A quoi a ressemblé le 17 novembre des gilets jaunes ?
A rien de social, à rien de démocratique, à rien de collectif, à rien d’émancipateur… Le 17 novembre a été une journée de libération de ressentiments, d’aigreurs, de haine des minorités, de refus de la prise en compte de la parole et des contraintes du reste de la population, de nationalisme, tout ce qui va avec la culture d’extrême-droite dont ce mouvement est imprégné jusqu’à la moelle puisque c’est dans ce cadre idéologique-là qu’il a émergé.
Des incidents “isolés” qui mettent en lumière le fond de violence contre les minorités du mouvement des gilets jaunes
Le type d’initiatives menées par les gilets jaunes est révélateur : faire chier. Peu importe qui en fait, puisqu’il n’y a pas de nous, qu’il n’y a pas cette démarche de voir au-delà de son intérêt personnel. Donc on bloque surtout ses voisins, en fait. Et dans une ambiance qui permet de se lâcher.
On recense une agression homophobe à à Bourg en Bresse, une autre islamophobe envers une femmes voilée à St Quentin. A Tours, un véhicule a été repeint en bleu blanc rouge et porte les slogans suivants « français d’abord, migrants dehors » et « force honneur patrie. » A Charleville Mézières, un des leaders des gilets jaunes locaux montre clairement son orientation antisémite et homophobe sur sa page facebook. On annonce des opération péage gratuit, mais dans le sens où il faut prendre le ticket d’entrée sur l’autoroute, pas dans le sens où on doit payer. « Sur l’autoroute A13, le péage de Buchelay est toujours occupé par une centaine de gilets jaunes qui ont mis en place un péage gratuit dans le sens Paris-Province. Il y a eu quelques prises de bec avec automobilistes du secteur ne souhaitant pas se joindre au mouvement. » Un radio indépendante du Doubs dénonce l’agression raciste et les propos xénophobes envers l’un de ses photo-reporters d’origine asisatique et signale aussi des insultes envers des conducteurs ayant demandé à passer.
A vrai dire ce sont de nombreuses initiatives qui se sont tenues dans un climat de violence. Partout sur les réseaux sociaux, l’on peut constater les slogans et les pancartes sexistes, homophobes, conspirationnistes, chauvines des manifestations qui se sont déroulées hier. On ne compte plus les témoignages d’invectives ou de coups portés sur des véhicules, au point de faire paniquer certains conducteurs, ce qui a conduit à un accident mortel en Savoie et à plus de 400 personnes blessées dont 14 gravement.
Qu’il y ait la mort derrière les gilets jaunes, nous le déplorons, mais c’est aussi la conséquence de ce que porte ce mouvement. Le “je” que le “nous” emmerde, la prédation individualiste ordinaire du “j’en ai rien à battre de la politique, je m’en fous de vos trucs“, le “Laissez-moi passer” qui se transforme en “Je vais vous passer dessus“… Ceux qui sont dans la rue sont en partie ces gens-là, des individus en colère contre le prix de l’essence, pour leur voiture, pour leur porte monnaie, mais pas pour un “nous” qui rassemble des souffrances communes et des espoirs partagés. Pour plein de “je” accumulés qui ne veulent pas payer “pour les Autres”. Cette tonalité-là est celle du mouvement, un mouvement d’extrême-droite large et interclassiste, évidemment.
Cet exemple le rappelle très concrètement. Dans une boutique qui compte la patronne et deux salariées, la patronne a décidé de fermer samedi pour aller manifester avec les gilets jaunes et annonce donc qu’elle va déduire la journée du salaire. Cette boutique se trouve dans la même ville qu’une des plus grosses entreprises du département, une usine avec des syndicats relativement importants, où il y a les locaux des unions locales des principaux syndicats. Bon ce n’est pas ouvert très souvent, mais ça existe. Il y a un syndicat dont des militants parlent de solidarité de classe, et beaucoup cherchent sincèrement à la mettre en œuvre, passent du temps à militer, pas juste sur leurs heures de délégation, font des tracts dans l’usine toutes les semaines. Mais qui s’intéresse à ces deux employées ? Le syndicat a distribué le même jour un tract qui dit « Les travailleurs qui veulent utiliser le 17 novembre pour protester contre la vie chère ont raison. » Qui va être aux côtés de ces deux salariées, puisque des syndicats du coin appellent à manifester avec celle qui est leur employeur ?
Ce que ne doit pas emporter cette marée « populaire » brune, c’est la conscience de tout ce qui se fait autrement, tout ce qui se fait de bien
C’est à une mobilisation porteuse de ce type de contenu et de pratiques, totalement prévisibles pour qui a eu la curiosité d’aller voir ce qui se disait et qui participait aux groupes facebook, que bien des militants « de gauche » ont incité à participer. Où sont allés un certain nombre de personnalités politiques, comme Adrien Quatennens ou François Ruffin, qui contrairement à des tas de prolos et de raciséEs a passé une super journée, à se balader en moto sur des routes quasi désertes. Il est fier de « voir des gens qui se redressent », « fier de [s]on coin ».
Jean-Luc Mélenchon était présent en fin de journée place de la Concorde à Paris, alors qu’on trouvait dans le cortège parti des Champs Elysées Hervé Ryssen (militant violemment antisémite et raciste) et d’autres militants d’extrême-droite. « C’est aussi le lieu des martyrs du 6 février 1934″, rappelle Fred, en référence à la manifestation de ligues d’extrême-droite qui a fait au moins 15 morts dans l’Entre-deux-guerres. Casque anti-fumigènes sur le nez, ce militant s’enflamme : “On tient le terrain. On attend le peuple. Et on va harceler le pouvoir.” Sans violence, assure-t-il. “A moins que des nervis du Système, à la solde de Soros, nous infiltrent.” » rapporte ainsi L’Express.
Les orientations politiques d’une grande partie de la France Insoumise n’amènent aucune surprise à voir que ses dirigeants se sentent enthousiasmés par une telle mobilisation. Jean-Luc Mélenchon d’ailleurs est clair, ce qui l’intéresse c’est ce qu’il appelle « le peuple », et c’est bien eux qui ont manifesté le 17 novembre.
Ce peuple qui n’est justement pas les classes populaires ni ceux qui veulent le progrès social, l’égalité, le respect des droits humains. Ce peuple dont on sait très bien ce qu’il pense quand il brandit des drapeaux bleu blanc rouge et chante la Marseillaise.
Ce qui n’aurait pas dû faire de doute avant est plus que jamais clair : celles et ceux qui continuent à soutenir le mouvement des gilets jaunes le font AVEC les fascistes. Au lieu de réveiller les consciences de celles et ceux qui ont défendu ce mouvement, la mise en lumière de ce qu’il est suscite irritation et impatience. La violence contre les minorités, après tout c’est facile à minorer. Finis les beaux discours et les postures sur le fait qu’on allait défiler main dans la main avec les lepénistes pour justement les empêcher d’agir et de récupérer. Ce n’est plus de la complaisance vis-à-vis de l’extrême-droite mais bien une collaboration active. Et ce que risque d’emporter aussi cette marée « populaire » brune, c’est la conscience de tout ce qui se fait autrement, tout ce qui se fait de bien, sans fachos ni fâchés, mais par des gens qui font vivre la solidarité.
Cette semaine, rien qu’en France et sans être exhaustif, il y a eu des grèves dans le métro lyonnais, chez des facteurs de Rouen pour leurs conditions de travail, chez Man Energy Solutions à St Nazaire contre des sanctions envers des collègues, chez les enseignants lundi 12 novembre, un piquet à l’hôpital psychiatrique de Saintes comme à celui de Brienne-le-Château, un mouvement des pompiers de l’Essonne et des animateurs de quartier à Fleury les Aubrais près d’Orléans, grève aussi des salariés du magasin But de Bobigny menacé de fermeture, dans les transports en commun Irigo à Angers, chez les employés de Teisseire à Crolles, à la CPAM de Chambéry pour le maintien des permanences d’accueil, etc…
Il y a eu une manif pour le maintien du centre AFPA d’Istres, des manifestations contre le mal logement à Marseille, un rassemblement antisexiste et contre l’homophobie face aux opposants à l’extension de la PMA à Dijon et à Grenoble…
Nous avons empêché Marine Le Pen d’accéder au pouvoir en France, nous faisons vivre les avancées de la révolution syrienne, nous refusons le piège malsain de l’opposition entre le combat contre l’antisémitisme et l’islamophobie. Nous nous prenons la tête à comprendre ce qui a merdé ou manqué, à nous rencontrer malgré tout, à nous tenir droitEs quand tout semble vaciller.
Nous avons plus de force que nous ne voulons le reconnaître.