Je suis un syrien ordinaire. Comme toute ma génération, je n’ai connu que la famille Assad au pouvoir. J’ai chanté leur gloire à l’école et j’ai porté leurs photos : sur mon uniforme d’écolier, sur mes cahiers et sur mes livres scolaires.
Je suis témoin de ce que la Syrie vit depuis 2000, témoin de ce que la Syrie et les Syriens ont vécu depuis 2000. Depuis le 15 mars 2011, je suis témoin des atrocités que vivent les syriens à cause de Bachar el-Assad : la terreur, la torture, des massacres et l’asile ; mais aussi du silence complice du monde entier.
En parallèle, je suis aussi témoin de la naissance, longue et difficile, de la nouvelle Syrie : une Syrie dont les syriens seront fiers.
Certains appellent ce qui s’est passé depuis mars 2011 : « mouvement social », d’autres « troubles » ou encore « processus révolutionnaire » tant que le mouvement n’aboutit pas à un changement dans le pyramide politique. D’autres encore appellent ce qui s’est passé en Syrie : « guerre civile ». Moi, syrien ordinaire, je l’appelle « naissance Syrienne ».
Cette naissance a commencé le jour où les syriens sont descendus dans la rue pour crier: “liberté”. A partir de ce jour, le rapport avec l’espace public a changé. Avant 2011, cet espace était destiné à célébrer la gloire du régime et à diffuser sa propagande. Avant 2011, cet espace était réservé pour le régime : nous ne voyions que les photos d’Assad et les slogans qui chantaient sa gloire. Au moment où le peuple est descendu dans la rue en 2011, l’espace public a était libéré des photos d’Assad. Cette libération avait pour objectif de dire que notre conscience aussi était libérée, que nous avions espoir en un avenir meilleur. La liberté d’expression est alors devenue sacrée. Pendant 45 ans, exprimer son avis publiquement était une sorte de folie ou de suicide. Cependant après 2011, c’est devenu normal pour tous ceux qui participent à la naissance de la Syrie.
Ceux qui ne voient l’arabe et le syrien que comme objet d’étude politique ne comprennent pas toujours comment cet arabe est capable de devenir un acteur politique dans son pays. Le syrien est devenu un acteur politique à sa façon, il fait sa révolution à sa façon. Depuis 2011, on nous demande quelle est l’alternative à Assad: qui dirige cette révolution, qui sont les chefs, quelle est son idéologie? Des questions qui viennent de cerveaux bloqués par une représentation unique de ce qu’est une révolution, une façon unique de voir les choses, une pensée limitée par ce qui a déjà existé historiquement ainsi qu’un racisme intellectuel c’est-à-dire une peur de dire qu’ils sont eux aussi capables de réfléchir.
Mais je vais néanmoins tenter de répondre à ces questions. Lorsque Assad a commencé les massacres et la destruction du pays, les syriens ont commencé à s’organiser. Ils ont construit leurs conseils locaux pour diriger leur révolution. Voilà qui dirige : ce sont tous les syriens qui dirigent en choisissant leurs conseils locaux. Voilà l’alternative à un régime de l’homme unique : ce sont les conseils démocratiques. Ces conseils représentent des idéologies différentes, celles-ci sont les idéologies de la révolution.
La naissance de notre Syrie ne pourrait pas se faire sans que la femme reprenne sa place légitime dans la société. C’est pourquoi, moi, j’ai fêté la réussite de ma révolution, le jour où ma sœur m’a dit qu’elle avait divorcé de son mari. L’éveil de ma conscience politique a commencé par une question qu’une amie suisse ma posé en 2009: « qu’est-ce que tu en penses de la situation de la femme dans ton pays ? Qu’est-ce que tu fais pour la changer ? ». Voir aujourd’hui, des femmes qui préparent leur campagne électorale au nord de la Syrie n’est qu’une confirmation que la naissance d’une nouvelle Syrie passe par le fait que les femmes reprennent leur place dans la société et notamment en politique même si cela semble difficile dans le contexte syrien actuel.
Les syriens anti-Assad ne sont pas les seuls à vivre cette naissance, les pro-Assad la vivent même si cela ne se fait pas au même niveau. Lorsque les officiers du régime Assad manifestent contre la décision de Assad lui-même de les renvoyer, c’est un autre signe de la naissance de la nouvelle Syrie. Lorsque les étudiants de l’université de Damas manifestent pour refuser la suspension de leurs études en faveur du service militaire, cela est encore un signe de la naissance de la nouvelle Syrie.
Voilà quelques-uns des signes de la naissance d’une nouvelle Syrie. En arabe, il y a un proverbe qui dit : « celui qui ne voit pas à travers le tamis, c’est un aveugle ». Celui qui ne voit pas le soleil se lever, à l’aube d’une nouvelle Syrie est soit aveugle soit aveuglé.