parce que selon lui, « moralement, on ne (pourrait) pas refuser de « soigner » des personnes qui risquent de mourir ». Oublié alors le manque de recul et les effets à long terme d’un traitement expérimental…
Pour conclure et en résumé, en période de pandémie, on pourrait attendre d’un chercheur renommé qu’il n’adopte pas les codes antivax et complotistes, qu’il s’appuie sur plus qu’une théorie fumeuse pour décrédibiliser un vaccin, et qu’il en sache un peu plus que ceux à qui il s’adresse concernant les bénéfices du vaccin qu’il attaque, et sur les dangers du virus dont il défend la libre circulation.