“Woke”, “Stay woke” (Anglo-Américain: “éveillé”, “rester éveillé”):
Terme évoquant la prise de conscience des problématiques concernant la justice sociale et l’égalité raciale.
Ayant fait son apparition au XIXème siècle pour soutenir Abraham Lincoln dans son projet de prévenir la propagation de l’esclavage (voir aussi le mouvement des “wide awakes”), le terme “woke” prend au cours du XXème siècle la connotation d’“être conscient” et “bien informé” dans un sens politico-culturel. Etant présent dans plusieurs chansons par exemple du chanteur afro-américain Huddie Ledbetter, son sens politique est davantage renforcé à travers le mouvement panafricain et Marcus Garvey.
Faisant sa réapparition en 2014 avec le mouvement Black Lifes Matter, “woke” ne désigne désormais plus uniquement la vigilance face aux discriminations raciales, mais il est également employé comme encouragement pour d’autres luttes sociales, comme celles des droits LGBT ou d’autres populations marginalisées.
Récemment, le terme se retrouve utilisé de manière péjorative et sarcastique par des forces conservatrices et l’extrême droite pour nuire à la politique progressiste…
L’idée initiale de Substack était, on l’a dit dans le précédent article, de renouveler le modèle économique des médias en échappant à la publicité. Puisque la publicité est captée par les plateformes et que cela assèche les médias, alors le renouveau des médias passe par le contournement de la publicité avec un modèle de newsletter individuelles payantes : Substack.
Avec un certain nombre de petits arrangements cependant. On a vu comment le modèle Substack est en fait basé sur la mise en avant de contenu réactionnaire très rentable et facile à produire. En effet, ce contenu repose sur le travail des petits pigistes qui établissent les faits que le réactionnaire peut commenter, nier ou réinventer. Les prises de positions réactionnaires reposent elles aussi sur les luttes des progressistes et des des militants « bienpensants » qui proposent une morale que le réactionnaire peut contester.
Pendant que les journalistes enquêtent et établissent les faits comme pour la fusillade d’Atlanta en mars 2021 par exemple, qui a fait huit morts dans des salons de massages asiatiques, les commentateurs réacs de Substack peuvent produire des tribunes pour contester ces faits et dire « on ne sait pas encore si le type qui a fait un carton contre des salons de massage asiatiques était un raciste qui en voulait aux asiatiques ». De la même manière, pendant que des militants de Black Lives Matter organisent des manifestations antifascistes extrêmement dures où ils risquent leur vie, les commentateurs réacs peuvent, avec bien moins d’efforts et de couts de productions, poser leur tribune contre les nouveaux racialistes woke qui veulent imposer leur morale.
Le réactionnaire, comme Thomas Chatterton Williams, est alors invité sur les plateaux TV ou dans les colonnes des journaux pour donner son contre point de vue et vendre son bouquin.
« Dans le sillage de la mobilisation internationale réclamant justice pour George Floyd [mort à Minneapolis, le 25 mai 2020, sous le genou du policier blanc Derek Chauvin] et en tant qu’auteur d’un livre sur la nécessité de désapprendre l’idée de race*, je suis à présent constamment sommé d’expliquer de manière sensée les legs de l’oppression et les moyens de les dépasser » explique-t-il. Une mobilisation antiraciste inédite, internationale et profondément réprimée suite au meurtre d’une personne noire, vaut à Thomas Chatterton Williams d’être invité dans les médias au nom de la pluralité des points de vue. On voit ici combien c’est plus tranquille et profitable du coté du « contre point de vue ».
Un modèle économique de la réaction extrêmement profitable, tant pour le réactionnaire que pour la plateforme Substack.
Mais il y a mieux. Substack a en effet organisé le débauchage des grandes plumes réactionnaires des journaux mainstream afin de les faire venir sur sa plateforme. Tous ces gens sont convaincus d’être victimes de censure de la part des rédactions des journaux infiltrés par les wokes. Substack leur a offert un moyen de publier directement ce qu’ils veulent et de le monétiser, plus encore grâce à un programme « Substack pro » qui offrait aux meilleurs réactionnaires un contrat avec une somme fixe.
le « Score Baschez »
Pour parfaire ce merveilleux modèle, Substack dispose d’un système de notation qui permet de détecter qui sont les auteurs réactionnaires les plus prometteurs à inviter sur la plateforme ! C’est l’étonnante découverte que fit Clio Chang en interviewant les fondateurs de Substack, Chris Best et Hamish McKenzie :
When I asked what, exactly, they thought made someone a promising Substack writer, Best turned to McKenzie and asked, in a jokey hush, “Do we keep the Baschez score a secret?” McKenzie laughed. They have a system, created by a former employee named Nathan Baschez, that measures a Twitter user’s engagement level—retweets, likes, replies—among their followers. This person is then assigned a score on a logarithmic scale of fire emojis. Four fire emojis is very good—Substack material. Best and McKenzie will reach out and suggest that the person try a newsletter.
“Lorsque j’ai demandé ce qui, exactement, permettait à leurs yeux d’identifier un auteur prometteur sur Substack, Best s’est tourné vers McKenzie et a demandé “est-ce qu’on lui dit pour le Score Bashez?” McKenzie a rit. Ils ont un système créé par un ancien employé nommé Nathan Baschez, qui mesure le taux d’engagement d’un utilisateur tweeter – retweets, likes, réponses- parmis ses followers. Cette personne se voit attribué un score sur une échelle logarithmique composé d’émojis de feu. Quatre emojis de feu est très bon – du matériau pour substack. Best et McKenzie iront contacter cette personne et lui proposer d’essayer une newsletter.”
Substack a donc contacté ceux qui faisaient les meilleurs « score Bashez » sur Twitter.
Pour ceux qui ne le savent pas, dans l’économie des réseaux sociaux, et particulièrement de Twitter, les meilleures réactions sont obtenues lorsqu’on choque et que les propos « font réagir ». Une économie où « y’a trop d’Arabes en France » fera un bien meilleur score que « Je suis pour la paix dans le monde ». Et pire encore, le « y’a trop d’Arabes en France » devra son bon score en partie aux réactions des anti-racistes et bienpensants qui vont réagir: et « tu peux pas dire ça » et « si j’ai le droit de le dire, on peu plus rien dire, cancel culture » etc. Le compte Twitter de Raphael Enthoven par exemple fonctionne énormément comme ça, chacun de ses tweets est conçu pour offusquer la bienpensance et générer des réactions. Le réactionnaire mobilise ensuite ses partisans en se disant victime de cancel culture et se plaint qu’on ne peut plus rien dire et le mini buzz peut prendre.
Substack a compris comment transformer ce plomb en or, grâce au « score Bashez » qui identifie sur Twitter les auteurs les plus contestés et les plus controversés.
Le Contrarian
Dans un article, le prof de Fac à la NYU Geoff Shullenberger, explique de façon particulièrement éclairante les logiques de la posture (à laquelle il est tout à fait favorable) de ceux qu’il appelle « the contrarians », et qui formeront les meilleurs auteurs réactionnaires.
« Par ce terme [contrarians] je veux désigner celui qui dit appartenir à une faction idéologique mais prend systématiquement des positions contraires ». Ce terme, encore plus que celui de « réactionnaire » permet de saisir mieux encore les enjeux économiques liés à cette position.
Shullenberger note que la plupart des meilleures newsletters de Substack, y compris la sienne, appartiennent à des « contrarians ». Il fait ouvertement l’analogie avec la définition boursière du Contrarian et entreprend de comprendre leur rôle dans l’économie de l’attention. Et son article est profondément éclairant sur ce que peut rapporter cette posture, y compris dans ses mythes.
Shullenberger part d’une prémisse: « les contrarians poussent contre la vision dominante qui, dans les médias, récompense la conformité idéologique des lecteurs et des employés ». Cette prémisse est sensiblement la même sur laquelle tous les réactionnaires font reposer leur droit à dire n’importe quoi: il existerait une hégémonie de la bien-pensance et le réactionnaire est contre cette hégémonie pour le bien de la pluralité des points de vues.
Il est a priori fort douteux, au vu de l’élection de Trump, du Brexit, du vote de la loi sur le séparatisme en France, et d’un demi milliard d’autres exemples, qu’on puisse réellement affirmer que la bien-pensance est à ce point dominante. Alors pour continuer de faire croire à l’hégémonie de la bienpensance les réactionnaires américains ont eu recours à une idée novatrice: expliquer que la bienpensance est hégémonique non pas dans le peuple qui est plus malin, mais dans les élites (déconnectées du peuple) ! les élites médiatiques, les élites universitaires, les élites dirigeantes du capitalisme aussi.
Partant de là, certains républicains se sont même lancés dans une croisade contre le « Woke Capital », des grandes entreprises ayant choisi d’afficher des valeurs progressistes. Tendance qu’on voit poindre aussi en France avec les poussées délirantes sur le hidjab de Décathlon, sur un tweet publicitaire d’Evian ou sur les Louboutins d’Assa Traoré.
Dans le cas des de Substack, l’idée est que les wokes auraient ainsi pris le contrôle des médias et imposé la bienpensance dans les rédactions en censurant toute idée réactionnaire divergente.
With plummeting ad revenues, publications rely on the tribal loyalty of subscribers, so challenges to group dogma carry a cost. Moreover, some younger staffers at legacy publications have militated for a progressive-activist model of journalism, and ideologically varied views have triggered internal revolts.
Avec l’effondrement des revenus publicitaires, les publications reposent sur la loyauté tribale des abonnés, donc la contestation des dogmes du groupe coute cher. Plus encore, les employés les plus jeunes ont milité pour un modèle de journalisme militant progressiste, et les points de vues idéologiquement diversifiés ont déclenché des révoltes internes, explique Shullenberger
Avec la crise des revenus publicitaires les médias n’auraient donc plus que leurs lecteurs et leurs abonnements. Mais comme les élites médiatiques woke persistent à vouloir vendre de la bienpensance au peuple qui est plus intelligent, cela expliquerait la désaffection du peuple à l’égard des médias et leur échec économique actuel. Tout se tient!
C’est face à ce constat sur la chute des revenus publicitaires que les inventeurs de Substack ont eu leur idée géniale de lancer leur newsletter payante. Et en allant chercher les démissionnaires, qui ne pouvaient plus rien dire, dans des rédactions contrôlées par des jeunes woke.
On a sensiblement le même mouvement en France où les réactionnaires et la gauche raciste concentrent actuellement leur tir sur l’infiltration de l’islamo-gauchisme dans les universités et les lieux de formation des élites, pendant que d’autres investissent dans le corollaire populiste : « le vrai peuple nationalo-souverainiste rejette les élites bienpensantes multiculturelles ».
La réussite individuelle du réactionnaire comme lutte contre le libéralisme.
Mieux encore, dans le cadre de cette économie, l’entreprenariat de soi-même et la réussite individuelle médiatique sont vécus par les réactionnaires comme une alternative au libéralisme économique qu’ils critiquent. Puisque le réactionnaire lutte par sa réussite libérale individuelle contre le capitalisme communautaire.
“Avec le rejet de l’idée de vérité universelle et la revendication des ressentis individuels érigée en normes, on est dans le postmodernisme politique. La seconde influence, c’est le libéralisme, le woke se présente comme l’une de ses émanations finales, radicalisées, avec l’idée d’un désir qui ne peut pas être remis en cause, sans se départir de soi-même, sans se confronter à ses déterminismes.” explique Stéphanie Roza dans un einieme article de Marianne sur la déconstruction du woke. L’individu qui réussit dans un système économique “anti-woke” devient une lutte contre le libéralisme, puisque le libéralisme est woke. La réussite individuelle de l’anti-woke est en fait une émancipation.
Toute logique de groupe est vécue par ces gens comme une atteinte aux droits individuels du réactionnaire qu’on voudrait priver de sa réussite personnelle.
Et toute contestation de ce modèle, toute demande d’émancipation collective est vécue comme une remise en cause de l’émancipation individuelle, une atteinte au processus républicain, une menace contre la “majorité” des individus intégrée de fait. Pire: plus la cause est réduite, ou qu’elle porte sur un détail et plus la minorité est petite, plus le réactionnaire devient fou.
Qu’on s’avise de demander timidement de ne pas interdire l’accompagnement scolaire des mères voilées, de demander le retrait d’un blackface d’une pièce de théâtre, de changer le titre d’un livre pour enlever le N word ainsi que l’avait prévu l’auteure, de mettre de temps en temps un pauvre point médian entre deux lettres dans un tract militant, et c’est le déluge de tribunes, prises de positions, groupes de défense de l’écriture non-inclusive et débat au parlement sur le vote d’une nouvelle loi sur les accompagnatrices scolaires. Paradoxalement plus la minorité se fait petite et réduit l’étendue de ses demandes, plus l’hégémonie toute puissante de la réaction se déchaine contre ces “signaux faibles” annonciateurs d’un grand remplacement de l’universalisme national par le wokisme étranger qu’il faut combattre.
Autre principe économique du réac: faire enrager la bienpensance sur Twitter
Une micro croisade en continu contre la moindre micro revendication progressiste qu’ils pourront déceler sur Twitter (site de micro-blogging). Mais cette posture n’est pas que politique et constitue aussi une rente économique que Substack pourra mesurer grâce à son score Baschez et transformer en espèces sonnantes et trébuchantes.
Plus on fait enrager la bienpensance en choquant par des propos outranciers, plus on génère de l’activité, du contenu et du click. La dynamique est exposée ainsi par Shullenberger:
“Ironically, those most outraged by contrarians are also their closest followers, parsing every statement for heresy, and engaging in ritualized excommunications. On any given day, the Twitter replies of Greenwald or Taibbi or Weiss include a parade of denunciations from people who can’t look away. Since replies and retweets raise the profile of any post, social-media users who police contrarianism end up expanding their nemeses’ audience.
What explains the contrarian’s hypnotic hold over hordes of detractors?”
Ironiquement, ceux qui sont choqués par les contrarians sont aussi leurs plus proches followers, analysant chaque prise de position comme hérétique et s’engageant dans des excommunications rituelles. Chaque jour, les réponses sur Twitter à Greenwald ou Taibbi ou Weiss comprennent un festival de dénonciations de gens qui ne peuvent en fait pas regarder ailleurs. Puisque les réponses et les retweets font monter la valeur de chaque post, les utilisateurs de réseaux sociaux qui veulent faire la police des réactionnaires finissent par augmenter l’audience de leurs ennemis. Qu’est-ce qui peut expliquer ainsi l’emprise hypnotique qu’exerce le contrarian sur la horde de ses détracteurs ? »
Matt Taibbi et Glenn Greenwald ne sont pas n’importe qui. Ils font partie des meilleurs auteurs de Substack et aussi des plus ardents défenseurs de Trump, de Bachar al Assad et de la liberté d’expression du négationnisme de gauche.
Le modèle économique est donc de faire enrager la bienpensance avec une litanie de malpensance. L’idée est de toujours pouvoir dépasser la limite que la bienpensance peut fixer. Si on ne la fixe pas, alors les enchères montent et montent jusqu’à Zemmour. Si on la fixe le plus tôt possible, alors ils peuvent hurler à la censure.
Soit ils gagnent, soit nous perdons.
Au bout de la ligne il y aura un gars sur 8chan qui va aller encore plus loin que la limite dépassée par la réaction admise et qui risque de publier un manifeste et d’aller cartonner des vrais gens dans une mosquée ou dans une synagogue. Alors on l’aura laissé faire et Mr Greenwald ou Chatterton n’auront pas gagné d’argent. Mais on sera mort.
Autre principe: être High Level
La hiérarchie et le statut jouent un rôle primordial dans cette économie.
Low-follower contrarians may be ignored and midlevel contrarians risk cancellation, but a small number of high-level contrarians with significant support are difficult to overlook or banish.
Les petits comptes contrariant risquent d’être ignorés et les niveau moyens risquent d’être supprimés. Mais un petit nombre de gros comptes contrarian avec assez de soutien sont difficiles à ignorer ou à bannir, explique Shullenberger.
Le point crucial de cette posture est qu’elle repose sur quelqu’un assumant déjà une position dominante. La plupart du temps cette position dominante a été acquise en faisant carrière à gauche ou en ayant acquis une réputation de progressiste. JK Rowling qui a écrit Harry Potter, Thomas Chatterton Williams éditeur de la revue Harper, Glenn Greenwald ayant bien utilisé Snowden et fondé The Intercept, Céline Pina ancienne apparatchik déçue du PS, Michel Onfray promu « philosophe anarchiste » par France Culture, Clavreul et sa DILCRAH qui lui a permis de se poser en pourfendeur du racisme et de l’antisémitisme… Le contrarian s’est préalablement fait un nom, le plus souvent grâce aux gens et aux combats qu’il va dénigrer ensuite. Il dispose d’une incroyable capacité à constituer un égo-capital, un capital de lui-même qu’il peut réinvestir. Toutes ces figures réactionnaires et de la gauche raciste ont été portés par des logiques collectives, dominantes et souvent portant un idéal de gauche, universalistes, de justice ou d’émancipation. Ils ont ensuite réussi à transformer cela en égo-capital et à le réinvestir exactement contre les idéaux de gauche, universalistes, de justice et d’émancipation.
Une fois la notoriété individuelle assurée grâce au travail effectué par les équipes des journaux ou organisations sur lesquelles ils mettaient leurs noms et leurs visages, les contrarians claquent la porte avec fracas. Mais là encore il s’agit d’une arnaque au travail collectif par des individus. « Xavier Gorce quitte Le Monde » et « Glenn Greenwald claque la porte du Intercept » font polémique, vues, notoriété et incitation à suivre la carrière solo, grâce au travail des équipes du Monde ou du Intercept. « Xavier Gorce quitte Twitter » et « Glenn Greenwald claque la porte de son bureau » n’ont évidemment pas le même effet. Une lutte collective suscite peu d’intérêt et un individu seul qui passe de la gauche à la gauche raciste non plus. Par contre, un individu qui s’élève, en tant qu’individu, contre « les dérives de son camp » ça cartonne: il s’agit d’une arnaque au travail collectif.
Mais attention, le contrarian n’admet jamais totalement avoir retourné sa veste. Il n’est pas un traître il est simplement supérieur aux autres et avec prétendument un plus grand attachement aux idéaux qu’il contredit. « La gauche ferait mieux de s’attaquer à l’extrême droite plutôt qu’à moi qui revendique le droit d’être islamophobe, de dire des mots racistes et de jeter les immigrés hors de nos frontières souveraines ».
Le contrarian n’admet jamais qu’il a changé de camp. Il est de gauche, profondément de gauche au début et à la fin de chaque post et de chaque discours.
Laurent Bouvet est de gauche.
Caroline Fourest est de gauche.
Henri Pena Ruiz est humaniste et progressiste pour le Comité Laicité République.
Indeed, in-groups may dedicate more energy to attacking their contrarians than to their more obvious political enemies.
“Les groupes passent plus de temps à attaquer leurs contrarians que leur vrais ennemis politiques” explique Shullenberger. Car le réactionnaire a cette capacité, chaque fois qu’il est attaqué pour avoir dit une horreur, à expliquer que ce n’est pas lui l’ennemi, il ne fait que dire tout haut ce que les gens pensent tout bas et il faudrait donc s’attaquer à l’ennemi véritable: l’extrême droite et jamais lui qui imite l’extrême droite.
Le contrarian est en fait notre ami. Il veut notre bonheur et notre émancipation. C’est par amour qu’il est un peu dur. Lui va nous expliquer qu’il faut cesser telle ou telle attitude et en échange on sera son ami juif, noir ou arabe : si on est d’accord avec lui on pourra confirmer, sur nos origines, qu’il n’est pas raciste. Si on n’est pas d’accord avec lui, le contrarian se pose en victime de l’infernale tenaille identitaire : fustigé par ceux qu’il veut émanciper en leur tapant dessus, et par l’extrême droite contre laquelle il lutte en reprenant leurs arguments.
Cette pratique du réactionnaire a des conséquences, sur lui-même et donc sur ses idées. Le réactionnaire est absolument incapable de penser que tous les autres ne font pas comme lui. En conséquence, il voit toute position politique ou morale comme une réaction inconséquente et un positionnement de soi. Le fond ne compte pas, n’existe pas, tout ce qui est dit par ceux qu’il conteste est un prolongement de lui-même et suit la même logique:
Avec son talent, son naturel et son attachement aux valeurs universelles @KhanNRachel a agi comme un révélateur pour @RokhayaDiallo dont le visage hideux et haineux est apparu une fois de plus au grand jour.
Serait-elle jalouse de ne pas être la seule noire médiatisée ?? pic.twitter.com/0eTxq8U06P
— Mohamed Sifaoui (@Sifaoui) April 15, 2021
C’est aussi ce principe qui explique le succès de la valse des égos réacs sur twitter: aucun fond politique seulement de la jalousie entre des égos qui réussissent.
Mais cette logique individuelle va encore plus loin.
Le réactionnaire est un individualiste qui a pour but de casser la cohésion de groupe. Il s’est fait tout seul, pense-t-il et il s’est fait contre son groupe.
Il pense que son appartenance au groupe dominant est en fait l’aboutissement de son émancipation individuelle. Le groupe dominant est pour lui un autre nom de « majoritaire » puisque nous sommes en démocratie. Le groupe dominant est dominant forcément parce qu’il est majoritaire et donc celui qui rejoint le groupe dominant est forcément émancipé par rapport à sa position de départ.
“La culture woke telle qu’elle existe sur les campus américains est obsédée par le droit des minorités et oublie que la démocratie repose, avant tout, sur le fait majoritaire.”@LCI #LePointDesIdées
— J-P. Chevènement (@chevenement) March 21, 2021
N’importe quel groupe, autre que le groupe dominant, sera considéré comme communautariste menaçant l’unité de la Nation. « Nous devons tout refuser aux musulmans en tant que nation et tout leur accorder en tant qu’individus » répètent à l’envie les islamophobes en paraphrasant Clermont-Tonerre. Ce mantra conduit le réactionnaire à s’opposer à tout ce qu’il perçoit (chez ses ennemis) comme une logique de groupe. Le réactionnaire va donc s’opposer, par principe, à tout ce qu’il perçoit comme permettant à un groupe forcément ennemi de former une cohésion. Il s’attaque donc aux principes les plus basiques de la cohésion du groupe : la morale, ce qui définit le bien et le mal.
Le réactionnaire se vit comme un juif républicain
Mieux encore, le réactionnaire qui passe sont temps à cracher sur une gauche en miettes peut, par ce mouvement perpétuel de « je quitte la gauche pour rallier les vraies idées du peuple », se convaincre que lui-même s’émancipe individuellement du groupe minoritaire pour embrasser la promesse républicaine. En déclarant qu’il quitte la « gauche Zombie » ou « la gôche », le réactionnaire se vit comme un juif qui quitte le ghetto pour rejoindre la culture française, en réalisant la promesse de Clermont-Tonnerre. Et il peut aussi vivre n’importe quelle attaque de son camp comme un reproche du ghetto à l’individu qui a réussi et s’est émancipé. De l’autre côté le réactionnaire vivra les attaques de l’extrême droite comme un refus de son intégration, exactement comme lorsqu’on refuse l’intégration à l’individu juif ou racisé émancipé.
Un double-lien bien connu des minorités : si tu t’intègres on soupçonne, par ton nez, ton nom ou tes cheveux d’œuvrer pour ta communauté, si tu ne t’intègres pas, alors tu es communautariste et tu refuses la République. Le réactionnaire s’applique cela à lui-même en le nommant « tenaille identitaire » : la gauche n’accepte pas ses idées racistes et l’extrême droite ne l’accepte pas car il vient de la gauche.
Quitter le ghetto de la gauche pour aller vers l’extrême droite comme incarnation de l’émancipation individuelle du juif qui accepte la Nation Française, c’est exactement ce mouvement que fait Manuel Valls lorsqu’il va dans le journal d’extrême droite Valeurs Actuelles parler de son combat contre l’antisémitisme. Valls ne comprend pas dans ce mouvement qu’il n’est pas juif et qu’aller parler de la lutte contre l’antisémitisme à un journal qui vient de publier Marc Edouard Nabe et qui fait des couvertures sur Soros est absolument ahurissant. Valls pense qu’il incarne le juif qui fait le choix courageux de quitter la gauche / ghetto pour entrer dans la république / nation fasciste.
Pour parfaire cette position, le réactionnaire dispose de deux atouts dont il use et abuse. D’abord la lutte contre le « nouvel antisémitisme ». Cette lutte contre l’antisémitisme exclusivement arabe ou musulman lui permet tout ensemble de se vivre comme un juif et de satisfaire à ses passions racistes et islamophobes.
Il dispose aussi de certaines figures qui viennent des minorités et font le même mouvement de la gauche vers l’extrême droite. C’est le cas de Rachel Khan par exemple. Rachel Khan fait ce double mouvement, à la fois de quitter la gauche pour devenir réactionnaire, et en même temps d’affirmer que ce mouvement est une libération républicaine de sa condition racisée. Les insultes que reçoit Rachel Khan sont aussi de double nature, lui reprochant ensemble ses idées racistes et réactionnaires et le fait de trahir sa communauté. A ce moment le réactionnaire peut totalement s’identifier à ce genre de figure, et renforcer sa conviction que reprendre les idées d’extrême droite lorsqu’on vient de la gauche, c’est une émancipation du communautarisme telle que peut la vivre un individu issu d’une minorité cherchant à rejoindre la république. Et comme dans l’esprit du réactionnaire le racisme n’existe pas, il est réellement convaincu que, comme Rachel Khan, il est un afro yiddish du simple fait qu’il vient du PS avec des idées d’extrême droite.
Rachel Khan, elle, fait son mouvement individuel: « je suis Afro Yiddish et j’ai le droit d’avoir les idées que je veux, y compris de cracher sur le mouvement antiraciste, je n’appartiens à personne ». Elle en a effectivement le droit comme elle a le droit de suivre sa logique individualiste qui lui apportera gloire et renommée.
Mais attention, le contrarian garde une dimension supérieure à l’individu issu d’une minorité par le fait qu’il ne quitte pas un ghetto pour devenir citoyen mais qu’il accomplit bel et bien un mouvement politique. Il peut donc là encore se prévaloir d’être un être politique plutôt que communautaire, de faire ses choix plutôt qu’accomplir un devoir d’intégration. Jouant sur tous les tableaux, tantôt le réactionnaire peut se présenter comme un « médittéranéen » ayant du lutter pour s’intégrer à la culture « Française » et le lendemain expliquer qu’il est purement et simplement politique, dans le monde des idées, bien au dessus des considérations identitaires et communautaires, c’est le cas de Gilles Clavreul.
Mais dans ce mouvement le réactionnaire finit très vite par haïr le juif qu’il n’est pas ou plus. Une haine enfouie et secrète contre ce juif qui est né victime de l’antisémitisme alors que le réac lui s’y identifie par choix. C’est cette haine qui remonte périodiquement, en allant dans Valeurs Actuelles, en faisant la promo de Michel Onfray, en voulant rééditer Céline, commémorer Maurras et célébrer Pétain.
Le même mouvement est observable, au delà de la figure du juif, chez ceux aux Etats-Unis qui, par le même mouvement, quittent le ghetto juif intellectuel pour s’identifier à des Palestiniens. La bande de propagandistes pro-Assad Ben Norton, Aaron Maté, Max Blumenthal (tous sur Substack) sont le revers de la médaille des Clavreul, Valls ou Thomas Chatterton Williams.
Ben Norton, Aaron Maté, Blumenthal ou Katie Halper sont convaincus qu’en devenant pro-Assad, « antisionistes » ils font un mouvement d’émancipation qui devrait leur valoir des honneurs. Devenir « antisioniste » fut pour eux plus difficile que pour ceux qui sont « nés comme ça ».
Like it is really the only element of people who are not born into supporting Palestine that do, basically you just want to systematically urinate on people who’ve gone against their whole community, and gone against their families and gone against everything, their society, to support palestinian rights.
“C’est la seule chose que font ceux qui ne sont pas nés comme supporteurs de la Palestine. Simplement ils veulent uriner sur les gens qui ont été contre toute leur communauté, contre leur famille, contre tout, leur société, pour supporter le droit des Palestiniens“. C’est en ces termes que Ben Norton explique sa posture dans le podcast pro-Assad “Moderate Rebels”
Glenn Greenwald a dédié sa vie à défendre la liberté d’expression des Neo Nazis
Max Blumenthal a érigé en principe de vie que le droit à la résistance n’était pas universel. Les resistants doivent servir sa posture idéologique. Katie Halper est fière de s’afficher comme typiquement de l’upper west side dédiant son temps d’antenne à la défense de Blumenthal, de Ben Norton, de Chomsky et de tout ce que les Etats-Unis peuvent compter de contrarian pro-Assad…