Houris commence la nuit . Vers 5h du matin, résonne l’appel à la prière. Daoud écrit “ La grosse voix appelle à prier Dieu et crie fort pour secouer les dormeurs. C’est une langue d’exhortations et de menaces . Après son appel , les hommes vont se réveiller, roter tituber et se laver avec de l’eau froide, d’abord les parties intimes , ensuite les bras et la tête. Ils s’en iront , somnolents vers Dieu qui ne dort jamais”.
En Kamel Daoud, certains voient un “arabe de service”. Il est vrai que cette scène peut apparaître comme le plagiat ridicule de la scène d’OSS 117, le Caire Nid d’Espions où Jean Dujardin fait taire le muezzin. La scène inaugurale de Houris peut laisser gênée devant cet Algérien qui recycle sérieusement une scène censée être comique où un acteur français surjoue l’imbécile de colon raciste.
Chacun est libre de servir ses idées, les arabes comme les autres cependant, et l’on peut voir plutôt en Kamel Daoud l’archétype de l’Homme Inquiétant. Celui qui méprise les femmes de sa race. Mais finement, en ayant l’air féministe, ce qui accentue le danger. On pardonnera le mot “ race” qui ne doit plus être dit dans la France d’extrême droite, où la langue doit absolument évacuer le réel de la brutalité raciste. Mais dans dans ce passage , dès le premier chapitre , la langue, le corps des hommes sont attaqués en même temps que leur Foi.
Quant à nous, nous sommes réduites au silence par la voix volée d’une femme fictive. Nous, femmes de la même race et de la même Foi que les hommes qui prient: inférieures, le Goncourt nous le dit officiellement. Nos frères, nos pères sont ces infirmes névrosés et dangereux, “titubants“, somnolents”, au corps et à l’esprit malade, dont la seule voix est une menace de primitifs barbares. Des barbares qui se lavent de surcroit, alors que le barbare doit être sale. L’eau, précieuse est réservée aux hommes des contrées civilisées, à eux seuls, la douche est autorisée plusieurs fois par jour. Chez le musulman, le soin du corps traduit la dangereuse obsession de la pureté, évidemment.
Daoud écrit pour la France, pas pour l’Algérie. Ce propos inaugural est tenu dans une sphère culturelle précise. Celle où ses thuriféraires d’extrême droite ne cessent de publier des photos d’hommes en prière, avec un appel à les éradiquer de l’espace public. Daoud déguisé en Algérienne ajoute à ces discours ce que le fasciste français n’ose pas toujours dire. Les nôtres doivent cesser de prier et d’exister tout court. Même au cœur de la nuit, même en Algérie, ils sont intolérables.
Les vrais Hommes, les Humains passent leurs nuits autrement. A dévorer de jolies femmes.
Dans “Le Peintre dévorant la Femme“, Kamel Daoud se mettait dans la peau d’un “ djihadiste” qui regarde horrifié des toiles représentant notamment des corps de femmes, avant de les détruire. Le “djihadiste” fantasmé par Daoud est l’homme empêché et frustré avant toute chose. L’homme empêché de prendre du plaisir, l’homme empêché de vivre ses désirs pleinement, de laisser agir le pouvoir masculin de s’approprier le corps des femmes. Pour Kamel Daoud ,le “djihadiste” est bien sûr l’homme musulman en général et un impuissant volontaire . Il pourrait toucher, séduire soumettre toutes les femmes, en faire des objets de plaisir, mais son Dieu lui impose une morale. La morale c’est le danger, la faiblesse qui conduit à la frustration, laquelle explose ensuite forcément dans la destruction du meilleur des Mondes : l’Occident, qui, pour Daoud est ce Paradis absolu des Puissants, Empire du Dérèglement des Sens, où l’on s’arroge le droit de jouir des Autres sans entraves.
Droit exclusif des Seigneurs coloniaux cependant. C’est pourquoi on ne peut séparer l’Homme de l’Artiste en lisant Houris. Le Kamel Daoud qui en 2016, à l’occasion des agressions sexuelles et des viols survenus à Cologne le soir du Nouvel An, commit une charge violente contre les hommes musulmans immigrés, tous des violeurs à expulser est le même que l’écrivain qui reproche aux hommes musulmans de ne pas consommer des femmes à leur bon plaisir.
Daoud a cette intuition lucide, pour qu’un Arabe puisse profiter des droits du Seigneur blanc, il faut, impérativement, qu’il soit seul en lice. Le monde entier ne peut pas être blanc, il faut qu’il y ait, entravées et décriées des masses qui ne le soient pas. Si tous les hommes arabes et musulmans sont Kamel Daoud, alors Kamel Daoud, exception choyée par la France, ne peut exister.
Il faut donc construire un imaginaire qui suscite la peur et la répulsion. Un imaginaire où il y a Kamel, l’homme qui dévore les femmes nues en masse au Musée, seulement au Musée. Et puis tous les autres frères de Kamel, qui entravés par une morale perverse, prisonniers de leurs fantasmes inavoués laissent exploser leur bestialité et leur frustration dès lors qu’ils sont laissés libres. Daoud sera l’Un d’Hortefeux, prêt à aider à contenir et à réprimer tous les Autres.
Et nous les femmes de la même race que les démons à la langue menaçante ? Suppôts du Diable, c’est à dire musulmanes. Ou alors damnées de toutes façon, atrocement malheureuses et propriété muette de Kamel Daoud. Faire valoir toujours sanglantes.
Le privilège de l’homme arabe qui hait les musulmans est grand: dans cette France où la Parole des Femmes es censée être sacrée, Kamel Daoud remporte le Goncourt en l’usurpant paisiblement, et avec un sadisme à peine voilé.
D’entrée le malheur de l’héroïne est insoutenable. Pas seulement à cause de la cicatrice sur son cou. Mais parce qu’elle est enceinte, qu’elle pense à avorter, et qu’elle le crie intérieurement en parlant à sa future petite fille, en disant ces mots “ Je vais te couper la tête”. Maudite, condamnée à la reproduction du Geste Barbare censé définir l’Homme musulman. Sous les applaudissements des femmes islamophobes, ces progressistes, Daoud s’arroge le droit à l’humiliation voyeuriste du colon . Si un écrivain musulman décrivait une IVG dans ces termes, toutes les rombières qui vont encenser le Goncourt exigeraient son expulsion du territoire français.
Daoud écrit bien, il a du style, un style très 19ème, c’est à dire le contraire de ces modes post-modernes actuelles. Le vocabulaire est soutenu, les phrases ont une syntaxe classique et élégante, et on lui reconnaîtra le talent, celui de parvenir à blesser jusqu’à l’intime la femme qui lit. Daoud réussit à susciter les images, celle de la pauvre jeune fille enceinte qui songe seule à assassiner la petite à qui elle parle, folle délirante dans cette métropole affreuse et puante, Oran, où des milliers de moutons qui étaient libres vont mourir, pour une fête qui sent le sang, au milieu de barbares qui “ jacassent” et “exhortent”. C’est à ce moment qu’on jette le livre, salie, avec l’envie de vomir, en se disant chapeau l’Artiste. Mais stop, aucune raison de s’infliger volontairement un roman d’extrême droite de plus.
Il fallait en effet Kamel Daoud pour réussir à incarner une Brigitte Bardot convaincante et troublante. Pour réussir à toucher même dix secondes une lectrice avertie avec le poncif éculé des égorgeurs sauvages de moutons, opposés sans doute aux égorgeurs civilisés de cochons . Le cochon n’a pas d’âme, le mouton si. Il fallait Kamel Daoud pour nous tromper un instant, et ne pas apparaitre de suite comme comme vendeur de sornettes islamophobes racoleuses et vulgaires, serveur d’ une soupe où tous les sangs se mélangent, celui d’un bébé pas encore né, celui d’une petite fille égorgée, celui des moutons.
Tous les sangs, indifféremment pour accuser un seul coupable d’avance , l’homme musulman.
Houris est un roman historique parait il . On s’autorisera à le trouver révisionniste, ou tout simplement suprémaciste, c’est à dire écrit au nom de ceux qui s’arrogent le droit de fixer la date du début de l’Histoire. Chez Daoud, la “décennie noire”, terme consacré, ne commence pas, surtout pas, le jour où un parti musulman gagne démocratiquement les élections puis se voit refuser cette victoire par la violence, la répression et le sang. Quand la violence politique est soutenue par l’Occident, elle s’appelle défense de la démocratie.
On aura aussi cette paranoïa impardonnable, lire Houris comme une tentative d’humiliation psychologique des femmes musulmanes. Faite par un littérateur un peu lâche qui choisit de voler la voix d’une Muette qui ne pourra pas protester . Daoud est coutumier du fait, il y a quelques semaines encore, il nous offrait une tribune de “soutien” aux Afghanes, des Muettes aussi. Dans quelques jours, remis des célébrations post Goncourt, il nous écrira sans nul doute la lettre imaginaire d’une jeune Iranienne qui ne voudrait rien tant que venir en Occident et devenir mannequin pour une marque de sous-vêtements, et être retweetée par Donald Trump très certainement.
Dieu merci, Daoud l’Homme peut nous écraser avec ses amis islamophobes, dans une France où seuls les fanatiques laïques ont le droit de raconter leur histoire de l’Algérie, mais il n’écrira pas à notre place, au moins nous sera épargné l’usurpation dont il est coutumier pour d’autres.
Jamais il n’écrira nos nuits à penser aux femmes palestiniennes brûlés vivess dans un camp de réfugiés. Jamais il n’écrira sur la douleur et l’humiliation des musulmanes dont les frères ont été violés dans les Guantanamo israéliens ou dans le Guantanamo originel. Jamais il n’écrira notre peur de certaines femmes puissantes et libres de leurs désirs. Pas les icônes languissantes et offertes des musées. Celles qui ont conquis le droit de marcher sur le corps des hommes à Abou Ghraib , et celui d’être interrogatrices de la CIA à Bagram et de droguer des hommes musulmans pour les humilier ensuite. Celui des fières amazones de Tsahal, posant rigolardes comme des soudards au milieu des ruines et des pierres qui recouvrent les cadavres des enfants.
Kamel Daoud n’est pas un arabe de service, plutôt le Maître d’Hôtel de Shining puissant parce que lucide sur ce qu’il sert et sachant en tirer profit. “Houris” est le roman du féminisme déhistoricisant et donc colonial absolument. Le Goncourt lui a été offert le lendemain de l’anniversaire du déclenchement de l’insurrection algérienne. Et le jour où les réseaux ont été inondés de l’image d’une jeune fille iranienne déshabillée, Muette absolument à qui des dizaines de milliers d’islamophobes français ont donné une Voix, la leur . Pour cracher sur les musulmanes.
Nous qui avons ce tort insupportable pour la France. Sortir des tableaux, nous rhabiller, quitter ces musées où nos images piégées cohabitent avec celle des caricatures de nos frères, Sarrazins au sabre sanguinolent, condamnés à mort d’avance par des littérateurs pour table de chevet de Ministres de l’Intérieur, dans la même pile que le dernier livret de SOS Chrétiens d’Orient. Nous qui préférons l’appel à la prière à l’appel à la croisade, fusse-t-il lancé par un homme élégant et dissimulateur, qui sait à merveille imiter la voix des innocentes.