Le fait de voir le parti présidentiel, la République en Marche, s’essayer avec succès à la Fake News permet de mieux analyser les ressorts politiques de ce phénomène et aussi, plutôt que de nier son existence ou l’usage du terme, d’en esquisser quelques contours.
Ce sont en effet, coup sur coup, le ministre de l’Intérieur délirant sur une « attaque » d’hôpital par des black blocs et la secrétaire d’Etat à l’égalité femme homme Marlène Schiappa, qui publie avec la ministre des transports Elisabeth Borne un communiqué sur l’affaire islamophobe du chauffeur de bus qui aurait refusé une jeune fille en jupe. Ces deux Fake News et surtout leur usage par le parti au pouvoir permettent de mettre le phénomène sous une nouvelle lumière.
La « Fake News » apparaît en effet comme la diffusion d’un mensonge qui va en retour déclencher une accusation de « Fake News », mais qui permet de poser un clivage politique entre l’auteur et le dénonciateur et surtout d’équilibrer les deux positions. Qu’on soit auteur d’une Fake News ou qu’on en dénonce une, chacun sa vérité et ainsi les deux se valent.
C’est avec l’élection de Trump que le phénomène apparaît sous sa forme actuelle. Trump, le fasciste anti-système est devenu le système grâce à cet usage des Fake News et à leur dénonciation. Etre à la fois l’auteur de Fake News tout en reprochant à ses opposants d’en être eux les auteurs, voilà la caractéristique principale de la Fake News. C’est Trump, le pape de la Fake News qui la définit en fait le mieux : « you are Fake News » – « c’est toi la fake news » (qu’on retrouve dans le générique de l’émission de Sonia Devillers sur Inter accessible ici).
Ainsi, qu’on en use ou qu’on la dénonce on se retrouve situé sur un même plan. Cette caractéristique de la Fake News en fait une arme politique redoutable et aussi permet son usage indifférencié selon les contextes. Virtuellement tout peut être Fake News selon qu’on est en désaccord ou qu’on veut transformer un mensonge en « vérité alternative ». Ceci en plus du choc de découvrir que la Fake News aidait le fascisme à accéder au pouvoir, a contribué à faire de la « Fake News » le machin à la mode dont il fallait faire semblant de se préoccuper et Emmanuel Macron sitôt au pouvoir a donc déclaré vouloir une loi sur le sujet.
Le texte de loi n’est pas complètement vain surtout qu’il commence à aller dans le sens d’obliger les plateformes à assumer certaines responsabilités, mais il tente de poser une définition juridique des « fausses informations » désormais inscrites dans la loi: « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir, diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne ».
C’est au juge des référés (en 48h) et au CSA qu’incombe la responsabilité de dire ce qui est trompeur et inexact ce qui ne résout rien mais donne donc une existence juridique à la « fausse information ». La loi impose notamment aux plateformes de plus de 5 millions de visiteurs des obligations de transparence quant aux publicités politiques en période de scrutin, ce qui a permis à Twitter de rejeter une campagne de pub du gouvernement en arguant du fait qu’ils ne pouvaient pas se mettre en conformité avec la loi. Ce pied de nez de Twitter au gouvernement, qui a beaucoup amusé, tient surtout au fait que les plateformes voudraient bien continuer de publier des contenus sans assumer aucune responsabilité éditoriale sur ce qui est publié et continuer d’être des médias dans ce qu’ils font, tout en ne se définissant que comme des pures entreprises commerciales dans ce qu’ils sont.
Le problème est large mais cet épisode Twitter permet de voir comment agit la Fake News lorsqu’on y touche: elle ouvre la possibilité de son retournement (on retrouve la définition de Trump : « you are Fake News ») et c’est la première chose que fait Twitter : appliquer la loi anti-Fake News à l’auteur de la loi anti-Fake News.
Autre versant de la loi, celui-ci totalement raté: le ciblage des médias contrôlés ou influencés par des puissances étrangères. Clairement ce sont Sputnik et Russia Today qui sont ciblés mais lorsque Marlène Schiappa surfe sur la même Fake News islamophobe qu’eux, cela ne pourra que contribuer à renforcer le principe de « c’est toi la Fake News ».
Etant donné les liens qui se renforcent entre le Printemps Républicain et les souverainistes proches de Russia Today d’une part et entre certains macronistes et le Printemps Républicain d’autre part, il y a fort à parier que ce phénomène risque de se reproduire.
L’extrême droite ça pousse à la Fake News
Autre constat, l’extrême droite pousse à la Fake News et c’est dans la course à l’extrême droite du gouvernement que la Fake News apparaît.
Le président hait plus que tout le front anti-fasciste qui l’a fait élire et à qui il ne veut en aucun cas avoir de comptes à rendre dans l’application de sa politique. Cependant c’est bel et bien grâce à ce front que Macron a été porté au pouvoir et il souhaiterait bien gagner les prochaines élections.
Comment donc résoudre cette équation difficile ? La solution (sans grande originalité) va donc être de draguer l’extrême droite en essayant d’appeler ça « ne pas leur laisser le terrain » (ou de façon plus surprenante appeler ça « Blitzkrieg positif ») et qui aboutira comme d’habitude à ce que les électeurs préfèrent l’original à la copie. Ce qui est intéressant c’est que c’est précisément dans cette drague que le gouvernement va tout seul tomber dans la Fake News, ce qui permet de voir que la Fake News est donc bien une méthode qui s’associe naturellement à l’extrême droite.
C’est donc deux dragues à l’extrême droite de deux ministres qui aboutissent à deux Fake News: l’attaque de l’hôpital par une horde de black blocs fanatiques relayée par Castaner, le chauffeur de bus islamiste ayant refusé l’accès à une jeune fille en jupe relayée par Schiappa et Borne dans leur communiqué. Cette deuxième peut aussi être considérée comme Fake News dans le sens où elle agit sur les mêmes ressorts et qu’il importe peu, au fond, qu’elle soit vraie ou fausse. La Fake News doit ainsi demeurer dans cette espace indéterminé qui n’est ni vrai ni faux mais les deux à la fois.
Le language de la Fake News
Le principe de ni vrai ni faux est le même avec la Fake News du ministre Castaner sur l’hôpital de la Pitié Salpêtrière. Le faux a beau être prouvé et avéré, le ministre maintient que le fait est réel mais qu’il a juste utilisé le mauvais terme pour le qualifier. « J’aurais du me tenir à intrusion violente ». Le ministre reconnaît une faute mais pas celle d’avoir menti sciemment, uniquement de n’avoir pas utilisé le bon terme dans son mensonge.
La faute de Castaner est en fait de n’avoir pas respecté le langage de la Fake News c’est à dire d’avoir sorti la Fake News de cette zone grise invérifiable.
« Ici, à la Pitié-Salpêtrière, on a attaqué un hôpital. On a agressé son personnel soignant. Et on a blessé un policier mobilisé pour le protéger. »
Autant d’éléments vérifiables.
Dans ses « excuses » il reprend en fait le langage de la Fake News en revenant dans la zone grise : « Je n’aurais pas dû employer le terme attaque mais plutôt celui d’intrusion violente ». Il reste ainsi dans le flou et la confusion volontaire entre l’hôpital et l’enceinte de l’hôpital et en omettant le reste du bobard sur l’agression du personnel soignant et le policier blessé. Ce flou est essentiel car c’est grâce à lui que Castaner peut transformer son mensonge avéré en une « situation qui a évolué ». Toute la Fake News se retrouve dans cette expression de « situation qui a évolué »: ce qui est faux était en fait du vrai qui s’est transformé en autre chose.
On n’oubliera pas de bien noter qu’il y a effectivement eu intrusion violente dans l’enceinte de l’hôpital, des BRAV (voltigeurs nouvelle version) s’y étant adonnés au tabassage de rigueur.
Le communiqué de Marlène Schiappa et Elisabeth Borne est plus respectueux du langage de la Fake News.
On parle au conditionnel et on insiste sur l’attention portée à l’enquête. Le fait n’est pas connu, il est encore dans cette zone grise non vérifiée et c’est là qu’il peut être utilisé politiquement. Il est d’ailleurs fort probable qu’il reste dans cette zone grise, la jeune fille à la jupe et son père ayant indiqué ne pas souhaiter porter plainte mais exigeant des excuses de la RATP, un moyen parfait de rester dans la zone grise invérifiable.
En effet, tant qu’il est dans cette zone grise il peut être générateur de fantasmes et servir aux peurs. Il va pouvoir être relié à d’autres faits invérifiables comme la légende des chauffeurs de bus refusant de conduire après une femme, légende née de quelques cas de salafistes refusant de serrer des mains mais surtout dans la foulée du 13 novembre après la révélation qu’un des terroristes avait travaillé 15 mois à la RATP. La photo du terroriste chauffeur de bus a d’ailleurs vite trouvé sa place sur le mur de Laurent Bouvet en commentaire de l’autre affaire, aux côtés d’autres photos d’agents de la RATP avec des barbes.
Le lien avec l’accusation de terrorisme n’est semble-t-il pas très loin non plus concernant les manifestants black blocs assimilés volontiers à des terroristes…
Dans les deux cas cependant, les faits tels qu’ils se sont produits ne pourront plus influencer le débat. La Fake News lancée avant l’accord sur les faits a cette vertu qu’elle permet à l’affaire d’atteindre une généralisation suffisante pour que le débat soit indépendant des faits. Le problème des conducteurs de la RATP barbus restera un problème pour les islamophobes quel que soit la réalité des faits, « l’intrusion violente » de manifestants dans l’enceinte prétendument sacrée de l’hôpital reste condamnable pour les partisans de l’ordre macroniste même si ils fuyaient la police…
Les médias coupables
Autre caractéristique de la Fake News: l’attaque des médias. C’est l’autre versant de l’idéologisation de la Fake News: attaquer celui qui rétablit la real news. Le but de la Fake News est encore une fois la zone grise qui permet de créer un débat idéologique radicalisé d’exclusion. Les médias, qui donc font sortir la Fake News de cette zone grise et rétablissent des terrains d’entente sur les faits apparaissent comme les ennemis de l’opinion et du débat idéologique d’exclusion. Ce qui est frappant c’est que les médias seront aussi considérés comme des ennemis même par ceux qui profitent du rétablissement de la vérité.
Car la Fake News permet un positionnement politique autant à celui qui en est l’auteur qu’à celui qui la dénonce. Sortir de la Fake News nuit donc autant au dénonciateur qu’à l’auteur. Dans le cas de Castaner on voit ainsi que le réflexe est de taper sur les médias qui pourtant ont rétabli la vérité. Motif: les médias (dominants) ne font pas assez de « mea culpa » pour avoir initialement relayé la parole du ministre de l’Intérieur.
Cette attitude n’est pas seulement dû au business politique de la « critique des médias » qui fait vivre les médias « alternatifs ». C’est réellement la détestation du rôle du média qui permet d’apporter des informations fiables, de vérifier des faits. Ici ce qui est reproché aux médias c’est d’avoir en réalité fait leur travail, c’est à dire d’avoir relayé la parole du ministre de l’Intérieur ce qui est leur rôle puis d’avoir établi que c’était un mensonge ce qui est leur travail. Il leur est reproché de ne pas avoir tout de suite pris la position accusatoire en accusant le ministre de Fake News. Or il n’était pas possible, avant la vérification, de savoir que le ministre mentait. Il était possible de douter, il était possible de crier à la Fake News dans une position idéologique aussi, mais pas d’établir que les faits étaient faux avant d’avoir établi les faits. Et taper sur l’établissement de faits c’est encore de la Fake News, vouloir rester dans la zone grise.
C’est aussi une des caractéristique de la Fake News c’est d’être une news et donc elle implique l’examen de la responsabilité des médias mais cet examen est biaisé. Dans le monde réel nous avons des médias qui ont relayé la parole du ministre de l’Intérieur. Dans le monde de la Fake News nous avons des médias chiens de garde du système qui ont défendu le mensonge du ministre et qui rétablissent la vérité uniquement pour masquer leur participation au mensonge…
Paradoxalement donc, la Fake News dépolitise. Ici on se retrouve avec le procès des médias pour avoir relayé la Fake News du ministre de l’Intérieur plutôt que le procès du ministre de l’Intérieur pour avoir sorti un mensonge éhonté dans une course à l’extrême droite. Ce qui importe dans la Fake News encore une fois c’est de brouiller la barrière entre la Fake News et la news, qu’on soit auteur ou dénonciateur de la Fake News l’enjeu est le même. L’un dit « on ne sait pas », l’autre dit « vous dénoncez la Fake News alors que vous en faites vous même ». Le brouillage de frontière est similaire et dans les deux cas ce sont les médias qui sont responsables de cette frontière, ce sont donc eux qu’il faudra attaquer quel que soit le côté de la Fake News duquel on se place.
Edouard Philippe d’ailleurs et les macronistes les plus polis ont vite fait de dénoncer « une polémique agitant le monde médiatico-politique » (les moins polis ayant avoiné d’insultes les journalistes fact-checkeurs) ce qui confine au ridicule tant ce sont les macronistes qui se sont jetés sur cette histoire pour en faire une polémique.
Mais la Fake News a bien joué son rôle, les opposants préférant finalement faire le procès des « chiens de gardes » plutôt que du gouvernement qui tape sur les journalistes au propre comme au figuré et maintient ses Fake News et compte bien continuer sur cette voie.