Ces derniers jours ont vu refleurir ce que je croyais être enterré depuis longtemps : les questions sur la légitimité de l’abolition de la peine de mort en France.
« Nous pourrions en débattre. »
Voilà ce que des responsables politiques de tous bords (et non plus circonscrits au FN/RN) se permettent de dire publiquement ces derniers jours, course électoraliste dangereuse et pyromane. Rétropédalages vaseux pour certains ? Oui, en effet. Cela malheureusement n’ôte rien à ce qui a eu lieu: des responsables politiques hors du champ de l’extrême droite ont touché à ce qui est aujourd’hui un tabou.
Vilain mot, me diront certains.
Les tabous, la morale, les valeurs, seraient devenus des termes honteux et honnis.
Pourtant, chaque être humain se construit autour de ces mots-là.
l’abolition est une valeur
Une de mes valeurs, ma morale à moi, c’est de militer depuis des décennies maintenant pour l’abolition universelle de la peine de mort.
Or, quand on est contre la peine de mort, on est contre pour tout le monde, sans exception aucune. Mais on est aussi contre la reprise symbolique de l’objet qui la représente dans notre pays: la guillotine.
Mon émoi face à la résurgence de guillotines, de décapitations fictives, ces dernières semaines a été plus que conséquent.
« Tu t’émeus pour pas grand-chose », me renvoyèrent mes détracteurs.
Non. Je m’émeus parce que j’étudie à la fois la réalité contemporaine de la peine de mort mais aussi ses mécanismes psychologiques, que je connais par cœur.
Et aujourd’hui je suis effarée. Le vernis dont mes concitoyens se parent est donc une couche si infime que l’on puisse sans aucune attention à ce que la sanction capitale représente, la remettre en spectacle, excitant ainsi toutes les haines et pulsions morbides alors qu’il me semble fondamental de les combattre individuellement et collectivement.
La peine de mort a été abolie dans notre pays en 1981, après des années de débats houleux, qu’il s’agisse des lieux institutionnels – le Parlement – ou dans la société civile.
En effet, en France, c’est par la décapitation du Roi le 21 janvier 1793 (2 pluviôse an 1) – symbole de la Monarchie absolue – que la République française est devenue légitime, quatre mois après son avènement. Le processus aboutissant à l’abolition de la peine de mort en France a été long parce que dans l’imaginaire et l’inconscient collectifs des citoyens français, abolir était reconnaître l’erreur de l’assassinat légal de la monarchie – incarnée alors par Louis XVI – et le risque d’un retour en arrière, le risque de perdre une partie de la République et de ses symboles.
Quand François Mitterrand se présente pour investir la Présidence de la République, c’est avec un projet politique dont l’abolition est une des propositions, alors que 63% des Français et Françaises souhaitent que le châtiment suprême soit maintenu. Mais le parti socialiste et le parti communiste – rejoints ensuite par le parti des radicaux de gauche (le MRG à l’époque) – se sont engagés dès 1972 dans le « Programme commun de gouvernement » à supprimer la peine de mort dans le cas où ils parviendraient au pouvoir.
Ce qui fut fait.
Je constate néanmoins depuis quelques années, les voyants à nouveau au rouge, l’appel du sang : c’est un retour réactionnaire. Ce que l’on croit acquis, une nation apaisée vis-à-vis des supplices, qui aurait compris, qui connaîtrait l’horreur et la terreur de cette mécanique, une nation qui enfin aurait tourné cette page-là, et quelle page, se remet à douter du bien-fondé de l’abolition.
« Nous pourrions en débattre. »
Et le spectre revient.
Allant jusqu’au secrétaire du PCF qui bredouille sur un plateau de télévision.
Or, outre le problème de fond de « pouvoir en débattre » (NON), c’est une posture mensongère que de le dire.
Car en dehors de la question morale/philosophique/ de l’inanité d’un tel débat, nous ne pouvons pas en débattre non plus d’un point de vue légal.
Etre européen
La construction de l’Europe politique inclut les droits de l’homme et les droits fondamentaux dans ses textes. Dans ce cadre, le plus fondamental de ces droits – le droit à la vie et donc l’interdiction progressive de la pratique de la peine de mort – devient une base idéologique, politique et civique des nations européennes regroupées dans cette entité sui generis. Être européen, c’est vivre ensemble dans un espace où la peine de mort est abolie, quelles que soient les différences culturelles, géographiques, politiques, religieuses qui existent entre nous.
Depuis 1989, l’abolition de la peine de mort est une condition préalable à l’adhésion au Conseil de l’Europe. Or, en France, se produit une contradiction juridique. En 2007, la France ratifie le Protocole n° 13 à la Convention européenne des Droits de l’Homme, abolissant la peine de mort en toutes circonstances. Mais pour entériner le Protocole, la France doit changer sa Constitution suite à un problème d’interprétation lié à l’article 16.
En effet, avant 2007, l’article 16 de la Constitution accorde les plus larges pouvoirs au Président de la République en cas de danger menaçant la nation. Un flou subsiste donc pour la peine de mort : se pose la question de déterminer ce qui peut constituer une menace pour l’intégrité du territoire. Le Protocole n° 13 à la CEDH est donc incompatible avec notre Constitution. Le Président Jacques Chirac décide un amendement à la Constitution française le 23 février 2007 puisqu’elle n’est plus valide par rapport aux textes européens ratifiés par notre pays.
Le 19 février 2007, le Parlement, réuni en congrès à Versailles, se prononce pour le projet de loi constitutionnelle. Il vote la révision « interdiction de la peine de mort » par 828 voix contre 26. La loi est promulguée le 23 février 2007, puis est publiée au Journal officiel du 24 février 2007. L’interdiction totale est, depuis cette date, inscrite dans la Constitution, à l’article 66-1, qui dispose que « nul ne peut être condamné à la peine de mort ».
L’abolition de la peine de mort en France est aujourd’hui irréversible.
En effet, il faudrait l’accumulation de plusieurs facteurs pour que le châtiment suprême puisse être réintroduit en France.
En premier lieu, une élection qui mettrait à la tête de l’État un responsable souhaitant abroger ou réviser la constitution en cours. Or, si la peine de mort était rétablie dans une nouvelle loi, les traités européens deviendraient caducs. La France n’aurait d’autre solution que de sortir de l’Union européenne (le 4 décembre 1997, le Parlement européen a adopté une résolution dans laquelle il affirme : « Seul un pays ayant aboli la peine de mort peut devenir membre de l’Union européenne. [1] »)
Dire aujourd’hui que l’on pourrait débattre de la peine de mort est un mensonge populiste et électoraliste.
Devenez les bourreaux
Sans compter la facilité de dire, sans prendre un instant la mesure et les conséquences sur un sujet qui a une réalité physique, celle de la chair qui passe du vivant au mort.
Alors je l’écris en toute conscience de la violence de mon propos :
À celles et ceux qui veulent “relancer le débat” ou “réfléchir” à la peine de mort, allez au bout des choses et devenez les bourreaux. La peine de mort, ce n’est pas symbolique. C’est être dans l’acte de tuer un autre être humain. C’est appuyer sur un bouton pour électrocuter, couper en deux, encore vivant, un de vos semblables. Il n’y a aucune manière d’exécuter qui soit propre.
L’injection létale ? Les affaires des dernières années aux USA ont démontré en quoi cela s’apparente tout simplement à de la torture. La pendaison, reliquat de méthodes moyenâgeuse, mais pourtant encore pratiquée au Japon ? À moins de ne songer à celles qui se donnent lieu en Iran, pendaisons publiques dans les stades, à des grues, où les corps agonisent par paquets de dix. Quelles autres pratiques, encore ? La décapitation au sabre toujours pratiquée en Arabie Saoudite ? Vous me direz « Non, cela c’est barbare ». Vous me direz « Nous ferons mieux ».
Mais tout est dégueulasse et terrifiant.
Une balle dans le cœur ou la tête, d’un peloton d’exécution ? Je vous laisse prendre le fusil, mais ne rêvez pas, il y a peu de chances que vous ayez celui chargé à blanc.
De nombreux témoignages, américains notamment, de familles assistant aux exécutions des meurtriers de leurs proches – puisque la loi le leur permet – convergent dans le même sens. Ces parents qui ressortent en vomissant, en se disant que leur chagrin n’est pas amoindri, qu’il ne le sera jamais, et qu’en plus ils ont participé à ce système, à la mort d’un autre individu, qu’il n’y ont pas trouvé ce qu’ils sont venus y chercher, mais qu’ils y ont vu ce qu’ils ne voulaient pas.
On ne remplace pas la mort d’un être cher par la mort d’autrui, même s’il fut son assassin. Les morts le sont pour toujours. Ils ne se réveillent pas par le miracle de la haine ou de la vengeance d’État.
La peine de mort n’est que barbarie et elle dévore.
La sanction capitale, c’est « Le sang [qui] sort des vaisseaux au rythme des carotides sectionnées, puis se coagule. Les muscles [qui] se contractent […] l’intestin [qui] ondule […] la bouche [qui] se crispe à certains moments dans une moue terrible […] Tout cela peut durer des minutes, des heures même, chez des sujets sans tares : la mort n’est pas immédiate […] et il ne reste pour le médecin, que cette impression d’une horrible expérience, d’une vivisection meurtrière, d’un enterrement prématuré. [2] »
Je demande instamment, à quelques semaines des prochaines élections européennes, et puisque chaque voix compte, aux responsables politiques de mon camp, cette gauche historiquement abolitionniste, de se ressaisir.
Je suis de Flora Tristan, je suis de Jaurès, mais je suis aussi de Condorcet, de Briand et de Fallières, de Blum, d’Hugo, de Camus et de Badinter… de cette gauche multiple et humaniste.
On ne touche pas à l’abolition de la peine de mort. On ne flirte pas, jamais, avec les idées les plus rances qui toujours malheureusement trouveront écho.
On remonte ses manches, on est humble, on repense à ses héritages, aux raisons pour lesquelles on se bat.
Et même depuis le fond des puits, on ne courtise jamais l’ombre des guillotines.
[1] Union européenne, Parlement européen, Résolution sur la communication de la Commission « Agenda 2000 – pour une Union plus forte et plus large » COM (97) 2000, 4 décembre 1997, paragraphe 10. Ainsi, ce qui résultait d’une règle coutumière particulière – l’abolition de la peine de mort dans l’Union européenne – devient une obligation, une loi. [2]Extrait du rapport datant de 1956, des docteurs Piedeliève et Fournier.