Le 10 décembre sera organisé à Bruxelles une marche prétendument « contre l’antisémitisme » à l’appel de plusieurs organisations de droite. Voici notre position commune, Lignes de Crêtes et CCIE (Comité Contre l’Islamophobie en Europe) sur cette initiative et pourquoi nous ne défilerons pas aux côtés des islamophobes et de l’extrême droite
8 DÉCEMBRE 2023
À l’heure de l’appropriation de la lutte contre l’antisémitisme par l’extrême droite à des fins explicitement islamophobes, le collectif Lignes de Crêtes et le Collectif contre l’Islamophobie en Europe (CCIE) expriment leur colère et leur inquiétude. Nous refusons collectivement que la marche dite contre l’antisémitisme prévue le 10 décembre à Bruxelles avec l’appui de l’extrême-droite islamophobe ne soit l’occasion d’une énième prise d’otage de la lutte contre l’antisémitisme par les forces les plus réactionnaires et les plus nationalistes de la société.
Ces dernières semaines ont vu se succéder, en France et en Belgique, les tentatives d’attribuer l’antisémitisme contemporain aux seules communautés musulmanes d’Europe. Les déclarations récentes quant à la prédominance d’un « antisémitisme couscous » ou quant aux projets prétendument nourris par tous les musulmans travaillant sur les chantiers de tuer des Juifs, sont inacceptables. Plusieurs accusations portées ces dernières semaines sur les communautés musulmanes quant à des faits antisémites se sont par ailleurs avérées être fausses, ces derniers se sont ainsi révélés le fait de l’extrême-droite.
Nous refusons catégoriquement ce cadrage pernicieux qui stigmatise une minorité déjà discriminée pour mieux dédouaner la majorité dominante : non, les musulmans ne sont pas plus enclins à l’antisémitisme que les autres et, à l’heure d’une montée prodigieuse de l’extrêmedroite, ils ne sont pas non plus les plus dangereux pour leurs compatriotes juifs et pour la société entière. Faire de la lutte contre l’antisémitisme un exutoire islamophobe est au mieux une preuve de manque de discernement historique, et au pire un assentiment cynique et lâche aux non-sens et au nihilisme de tous les projets racistes contemporains.
Bien que l’antisémitisme en Europe doive être abordé indépendamment de la réalité israélo-palestinienne, la guerre actuelle menée par Israël à Gaza et le soutien massif que lui accordent les États européens conduit à une suspicion permanente, et en certains cas à une criminalisation, à l’endroit de toute forme de solidarité à l’égard des Palestiniens et de critique de la politique israélienne.
L’islamophobie européenne trouve ainsi dans l’appui inconditionnel au gouvernement de Netanyahu un lieu propice au transfert de ses plus violents affects. Le coût en est la prise en otage des minorités juive et musulmane, alors sommées de jouer le rôle qui leur est imposé par la montée nationaliste dans l’économie générale de son offensive sur les sociétés européennes.
Nous refusons les assignations piégées. Les musulmans n’ont pas plus que quiconque à prouver leur engagement contre l’antisémitisme. Bien au contraire, c’est à ceux qui prétendent manifester contre l’antisémitisme avec l’extrême droite de se justifier de leur trahison abjecte de la résistance au fascisme, de leur travestissement ignoble de la mémoire qu’ils prétendent défendre. Travestissement qui a permis à l’extrême droite de prétendre qu’elle n’a jamais été antisémite ni n’a jamais eu de propos négationniste, et ce sans déclencher de scandale.
Notre engagement repose sur la conviction que la lutte contre l’antisémitisme, comme la lutte contre l’islamophobie, doit être aussi une lutte contre l’extrêmedroite, et ne saurait donc être menée avec l’extrêmedroite. Parce que nous vivons cet engagement au quotidien, nous n’irons pas demander une place dans le projet raciste et islamophobe que sont ces manifestations en France et en Belgique. Face à la stigmatisation, nous n’irons pas leur demander de nous faire une place dans leur manifestation.
Aller à cette marche pour tenter d’y adjoindre la lutte contre les autres formes de racismes, ce serait acter que cette marche est bel et bien une marche contre l’antisémitisme, or c’est faux. Aller à cette marche, c’est acter que la lutte contre l’antisémitisme ne peut se faire dans les mobilisations contre l’islamophobie, ou celles pour le peuple Palestinien.
Mais justement les faits sont plus têtus que la propagande, et le front commun a déjà lieu, avec ses contradictions, ses difficultés, ses faiblesses mais sans être condamné d’emblée par la soumission aux vents mauvais qui soufflent de partout.
Marcher_contre_l’antisémitisme_ou_avec_l’extrême_droite_islamophobe