Brenton Tarrant était français. Du moins c’était son rêve de filiation, même les tueurs fascistes n’échappent pas au mythe des origines. Avant d’assassiner de sang-froid 51 personnes musulmanes et d’en blesser 42, des enfants, des femmes, des hommes, lors d’un attentat longuement préparé et jamais regretté, même après sa condamnation à perpétuité. Brenton Tarrant s’était même offert un voyage d’adieu à la liberté en Europe, et dans son manifeste revendicatif, c’est la France qu’il évoque pour décrire le moment où il a décidé de passer à l’acte.
Un moment en deux temps. D’abord, une crise de rage devant un centre commercial où il constate la présence en masse, visible, des « envahisseurs » et de leurs enfants, où il ressasse la défaite de Marine Le Pen à l’élection présidentielle et l’élection d’Emmanuel Macron qu’il considère à ce moment précis comme un « capitaliste égalitaire ». Et puis le moment du recueillement et de la Révélation, dans un cimetière de soldats de l’Est de la France, moment patriotique et barrésien (1). Brenton Tarrant, jeune homme de 28 ans, va décider de tuer des innocents, parce qu’ils sont musulmans, en s’identifiant aux soldats français . La Terre et les Morts.
Souvenir recréé pour les besoins de la Cause ? Peut-être mais Brenton Tarrant a réellement fait ce voyage en Europe, il s’est réellement nourri de l’idéologie française islamophobe et anti-immigration de Renaud Camus, il a réellement été donateur de Génération Identitaire.
Dans son manifeste, il explique froidement que le crime de masse terroriste doit aussi être un moyen de galvaniser les divisions entre les blancs européens et les « envahisseurs », et de pousser tous les politiciens à agir contre eux pour satisfaire le Peuple.
En France l’écho de l’attentat de Christchurch a eu lieu dans une ambiance bien particulière : en mars 2019, l’offensive islamophobe battait son plein. Après une parodie de condoléances minimales, et sans que l’attentat ait éveillé de compassion massive, contrairement à ce qui se passait dans les pays anglo-saxons, il a fallu seulement quelques jours pour que les musulmans soient accusés d’en faire trop, et que Jacinda Ardern, la première ministre néo-zélandaise soit conspuée pour avoir symboliquement porté le voile lors d’un de ses discours, aussi bien par l’extrême-droite que par les islamophobes proches du pouvoir (2). Très vite des éditorialistes des principales chaînes d’info ont osé des comparaisons ignobles, sur le nombre de morts respectifs du djihadisme et du suprémacisme blanc.
D’un point de vue politique, Brenton Tarrant a atteint ses objectifs. D’une part, il a réussi ce que Breivik avait échoué à faire : devenir un mythe suffisamment puissant pour entraîner des répliques perpétrées partout en Occident par ses admirateurs. Répliques dirigées indifféremment contre des musulmans, des Juifs, des féministes, des afro-américains, des immigrés d’origine latino, en Europe et aux Etats-Unis. Au Royaume Uni, dès le 19 mars, un premier imitateur sanglant est arrêté après avoir poignardé un jeune homme musulman sur un parking. Le 9 octobre 2019, Stephen Balliet tentera de s’attaquer à une synagogue en pleine cérémonie religieuse, avant de se replier sur un kebab où il tuera de sang froid en visant ceux qu’il identifie comme « Arabes ».
D’autre part en France, l’offensive islamophobe continue : à l’automne 2019, elle atteint un premier paroxysme avec une provocation de Julien Odoul, élu RN qui insulte une femme portant le voile venue assister avec des enfants en sortie à une séance du conseil régional de Bourgogne Franche-Comté. Des dizaines de débats télévisés ont lieu sur le sujet, à charge contre la victime présentée comme une provocatrice islamiste, thèse que le président de la République reprendra dans un entretien à l’hebdomadaire d’extrême-droite, Valeurs Actuelles, en affirmant que l’élu RN s’est fait « manipuler ». Le 28 octobre 2019, un ancien membre du Rassemblement National attaque la mosquée de Bayonne et blesse grièvement deux personnes avant d’être arrêté. Lorsqu’une manifestation contre l’attentat est organisée, elle est violemment stigmatisée jusqu’au plus haut niveau de l’état.
Un an plus tard, les débats préparatoires à la loi Séparatisme commencent dans une atmosphère empoisonnée. Deux associations sont dissoutes alors que le gouvernement reconnaît qu’elles ne sont pas directement liées aux attentats, et notamment celui contre Samuel Paty, enseignant assassiné par un djihadiste, le 16 octobre 2020. Des mosquées sont fermées pour motif purement administratif, ainsi qu’un collège/lycée privé.
La loi elle-même repose sur une vision paranoïaque et conspirationniste : les musulmans sont considérés comme présumés coupables, et sommés de prouver leur innocence au quotidien. Le culte lui même est soumis à un contrôle draconien, les associations musulmanes doivent s’engager par un « serment républicain », et leur dissolution est possible, et de manière suspensive, avant tout recours possible. La loi Séparatisme fait évidemment le lien entre islam et immigration en multipliant de nouvelles possibilités de retrait ou de non-délivrance de titres de séjour, au mépris des droits humains les plus élémentaires pourtant toujours cités par le gouvernement, lorsqu’il s’agit de prendre la posture civilisatrice. Le Ministre de l’éducation, comme la Ministre de l’Enseignement supérieur ne cessent de lancer des appels à la dénonciation de l’ « ennemi intérieur ».
La commémoration de l’attentat de Christchurch a été faite par le ministre de l’Intérieur d’une manière bien particulière: la dissolution de Génération Identitaire, faite en rappelant que l’association avait reçu un don de Brenton Tarrant avant l’attentat. Mais cette dissolution, anecdotique au regard des dizaines de groupes extra-parlementaires d’extrême-droite violente dans ce pays, a été présentée comme un contre-poids à la dissolution du CCIF. Ce gouvernement dont certains conseillers déjeunent avec Marion Maréchal Le Pen, tandis que le président tente de réhabiliter la mémoire du chef de file historique du nationalisme intégral, Charles Maurras, met donc sur le même plan les victimes de l’islamophobie meurtrière et leurs bourreaux potentiels.
Le lendemain même de la dissolution de Génération Identitaire, Gérald Darmanin annonçait au Sénat, où le débat commençait , que 89 nouvelles mosquées allaient être « contrôlées ».
En France, la commémoration des deux ans de l’attentat islamophobe de Christchurch se déroulera donc dans une ambiance de persécution ouverte contre les musulmans.
Le suprémacisme blanc est un des paroxysmes de la logique raciste et islamophobe. Il a son autonomie de pensée et d’action, mais il se renforce de manière meurtrière dans les contextes où des hommes pensent être soutenus et faire œuvre d’accélération efficace de la guerre civile, en assassinant en masse.
En France, l’un des visages de l’islamophobie réside aussi dans le déni de la menace terroriste raciste. Dans la rhétorique sale consistant à répéter que dans notre pays, le suprémacisme blanc ne tue pas. L’on reconnaît les agressions graves et les ratonnades, mais comme des faits divers sur lesquels surtout il ne faudrait pas exagérer, sous peine d’être soupçonné de se « victimiser ».
Commémorer l’attentat de Christchurch, dignement, ce n’est pas se contenter de discours contre l’extrême-droite violente. Ce n’est pas seulement déplorer qu’on assassine les gens froidement.
C’est aujourd’hui manifester pour l’égalité et la liberté de conscience et de culte aux côtés des musulmans. C’est refuser de laisser passer la loi Séparatisme. Pour nos libertés, pour nos dignités, pour la démocratie.
Lignes de Crêtes appelle à se joindre au rassemblement organisé par la coordination contre la loi Séparatisme, en hommage aux victimes de l’attentat de Christchurch, le 14 mars à Paris, 14 heures place de la République.
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(1) Les mots exacts du manifeste de Brenton Tarrant, nous les reproduisons ici , notamment parce qu’ils sont imprégnés de la vision antisémite du monde, celle qui voit un complot ” apatride” et “mondialiste” perpétré par les élites pour faire triompher le Grand Remplacement: “Le deuxième événement fut l’élection présidentielle française de 2017. Les candidats incarnaient un signe évident de notre temps : un mondialiste, capitaliste, égalitaire, un ex-banquier d’investissement n’ayant pas de croyance nationale autre que la poursuite du profit contre une lavette, une nationaliste civique, un nationaliste civique, un personnage sans controverse dont l’idée la plus courageuse et inspirée se résumait à une possible expulsion des immigrés illégaux. Malgré cette confrontation ridicule, la possibilité d’une victoire de la quasi-nationaliste était pour moi le signe qu’une solution politique était peut-être encore possible ; mais l’internationaliste, mondialiste, anti-blanc, ex-banquier a gagné. Ce n’était même pas serré. La vérité sur la situation politique en Europe était soudainement impossible à accepter. Mon désespoir s’installa. Ma foi en une solution démocratique disparut. L’impulsion finale a été donnée par l’observation de l’état des villes et des communes françaises. Pendant de nombreuses années, j’avais entendu et lu au sujet l’invasion de la France par des non-Blancs, beaucoup de ces rumeurs et histoires que je croyais exagérées, créées à des fins de propagande politique. Mais une fois arrivé en France, je me suis rendu compte que ces histoires étaient non seulement vraies, mais en fait profondément sous-estimées. Dans toutes les métropoles françaises, dans toutes les villes françaises, les envahisseurs étaient là. Peu importe où je voyageais, qu’il s’agissait d’une petite localité ou d’une communauté rurale : les envahisseurs étaient là.
Les Français eux-mêmes étaient souvent minoritaires, et les ceux qui étaient dans la rue étaient souvent seuls, sans enfants ou d’un âge avancé. Alors que les immigrés étaient jeunes, énergiques, avec de grandes familles et de nombreux enfants. (…)
Je suis tombé sur un cimetière, l’un des nombreux cimetières commémoratifs créés pour enterrer les soldats français et européens perdus dans les guerres qui ont paralysé l’Europe. J’avais vu beaucoup de photos et entendu beaucoup de gens parler de ces cimetières, mais même en connaissant ces cimetières à l’avance, je n’étais toujours pas prêt pour cette vision. De simples croix blanches en bois s’étendant des champs le long de la route, apparemment sans fin, jusqu’à l’horizon. Leur nombre incalculable, la représentation de leur perte insondable. J’arrêtais ma voiture et je m’asseyais, fixant ces croix et contemplant comment, malgré le sacrifice de ces hommes et de ces femmes, malgré leur bravoure, nous étions tombés si bas. J’éclatais en sanglots, pleurant seul dans la voiture, en fixant les croix, les morts oubliés. Pourquoi laissions-nous la mort de ces soldats être vaine ? Pourquoi laissions-nous les envahisseurs nous conquérir ? Nous vaincre ? Sans un seul coup de feu tiré en réponse ? POURQUOI EST-CE QUE PERSONNE NE FAIT RIEN ?
(2) Par exemple, Laurent Bouvet, principale figure du Printemps Républicain twittera ceci : “Ces femmes néo-zélandaises qui se couvrent d’un voile et lèvent leur index vers le ciel comme le font les islamistes mesurent-elles un instant le sens de leur geste ? #idiotesutiles #christchurch””.
Ce tweet sera immédiatement repris et salué sur le journal d’extrême-droite, Boulevard Voltaire le 25 mars