« Au premier tour on choisit le meilleur, au second tour le moins pire » Tel est le drame, final de la démocratie bourgeoise parlementaire, des élections à deux tours. Si tant est que l’on ait un « meilleur » au premier tour (excluant le programme par l’individualisation bonapartiste du pouvoir), le constat est que n’est jamais élu un candidat ou un programme dont est proche la majorité des électeurs. Enfin, de ceux qui s’expriment.
Enfoncer une porte ouverte.
Le pouvoir politique est détenu par une minorité élue par opposition à d’autres. Un certain nombre d’entre nous, appelés Castors, ont fait action politique de voter pour tout candidat opposé à un candidat d’extrême-droite, notamment au nom de l’antifascisme. Cette position est louable. Et défendable. Tout sauf le fascisme. Tout en luttant quotidiennement contre le pouvoir élu dans sa politique anti-sociale, réactionnaire, raciste, etc.
Au contraire, d’autres, les Ornithorynques, ne votent ni au premier, ni au deuxième tour. Ou bien votent Blanc ou Nul. Politiquement. D’autres votent au premier tour mais pas au deuxième, refusant le « moindre pire » et ne se résignant pas à voter pour des candidats anti-sociaux, de droite, xénophobes, etc.
Je suis issu d’un milieu familial rouge, communiste, où l’on vote pour le Parti au premier tour, et où l’on vote à gauche au second tour. Où il faut voter, parce que le droit de vote fut acquis de haute lutte par nos ancêtres. Parce que le droit de vote des femmes a été acquis durement. On vote, et il n’y a pas à discuter du sujet.
Je suis le « mouton noir » de la famille. Au sens politique. Celui qui parfois vote. Ou pas .Mes premières expériences de vote se firent dans une île lointaine, votant pour les mouvements indépendantistes au premier tour, et blanc au second. De retour en France, « libéré » de la tutelle parentale, inscrit sur les listes électorales, je vote blanc à tous les tours. Renvoyer sa carte électorale au député-maire communiste en réclamant son soutien dans la lutte des instits contre Allègre. Pour recevoir une nouvelle carte, sans jamais que le député-maire ne s’investisse. La déchirer. Ne plus s’inscrire. Puis se ré-inscrire et émarger pour avoir un appart. Oui, j’assume.
Voter à chaque élection. Mais voter pour mes propres candidats. La Mulâtresse Solitude, Louise Michel, les Peuples Autochtones de Guyane, la Pizza à l’Ananas. Au premier comme au second tour.
Je suis un Ornithorynque. Je me souviens du 1er mai 2002. Je n’étais pas inscrit sur les listes électorales à ce moment là. Je me souviens de cette manifestation monstre à Paris. Un 1er mai contre le Front National arrivé au 2nd tour. Pas un 1er mai de lutte sociale. Je me souviens surtout d’une pancarte, qui m’a profondément marqué. Il était écrit « abstention = collaboration ». C’est ainsi. Qui ne va pas voter contre l’extrême-droite est un fasciste, un antisémite, un « collabo ». Terrible. J’ai quitté la manifestation après avoir pourri la tête de la personne portant cette pancarte, et me suis juré ce jour là de ne plus voter avec ces gens-là.
Le crachat sur les abstentionnistes (dont les motivations sont nombreuses et variées) de la part des rois politiques est d’une banalité…
La faute, ce n’est jamais eux, toujours l’électeur, le peuple débile, l’autre. Le crachat politique sur les abstentionnistes, crachat venu de « notre » camp, est une injure. Historique, politique. Notre abstention est politique. Elle ne signifie pas un désengagement politique. Au contraire. Elle est un acte politique volontaire, allié à un engagement politique. Antifasciste. Parfois payé un prix très lourd. Parfois nos échanges furent virulents, entre nous, Castors et Ornithorynques. Mais je suis conscient que les Castors nous font gagner du temps. Et j’ai le plus grand respect pour les Castors. Ils tentent de maintenir une digue contre l’accession au pouvoir par les urnes de l’extrême-droite. Le plus grand respect allié à une désillusion : ils espèrent. Ils repoussent, ils nous font gagner du temps. Mais ils n’empêchent pas les idées d’extrême-droite de se répandre. Y compris à gauche, et même dans certains pans de l’extrême-gauche. Antisémitisme, islamophobie, xénophobie, parfois des positions anti-sociales, populisme… Le curseur politique se déplace inexorablement vers la droite.
Que s’est-il passé depuis mai 2002 ? Un sursaut antiraciste ? Non. Un sursaut antifasciste ? Non. Un coup de barre progressiste ? Non.
Grâce aux Castors nous avons gagné du temps. Pour que le Président de la République réhabilite politiquement la pensée de Charles Maurras, idéologue du Nationalisme Intégral et de l’antisémitisme politique. Adapter la mode, une islamophobie d’État. Une lutte contre le « séparatisme », logorrhée issue toute droite du maurrassisme. Les ennemis de la République, ce ne sont plus les fascistes ni les royalistes de l’Action Française (dont le ministre de l’intérieur fut un très proche et dont les « opinions » anti-républicaines et xénophobes sont assumées contre les rayons « communautaires » ), mais les Métèques (l’un des Quatre États Confédérés honnis par Maurras). Les Métèques , les musulmans devant prêter allégeance à la France, les Noirs colonisés et esclavagisés devant remercier pour l’abolition de l’Esclavage et admirer tous les bienfaits que leur ont apportés l’Histoire. Tous ceux qui mettent en danger la France Éternelle, provoquant « l’insécurité culturelle ». Une Anti-France remise au goût du jour. La reprise de toute la rhétorique de l’extrême-droite, couverte des Vertus de la République. Celle de Ferry, raciste et colonialiste, du grand homme d’État antisémite, négrophobe et esclavagiste Colbert, de la « Divine Surprise » de Maurras, du Sauveur collaborationniste antisémite Pétain. Ce roman national de la grandeur de la France, faisant taire par la force de la loi et de la répression les États Confédérés qui réclament Justice.
L’extrême-droite est déjà là. Aseptisée politiquement sous les Ors de la République. Pour l’instant. L’heure n’est plus aux Castors ou aux Ornithorynques.