Il y a dix ans, c’était le début de la révolution syrienne. Une révolution universelle comme toutes les révolutions et qui allait changer la face du monde, comme toutes les révolutions.
Mais dans le cas de la révolution syrienne, comme elle était faite par des Arabes et qu’on aimait pas trop les Arabes, c’est sa répression qui avait, pour l’instant, changé la face du monde.
Un massacre franc et massif fait sous les applaudissements, les silences gênés et les hypocrisies opportunistes d’à peu près tout le monde.
Il y avait ceux qui applaudissaient. Poutine allait « régler le problème » de l’Orient et de son pipeline compliqué, Assad qui portait une cravate était un héro qui luttait contre les Arabes Saoudiens (qui n’en portaient pas et qui était donc plus éloignés de la civilisation), et l’expert géographe qui se réjouissait que la répression permette “d’aérer la Syrie de quelques millions de personnes”.
Il y avait là les silences gênés aussi. Des silences de ceux qui s’étaient mis à faire beaucoup de bruit à partir des attentats de 2015. Quand finalement, tout bien considéré, on a admis sans vraiment le dire trop fort, que les attentats c’était un peu la faute de la France en Syrie. La France avait semble-t-il soit trop, soit pas assez bombardé “là bas”, ce qui au final avait provoqué les attentats “ici”. La France devait dès lors, changer de politique en Syrie et bombarder soit plus soit moins, mais dans tous les cas changer de politique. Et puisque la politique jusqu’alors avait été de faire semblant de soutenir la révolution et les rebelles syriens, alors il fallait cesser, non pas de faire semblant bien-sûr, la Grandeur de la France impose de faire semblant comme aurait dit le Général de Gaulle, mais bien de cesser de soutenir la révolution syrienne.
Le petit Aylan Kurdi avait eu le mauvais goût de mourir noyé sur une plage en septembre de la même année et les réfugiés syriens fuyant la répression se faisaient de plus en plus visibles. Alors, le gouvernement de Manuel Valls qui était fort contre le « terrorisme » s’était convaincu qu’il fallait aussi être fort contre les réfugiés. Les deux venaient de Syrie après tout. Silence gêné d’une bonne partie des « universalistes » qui en ces temps là et de manière générale avaient choisi de soutenir Valls et de manière générale la politique du double rejet, ensemble, des terroristes, des réfugiés et globalement de l’islamisme musulman grâce à l’état d’urgence.
Il y avait eu les opportunistes, qui découvraient la révolution comme une cause perdue qui n’engageait pas trop de bouleversement en cas de victoire car elle était déjà perdue de toute façon. Ceux qui avaient mis plusieurs années à se chercher un bon camp propre à soutenir, parce que les révolutionnaires syriens sentaient mauvais l’Islam, pardon, «l’islamisme», ils avaient des barbes et des sandales et ils faisaient des manifs le vendredi en acceptant l’argent du Quatar. Alors ils avaient trouvé les Kurdes! Ah les Kurdes… Elles étaient tellement bandantes à 19 ans en treillis militaires les Kurdes… On le disait pas comme ça bien sûr, on disait « les Kurdes sont féministes et laïque, nos seules alliées contre Daech » et ça passait bien mieux que “le rebelle syrien”. Il y avait aussi le camarade qui, des années après le début de la révolution découvrait soudain en se regardant dans une glace un autre camarade et décidait alors de lui écrire une lettre.
Il y avait le président Macron, hors catégorie, qui écoutait tous les conseillers pro-Assad, qui recevait Poutine à Versaille comme tout premier chef d’état, qui vendait des armes au maréchal Sissi pour l’aider à massacrer sa propre révolution, qui déclarait crânement « le successeur d’Assad ? Il ne m’a pas été présenté », qui théorisait avec son ministre des Affaires Etrangères le « Assad n’est pas notre ennemi, il est l’ennemi du peuple Syrien », une phrase qui disait en réalité beaucoup de ce qu’était devenu l’universalisme révolutionnaire pour cette France qui continuait pourtant de se présenter comme son champion. Macron qui recevait une nouvelle fois Poutine, à Brégançon, cette fois pour parler alliance contre le terrorisme. Et puis enfin Macron, pour les 10 ans qui fait un tweet appelant à une « solution politique » entre les bourreaux et les victimes.
Ces attitudes n’étaient pas individuelles mais structurelles. Des gens qu’on pouvait penser tout à fait détestables avaient pu comprendre l’enjeu de la révolution et la soutenir, pleinement et sincèrement. Car la révolution les emportait, eux et tout leur être avec eux et tout ce qu’ils avaient été et redéfinissait tout ce qu’ils pouvait être. Et puis la répression. La répression qui elle aussi emporte tout, en tout cas essaye d’emporter tout ce que la révolution a elle même touché. Et des gens qui avaient pu être tout à fait honnêtes et sincères, que l’on a vu se dire bon tant qu’à faire, autant éviter de tout perdre, et profitons-en quand même pour capitaliser sur le soutien qu’on y a apporté. Pour se faire, y compris en se réconciliant avec les pro-Assad, une petite place au chaud à l’université, dans les médias ou dans la gauche radicale. Après tout la révolution qu’ils avaient soutenu leur devait bien ça.
Mais avant ce renversement structurel, il y avait eu la promesse révolutionnaire. Et celle là ne s’oublierait jamais.
La révolution syrienne c’était loin. C’était pour les Syriens et c’était les Syriens qui la faisaient d’ailleurs, et mourraient pour elle. Mais ici, c’était tout prêt, et ils mourraient pour nous aussi. Ici c’était la défaite totale et absolue de l’antisémitisme et de l’islamophobie. Oui oui les deux vont ensemble conceptuellement, l’antisémitisme est la matrice de tous les racismes dont de l’islamophobie aussi, vous savez déjà tout ça, lecteurs de Lignes de Crêtes.
Mais là, c’était pas juste conceptuel, c’était très concret. Le régime d’Assad est un régime qui tient essentiellement sur ces deux piliers que sont l’islamophobie et l’antisémitisme. Quelques mois avant le début de la révolution, on demandait à Assad, en grâce dans les journaux occidentaux si il était inquiet de l’effet domino du Printemps arabe et que la révolution touche son pays. “Pas du tout” répondait Assad, “je suis en phase avec mon peuple sur la politique étrangère”.
L’idée était que l’Arabe étant antisémite par nature, il soutenait forcément son “président” qui gueulait très fort qu’il était contre Israël et le tour était joué: rien n’arriverait au président anti-Israël et anti-Occident.
Et c’est bien justement sur celui-là que c’est tombé. C’est le tour de ce docteur là qui est arrivé.
La révolution syrienne, en renversant complètement l’antisémitisme au moyen orient, le renversait aussi en occident. Elle mettait un grand coup de hache entre ceux qui voulaient des Arabes antisémites et ceux qui voulaient des Arabes libres. Et aussi entre ceux qui voulaient des occidentaux islamophobes et ceux qui voulaient des occidentaux apprenant des Arabes comment on occupe des places.
L’islamophobie fut la deuxième carte de Bachar al Assad. C’est grâce à l’islamophobie, et uniquement grâce à elle qu’Assad a pu convaincre qu’il était un « moindre mal ». Assad s’est présenté comme occidental, comme bien habillé, avec une femme très jolie et sans voile et soit-disant laïc. C’était évidemment un mensonge et la Révolution renversait directement ce mensonge. Des Arabes voulaient la liberté. Ils utilisaient le vendredi à la mosquée pour aller manifester dans la rue pour la démocratie. Ils utilisaient les divisions confessionnelles pour crier « un, un le peuple syrien est un ». Même les Frères musulmans étaient bien obligés, si ils voulaient imaginer de pouvoir jouer un rôle dans le pays, de corriger leur charte et de bien préciser République, démocratie, liberté et respect des droits de l’homme selon leur inspiration divine et des conventions internationales
L’extrême droite et les réseaux fascistes se sont immédiatement remis au service du régime de Bachar al Assad. De Frédéric Chatillon conseiller de Marine le Pen à SOS Chrétien d’Orient, en passant par d’anciens identitaires bretons devenus rédac chef de Paris Match.
L’islamophobie permettait aussi de fantasmer une nouvelle croisade pour les «chrétiens d’Orient» et l’extrême droite catholique intégriste et fasciste s’est ainsi unie avec les faux universalistes, pseudos républicains et laïcs putatifs pour qui un Arabe émancipé ça voulait dire un islamiste. Les fondateurs du Printemps Républicain sont ainsi passés de l’un à l’autre, d’une adhésion à la propagande d’Assad sur base d’arguments visant les gauchistes (sur un mode complotiste, ou à la sauce «vos guerres nos morts» lors de la fondation du «collectif contrefort» en 2015) à des idées pro-Assad plus d’extrême droite comme le refus du retour des djihadistes français, le rejet des migrants et la collusion avec le souverainisme poutinien.
La révolution syrienne a unie contre elle ceux qui n’en voulaient pas et ceux qui n’y croyait pas.
Avec le triomphe de la répression c’est bien ce mensonge islamophobe qui a triomphé.
Aujourd’hui, Fabrice Balanche, un des plus fervent défenseur de Bachar al Assad est l’un des fondateurs de l’observatoire du décolonialisme, pourfendeur de l’écriture inclusive et de l’islamo-mao-gauchisme à l’université. «Moi aussi j’ai été victime de l’islamo-gauchisme, on m’a accusé d’être pro-bachar alors que toutes mes analyses se sont révélées vraies», déclare ainsi ce géographe qui a passé les 10 dernières années à faire la propagande du régime syrien et dont les analyses sur la victoire de Bachar se sont révélées tout à fait justes, au fil des massacres et bains de sang qui ont rythmés la reconquête de Bachar al Assad.
Ce géographe, illustre aujourd’hui le dernier livre de Gilles Kepel sur le «djihadisme d’atmosphère», un concept raciste et vague qui commence déjà à remplir les discours de Marlène Schiappa, et qui va devenir l’argument d’autorité experte des prochaines vagues de l’islamophobie macroniste. Le retour en grâce des plus fervents propagandistes d’Assad via les réseaux islamophobes de lutte contre l’islamo-gauchisme à l’université ne surprendra personne. A part peut-être ceux qui font semblant de croire que l’islamophobie de Bachar al Assad n’a rien à voir avec l’islamophobie française.
Il y a deux ans le 15 mars 2019 c’était le massacre de Christchurch. Brenton Tarrant massacrait 51 personne dans une mosquée. Quel rapport entre ces deux évènements sinon qu’on les commemore tous deux aux Ides de Mars?
En 2017 c’est en France que Brenton Tarrant vient prendre son inspiration, le pays des droits de l’homme est alors le leader européen du refoulement des réfugiés, contre l’Allemagne d’Angela Merkel qui avait décidé de les accueillir. Et Brenton Tarrant devient membre d’honneur de Générations Indentitaire, l’association qui s’est fait une spécialité dans le refoulement spectaculaire de migrants.
Le Grand Remplacement, la théorie qui a inspiré Brenton Tarrant et à laquelle il dédie le titre de son manifeste, est aussi l’histoire des 10 dernières années. Inventé en 2010 par Renaud Camus qui la reprend de l’antisémitisme du XIXeme pour y ajouter les Musulmans, cette théorie est devenue l’atout séduction de l’extrême droite dans les 10 ans de montée de l’islamophobie, de rejet des migrants, d’attentats et de « reconquète » de Bachar al Assad.
Un Bachar al Assad qui est une icône chez les suprémacistes, qu’ils soient inspirateurs ou héritiers de Brenton Tarrant, particulièrement lors du rassemblement fasciste de Charlottesville au cours duquel Heather Heyer fut assassinée.
Et cette amour des suprémacistes pour Bachar al Assad est assez logique. Elle suit en droite ligne la croyance raciste et néocoloniale que l’Arabe doit être maté par un homme fort, un dictateur à poigne qui va empêcher le chaos musulman islamiste de submerger le monde. Le suprémaciste blanc se doit d’aider et d’assister le dictateur Arabe dans cette tâche, en faisant refluer le migratoire et l’islamiste. Plus la révolution est forte moins cette réalité djihadiste et migratoire n’existent dans le réel. Par contre les dictateurs arabes ont toujours utilisé le terrorisme et les réfugiés comme chantage auprès des pays occidentaux qui affichaient haut et fort que c’étaient leurs seules préoccupations. Menacer d’envoyer des terroristes ou des migrants à la frontière un jour, promettre une collaboration «antiterroriste» et d’assurer un verrou migratoire le lendemain. Telles ont toujours été les cartes jouées par les dictateurs arabes, en échange de quoi on les appelait «laïcs».
Plus Assad redevient maitre de son pays, plus ces deux obsessions deviennent la seule et unique actualité, en lieu et place d’une révolution démocratique. Et plus a lieu l’écrasement de la révolution démocratique, plus Brenton Tarrant et Bachar al Assad peuvent se faire passer pour de l’antiterrorisme.
C’est aussi celle là, la commémoration des morts de Christchurch