Revenir au concret, c’est aussi une manière de décrypter les logiques antisystème et en quoi, elles ne sont pas un anticapitalisme, mais au contraire un conservatisme parfaitement compatible avec l’ultra-libéralisme économique. Le projet lancé par Michel Onfray est certes un projet intellectuel, mais à le dissocier de sa réalité matérielle, on n’en saisit qu’une partie. Comme dans le cas de la majeure partie de ce qui se présente comme de “la libre expression” face aux “médias du système et de l’argent”. La mouvance anti-système est aussi, dans le haut de sa pyramide , un projet commercial intégral: chaque mois, chaque semaine presque, de nouveaux comptes sur les plateforme vidéos surgissent, de nouveaux sites émergent, de nouvelles revues en lignes. La plupart font vivre des acteurs commerciaux, et beaucoup sont pensées comme des start up. Beaucoup se cassent la gueule au bout de six mois, comme c’est le cas dans le monde des “entreprises innovantes” de la communication. Mais ce n’est une catastrophe que pour le petit patron dont c’est la seule boite, au dessus, il y a des producteurs qui tout en ayant des participations dans les émissions dans la catégorie “talk show traditionnel et provocant” développent aussi une offre de services aux acteurs politiques de l’anti-système.
C’est d’abord sous ce premier aspect que sera abordé l’épisode Front Populaire. Dans la deuxième partie de ce texte, on se demandera sur la base de cet petit résumé matériel bien éloigné du noble débat d’idées, ce que Front Populaire a à vendre dans un secteur devenu très concurrentiel, le souverainisme transcourants, qui voit une partie de la gauche et l’extrême-droite se battre pour un illusoire monopole.
Le projet de Onfray c’est donc, avec sa nouvelle revue Front Populaire, d’unir les Souverainistes. Il n’est pas le premier. Le projet plus abouti en la matière c’était celui de Kuzmanovic, avec son université d’automne destinée à fonder l’union du souverainisme dans le double rejet de l’islam(isme) musulman et des puissances mondialistes de l’argent apatride. C’est ce mouvement qu’Onfray reproduit ici, avec Kuzmanovic et surtout avec Didier Raoult. L’ajout de Raoult fait tout à vrai dire.
Autre nouveauté, le prix. Pas moins de 8 formules d’abonnement qui totalisent plus de 700 000 euros d’engagements à y souscrire (et ça grimpe) pour un projet qui n’a pas encore produit une ligne, c’est quand même très efficace. Cela montre en tout cas que le produit souverainisme a le vent en poupe. Et c’est la raison pour laquelle le producteur officiel du populisme transcourant s’y intéresse au point d’investir dedans.
Le producteur de populisme transcourants et anti-système.
Stéphane Simon est producteur. Dans un secteur, très particulier, la production d’anti-système. Depuis très longtemps, il a travaillé avec les plus grands, Taddei mais aussi et surtout Thierry Ardisson.
Et c’est une belle petite baraque bien monétisée qu’a conçu Stéphane Simon
Des films, d’abord, avec Outside films : des docus sur Yann Moix et Frédéric Beigbeder, sur Alain Ducasse ou sur Pierre Rabhi, que Stéphane Simon va contacter pour Front Populaire sur “demande des abonnés”.
Des émissions avec Téléparis et sa pépinière de talents, où l’on retrouve les plus grands chroniqueurs de chez Ardisson: Natacha Polony, William Goldnadel, Franz Olivier Giesbert mais aussi Dominique Rizet, l’expert police-justice de BFM TV (et expert en True Crime chez Ring) et dont Stéphane Simon produit l’émission “Victimes, leur vie a basculé”.
Du théâtre aussi avec Red Velvet, qui produit aussi des spectacles conférences pour vivre en direct le premier tour des présidentielles avec Michel Onfray qui commente sur scène ou Natacha Polony qui élabore sur le complotisme (avec Olivier Berruyer du site les-crises).
Cette fabrique de WebTV, a été à l’origine (en piochant largement dans les chroniqueurs d’Ardisson) de GoldnadelTV, de RéacNRoll TV, de Polony TV, mais aussi de KomodoTV chaine antispéciste avec Aymeric Caron. Stéphane Simon jure qu’il n’est pas derrière chaque opinion exprimée sur sa demi douzaine de chaines. Mais c’est quand même Jean Baptiste Roques, rédacteur en chef sur Réac N Roll (où il interviewe le gratin de l’extrême droite, par exemple Laurent Obertone et Renaud Camus) qui est également le rédacteur en chef du Magasin Numérique de Simon.
Stéphane Simon a d’autres projets dont l’Académie Cicéron. Avec Guillaume Bigot le directeur de l’IPAG, Aquilino Morelle l’ancien conseiller de François Hollande toujours dans les bons coups rouges bruns, Stéphane Simon fonde l’Académie Cicéron pour organiser des stages pour les étudiants (l’Académie Cicéron de Guillaume Bigot est dans les mêmes locaux que l’IPAG dirigé par Guillaume Bigot c’est pratique). Et aussi pour organiser des conférences avec Yann Moix (sur le désir), Zineb el Rhazoui, Laurent Alexandre, le colonel Goya, Jacques Sapir et tout un tas d’autres têtes d’affiches bien sympathiques
Petites graines et rempotage
Que va-t-il se passer avec Front Populaire? Et bien très probablement rien. Les authentiques couillonnés, les sympathiques ambitieux et les égocentriques égos vont probablement se disloquer après quelques numéros. L’intérêt de la chaine sera de réussir à garder le couple vraiment novateur de cette entreprise: Raoult et Onfray, sauf que faire le babysitting de ces deux égos ne va pas être une mince affaire.
Stéphane Simon s’en fout, autant prévenir tout de suite. Il transformera Front Populaire TV en Onfray TV, refilera Onfray TV à UnAutreTrucTV et réorganisera les comptes et les migrations de comptes entre tous les abonnés pour qu’ils n’aient pas trop l’impression d’être floués.
Sa webTV la plus brune, ReacNRoll est d’ailleurs construite comme ça: organisée en CauseurTV, CastelnauTV, RioufolTV, Barbara Lefebvre TV, et tout est toujours prêt pour le rempotage (avec même un petit barbaralefebvre.com sous le coude).
C’est aussi ce qui s’est passé avec son projet précédent, “La France Libre”, une télé de réinformation contre la bienpensance avec André Bercoff, William Goldnadel et Verlaine Djéni, lancé en grande pompe et avec un compte Twitter et Facebook @l’infolibre. Puis Bercoff s’est barré, Verlaine Djéni a eu des ennuis judiciaires et la chaîne est devenue GoldnadelTV avec son propre compte Twitter dédié. Quant à l’info Libre, c’est devenu un site internet de promo des autres projets de Stéphane Simon.
De la même manière, Stéphane Simon a transformé Orwell TV en PolonyTV après une plainte des ayants droits de Georges Orwell. Polony TV est en train de devenir Marianne TV, détenue à moitié par le propriétaire de Marianne et à moitié par une société de Stéphane Simon.
Stéphane Simon ne se prive pas non plus de piocher dans un vivier existant pour rempoter ailleurs et faire pousser. Pierre Liscia par exemple, élu parisien de droite sur un programme de nettoyage des drogués et des paumés de la porte de la Chapelle. Pierre Liscia fut aussi chroniqueur chez Ardisson. Stéphane Simon, via sa société Agit Prod, lui a conçu un joli petit site pour que la parole réactionnaire de cet élu de droite puisse s’épanouir et grandir.
Qui sait peut être qu’un jour les moustaches de Liscia deviendront aussi symboliques que les lunettes d’Onfray? (et puis pour RaoultTV l’idée logo ça sera de prendre les cheveux et la barbe).
Parfois ça ne marche pas. Comme avec vivre200ans.com ou vivre1000ans.com qui étaient, semble-t-il, destiné à Luc Ferry après qu’il soit passé chez Natacha Polony (produite par Stéphane Simon) pour présenter son livre sur le transhumanisme. On lance des projets réacs comme ça, on ne sait jamais lequel va prendre.
Verlaine Djéni lui aussi après ses déboires, était parti pour refonder un nouveau machin d’extrême droite “Bleu Blanc Black”. Le projet dont l’idée avait germé lors de la convention de la Droite organisée par Marion Maréchal le Pen avait l’air sympa: mettre des jeunes issus des minorités au service de la fierté nationale patriote conservatrice. Stéphane Simon et sa société Agit Prod étaient partants mais apparemment ça n’a jamais vraiment pris à cause des “noirs, arabes et jaunes de droite qui préfèrent rester planqués”.
Le “Front Populaire” ne sera donc pas un tremplin pour un triumvirat Onfray/Bigard/Raoult à la présidentielle. Ce sera un vieux fond de pot, tout à l’égo souverainiste, où Stéphane Simon pourra piocher parmi les 50 nuances de bruns pour décliner 18 nouvelles webTV populistes ou ouvertement fascisantes.
Sur le plan politique le souverainisme est effectivement le dernier truc à la mode et Onfray et Stéphane Simon viennent en fait de rafler le pactole. Par la droite évidemment. A force de voir des gogos empiler du rouge brun souverainisto-populiste au milieu de la table, ils ont joué la carte Raoult et ils raflent tout.
La Carte Raoult ils l’ont eu grâce à “une amie franco-libanaise” qui a proposé à Onfray de transmettre son numéro au professeur Marseillais. Cette amie est très probablement Zeina Trad la seule franco-libanaise à monter des projets de conférences et séminaires avec Onfray et à interviewer aussi le professeur Raoult. Elle est dans l’aventure Front Populaire, évidemment. Elle vient aussi de lancer sa boite de com, Lightincommunication, avec laquelle elle a organisé la venue de Michel Onfray au Liban (qui a donné lieu a un documentaire produit par Stéphane Simon). Elle a également organisé une interview de Raoult qu’elle a vendu à MTV au Liban. On attend donc la venue prochaine de Raoult à Beyrouth, pour faire des conférences organisées par Lightincommunication, et filmées en documentaire par les boites de prod de Stéphane Simon.
A peine les deux larrons Raoult et Onfray mis en contact, Stéphane Simon dépose la société les Editions du Plénïtre qui chapeaute le Front Populaire (et engrange les bénéfices éventuels) et l’affaire est lancée.
De l’autre côté du spectre souverainiste, les souverainistes “de gauche” sont furieux.
Pourquoi la gauche est aussi mal à l’aise
Le souverainisme de gauche c’est la même chose que l’autre mais avec des gens (souvent les mêmes) qui voudraient récupérer le souverainisme pour des appareils politiques de gauche. Rouge-brun bonnet et bonnet rouge-brun.
Face à ce qu’Onfray vient de faire ils sont profondément dépités. Comme Thomas Branthôme par exemple officiellement furieux contre Onfray car “il va salir l’idée de souveraineté”. Il le dit dans un article du Monde qui essaye maladroitement de défendre le concept de souverainisme en en éloignant Onfray, et de présenter les souverainistes de gauche renouveau de la gauche qu’on nous vendait hier, comme les ennemis d’Onfray aujourd’hui. Mais c’est faux, Onfray a juste raflé sous leur nez ce que Branthôme et sa petite bande pensaient récupérer laborieusement en fondant 14 think tank sur la reconstruction du souverainisme de gauche.
Thomas Branthôme et la petite équipe du site Le Vent Se Lève n’ont pas chômé ces derniers mois pour faire avancer la cause souverainiste. Ils ont passé leur confinement à décliner les Think Tanks autour, au dessous, au dessus et à coté de la France Insoumise. En sus de leur site, ils animent “Intérêt Général” un think tank qui s’oppose aux think tank pour penser la sortie des traités européens (et récupérer la souveraineté). Puis l’Institut Rousseau, laboratoire d’idées qui veutégalement… sortir des traités européens (et remettre au centre la souveraineté du peuple). On retrouve comme à chaque fois les mêmes personnes qui s’agitent à essayer de faire avaler le souverainisme à gauche, en passant par la France Insoumise dont l’infusion à gauche des saloperies d’extrême droite est devenu le métier. Evidemment on retrouve aussi tous ces gens dans la vieille Rolls du souverainisme brun, la fondation Res Publica de Jean Pierre Chèvenement.
Le souverainisme de gauche fantasme sur le Brexit et la récupération de la colère populaire grâce à une stratégie: le populisme.
Le populisme, tel que le vantent Branthome, le Vent Se Lève ou son annexe l’institut Rousseau, est une stratégie rouge-brune par essence. C’est à dire que c’est une stratégie politique destinée à unir les colères de gauche et d’extrême droite et assumée comme tel. On considère ainsi qu’il existerait une forme de colère indéterminée, ni de gauche ni de droite, qu’il serait possible de capter, en se plaçant assez au dessus, afin de pouvoir l’orienter dans la bonne direction. Le populisme impose ainsi non seulement de considérer que les gens ne savent pas ce qu’ils font, mais en plus de croire que si on arrive à se placer assez au dessus d’eux on pourra leur dire quoi faire.
Le populisme est donc une stratégie de conquête du pouvoir, dans les yeux de ses partisans. En réalité une stratégie qui ne bénéficie qu’à l’extrême droite, mais ceux de gauche continuent à faire semblant d’y croire, malgré les innombrables fois où l’on a vu l’original préféré à la copie. Et les populistes ont besoin d’une idée pour aller avec leur stratégie. Une fin à leur moyen. Un truc qui plairait à la gauche et à la droite et qui permettrait surtout de se situer au dessus, en amont: la souveraineté. La souveraineté est par exemple en amont de la Nation parce que la souveraineté nationale, c’est ce qui fonde la Nation. Ca vient donc avant et hop: les souverainistes ne sont plus des vulgaires nationalistes mais des prestigieux héritiers de 1789.
Pratique aussi pour se situer au dessus, on peut dire “la souveraineté” dans un sens vague et général afin de pouvoir décliner “souveraineté Nationale” aux uns et “souveraineté populaire” aux autres, passer de l’un à l’autre, jongler entre les deux et décliner les débats sur “vouloir la souveraineté, est-ce être souverainiste?” ou l’inverse. Même Macron peut s’amuser à ce jeu là et verser un peu de “souveraineté européenne” ici puis de “souveraineté nationale” par là.
Le grand moment du mélange entre rouges et bruns, entre populisme et souverainisme, c’est le référendum de 2005. Le moment où la fin souverainiste rencontre son moyen populiste et inversement.
Depuis l’alliance rouge-brune souverainisto-populiste ne rêve que de reproduire ce moment fondateur, regarde avec admiration le Brexit qui aurait réussi à le faire, et monte trente milles alliances et initiatives pour reproduire ce moment.
Telle cette rencontre, surement la 50eme du genre où Chevènement, le pape de l’alliance entre la gauche et le fascisme a réuni Mélenchon, Onfray, Montebourg pour discuter du souverainisme qui les unit.
Telle cette pétition, il y a un an à peine, pour réclamer un référundum sur Aéroports de Paris avec Ruffin, Claire Nouvian, et Michel Onfray rêvant d’un grand référendum permettant d’agréger les colères “contre Macron”. (Ruffin qui prend soin d’entretenir cette relation d’ailleurs, en envoyant à Onfray son livre sur sa haine du nom Rothschild)
L’initiative la plus aboutie en la matière reste cependant cette réunion initiée par Kuzmanovic entre les rouges-bruns de la FI, les patrons patriotes et le fond de pot de la laïcité islamophobe, dont on a détaillé les tenants et les aboutissants: comment le souverainisme avait besoin de l’islamophobie et de l’antisémitisme pour récupérer la République débarrassée de l’universalisme qu’il ne peut tolérer.
C’est Kuzmanovic d’ailleurs qui doit être le plus dégoûté de toute la bande. Son seul et unique tweet sur le sujet de la revue à laquelle il participe montre combien il s’est fait avoir.
Une simple participation à une revue, bien sûr. Et Onfray et Stéphane Simon ont récupéré tout ce qu’il a construit avec son université d’automne pour le transformer en attrape gogo à 700 000 euros de dons, et les lunettes d’Onfray sur le logo. On espère qu’au moins Stéphane Simon lui fera une webTV dédiée.
Les souverainistes et les populistes des deux rives veulent s’unir. Et c’est pour ça que Kuzmanovic, vrai militant du souverainisme rouge-brun, prêt à faire passer la cause avant lui même, a accepté d’aller dans la revue d’Onfray (et d’y entraîner une partie de l’union souverainiste qu’il avait réussi à construire). C’est aussi pour ça que, malgré les plâtrées de couleuvres qu’il est contraint d’avaler et l’évidence de s’être largement fait avoir, il ne dit mot et se refuse à quitter officiellement cette arnaque car cela affaiblirait publiquement l’union des souverainistes qu’il appelle de ses vœux.
Plus dur encore pour les souverainistes : la prise de conscience de leur hégémonie et la réalité apparemment contradictoire qui va avec, l’hégémonie culturelle ne fait pas l’unité politique.
A force de hurler contre la bienpensance hégémonique ils ne s’en étaient jamais rendu compte. Et là, “Montebourg et Chevenement” présentés comme les deux voies (différentes) de la gauche, Libération qui titre “souverainisme à gauche, le grand retour d’un gros mot”, Glucksmann l’ennemi mondialiste social démocrate qui s’affirme souverainiste! Et puis le retour des frontières, l’Europe inexistante, le coronavirus présenté comme le virus de la mondialisation… Ah ils buvaient du petit lait les souverainistes, et puis c’est Onfray et Stéphane Simon qui raflent la mise en posant professeur Chloroquine sur la table. Malaise.
Malaise aussi très perceptible dans la commémoration du Non au référendum sur le traité de constitution européenne de 2005.
Ce moment est fondamental pour les populistes et les souverainistes. Le moment ou le référendum populiste a consacré, par le rassemblement de la gauche et de l’extrême droite, la défense de la souveraineté nationale. Le souverainisme est la fin, le populisme est le moyen. Ce moment est donc extrêmement important. Il y a donc logiquement une tribune dans Marianne avec le gratin souverainiste qui signe.
Et pourtant il manque des noms dans les signataires de cette tribune. Il y a bien du géopoliticien pro-Assad, du vétéran de Riposte Laique, le Community Manager de Le Média, l’honneur de Debout la France. Une belle brochette réunie par Kuzmanovic qui a préparé un petit site aussi pour qui d’autre voudrait signer. Mais il manque un nom quand même. Celui d’Onfray. Une bien curieuse absence pour celui qui incarne l’union des souverainistes du moment…
Absence réciproque et tout aussi curieuse sur le site et le Twitter de Front Populaire où la tribune dans Marianne n’est nulle part mentionnée. Onfray semble bien se souvenir de la date de la commémoration mais il préfère fêter seul face caméra .
L’islamophobie républicaine tente de se justifier
Quant à Henri Pena Ruiz, l’idole de l’islamophobie Républicaine, lui aussi semble aussi un peu le derrière entre deux chaises. C’est la raison de cette tribune dans Marianne où il se justifie de sa participation à la revue d’Onfray (on se doute qu’il se justifie auprès de ses amis souverainistes et/ou islamophobes de gauche qui lui reprochent sa participation parce que ça fait mauvais genre, et pas auprès des hordes d’islamo-gauchistes de la bienpensance qui refuse le débat d’opinion).
Cette tribune de Pena Ruiz est très significative car elle vient consacrer totalement ce qui se joue ici.
Comme toujours il tente d’expliquer les innombrables liens qui unissent Front Populaire à l’extrême droite, comme une tentative de la droite de mettre la main sur un truc génial.
“En fait cette tentative d’OPA sur la revue tient au double sens du mot populaire. “Populaire” plaît à une certaine droite qui se précipite sur l’initiative. Pourquoi donc ? En raison du sens que cette droite donne au mot “peuple”, à savoir celui d’une communauté humaine assujettie à des particularismes coutumiers voire religieux, celle des Français dits trivialement “de souche”, un “nous” opposable à un “eux”. Un tel sens, commun à Joseph de Maistre et peut-être à Alain de Benoist, n’a rien à voir avec le sens que lui a donné la Révolution Française, dans le sillage du Contrat Social de Rousseau. Le peuple se définit alors par la communauté de citoyennes et de citoyens qui se donnent librement leurs lois.”
C’est le double tranchant du double sens. Le concept avait été choisi à la base pour dépasser le clivage gauche droite, et du coup ça a pour effet pervers…. d’effectivement dépasser le clivage gauche droite. Bêtement les fascistes peuvent mettre la main dessus. Ce que veulent les populistes c’est utiliser des mots et des concepts qui leur permettent de rallier l’extrême droite. “Les fachos pas fâchés”, “refaire du social plutôt que du sociétal”. Ils considèrent que le peuple populaire est à l’extrême droite et qu’il faut aller le chercher là bas.
Mais les mots ont un sens. Celui qu’on leur donne par les discours et par les actes. Ainsi le front populaire de 1936 signifie gauche car il donne des droits aux prolétaires.
Le Front Populaire de Michel Onfray, en voulant protéger la nation souveraine du mondialisme financier apatride, et en faisant de la laïcité avec le fer de lance pour forcer l’Islam à sortir du domaine de la bête, signifie autre chose.
N’ayant pour défendre son concept de “populaire” aucun acte de gauche et exclusivement des idées d’extrême droite, Pena Ruiz tente une autre approche, sur la définition.
“Cette définition de type juridique et politique n’a pratiquement rien à voir avec la définition ethnico-religieuse du peuple, chère à l’Ancien Régime. Elle permet d’intégrer à la France des personnes d’origines et de traditions diverses. La refondation universaliste, par le droit, de la conception du peuple et de la nation rend possible la conjugaison de l’attachement à la souveraineté et de l’internationalisme.”
Et l’on retrouve la fissure fondamentale du souverainisme: comment, enfin comment, la nation et l’internationalisme pourraient marcher ensemble? Comment souverainisme et universalisme pourraient se combiner? C’est à priori impossible.
La République a été fondée sur la reconnaissance du couple droits de l’homme et droits du citoyen et c’est à la seule condition de la reconnaissance des droits de l’homme que l’universalisme et l’internationalisme sont possibles.
Alors qu’est-ce qui se passe dans la tête des souverainistes? Comment arrivent-ils à proclamer qu’ils sont à la fois souverainistes et internationalistes? C’est parce que la “refondation universaliste” dont parle ici Pena Ruiz a un sens un peu particulier. Pena Ruiz conçoit ici un modèle de Français universel auquel devra s’intégrer tout élément étranger. Une nation souveraine qui intègre universellement, mais à condition que l’universel se soumette. Et l’universel qui se soumet à la Nation, le souverainiste aime ça. Et il est tout à fait prêt à étendre sa souveraineté nationale de façon absolument universelle. Ça le fait se sentir un peu Napoléon. Le souverainiste est en effet différent du nationaliste (puisqu’il entend se situer au dessus). Le souverainiste ne souhaite pas la réduction de la nation sur elle même, il souhaite le triomphe de sa nation et de son peuple sur tous les autres, et l’imposition de son modèle sur les traditions et origines diverses, tant à domicile qu’à l’international et par tous les moyens possible, capitalisme et alliance avec Poutine compris.
Mais le souverainiste n’est pas hostile au nationalisme car il voit en lui le moyen de solutionner ce petit problème de lutte des classes:
“Je suis marxiste et pour moi le clivage gauche/droite ne pourra jamais disparaître tant que les hommes auront des intérêts économiques contradictoires. Voyez la mystification du macronisme qui prétendait dépasser ce clivage alors que les puissances d’argent l’ont promu pour faire exclusivement la politique de la droite.”
Se déclarer marxiste à la débottée pour raconter n’importe quoi derrière ne mange pas de pain. Par contre on voit ici combien le souverainisme permet de solutionner fictivement ce problème des intérêts économiques contradictoires. Le patronat et le prolétariat doivent s’unir, et ils vont le faire pour défendre la Nation contre un ennemi commun: les puissances mondialistes de l’argent international.
Tout à sa solution miracle de la Nation Souveraine, qui est au capitalisme ce que la Chloroquine est au covid19, Pena Ruiz ne se rend pas compte qu’il est déjà les deux pieds dans la droite et la défense du profit patronal. “D’où viennent l’insuffisance initiale du nombre de lits dans les services d’urgence et celle du nombre de respirateurs, de masques et de tests ? D’une politique délibérée de réduction de la dépense publique, menée tout uniment par la vraie droite et la fausse gauche.”
C’est vrai pour les équipements et l’hôpital mais pour les masques ça repose sur la croyance que des usines françaises de fabrication française de masques français auraient été la solution à la crise. Dans l’idée des souverainistes c’est donc à l’état avec l’argent public d’assurer la rentabilité des entreprises pour des patrons qui peuvent continuer d’exiger que leur recherche de profit soit satisfaite. Croyait-on que dans le modèle souverainiste on aurait demandé aux patrons français d’abandonner la recherche du profit pour assurer la production de masques au bénéfice de la santé publique de leurs concitoyens? Point du tout, l’état doit assurer les commandes sinon on ferme les usines et c’est bien la faute à la méchante mondialisation. Cette solution n’en est pas une et évidemment protège en priorité l’intérêt du Mouvement des Entreprises de France.
Cependant face à la nullité absolue du gouvernement et face aux mensonges tartinés pour dissimuler cette nullité, n’importe quoi apparaîtra meilleur. C’est aussi ce qui explique comment le souverainisme est devenu un truc à la mode pour répondre à la nullité du gouvernement actuel.
Puis vient chez Pena-Ruiz la traditionnelle articulation entre les souverainetés.
“Il est urgent de reconquérir la souveraineté populaire, dont la Révolution Française a fait le fondement de la souveraineté nationale. Jadis supposée fille ainée de l’Eglise, la France est désormais fille de la Révolution, qui a fait d’elle une nation fondée sur des droits universels et non plus sur des particularismes coutumiers ou religieux. La laïcité en témoigne par son universalisme émancipateur. N’en déplaise à la droite identitaire, nostalgique des privilèges perdus, cette mutation permet à des personnes de traditions diverses de vivre ensemble, pourvu qu’elles respectent la loi commune.”
On voit ici comment la souveraineté permet de passer de la souveraineté populaire à la souveraineté nationale, et comment l’universalisme est ici conçu non comme un droit qui s’appliquerait à tous les humains sans distinction mais comme la mise au pas des particularismes. De la même manière “l’universalisme émancipateur de la laïcité” n’est censé s’appliquer qu’à ceux qui respectent la loi commune. Un universalisme sous condition qui ne s’applique que si on se comporte correctement. L’universalisme est par essence inconditionnel. Il élabore des droits qui s’appliquent à tous sans distinction de sexe, race, genre, opinion ni de comportement. L’abrogation de la peine de mort en est le meilleur exemple. En l’absence de droits de l’homme et d’universalisme (par essence inconditionnel), les droits du citoyen comme la laïcité peuvent être déployés ici comme outil d’oppression. Les droits de l’homme ne s’appliquent plus de façon universelle, seuls s’appliquent les droits du citoyen, et la reconnaissance de la qualité de citoyen est conditionnelle.
Inévitablement la logique de “l’universalisme souverainiste” finit comme ça:
“Il est nécessaire de secouer le joug d’une Europe inféodée au capitalisme mondialisé, et de la refonder dans l’intérêt des peuples souverains qui la composent.”
Si l’on définit la souveraineté populaire contre l’Europe ou la souveraineté européenne, alors nécessairement on définit le peuple contre les autres peuples. Le projet souverainiste est donc essentiellement xénophobe. Mais dans sa recherche perpétuelle de se placer au dessus, en amont même de la xénophobie, il propose aussi une alliance des “peuples souverains” entre eux. Une forme d’inter-Nationalisme en essayant de grouper ensemble les Nations contre un ennemi commun: le “capitalisme mondialisé” de la finance apatride.
Un bien beau projet.
Pour quelle postérité ? Ce qui est certain, c’est que Front Populaire aura démoralisé durablement la gauche souverainiste qui se refuse à partir à l’extrême-droite et pense pouvoir prendre le dessus. Depuis le milieu des années 2000, Onfray était un pivot de cette école là, non pas pour son intelligence ou son originalité, mais pour un talent très nécessaire au souverainisme de gauche, dire les mêmes saloperies qu’Ivan Rioufol mais en truquant les références et en faisant des philosophes des Lumières ou de Marx, la prétendue source d’une pensée aussi banalement réac et xénophobe que celle du RN. En rejoignant officiellement le camp adverse, il accentue le sentiment de défaite prégnant depuis l’effondrement de la France Insoumise à la présidentielle, mais aussi celui du prétendu républicanisme macroniste, dont l’impopularité ne peut être masqué par l’autoritarisme.
Pour le reste, Onfray peut juste devenir un énième éditorialiste, un petit baron parmi d’autres dans la droite antisystème nationaliste. Le seul vrai intérêt à long terme de Front Populaire, c’est qu’il s’agit de la première participation officielle et assumée comme telle de Didier Raoult à la bataille politique.