Lettre ouverte à ceux qui attaquent le chercheur du CNRS François Burgat

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Lettre ouverte à ceux qui attaquent le chercheur du CNRS François Burgat

 

Christophe Oberlin 26 mars 2025

 

Alors qu’un génocide est en cours en Palestine occupée, les appuis occidentaux de l’Etat d’Israël font feux de tout bois.

En France, pays clé, l’existence de lobbys est légale, ce qui est normal.  Ce qui l’est moins, c’est que la Justice s’en trouve parfois encombrée voire instrumentalisée.  Le comble serait que les chercheuses et chercheurs les plus compétents soient entravés dans leur recherche, voire condamnés personnellement.

J’ai été victime, moi-même, il y a treize ans, d’une tentative d’intimidation utilisant le chantage à l’antisémitisme. La tentative s’est soldée par l’échec du lobby qui m’attaquait, assorti d’une jurisprudence allant à l’encontre du Conseil de l’Ordre des médecins qui s’était laissé instrumentaliser. Mais la force d’un lobby, tant qu’il est alimenté, est de ne pas se décourager.

Aujourd’hui, dix ans plus tard, le chantage classique à l’antisémitisme a pris une autre forme. Il s’appuie sur un nouvel Esprit des lois, inquiétant. On prétend combattre « l’atteinte aux valeurs de la République », « l’incitation à la haine », « l’apologie de terrorisme ». Avec un champ d’application tout trouvé : l’une des valeurs de la République française serait de soutenir notre allié Israël, de promouvoir son amour pour cet Etat, et de considérer toute déclaration contraire comme une apologie de terrorisme. C’est exactement ce dont se plaint une association lobbyiste européenne  à l’encontre de François Burgat, éminent chercheur aux travaux de notoriété internationale. L’allégation est proprement ridicule, mais le lobby par définition n’a pas peur du ridicule, c’est aussi à cela qu’on le reconnait. Ce qui est troublant, c’est que la plainte ait été estimée recevable par un parquet.

Alors, penseront certains, ce n’est pas si grave car, dans notre pays, l’Université et la Recherche, sont solides et indépendantes du pouvoir. Ce ne fut pas toujours le cas : on se souvient avec horreur de l’appui apporté par le monde académique à la colonisation, par le biais de travaux « scientifiques » sur l’inégalité des races humaines, l’instrumentalisation du génial Darwin à travers un « darwinisme social » meurtrier, celle moins connue du visionnaire français Alfred Binet, apôtre du dépistage et du traitement de la dyslexie des enfants, honteusement transformé aux États-Unis en « QI ».

Alors aujourd’hui, pas d’instrumentalisation politique de la science ?  Eh bien si. Avec une cible toute trouvée : les Arabes, les musulmans, l’islam. Avec quels moyens ?

Certains Instituts flagorneurs, certaines thèses de sciences sociales amalgamant de soi-disant « prescriptions religieuses » pour tuer avec certains territoires supposés perdus. Peu importe que de telles thèses aient été scientifiquement démontées[1], l’allégeance « académique » de certains.nes au pouvoir actuel suffit à conseiller les ministres, à justifier l’usage de l’outil judiciaire. Les meilleurs chercheurs sont vulgairement attaqués, tandis que leurs publications sont ignorées. Car le lobby est ignorant, c’est aussi à cela qu’on le reconnait.

Pour ceux qu’un peu plus de lecture n’effraie pas, qu’ils trouvent ici la relation de mon audience, en appel, devant la chambre nationale du Conseil de l’Ordre des médecins, le 11 octobre 2016.

 

Lorsque j’ai été mis en cause par le Conseil de l’Ordre, en première instance et avec mon avocate, nous avons pensé que l’Ordre avait commis une grosse faute en me trainant devant sa juridiction disciplinaire. Et nous avons parlé en droit pour permettre à la Chambre de s’en tirer avec les honneurs.  La première instance n’était pas politique. Nous nous sommes évertués à expliquer au jury que les positions politiques sur le sujet israélo palestinien n’avaient pas à être discutées devant une instance ordinale. Et en particulier n’avaient pas à faire l’objet d’une plainte initiée par le Conseil de l’Ordre à la suite du « signalement » d’un lobby. Quand je discute la légitimité d’un Etat juif à majorité juive, il s‘agit d’une opinion personnelle que le Conseil de l’Ordre n’a pas à contester. C’est une opinion exprimée en dehors de mes fonctions[2]. Quand le Conseil de l’Ordre porte plainte contre moi, et que l’avocat du Conseil de l’Ordre, qui est en même temps l’avocat du CRIF, choix peu adroit de la part du Conseil de l’Ordre, s’offusque que « le Dr Oberlin conteste la nature juive de l’Etat d’Israël », cela voudrait dire que l’Ordre aurait derrière lui les 200 000 médecins français : c’est tout à fait excessif.

Nous pensions que dans sa sagesse la première instance sous la présidence d’un juge issu des tribunaux administratifs, allait faire comme le Défenseur des droits[3] et classer l’affaire. Or ce n’est pas le cas, donc nous sommes contraints aujourd’hui de parler politique.

Je voudrais vous lire quelques textes, qui ne sont pas des pièces ajoutées au dossier, mais simplement des textes écrits par certaine personnalités et qui reflètent fidèlement mes convictions. Vous pouvez me les attribuer.

« Je sais qu’il y a des gens qui, sans me connaitre, me haïssent. Le pire c’est que certains sont de bonne foi. Car ce qu’ils savent de moi, ce sont des propos déformés et non mes positions réelles. J’ai eu la tentation face à un tel tir de barrage de ne plus m’exprimer sur le sujet. Certains amis me l’ont conseillé pour me protéger. Après avoir longuement hésité, j’ai décidé de ne pas me taire car il n’y a aucune raison qu’on ne puisse pas traiter, avec des désaccords mais librement et sereinement ce sujet. Le débat sur le Proche-Orient ne doit pas être dramatisé, doit être sorti de l’ornière, des insultes, des menaces, de la diabolisation, pour revenir dans un cadre démocratique et il est capital de ne pas céder au chantage visant à l’étouffer [4]».

Le mot est prononcé, le mot chantage. Comme l’a rappelé maitre Devers, je vais trois fois par an depuis quinze ans en Palestine.

Je ne vais d’ailleurs pas faire de la chirurgie humanitaire « qu’en Palestine », comme cette question un peu vicieuse m’est posée régulièrement.

Et j’observe qu’Israël est un bateau qui fait eau de toutes parts. Avec une population à l’intérieur de frontières de 1967 qui est dépressive, des soldats et des soldates qui n’en peuvent plus de passer trois ans à faire leur service militaire. J’étais à Gaza la semaine dernière, j’ai encore passé deux heures à la sortie par Tel Aviv à être fouillé par des jeunes gens de 20 ans qui m’ont demandé de baisser mon pantalon, tout comme à une infirmière de bloc opératoire qui était avec moi et qui est âgée de quatre-vingt ans. L’état psychologique de ces jeunes m’inquiète.

Pour la situation internationale d’Israël au niveau de l’ONU, ce n’est guère mieux. Imaginez une association de pêcheurs à la ligne dont un membre indélicat pêcherait à la dynamite. On lui délivrerait un blâme, et s’il récidivait on l’exclurait. Voici un Etat, Israël, qui n’a respecté aucune des dizaines de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU concernant ses exactions.

Protestation du jury qui m’oblige à hausser le ton pour continuer.

 Excusez-moi Mme la présidente, je suis un enseignant, je sais parler en public, je vais faire vite, mais si vous m’interrompez cela va rallonger un peu ma présentation.

Autrement dit que reste-il comme outil aujourd’hui en France[5] pour soutenir Israël ?  Il nous reste le chantage à l’antisémitisme.

« Prétendre que cet antisémitisme est en montée ne représente aucunement une situation réelle mais une opération de stigmatisation. Cette opération est un fusil à deux coups. Elle vise d’une part la jeunesse noire et arabe et de l’autre ceux qui la soutiennent et se trouvent presque tous hostiles à la politique des gouvernements israéliens successifs. Il est essentiel d’empêcher ces gens-là de nuire car ils écrivent parfois des livres et peuvent de temps à autre faire entendre leur voix. Pour tenter de les réduire au silence on va les accuser eux aussi d’antisémitisme et peu importe si cette accusation est totalement absurde[6] ».

Interruption par la présidente.

 Je vais continuer et vous parler du Conseil de l’Ordre, de ceux qui m’ont jugé en première instance, des personnes qui sont censées me donner des leçons de morale.

Il ne s’agit pas de leçon de morale dit la présidente.

Réponse : Si, la déontologie c’est de la morale.

La présidente : Nous n’allons pas statuer sur ce que vous allez dire.

Réponse : Je le sais très bien mais aujourd’hui vous m’avez contraint à parler de ces choses-là.

« Tous ces procédés, si tirés par les cheveux qu’ils soient, finissent par former une rhétorique d’intimidation » – c’est ce que vous êtes en train de faire – « dont le seul but est de coller à l’adversaire l’étiquette antisémite avec l’idée qu’une fois appliquée, on ne pourra plus s’en défaire comme le capitaine Hadock avec son célèbre sparadrap. » Alain Badiou a même de l’humour.

« Hormis l’hypothétique désir de défendre les juifs, on peut se poser la question de ce qui pousse certains intellectuels à user de la très grave accusation d’antisémitisme. Ces raisons sont diverses, on peut en dégager le fond commun : soutien à l’ordre existant, collusion avec le pouvoir en place, anticommunisme historique, conviction que l’armée américaine est le dernier rempart des libertés, défense de l’Etat d’Israël, sans compter un bien compréhensible souci d’autopromotion ».

« Alors il faut comme toujours tenir bon. Et rendre coup pour coup, disent Alain Badiou et Éric Hazan, rien n’est plus important que d’avoir notre propre idée de ce qui dans les dispositions et les combats du monde contemporain a valeur universelle. Si nous sommes sur ce point de vue invulnérables dans la pensée, les inquisiteurs sauront que nous nous sentons entièrement libres de tenir leurs vaticinations non comme un péril pour nous mais comme un symptôme supplémentaire de leur indignité ».

 

Or les exemples d’indignité ne manquent pas dans notre affaire. Je vais vous en citer quelques-uns.

Cette fameuse enquête administrative qui a été annoncée dans la presse[7], qui a fait que pour la première fois on a cité mon nom dans tous les journaux nationaux et toutes les télévisions, de manière globalement hostile[8]. Un an après que cette enquête ait été initiée, j’ai interrogé le président de l’université Vincent Berger[9], le doyen Benoit Schlemmer, l’administration : ils m’ont dit « on ne sait pas » ! Ils ne m’ont pas dit qu’il y avait eu un non-lieu, ils m’ont dit « on ne sait pas » ! Je suis allé au siège de l’université, j’ai ouvert mon dossier administratif : pas une trace !

Quand je suis allé à Gaza on m’a pEh bien oui, ils étaient 86 sur 90 ont bien rosé la seule question vraiment intelligente « les étudiants ont-ils bien répondu ? » épondu. Ils ont donné les définitions des crimes de guerre relevant de la Cour Pénale Internationale, avec les arguments pour appuyer chaque crime et notamment la nécessité d’une investigation indépendante pour juger du caractère intentionnel. Les copies d’examen, je pense qu’elles sont conservées par l’université, vous pouvez les consulter.

Tout ça n’est pas très glorieux pour Vincent Berger qui était le président de l’université qui a écrit dans la presse que c’était « une atteinte à la laïcité ». Benoit Schlemmer qui a affiché un communiqué me condamnant dans la cour de la faculté[10], apporté immédiatement par les étudiants.

Le professeur Robert Haiat est quelqu’un pour lequel j’ai beaucoup de respect en tant que cardiologue, j’ai utilisé ses très bonnes questions quand je préparais l’internat. Mais l’Association des Médecins Israélites de France[11] qu’il préside se prétend « apolitique », alors que son site précise qu’elle invite à débattre « les personnalités les plus prestigieuses du monde politique », que l’association est « présente sur tous les fronts de l’action en faveur d’Israël ». Le Pr Haiat n’a jamais été convoqué pour enfreinte à la déontologie ! Le changement de qualification entre « plainte » et « doléance » évite au professeur Haiat de se confronter avec moi [12]pour discuter d’égal à égal, tranquillement, argumenter, pas plus que madame C[13].

Mme Kahn Bensaude : j’ai été effaré d’apprendre le passé de cette dame qui a été vice-présidente puis présidente de la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins.[14]

Tentative d’interruption par la présidente. Le rapporteur se lève outré…

 Je suis désolé je vais en parler car il était absolument inadmissible que quelqu’un ait couvert pendant des années et mis sous le coude des plaintes de femmes agressées sexuellement en consultation par un médecin le Dr Hazout.   Des plaintes relatant des faits commis dès les années 1980. En 2014 le Dr Hazout a été jugé aux assises comme c’est normal quand on a commis un crime, et le viol est un crime. Aujourd’hui le Dr Hazout est en prison. Et Mme Kahn Bensaude ose, au nom du Conseil de l’Ordre, porter plainte contre moi[15]  pour des entorses à la morale ! le Conseil de l’Ordre en 2012 a été condamné dans cette affaire. Mme Bensaude aurait dû démissionner au minimum.

Tentative d’interruption.

 J’entends terminer mon intervention comme je l’entends.

Donc ce n’est pas acceptable de se faire donner des leçons de morale par des personnes qui ont commis des actes d’une gravité extrême, qui ont été complices de recel de crimes, car le viol aujourd’hui en France est un crime.

Ariel Tolédano[16]. C’est amusant de se faire donner des leçons de morale par quelqu’un qui fait de la phlébologie esthétique avenue des Champs Elysées…

Tentative d’interruption

Son site internet comporte une rubrique « titres universitaires » alors qu’il n’en a pas. Un médecin qui se fait de la publicité médicale, interdite à ma connaissance par la déontologie. Et il fait même de la publicité, dans le cadre du traitement des jambes lourdes, pour l’application de boues de la Mer morte !

Tentative d’interruption

C’est assez amusant et je dois dire que cette histoire prêterait à rire s’il ne s’agissait pas en réalité d’un conflit extrêmement meurtrier. J’ai vu encore lors de mon séjour récent à Gaza des gens qui vivent dans des maisons en carton, gorgées d’humidité et de cafards.

J’y ai vu des handicapés mentaux enchainés parce qu’ils habitent en bordure de la frontière et s’ils s’en rapprochent errants ils vont se faire mitrailler. Ceci est une affaire extrêmement grave.

Mais au milieu il y a un peu d’humour et je remercie Mr Tolédano de nous donner l’occasion de rire un peu.

Par ailleurs Mr Tolédano, c’est tout à fait intéressant, …

Tentative d’interruption

… m’avait posé la seule et unique question en provenance du jury ce jour-là : « Auriez-vous posé une question sur les crimes commis par le Hamas ? » Je lui ai répondu par l’affirmative, mais lui-même m’aurait-il trainé devant une juridiction si j’avais posé une question mettant en cause la Somalie, le Soudan ou le Hamas ?

Il y a ici effectivement, nous en sommes conscients, un outil qui est utilisé qui est le chantage à l’antisémitisme. Avec des attaques non pas sur les idées, car aucun opposant ne veut venir débattre, mais des attaques contre les personnes. C’est quelque chose qui existe, j’en suis conscient, je ne suis pas un héros, ma carrière est derrière moi. Mais j’assume complètement ce que je viens de vous dire, et je prétends même continuer.

J’ai été interdit de parole à l’université de Freiburg en Allemagne. La personne qui m’avait invité, un médecin, a porté plainte. Lors de l’audience au tribunal, le président de l’université a cru bon de faire venir comme témoins deux vieux professeurs juifs de l’université. Et ces professeurs ont parlé du génocide. L’effet a été très mauvais sur le jury, car ce n’était pas le sujet, et l’université de Freiburg a été condamnée. Un an après j’ai pu donner ma conférence dans les locaux de l’université de Freiburg.

 

 

 

 

 

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[1] Margot Dazey, Enquêter sur des mouvements islamistes. Enjeux conceptuels, méthodologiques et épistémologiques d’une approche centrée sur l’idéologie, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 155 (1/2024) | 2024, mis en ligne le 04 décembre 2023, consulté le 20 décembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/remmm/20611 ; DOI : https://doi.org/10.4000/remmm.20611

[2] Témoignage étudiant.

[3] Plainte du Conseil de l’Ordre classée sans suite le 28 mai 2014.

[4] Est-il permis de critiquer Israël ? Pascal Boniface, Robert Laffont Paris 2003, p 224.

[5] La France dispose du droit de veto au Conseil de sécurité.

[6] L’antisémitisme partout – Aujourd’hui en France, Alain Badiou et Eric Hazan, la Fabrique, Paris 2011

[7] Le 14 juin 2012

[8] La presse étrangère a été unanimement favorable, curieux ?

[9] Qui n’a pas répondu

[10] Il « partage l’émotion légitime » suscitée par une question de droit humanitaire tirée du Rapport Goldstone sur la guerre de Gaza 2008-2009. Voir https://www.youtube.com/watch?v=xQbcd8Zar8U

[11] Membre du CRIF, elle y dispose de trois délégués au sein de l’Assemblée générale, et d’un représentant au Comité directeur

[12] Ce qui est la règle lorsqu’un médecin porte plainte contre un confrère. Ici c’est la Conseil de l’Ordre qui a repris à son compte la plainte.

[13] Plainte anonyme ou anonymisée ?

[14] Enquête sur les mandarins de la médecine – Le Conseil de l’Ordre : protections, affaires et gaspillages, René Chiche, Editions du Moment, Paris 2013

[15] Comme elle a fait condamner pour diffamation un médecin qui s’était plaint à l’Ordre du viol de sa femme par le Dr Hazout !

[16] L’un des juges en première instance

PrecairE, antiracistE