Le texte « Le nom Rothschild dans la campagne présidentielle » fut écrit en février 2017 et se trouva refusé de manière indirecte, car tout simplement ignoré, par le journal Libération, ainsi que par le Monde.
Très peu de personnes semblaient alors sensibilisées par l’accroit de l’antisémitisme pendant la campagne présidentielle, et beaucoup en revanche participaient à sa vulgarisation, ou alors faisaient semblants de ne pas reconnaître son visage.
Nous jugeons que cela est encore le cas, voire même que nous assistons à un antisémitisme de plus en plus propagé et assumé. Notamment avec les Gilets Jaunes employant le symbole antisémite des « Rothschild » pour appeler à la démission du président, associé depuis la campagne présidentielle à Emmanuel Macron (« Les Rothschild ne sont pas les bienvenus ici »; « président Rothschild » ou les appels de plus en plus récurrents à s’attaquer à la “loi Rothschild” qui serait la cause des malheurs économiques du pays).
Certains Gilets Jaunes manifestent même main dans la main avec l’extrême droite, notamment avec Hervé van Laethem (mouvement Nation) et Udo Foigt (NPD) de l’ultra droite Allemande, comme le 8 févier 2019 devant la banque Rothschild à Bruxelles: “C’est une bonne chose de mener une action ici devant les bureaux de la Banque Rothschild, car cette banque est emblématique du combat que doivent mener les gilets jaunes contre le pouvoir de l’argent. D’abord car rappelons qu’Emmanuel Macron a été (est toujours?) un employé de cette banque.” Ce même Udo Foigt, membre de parlement européen depuis 2014, qualifie le « Hitlergruß » (salut nazi) de « Friedensgruß » (salut de paix) qui devrait être autorisé 60 ans après la Shoah et parle de 340.000 de juifs assassinés par les nazis au lieu de 6 Million. Hervé van Laethem, de son côté, néonazi s’exprimant pour la liberté d’expression des négationnistes et leadeur de l’extrême droite belge depuis les années 80. Il y eut aussi des manifestations devant la “Banque Rothschild” à Paris organisé par des militants antisémites et à Lyon.
Même si certains, comme par exemple Jeremy Corbyn, commencent à réaliser que dire « Rothschild » se fait de moins en moins chic, car associé aux néo-nazis, essayent de satisfaire leur désir d’antisémitisme par un autre moyen. Le chef du Labour party britannique partage entre-autre cette vidéo, qui tente démonter le mythe autour du complot des Rothschild, tout en continuant à nier et ignorer l’antisémitisme au sein de son parti. Critiquer l’utilisation de fantasmes antisémites, très répandus comme « les Rothschild », sert donc de couverture à son propre antisémitisme.
D’autres, comme François Ruffin, qui vient de rendre hommage à Etienne Chouard, cache de moins en moins dans quelle idéologie se moule la haine de Macron dont il se revendique: « C’est vrai : à ce seul nom de “Rothschild”, sans chipoter, je vous avais classé “salopard de banquier ultralibéral” (Ruffin : « Ce pays que tu ne connais pas » (2019)
Emmanuel Macron a peut-être gagné les élections présidentielles de 2017 face à Marine le Pen et nous aurons échappés de justesse aux fascistes à la tête du gouvernement Français, mais croire que sa victoire seule suffirait comme rempart contre la haine raciale, relève du déni. Le barrage au fascisme est un travail à plein temps et ne se résous pas en un vote anti fasciste. La menace reste et elle est imminente et ce texte d’une actualité brulante. Car l’antisémitisme n’est pas que parole et idéologie de haine, ne s’exprime pas seulement par l’imaginaire antisémite « des Rothschild », mais fait réellement des victimes, des morts – à Pittsburgh, à Paris et ailleurs.
Malgré l’urgence d’actions et des prises de paroles contre l’antisémitisme, les multiples tentatives de prises de contact pour une éventuelle publication de ce texte, n’ont débouchées sur aucune réponse. Nous joignons au texte la lettre qui fut rédigée à l’attention de Laurent Joffrin pour une publication du texte. Il n’y fit jamais suite…
Fin de note.
Copie lettre à Laurent Joffrin du 12/03/2017
Monsieur,
je me permets de vous écrire directement sur le conseil de Myriam Revault d’Allonnes au sujet d’un article que j’aurais souhaité voir publier dans votre journal dans la rubrique Idées.
Je l’ai adressé à Cécile Daumas il y a quelques semaines, mais malheureusement je n’ai reçu aucune réponse.
Il s’agit d’une réaction à l’évocation du nom de Rothschild dans la campagne présidentielle en lien avec la candidature d’Emmanuel Macron. Ceci était extrêmement choquant à l’époque où j’ai écrit cet article, car cette invocation du nom de Rothschild sous entendait le pire antisémitisme qui soit, lié malheureusement à l’histoire de notre pays et toujours latent. Maintenant la situation a évoluée, en pire, avec la caricature des LR. et cela n’est pas fini.
Je comprends parfaitement que vous ne puissiez, sinon à travers vos blogs, donner la parole facilement à vos lecteurs mais je me sentais très concernée et dans une certaine obligation de vous adresser en priorité cet article. En effet je fus moi même une des personnes à l’origine de la création de ce journal à la fois en tant que journaliste à ses débuts et en ayant largement contribué à son financement en 1973. Mais aussi parce que cet antisémitisme ressurgit dans notre pays que nous avons milité pour défendre la cause palestinienne que nous sommes profondément antiracistes et que nous devons lutter aussi contre cet antisémitisme qui va nous submerger pendant la campagne.
je ne suis plus journaliste depuis longtemps et c’est la première fois depuis toutes ces années que je fais parvenir un article à Libération, je pense qu’il n’est plus vraiment d’actualité mais je vous l’adresse cependant en espérant que vous voudrez bien me répondre.
Je vous prie d’accepter, Monsieur, l’expression de mes sentiments respectueux
Le nom Rothschild dans la campagne présidentielle
Depuis des mois maintenant le nom Rothschild est brandi comme un épouvantail ou comme une marque d’infamie. Ce n’est certes pas la première fois dans l’histoire.
Cette fois ce nom apparaît de manière systématique et sans critique comme un concept d’évidence à chaque fois qu’est évoqué le candidat à la présidence de la République, Emmanuel Macron : candidat comme un autre tout aussi légitime dans notre démocratie sinon qu’il est lié de manière intime, dit-on, à la banque Rothschild.
Banque / Rothschild. Les deux mots ont leur importance: la banque toute seule ne serait en rien scandaleuse si Emmanuel Macron avait été employé de la BNP, du Crédit agricole ou même de la Société Générale. Ce qui a ce parfum vénéneux c’est l’association banque et Rothschild.
Personne ne remet en question le symbole associé désormais au nom d’Emmanuel Macron, ni à gauche, ni à droite, au contraire. Ni dans les médias, ni dans les cercles politiques qu’ils soient ouvertement défenseurs d’Israël ou vigoureusement hostiles. Ni dans la grande bourgeoisie ou ceux que l’on appelle désormais « les riches », ni dans la petite bourgeoisie intellectuelle ou autre, ceux qui s’affrontent cependant sur tous les sujets de notre temps dans la presse traditionnelle et sur les réseaux, ni chez les militants de Fillon, Hamon, écologistes, mélenchonistes ou lepénistes, ni chez les francs-maçons ni même chez les macronistes qui préfèrent, je pense, ne pas toucher à ce sujet brûlant.
J’ajoute que je n’entends s’élever aucune voix ni d’un membre de la famille Rothschild, ni d’un de leurs amis, ni d’un autre associé de cette banque ou d’une banque concurrente pour dénoncer cette violence qui ne dit pas son nom.
Pourquoi le nom Rothschild suscite-t-il encore en 2017, en France, une telle violence ? Pourquoi peut-il être répété en boucle comme une insulte pour disqualifier un candidat qui fut employé de cette banque pendant trois ans au cours de sa carrière et qui l’a quittée pour devenir ministre, de surcroit du côté de la gauche libérale, qui même si elle est critiquable, n’est quand même pas la droite dure de François Fillon et encore moins le « populisme » d’extrême droite de Marine Le Pen.
Dans la mémoire de notre pays le nom Rothschild est associé à la banque, à la richesse et à la finance internationale, aux « lobbies » qui dirigent le monde, aux mécènes qui accaparent le monde culturel et médiatique, aux usuriers qui corrompent les hommes politiques, à ceux qui manipulent l’argent cosmopolite, bref aux « juifs » et je dirais même plus au juif Süss celui du film culte de la propagande nazie ou à ceux du protocole des sages de Sion, ce célèbre « faux » qui justifia toutes les fantasmes antisémites et génocidaires des nazis et qui est d’ailleurs réactivé aujourd’hui en ces temps de fort complotisme, dans certains cercles antisémites.
Je perçois et je ne suis pas la seule une réactivation de l’antisémitisme, non religieux mais politique qui ne se prétend même plus « antisioniste » et qui cette fois vient de notre vieux pays et de sa mémoire vichyste. Prenons garde ! Lorsque personne ne s’y oppose sous prétexte de la marque du nom Rothschild, nous entrons et nous le savons dans les « sombres temps » d’Hannah Arendt.
La banque Rothschild, celle où fut employé Emmanuel Macron est une banque comme une autre, une banque patrimoniale et une banque d’affaires. Les Rothschild de ce début du XXIème siècle en France, sont des citoyens comme les autres. S’ils restent pour la plupart attachés et marqués par l’histoire de leur famille qui est pour eux, entre autres identités, l’histoire de la banque au cours des deux derniers siècles et de la montée du capitalisme en Europe, ils ont connu les drames, les séparations, les exils et la Shoah qui n’épargna aucun juif européen. Le gouvernement de Vichy confisqua l’ensemble de leurs biens et leur banque, qui ne fut restituée qu’après la Libération.
Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit, ni de personnes réelles ni de banque mais « des juifs » avec la résurgence des clichés antisémites les plus banals.
Les juifs ne sont plus seulement attaqués parce que tous seraient potentiellement « sionistes » comme ce fut le cas au début de ce siècle, même si beaucoup d’entre nous ne l’étaient pas et même avaient pris fait et cause pour la lutte palestinienne et que nous sommes nombreux de cette soi-disant « communauté juive » à redouter la montée dans notre pays de toutes les formes que prend le racisme. Ce que je sens revenir avec le « cas Macron » c’est l’antisémitisme d’autrefois, celui des antidreyfusards, celui de Drumont, de Brasillach, de Céline, de Laval et de Pétain d’autant plus dangereux parce que sédimenté dans les couches les plus profondes de l’impensé politique. C’est malheureusement la convergence de cet antisémitisme politique avec un certain antisémitisme de « gauche » ou « d’extrême gauche » qui, aujourd’hui, banalise l’expression ouverte de ce qui semblait interdit il y a encore une ou deux décennies et facilite la tolérance devant ces dangereuses expressions de la haine pure.
C’est pourquoi j’ose prendre la parole et j’espère ne pas être seule.