Ce dimanche, mes camarades belges ont eu la gentillesse de m’emmener à la Librairie-Galerie Brüsel, celle qui a accueilli Marsault.
J’admets, c’était une librairie comme les autres. Un endroit que tu penses a priori paisible et intelligent, à cause des livres ..
Je voulais visiter en entier, mais la lutte est aussi affaire d’émotions, évidemment. La peur, brusquement, irrationnelle, l’image mentale qui s’impose: celle des néo-nazis qui nous écrivent à d’autres et à moi, bestiaux et grotesques, mélangés au public tellement ordinaire des librairies, et de Marsault entre autres. Tu ne le croirais pas mais certains aiment aussi des livres de gauche et même ¨Petit Ours Brun.
Alors finalement, j’étais une victime un peu apeurée des néo-nazis.Du coup, c’est comme ça que je me suis présentée au type ordinaire derrière le comptoir qui était bien libraire pas salarié précaire. Je lui ai demandé avant, je suis communiste aussi, je ne fais pas chier les salariés précaires, par contre les ex-ouvriers dessinateurs d’extrême-droite, oui. Je précise, vu la brusque ferveur prolétarienne de Marsault, va jouer l’exploité dans le Figaro, toi.
Donc le type a eu un regard et des bafouillements pas très ordinaires, pour répondre à cette simple question ” Vous êtes un des libraires ?”. Il savait.D’ailleurs, c’est ce qu’il a répété tout le temps, ” Mais je le sais ça”.
Il savait que des brutes militantes organisées tentent de terroriser toutes celles et ceux qui osent dire quelque chose contre l’organisation de soirées littéraires dans des librairies et des galeries ordinaires avec des auteurs d’extrême-droite. Il savait le lien entre les mots et les actes, entre l’oeuvre et le réel. Il savait l’antisémitisme , et l’islamophobie et le sexisme , au milieu des livres et des jolies affiches avec Tintin ou des fées.
Mais bon est-ce qu’il avait le droit de s’exprimer, a-t-il dit, à la fin, pouvait-il donner son point de vue. Ouvrir le débat, tout ça.
C’était une question rhétorique, évidemment. J’étais un peu fatiguée, et pas prête à hurler, pas de violence antifasciste, entendons nous bien.
Parce qu’il en avait subi ce monsieur, figurez vous. Des mots inouïs alors que personne n’avait compris qu’il n’avait pas invité Marsault. Pas du tout, c’est Ring qui lui avait proposé. Ce n’était pas exactement comme “inviter”, il est libraire, les mots sont importants pour lui.
D’ailleurs, l’apologie de l’art du 3ème Reich de Marsault, l’identification lettrée d’Obertone au terroriste Breivik, nous aurions été bien étonnés de savoir ce qu’il en pensait, seulement il n’était pas là pour penser bien sûr, mais pour vendre des trucs. De la haine, et du Vive la Mort, entre autres. Entre autres, bon sang. Juste entre autres.
Finalement, il y avait du pathétique et du terrifiant, chez cet homme là, exactement comme chez Marsault et Obertone, qui pleurent sur la violence antiraciste puis posent tous muscles dehors en mode Mad Max dans une casse de voitures. Comme chez ces néo-nazis ordinaires qui poussent la folie furieuse jusqu’à se poser en victimes.
Du pathétique et du terrifiant. Du fascisme, finalement. De ce moment précis, où la complaisance des uns ne se cache même plus derrière la défense politique de la liberté d’expression, mais s’affirme en toute quiétude comme apolitisme. Je suis libraire, Madame, je gagne ma vie, c’est tout. Et en ce moment, le fascisme ça gagne bien.
Ce ne sera pas toujours le cas . Et la lutte qui a lieu maintenant contre les complaisants ordinaires avec la barbarie, vaut aussi pour mémoire.
Toi, le libraire, quand ce seront les éditeurs et les artistes progressistes qui sortiront de beaux livres, peut-être bien qu’ils ne t’appelleront pas pour les vendre. Et nous, les victimes, si nombreuses de la barbarie et de ta complaisance, on se parle, on s’informe, on fait du bruit sur qui tu es.
Stratégie commerciale à court terme. Tu as choisi les perdants, et tu es déjà ruiné. Et merci à mes camarades, avec qui j’ai pu te le dire,le dire à tes clients, aussi, sereinement.
J’ai le temps de regarder les Hommes tomber.