Les Métamorphosés

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L’islamophobie française offre à la communauté musulmane d’innombrables occasions de lutter. Entrave systématique, obsessionnelle, elle ne cesse de se dresser sur le chemin de notre bonheur. Impossible d’avancer bien longtemps sans découvrir son nouveau défi. Sans surprise, le discours de politique générale de Gabriel Attal et la commémoration des victimes du 7 octobre par Emmanuel Macron ont initié une séquence politique préliminaire à l’adoption de la prochaine loi islamophobe.

Sans jamais faire référence au “séparatisme” ou “à l’islam radical” mais à travers l’invocation de la “barbarie” et de la lutte contre le “terrorisme”, l’insidieuse rhétorique étatique continue de nous cibler. Rappelons ce qui fût sous-entendu. La dissolution de l’identité française et les violences gratuites mises en avant par Attal et Macron – concepts d’extrême droite désormais consensuels – se font aux mains d’une barbarie musulmane contre laquelle il est urgent de se réarmer. En refusant de nous nommer directement, le couple exécutif ne nie pas la centralité du combat islamophobe: il démontre l’évidence de sa pertinence et de sa nécessité. L’esprit de cette rhétorique est celui d’une martialité assumée attendant sa prochaine attaque. En refusant l’insistance abusive, les deux têtes de l’hydre islamophobe rappellent que le prochain coup ne sera pas porté immédiatement. C’est plutôt lors du crépuscule du mandat d’Emmanuel Macron que la prochaine loi islamophobe sera adoptée, lorsqu’il faudra gonfler la légitimité d’un extrême-centre candidat à sa propre succession.

Sève du suprémacisme islamophobe, l’anxiété anticipatrice circule dans les veines étatiques, nourrissant une persécution préventive à la brutalité croissante. Cette rhétorique angoissée, en plein génocide palestinien où nos frères et nos sœurs sont décrits et traités comme des “animaux humains”, est une opportunité de travailler le sujet de notre époque: la déshumanisation islamophobe. À la stratégie du régime répond la nôtre. À l’inquiétude d’un pouvoir persécuteur répond une parole de résistance, confiante et optimiste. Il s’agit, comme toujours, de s’évader pour mieux conquérir. S’évader du reflet déformé d’un miroir déshumanisant que l’on cherche à nous imposer. Nous conquérir nous-même, nos blessures et nos injustices; puis conquérir les leurs.

Projection d’une pathologie déformante


La destruction islamophobe opère méthodiquement. Son succès repose sur un pilier, et un pilier seul: l’extinction de toute empathie envers l’homme musulman. Détruire, c’est avant tout ne plus reconnaitre son humanité en l’autre. C’est au sein d’un paysage psychique pollué que naissent l’indifférence et sa jumelle, la volonté de meurtre. La construction de représentations précisément déshumanisantes permet la sauvagerie à notre encontre. Il s’agit, pour le suprémacisme islamophobe, de suggérer une métamorphose aux accents cronenbergiens. L’idée selon laquelle le musulman serait un homme comme les autres est une illusion dont la France doit se défaire au plus vite. Atteint d’une maladie physique et spirituelle incurable le musulman ne peut que dégénérer, à terme, en un “islamiste” par définition brutal, incapable de ressentir la moindre compassion, incapable du moindre compromis. L’esprit suprémaciste inverse le réel: incapable de ressentir lui même une quelconque empathie, il cherche à faire croire que c’est nous qui ne disposons pas de cette faculté. Nos signes extérieurs d’islamité deviennent autant de symptômes visibles de cette métamorphose menaçante. Bientôt brutal, insensible et fanatique, le musulman ne peut dès lors développer aucune politique sérieusement envisageable. Son autonomie ne pouvant que produire un danger civilisationnel mortel il devra, au mieux, déléguer et suivre. Au pire, il souffrira des plus cruelles claustrations physiques et psychiques. Toujours, il devra demeurer muet, comme si toute expression musulmane valait contamination de barbarie.

Pourtant, la description d’une évolution spirituelle et politique est véridique. La communauté mûrit; son influence politique croît. C’est la portée bienfaitrice de notre métamorphose que nos adversaires cherchent à masquer, parfaitement conscients que notre miséricorde est le secret de nos futures victoires. Notre croissance spirituelle, pourtant synonyme de compassion pratiquée, démontre pour eux l’avancement de notre pathologie. Ne sommes-nous que des bêtes, si l’injustice nous émeut pareillement? Bien souvent, il suffit de nous rencontrer pour ne plus nous haïr. Cette rencontre fait office de creuset où la découverte de notre psyché et de notre langue fait fondre les projections chimériques. Elle révèle le mensonge de nos ennemis.

La langue narcissique et la langue révolutionnaire


Les métamorphosés sont désignés par les mécanismes déshumanisants auxquels l’orgueil suprémaciste cherche à les assujettir. Le pouvoir de nos ennemis tient à un crime fondateur: la destruction de nos pères, l’effacement des figures structurantes de notre masculinité. L’usurpation moderne et libérale est un régicide hantant à jamais les nuits du régime islamophobe. Apeuré par la croissance de ces nouveau-nés, il projette des représentations réifiantes afin de mieux démontrer sa croyance en une supériorité naturelle, fille d’une insécurité psychique fondatrice. La dynamique entre tyran et résistant tient à cette opposition, traduite par la rencontre de deux langues aux tessitures contraires.

La première se déploie dans la corruption du réel, dans l’humiliation constante des rivaux de ses locuteurs. C’est la langue de l’immobilité rassurante, émasculée et émasculante. Langue d’une force usurpatrice, elle ne peut jamais s’exprimer avec confiance et exige la dépendance et le mutisme de ses opposants, tirant de leur humiliation son énergie vitale propre.

La seconde est celle de la fidélité au réel, de la recherche constante du bien et de la justice. C’est la langue révolutionnaire, celle de la métamorphose perpétuelle dont la sérénité radieuse sait la conquête inévitable. C’est la langue de la filiation prophétique retrouvée et honorée, la langue dévoilant l’imposture et rétablissant l’ordre miséricordieux voulu par Allah. Malgré la tentation de la dépendance, ses locuteurs s’épanouissent dans l’indépendance psychique, conscients qu’à travers leur sincérité Son secours est garanti. C’est cette langue qui a pu révéler la corruption islamophobe sous-tendant la politique de la guerre contre la Terreur. C’est uniquement à travers elle que nous avons pu saisir les ressorts de la mise sous surveillance de notre communauté – ce que Macron appelle la “société de vigilance” – et sa persécution préventive. C’est elle qui démontre que l’opposition systématique à toute expression politique enracinée dans notre Tradition est le fruit d’un délire anxieux.

Le dialogue, au fond, tient à deux propositions. Puisqu’ils sont inhumains – ou tout du moins sur le point de le devenir – traitons-les à la bassesse de leur nature, clament tout haut nos ennemis. Puisqu’ils sont ignorants, corrigeons-les, répondent les métamorphosés.