Fin août 2024 à Paris, sous prétexte de Jeux Olympiques, les gens ont été contraints de circuler avec instauration de QR codes juste pour se déplacer . Il y a eu une dissolution de l’Assemblée Nationale qui n’a rien donné. Rien. Il y a eu des élections, le pouvoir les a perdues, il est resté au pouvoir . La démocratie est malade, la maladie s’aggrave de jour en jour, et tout le monde le voit mais commente comme si elle était une connaissance pour laquelle on ne peut rien faire, car elle est atteinte d’une maladie incurable qui ne dépend pas de nous, mais au mieux de médecins que nous ne connaissons pas .
La politique institutionnelle est devenue un cirque. On le sait, on le voit. On en ricane sur les réseaux, pour montrer qu’on n’est pas dupes, pas du tout, qu’on voit exactement ce qu’il se passe. Mais que montre-t-on aussi en ricanant ? Que ce n’est pas si grave, que la vie continue presque normalement.
Et ce n’est pas nouveau, cela fait des années que la 5ème République agonise.
Mais comme tout corps politique mourant, il y a la tentation de se maintenir par la force.
Alors comment se maintient-on par la force dans une démocratie ?
Entre autres, en fabriquant un besoin d’autorité dans la population, une nécessité de rétablir l’ordre ou de l’assurer.
Mais pour cela, il faut que les gens aient peur, qu’ils aient peur de leur avenir, des “autres”.
Il faut que la police soit forte, capable de violence et aux ordres. Cela aura un double objectif, celui d’instiller la peur parmi les gens qui seraient contre le pouvoir en place (mais pas assez pour affronter cette police), et d’être assez forte pour mater ceux qui le défieraient.
Pour faire peur, il faut des épouvantails, des boucs émissaires, et donc la facilité fera porter le choix sur des minorités qui n’auront pas le nombre (ou la puissance médiatique) nécessaire pour vraiment s’opposer au pouvoir en place.
Pour la peur, on a vu les sujets et thèmes qui ont été choisis ces dernières années :
• « Les musulmans qui sont tous des terroristes », minorité très pratique puisque certains évènements (les attentats sur le sol français) ont pu accompagner la fabrique de cette peur. 2015 et 2016, accompagner et pas fabriquer directement, car les principales lois islamophobes, notamment celle de 2004 et de 2010, ont été votées SANS attentat sur le sol français. Les musulmans français étaient sommés de se désolidariser des terroristes , sinon… Sans parler de toute la mouvance d’extrême droite qui hurlait dans cette direction. De plus (voir plus bas), cela a permis de faire passer des lois sécuritaires sans précédent.
• Les migrants, qui sont au mieux la vague migratoire submersive, au pire des terroristes futurs. Ici par exemple un argumentaire de 2019 expliquant l’anti-immigrationnisme ;
• Les black blocs, qui sont des sortes de terroristes ;
• Les gilets jaunes, qui sont… des sortes de terroristes aussi ;
• Les militants écolos qui sont… bah des sortes de terroristes ;
• La gauche (LFI), nommée extrême-gauche, et porteuse de chaos, en dehors de l’arc républicain. Ici et ici .
Bien entendu, ces thèmes et ce récit voulus par le pouvoir sont relayés par les médias sans aucune retenue ni contrôle (voir le pauvre rôle de l’ARCOM face au groupe média Bolloré, par exemple qui a dû attendre l’aide du Conseil d’Etat pour se doter de moyens d’agir – et encore…- voir ici, ou les groupes d’enquêtes parlementaires ici).
C’est avec ce récit que le pouvoir a alors mis en avant LA solution à tous ces risques (jamais réellement étayés et encore moins mesurés dans le temps en termes d’efficacité), à savoir la policiarisation de la société.
Pour faire accepter la montée en puissance de la police, pour éviter tout rejet face à une violence croissante, il faut non seulement renforcer le mythe qu’elle est la seule réponse à ces risques source de peurs, mais aussi que les violences faites pour mater les opposants sont la résultante de causes extérieures. (cf Que fait la police de Paul Rocher chap I. L’emprise policière).
En parallèle des cibles désignées, il faut agir.
C’est pourquoi les effectifs et le matériel doivent augmenter.
Les effectifs policiers (gendarmes, police nationale et municipale) sont passés de 225.000 en 1996 à 280.000 en 2019. Dans la même échelle de temps, la dépense de l’Etat pour « services de police » a augmenté de +35% entre 1995 et 2019. Et ces 5 dernières années, les dépenses ont encore augmenté.
Pour le cadre juridique :
Loi Cazeneuve de 2017 : dite « permis de tuer » car est faite autorisation aux policiers d’ouvrir le feu pour refus d’obtempérer », ce qui deviendra la première raison évoquée lors des morts suivantes (la mort du jeune Nahel par exemple).
Loi anti-casseurs de 2019 : pour faire peur aux manifestants et aux Black Blocs.
L’antiterrorisme (source wikipedia) : la législation sur le terrorisme est apparue en France en 1986 et a été continuellement renforcée. Elle permet la prolongation de la garde à vue durant 120 heures, ou les perquisitions à toute heure, à la demande d’un magistrat19. Cette législation a encore évolué avec la promulgation de la loi relative au renseignement en 2015 et de la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale en juin 2016 qui prévoit la possibilité de retenue administrative pour une durée maximum de quatre heures20. La loi de prorogation de l’état d’urgence de juillet 2016 signe notamment le retour de la « double peine » pour les terroristes de nationalité étrangère21. En 2017, la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme introduit les assignations à résidence administratives, les perquisitions, après avis du juge des libertés et de la détention ainsi que les contrôles aux frontières ; ces mesures pouvant être prises exclusivement en prévention du terrorisme mais hors période d’état d’urgence22. En 2021, ces mesures sont pérennisées et complétées par la loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement23.
Le plan Vigipirate est activé depuis les attentats de 1995 avec une intensité variable et l’opération Sentinelle, opération militaire de protection des lieux sensibles est en cours depuis les attentats de janvier 2015.
À compter de novembre 2015, la prévention d’actes de terrorisme se décline en plusieurs autres dispositifs comme les contrôles aux frontières en application de l’article 25 du code frontières Schengen , prévus initialement du 13 novembre au 13 décembre 2015 dans le cadre de la réunion de la COP2124, ou encore l’autorisation des policiers à porter une arme en dehors de leur service25.
Ça c’est pour les moyens en constante progression, matériels, humains et judiciaires.
Les cibles, maintenant.
1- 2008, Affaire de Tarnac avec Julien Coupat :
Assez anecdotique par l’ampleur de la violence physique déployée (par rapport aux futures cibles), mais révélatrice de la volonté policière et étatique de faire passer ces gens pour « terroristes ». Nous restons persuadés que cet échec du pouvoir a été une base de réflexion pour le futur.
2- 2018 et 2023, Les gilets jaunes :
Dispositif policier hors norme (par exemple la BRI qui a pour mission de lutter contre la grande criminalité ou contre les terroristes sera envoyée intervenir). Dispositif pénal aussi, ayant pour objectif de démobiliser les gens, de faire peur (le passage en garde à vue de nombreux Gilets jaunes « pour des faits d’apparence anodine (la confection d’une banderole invitant à un pique-nique, à Nantes, par exemple) a beaucoup marqué les manifestants, qui avaient des casiers vierges pour la plupart », et « en a dissuadé beaucoup de continuer la lutte dans la rue »). Côté répression, l’Etat cède 2500 blessés côté manifestants, sans faire état de la gravité de ces blessures. Côté manifestants, on parle de 11 morts, 32 éborgnés et 5 mains arrachées (ici), minimum.
3- Les ZADistes : mort de Rémy Fraisse en 2014, nombre impressionnant d’armes utilisées. 2023 à Saintes Soline : 200 blessés dont 40 gravement + 2 personnes dans le coma. Suite à ça, Darmanin a annoncé vouloir dissoudre « Les Soulèvements de la Terre » et parle d’éco-terrorisme, sans aucun support juridique ni définition.
4- Les musulmans spécifiquement : cela a commencé massivement en 2015 et en 2016. Depuis, la répression n’a jamais cessé, sous forme de dissolutions arbitraires d’associations de lutte contre l’islamophobie, de nombreuses perquisitions, notamment en amont des JOP 2024.
5- Les citoyens “autres” : pour les JOP2024 : refus d’accréditation, permettant au ministre d’interdire à certaines personnes d’accéder aux Jeux selon des critères largement arbitraires, visant notamment « 131 personnes fichées S, 18 personnes fichées pour radicalisation islamiste, 167 personnes fichées à l’ultragauche et 80 à l’ultradroite ». Mais la répression ne s’arrête pas là : 164 perquisitions et 155 assignations à résidences administratives – appelées « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) ».
Il y a eu de nombreuses mises en cause et condamnations de l’Etat français par la justice et l’ONU et des organismes défendant les droits de l’homme, sans aucun effet ni remise en question (les contrôles au facies en 2014 et 2016, la CEDH pour 2010, et pour 1999 pour torture, l’ONU, le Conseil de l’Europe, il y en a certainement d’autres) ni de la part de l’institution, ni de la part des citoyens, rien.
Alors se pose la question suivante :
Qui sera la prochaine cible si rien n’est fait ? Sachant que rien n’est fait pour les musulmans de la part d’aucun bord politique (normal, même à « gauche », ils sont concernés par le maintien au pouvoir de l’ordre établi, quand ce n’est pas une inaction directement dictée par une islamophobie largement partagée à travers le spectre politique français).
Sachant que pas grand-chose n’est fait pour les écologistes , sauf ponctuellement quand on en vient à une dissolution.
Sachant que pas grand monde n’a fait quelque chose contre la répression anti-Gilets Jaunes.
Chaque partie de notre société qu’on abandonne aux violences étatiques, c’est un peu de nous qu’on abandonne. Et cela nous affaiblit dès à présent et encore plus pour le futur.
Pour aller plus loin, quelques pistes de réflexion (parmi tant d’autres) :
- Que fait la police ? (et comment s’en passer) de Paul Rocher – La fabrique éditions (2020)
- Un pays qui se tient sage – documentaire de David Dufresne (2020) : bande annonce ici
- Tarnac – Magasin général de David Dufresne – Edition Poche pluriel / Fayard (2018)
- Relax – documentaire d’Audrey Ginestet (2023)
- Wiki sur les violences policières : https://fr.wikipedia.org/wiki/Violence_polici%C3%A8re_en_France#
- France. Des policiers au-dessus des lois, de Amnesty International (2009) ici
- L’ordre et la force de l’Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture ici
- La domination policière – Mathieu Rigouste – Editions la Fabrique (2021) ici