« Notre pays est malade. Il est malade d’un séparatisme dont le premier, le séparatisme islamiste, gangrène l’unité nationale. Après s’être attaqué au terrorisme, le Président de la République a souhaité diriger l’action de l’État et des pouvoirs publics contre ce qui en est le terreau. Quand on est malade, il faut savoir nommer sa maladie, identifier ses caractéristiques et étudier ses variants, mais il faut aussi trouver les médicaments. »
C’est par cette déclaration que Gérald Darmanin a ouvert les débats (1)sur la loi Séparatisme , censée conforter les principes de la République.
En pleine pandémie réelle, scientifiquement établie, le gouvernement a décidé de créer la sienne pour fonder une politique d’ambition, la loi Séparatisme étant une loi touchant de très nombreux domaines de la vie publique. En pleine pandémie réelle, le gouvernement a décidé d’imposer un récit où il serait le soignant au chevet d’une France infectée par le virus qu’il a fabriqué de toutes pièces : le « séparatisme ».
Le diagnostic
La référence à la pandémie a en effet été utilisée dès la remise du rapport d’enquête sénatorial censé préparer la loi. En juillet 2020 Marlène Schiappa annonce vouloir construire un modèle de lutte contre le Séparatisme construit sur celui utilisé pendant la première phase de la pandémie de Covid 19, c’est à dire l’association de l’état et des collectivités territoriales pour organiser le confinement (2).
La comparaison n’est pas neutre. En effet, la propagande autour de la future loi va s’articuler autour de deux axes: d’une part, la dénonciation sans cesse réitérée et ancienne de zones gangrenées par l’épidémie de séparatisme. Dans son discours inaugural d’octobre 2020 (3)le Président de la République commence, après avoir évoqué les origines lointaines de la pandémie, le Moyen Orient , par un long exposé sur l’origine géographique française du virus séparatiste: certains quartiers, les fameux territoires perdus de la République. C’est de là que le virus s’est d’abord installé:” À cela s’ajoute le terreau sur lequel tout ce que je viens de décrire s’est établi. Nous avons nous-mêmes construit notre propre séparatisme. C’est celui de nos quartiers, c’est la ghettoïsation que notre République, avec initialement les meilleures intentions du monde, mais a laissé faire”
Le terme terreau est utilisé plusieurs fois et sera sans cesse repris dans les débats à l’Assemblée Nationale, souvent associé avec l’objectif fertile. Et ce faisant, les quartiers en question sont décrits comme un terrain malade, grouillant de miasmes divers et variés qui attaquent un corps , celui de LA République. La République étant avant tout l’extérieur de ces quartiers, c’est à dire, les services publics, l’école,l’université la rue, les espaces sportifs et culturels. Parti d’un terrain favorable, le virus attaque un corps sain.
En effet, l’emploi systématique du mot République ne peut tromper personne. L’extrême-droite nationaliste emploie le mot France et le mot Nation. Mais il s’agit d’une différence de pure forme. Depuis des mois, LA République est décrite par le pouvoir comme un organisme fonctionnant d’un seul tenant où toute discordance est décrite comme une attaque et une pathologie. L’on est bien dans la conception nationaliste et absolument pas dans la conception progressiste de la démocratie, incarnée dans un régime politique qui fonctionne par pouvoirs et contre-pouvoirs, et qui reconnaît avant toute chose, les droits des individus.
Or dans son discours inaugural, Emmanuel Macron conclut en affirmant “Nous ne sommes pas une société d’individus“, après avoir sans cesse parlé de bloc attaqué par la gangrène
A l’Assemblée Nationale, la métaphore sera parfois filée avec des mots réellement glaçants eu égard à l’histoire de ce pays. Ainsi Olivier Falorni , député radical de gauche , dans une envolée hallucinée: “Les adjectifs dont certains affublent le mot « laïcité » – laquelle devrait être ouverte, inclusive, positive… – sont des parasites qui, tels une tique, ne se fixent sur ce substantif que pour mieux le vider de sa substance“.
Métaphore historiquement inscrite dans l’Histoire de France. Nul besoin d’aller chercher la période vichyste. En effet, c’est bien à l’histoire du pays sous la troisième République qu’appartient la référence médicale et pandémique, même si plus tard elle sera effectivement développée à loisir par des collaborationnistes.
Mais c’est avant toute chose au camp exactement antagoniste à celui dont se revendique le gouvernement qu’elle a appartenu, le camp de la réaction antisémite qui identifiait le Juif et la République . Ainsi, à l’époque de l’affaire Dreyfus , des caricatures (4) d’anti-dreyfusards représentent Marianne dans un lit envahi par des punaises dont les visages sont ceux de personnalités dénoncées comme juives , d’autres la montrent le pubis attaqué par le “morpion anticlérical Combes”, d’autres encore ont cette légende ” Faudra-t-il détruire ces mites avec de la poudre à canon”.
Céline, médecin lui-même reprendra cette imagerie (5) avec toute sa verve littéraire dans les années 30 , en évoquant sans cesse “la France malade des Juifs”. “« Tout est mystérieux dans le microbe comme tout est mystérieux dans le juif, (…) les vagues de virulence passent sur l’espace et puis c’est tout comme elles veulent,quand elles veulent. Saprophytes inoffensifs, juifs inoffensifs germes semi virulents, virulents seront demain virulents, foudroyants ”
“Les vagues de virulence qui passent dans l’espace” , donc. “Le djihadisme d’atmosphère” dit Gilles Kepel directement cité par Darmanin comme référence idéologique de sa loi. Dans une recension du dernier ouvrage de l’auteur (6) le Monde explique ce que signifie l’expression ” Celui-ci se passe de donneurs d’ordre et de réseaux : il se répand comme un virus qui circule dans l’air et ne connaît pas de frontières, infectant les individus et les organes sociaux les plus vulnérables.”
Voilà donc le diagnostic dressé: le terrorisme n’est que le symptôme le plus visible d’un mal porté par une partie de la population, qui vit dans des territoires “ghettoïsants”, et est contaminée et contagieuse , surtout lorsqu’elle sort de ces espaces pour investir le corps de la République, l’école, les universités; les associations, les terrains de sport.
A ceux qui contesteraient les raccourcis, et la filiation profondément reliée à l’imaginaire antisémite développé à d’autres périodes de l’histoire, à ceux qui s’indigneraient qu’on parle des Juifs dès lors que l’on parle des musulmans, on répondra simplement que ce sont les promoteurs de la loi qui n’ont cessé de le faire tout au long des débats, se référant sans arrêt à Clermont Tonerre , ainsi Darmanin qui “paraphrase” dès la première séance en ces termes :
” il faut tout accorder aux musulmans en tant que citoyens, et tout refuser aux idéologues qui attaquent la République et qui attaquent l’islam”
Or la citation exacte est un peu différente: “Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus “
Mais naturellement, en filant la comparaison honnêtement, le Ministre de l’Intérieur aurait contredit son président qui avait affirmé que la France n’était pas une société d’individus . Ce qui implique évidemment le refus de l’émancipation individuelle pour les musulmans.
Raison pour laquelle une fois le diagnostic posé, une fois le virus ” séparatiste ” identifié, le gouvernement s’est acharné , avant la loi, à mettre en œuvre un traitement de choc , un état d’urgence sanitaire contre la pandémie dont il a préalablement décrété l’existence.
Etat d’urgence, sanitaire,
ou plus si affinités
Depuis 2005, l’état d’urgence est devenu une évidence politique, institutionnelle, sociale, une réponse quasi-automatique, dès lors que l’état identifie une crise réelle ou supposée . C’est en effet à ce moment, alors que des révoltes secouent une partie des banlieues françaises après la mort de deux adolescents poursuivis par la police, que la réponse “état d’urgence” est décrétée. Il n’y avait aucune innocence politique, évidemment, à choisir le recours à l’état d’exception instauré par la cinquième République pendant la guerre d’Algérie. D’autant que depuis, la France avait connu nombre d’émeutes et de révoltes sans que le recours à cette procédure ait été enclenché. En 2005, la mesure reste extrêmement limitée dans le temps.
Dix ans plus tard, après les attentats de 2015, elle sera effective pendant plus d’un an et demi. Là aussi, aucune nécessité absolue et naturelle: la France a déjà connu des vagues d’attentats meurtriers dans les années 80 et 90, sans que le recours ait été jugé nécessaire. De fait, pendant plusieurs décennies, c’est l’instauration de nouvelles lois anti-terroristes qui est toujours privilégiée . Le péril est nommé, et l’on y répond pas des mesures spécifiques.
L’état d’urgence, lui, est un régime général et universaliste. Il bouleverse profondément l’équilibre des pouvoirs de la cinquième République, les concentrant dans la main de l’exécutif, et permettant des restrictions de libertés pour l’ensemble de la population, restrictions préventives, c’est à dire n’ayant pas besoin d’être justifiées précisément pour chaque cas particulier.
Il correspond, dès 2005 à une évolution progressive du regard politique porté sur une partie de la population, les issus de l’immigration et des banlieues et les musulmans. Au glissement progressif: il ne s’agit plus de chercher des coupables, une minorité violente au sein d’un collectif socio-historique, mais de décréter que l’ensemble de ce collectif est de toute façon, plus ou moins contaminé. L’état d’urgence est ce régime politique où la Nation se déclare en état de siège contre l’ennemi intérieur et où la charge de la preuve est inversée: la présomption de culpabilité est première.
Cependant, après les attentats de 2015, le terrorisme réel reste tout de même le motif invoqué pour fermer des mosquées, organiser des perquisitions, décréter des assignations à résidence. L’état d’urgence est présenté comme la conséquence d’une attaque, les mesures sont souvent factuellement totalement injustes et déconnectées de toute infraction terroriste mais elles s’y réfèrent au moins formellement.
De manière fondamentale, un nouveau pas est franchi à l’automne 2020. Un autre état d’urgence règne sur le territoire. Celui déclenché à la suite d’une épidémie mondiale. Il a permis une centralisation inédite du pouvoir dans les mains d’un Conseil de Défense, une restriction du rôle du pouvoir législatif sans grand précédent dans l’histoire de la cinquième République. Mais aussi une extension quasi-illimitée des pouvoirs des préfets et des autorités administratives. Naturellement, d’autres états démocratiques ont eu d’autres modes de lutte contre la pandémie de Covid 19, n’impliquant pas le passage à l’état d’exception.
Mais indépendamment de ce débat sur la pandémie réelle, ce qui est essentiel, c’est que l’existence de l’état d’urgence sanitaire va être le cadre du glissement vers un état d’urgence dirigé contre les musulmans…sans recourir à la procédure utilisée en matière de terrorisme. Et en assumant parfaitement de recourir au prétexte sanitaire pour lutter contre le virus “séparatiste” , dont la fabrication idéologique a été évoquée ci-dessus.
En effet l’assassinat de Samuel Paty par un djihadiste, le 16 octobre 2020 ne déclenche pas le passage à l’état d’urgence. Mais une annonce du Ministère de l’Intérieur: 76 mosquées sont immédiatement susceptibles d’être fermées pour “suspicion de séparatisme”. Dans le même temps des associations, des écoles pourront l’être aussi.
Comment 76 mosquées pourraient-elles avoir un lien précis avec l’assassinat d’un enseignant ? Ce n’est plus le sujet. Et la méthode employée va être celle de la fermeture préventive, au nom de la lutte contre d’éventuelles contaminations et en assumant d’utiliser les mesures contre la pandémie.
Rétrospectivement, le fait a été parfaitement assumé par Gérald Darmanin, qui déclare à l’Assemblée : ”
“Aujourd’hui, pour fermer un lieu de culte, nous avons deux possibilités : ou bien nous utilisons la réglementation qui régit les établissements recevant du public (ERP) et, par extension, les mesures sanitaires prises dans le cadre de l’épidémie de covid-19”
L’extension de l’état d’exception pandémique a été appliqué dans bien d’autres occasions ces derniers mois, notamment à l’encontre du droit de manifester. Mais lorsque cela a été fait, d’une part, pas un responsable de l’exécutif n’a osé le revendiquer comme tel, et la plupart se sont au contraire défendus de toute autre préoccupation autre que sanitaire. Et d’autre part, le pouvoir judiciaire, souvent saisi , a résisté et déclaré impossible l’interdiction de certaines manifestations.
Mais en ce qui concerne les musulmans,c’est exactement le contraire: le pouvoir, ayant défini cette population comme contaminée potentiellement par un virus dangereux assume d’avoir détourné les mesures sanitaires contre la Covid 19…parce que les lois existantes contre le terrorisme, notamment ne suffisaient pas.
Pour qui ? Pour les asymptomatiques séparatistes. Les mesures de dissolution et de fermeture de lieux de culte ou d’écoles vont ainsi se multiplier au nom de l’invisible maladie séparatiste dont le terrorisme ne serait que le symptôme final .
Premières cibles, les mosquées. Darmanin en fera finalement fermer neuf en tout . Mais tout le long du mois de décembre, le Ministre et les services préfectoraux détaillent leurs méthodes dans les médias. Ainsi Darmanin détaille ” Certes nous n’avons plus d’exemples de prêches incendiaires mais en revanche il peut y avoir un groupe d’individus qui parlent dans les couloirs ” . Dans le même article du Monde du 29 décembre 2020 , un responsable préfectoral évoque des discours “habilement soft”. Les fameux “signaux faibles”.
Très vite, avec la dissolution du CCIF, le gouvernement va aller encore plus loin dans le traitement de choc préventif, en refermant le cercle .
Quiconque conteste le diagnostic de “séparatisme”, quiconque ose affirmer que le virus n’a aucune existence scientifique , et qu’il est simplement une construction politique manifeste par là même un symptôme aigu de la maladie.
C’est écrit noir sur blanc dans le décret de dissolution du CCIF (6)
“Considérant en troisième lieu que, sous couvert de dénoncer les actes de discriminations commis contre les musulmans, le « Collectif contre l’islamophobie en France » défend et promeut une notion d’« islamophobie » particulièrement large, n’hésitant pas à comptabiliser au titre des « actes islamophobes » des mesures de police administrative, voire des décisions judiciaires, prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ; que ce faisant, le « Collectif contre l’islamophobie en France » doit être considéré comme participant à la légitimation de tels actes ”
La boucle est bouclée. Contester le “traitement de choc” appliqué au virus séparatiste, c’est à dire invoquer l’atteinte aux droits démocratiques réalisée par des mesures de police administrative non justifiées par la commission d’une quelconque infraction justifie l’application immédiate de ces mesures de police administrative.
Dénoncer l’islamophobie, voilà la définition du séparatisme. En appeler au respect des droits humains en ce qui concerne des musulmans, c’est du séparatisme. Se défendre contre l’arbitraire, c’est du séparatisme.
Ce raisonnement n’a pas été appliqué qu’au CCIF et à des mosquées. Mais également à un collège/lycée du 19ème arrondissement , l’établissement MHS fermé pour des motifs administratifs…Après un contrôle de la “Cellule départementale de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire”. Or cette fameuse cellule n’a absolument rien trouvé puisque l’établissement a été fermé pour des raisons de normes administratives . Peu importe, là aussi Darmanin assumera devant l’Assemblée Nationale.
“S’appuyer sur la règlementation régissant les ERP pour justifier une telle décision – la porte ne ferme pas bien, ou tout autre motif de ce genre – est, reconnaissons-le, parfaitement hypocrite ; et les radicaux ne manqueront pas d’être un jour très attentifs au droit de l’urbanisme. Ce n’est pas encore le cas, ce qui nous aide beaucoup, mais cela viendra.”
L’allusion concerne directement l’établissement MHS pour lequel on est allé effectivement chercher un problème de taille de la porte d’entrée des parties communes comme le relate sa directrice .
Le gouvernement a donc utilisé sciemment et publiquement ses pouvoirs de police administrative, dont ceux liés à l’état d’urgence sanitaire pour tout autre chose.
Et cette illégalité assumée sera même l’argument utilisé pour faire valider l’état d’exception de manière définitive dans la loi Séparatisme. Ce que dit Gérald Darmanin à l’Assemblée, c’est qu’il a détourné la loi parce que la bonne loi n’existait pas. Parce qu’effectivement, il restait des freins à la toute puissance du pouvoir exécutif. Ceux que la loi Séparatisme va permettre d’éliminer définitivement.
Le vaccin contre le virus séparatiste: le confinement permanent, et l’abrogation des libertés civiles pour les musulmans
Si le gouvernement avait pris autant de mesures pour lutter contre la pandémie de Covid 19 qu’il en prend contre le “séparatisme”, nous aurions sans nul doute évité bien des désastres dans ce pays depuis un an.
L’ambition de la loi est en effet immense: véritable machine de guerre, elle vise en 53 articles, à intervenir dans des champs aussi variés que l’exercice du culte, l’éducation, le sport, la santé, les mondes associatifs, les services publics et les organismes privés ayant délégation de service public.
Dans un contexte où la décentralisation est érigée en vertu politique, elle érige a contrario les bras armés de l’État, c’est à dire les préfets en gardiens de l’ordre des collectivités territoriales, qui seront désormais surveillées par les CLIR déjà opérationnelles mais dont les pouvoirs sont étendus de fait. La loi, sous couvert de protéger les agents du service public, les dépossède en fait d’une grande part de leur liberté, puisque désormais dans de nombreux cas, leur employeur pourra porter plainte s’il estime cela nécessaire, indépendamment de leur propre action.
En quelque sorte, la logique de la loi est exactement contraire à la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école: celle-ci, naturellement ne visait que les musulmanes portant le voile. Mais du moins y’ avait-il un élément factuel qui permette de savoir ce qui était interdit et ne l’était pas. Ce qui était reproché aux musulmanes, c’était d’être visibles au sein de l’école.
Au fil des années, cependant, la liste des symptômes du mal islamiste s’est étoffée considérablement, comme celle des lieux où l’on devait traquer la maladie: petit à petit, le fait de porter un bandana où un bandeau de couleur sombre a été pointé , et uniquement pour les jeunes femmes issues de l’immigration comme un signe ostensible. Plus tard, le port de jupes longues s’est lui aussi retrouvé stigmatisé dans certains établissements scolaires. Par la suite, bien au delà de l’école, c’est partout de la plage à l’université que la présence d’un islam visible a été mise en cause.
Et puis l’extension du domaine de la traque est devenu renversement de la charge de la preuve. Ce furent d’abord les théories des “signaux faibles”, qui ont été transformées en pratiques administratives. Sans employer le terme, diffusé par l’extrême-droite dès le milieu des années 2000, la logique du pouvoir a bien été celle de la validation de la théorie conspirationniste de la taqiya: les musulmans qui ne montrent presque rien de leur foi sont possiblement les plus dangereux, parce qu’ils rusent.
C’est ainsi qu’en 2019, certaines institutions se sont lancées d’elles-même dans des listes de comportements suspects, uniquement dans le cas de personnes musulmanes. L’université de Cergy Pontoise définissait par exemple comme signaux faibles ayant vocation à être signalés le fait d’arrêter de boire de l’alcool ou de s’intéresser à l’actualité internationale.
La chose a fait scandale à l’université, parce que le statut social de ceux qui ont dénoncé la discrimination leur permettait d’accéder aux média et à l’opinion publique. C’est d’ailleurs exactement le même phénomène qui se produit actuellement concernant la volonté de la Ministre de l’Enseignement Supérieur de traquer l’islamo-gauchisme au sein de l’université: attachés à leur liberté académique, les enseignants, les chercheurs mais aussi leurs institutions ont immédiatement réagi et déclenché un débat national.
Mais dans le même temps, lorsque Jean-Michel Blanquer envisage de traquer les élèves qui ne vont pas pas à la piscine dès lors qu’elles sont susceptibles d’avoir des parents “communautaristes” ou lorsqu’on ferme un petit établissement hors contrat qui pourtant se définit comme universaliste, et auquel on ne trouve rien d’illégal à reprocher, cela se passe à bas bruit.
La loi “séparatisme” va beaucoup plus loin: en effet, elle ne définit à aucun moment ce qu’est le séparatisme. Elle instaure simplement un régime de déclaration et de contrôle généralisé : les associations qui demandent de l’argent public devront toutes signer un contrat d'”engagement républicain”, une sorte de serment extrêmement vague, . Mais justement, c’est sur cette base que les associations et seulement les associations musulmanes pourront être contrôlées et sanctionnées.
En effet Gérald Darmanin n’a cessé de le rappeler aux députés LR et RN qui critiquaient le fait que l’islam ne soit pas spécifiquement nommé dans la loi . Dans le même mouvement qui a conduit le gouvernement à assumer le détournement des règlements d’urbanisme ou des dispositions de lutte contre la pandémie de Covid 19, le Ministre de l’Intérieur , comme le rapporteur de la loi disent paisiblement que le régime politique démocratique ne permettant pas formellement de cibler une religion parmi d’autres dans un texte législatif…Il suffira de le faire au quotidien.
Gérald Darmanin : À celles et ceux qui croient bon de discourir sur l’absence de tel ou tel mot dans le texte, je veux dire que ces faux procès ne trompent personne. La loi du 15 mars 2004 encadrant, selon son intitulé, le port de signes ou toute manifestation d’appartenance religieuse dans les écoles, les collèges et lycées publics mentionnait-elle une religion en particulier, à tout le moins les dérives idéologiques dont elle est faussement le prétexte ? Non. La loi du 11 octobre 2010, interdisant, toujours selon son intitulé, la dissimulation du visage dans l’espace public, mentionnait-elle l’islamisme, qu’elle visait pourtant ? Pas davantage, et ce pour une raison très simple : aucune loi républicaine n’a jamais nommé une idéologie en particulier, encore moins une religion ou ses dérives, même quand il s’est agi de les combattre.
Le Ministre de l’Intérieur assume : il propose une loi dont l’universalisme de façade donne donc tout pouvoir à l’exécutif pour cibler les musulmans et seulement les musulmans.
Le régime déclaratif et de contrôle permanent est en effet extrêmement contraignant: pour les associations, qui désormais seront responsables des agissements de leurs membres , “si elles ne les empêchent pas”.
Et ce qui devra être respecté, sous peine de perdre tout financement public mais aussi d’encourir des sanctions ce sera ceci :
Toute association ou fondation qui sollicite l’octroi d’une subvention au sens de l’article 9 1 auprès d’une autorité administrative ou d’un organisme chargé de la gestion d’un service public industriel et commercial s’engage, par un contrat d’engagement républicain, à respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine ainsi qu’à respecter l’ordre public, les exigences minimales de la vie en société et les symboles fondamentaux de la République.
Que sont les “exigences minimales de la vie en société “, par exemple ? Aucune référence ne permet de l’expliciter.
C’est volontaire. Le régime d’incertitude est la meilleure arme dissuasive qui soit. Quelle est l’association humanitaire, culturelle, sociale ou autre qui peut se permettre de s’engager sur un contenu aussi vague, en sachant qu’à tout moment, l’état peut décider qu’elle ne les respecte pas , et mettre en jeu son équilibre financier ? Quelle est la collectivité territoriale qui va s’engager auprès d’associations fondées ou animées par des personnes musulmanes, en sachant qu’à tout instant, la Préfecture peut décider qu’elle a versé des subventions à tort ?
D’autant que la dissolution voit elle aussi son régime notablement élargi et modifié. Désormais elle pourra notamment être précédée d’une suspension administrative conservatoire de plusieurs mois . En clair, l’association sera interdite de toute activité dès que l’état le décidera , et disparaîtra donc avant même de pouvoir se défendre.
Le régime déclaratif et punitif est le même pour l’ouverture de lieux de culte . Le non respect d’obligations innombrables de déclaration des financements de particuliers ou venus de l’étranger sont punies de peines de prison dans certains cas. L’interdiction de “parler politique” est assumée en toute lettres, et sanctionnée de peines de prison. Mais qu’est ce que la politique ? Qu’est ce qui n’est pas politique dans la religion ?
Toute la loi est du même tenant, vague volontairement.Or un tiers des articles concernent des procédures de contrôle et un quart des peines d’emprisonnement.
La loi est donc à la fois extrêmement imprécise et extrêmement répressive. A la fois globalisante, étendant son action dans l’ensemble de l’espace public, et anti-universaliste de par l’objectif que le pouvoir lui donne ouvertement, ne concerner qu’une minorité religieuse.
Sans l’écrire, le gouvernement s’est donc donné les moyens de créer un statut discriminatoire pour les musulmans. Non, pour les islamistes , répondra-t-il , sauf que la loi lui permet de définir quasiment seul qui ils sont au vu des pouvoirs exorbitants accordés aux préfets et aux organes de contrôles de l’exécutif.
Il n’est nul besoin d’imaginer ce que donnerait cette loi si Marine Le Pen arrivait au pouvoir. D’abord parce que la conception de la République exprimée dans cette loi est bien celle du nationalisme intégral, celle de la Nation comme organisme, dont tous les membres doivent obéir à la tête étatique. Où toute contestation, toute différence, toute évolution sociétale est vue comme une “maladie” étrangère et hautement contagieuse.
D’ailleurs, il est un vocable qui ne trompe pas. L’offensive islamophobe s’est fondée sur la dénonciation du “communautarisme”, opposé à l’universalisme. Mais d’Emmanuel Macron à Marlène Schiappa, en passant par Darmanin, l’expression consacrée pour parler des Français est désormais ” la communauté nationale”.
A aucun moment, il ne s’agit donc de combattre l’idée de communauté en soi. Simplement la seule qui aurait le droit à l’existence serait celle qui se reconnaîtrait dans un patriotisme dont le pouvoir exécutif définira seul les modalités et ceux qui en sont exclus.
De fait, pour une partie de la population, traitée comme une lépreuse de la République, le régime d’exception rêvé par le Rassemblement National est déjà en vigueur.
Le retour du bon docteur Maurras, du nationalisme intégral en temps de pandémie
Le gouvernement se présente toujours comme le meilleur barrage au Rassemblement National. Gérald Darmanin est ce Ministre qui dans les débats sur la loi Séparatisme se targue de ne pas avoir quoi que ce soit contre l’Action Française qui pourra naturellement continuer à contester l’existence de la République, mais il est aussi l’homme qui décide de dissoudre Génération Identitaire, comme un contre-point prétendument universaliste à la dissolution du CCIF.
Pure hypocrisie ? Pas seulement. Dans les courants qui fondent les fascismes et les nationalismes français, il y a toujours eu des divergences profondes. Et un homme dont la pensée éclaira de nombreux hommes politiques français bien au delà de l’extrême-droite : Charles Maurras.
Depuis le début du quinquennat, l’on pouvait se poser la question de la référence maurassienne récurrente du pouvoir: d’où venait cette idée de commémorer Maurras au début du quinquennat, à quoi bon citer son nom pour le réhabiliter à plusieurs reprises comme l’a fait le président de la République ? S’il s’agissait simplement de draguer les électeurs du Rassemblement National, traquer les musulmans, agiter les thèmes sécuritaires en permanence, persécuter les réfugiés était tout de même suffisant et plus efficace qu’aller chercher un théoricien dont l’électeur ordinaire se moque un tout petit peu.
Sans doute, dans une époque où la défiance envers les politiques est reine, ne se méfie-t-on pas assez de leur sincérité occasionnelle.
La référence à Maurras relève tout simplement de l’enthousiasme politique réel.
Maurras n’était pas un raciste biologique, il qualifiait sans fard les Gobineau et les Vacher de Lapouge comme leurs promoteurs de “nigauds”, combattant réellement ce qu’il voyait comme une idéologie allemande. C’est d’ailleurs à cause de cela, qu’après guerre , ses partisans le déclareront “antiraciste”.
Maurras refusait tout bêtement le concept d’hérédité physiologique, pour défendre l’hérédité politique. La France pour lui est certes une communauté organique mais ce qui la menace , ce ne sont pas des races ennemies, mais des entités collectives qui de par leur héritage historique indépassables sont forcément le ferment de la dissolution du pays réel.
Les quatre états confédérés: les Juifs, les franc-maçons, les protestants, les étrangers que Maurras appelle “métèques”. Pour Maurras, ces forces là sont des états dans l’État français qui le corrompent et le détruisent de l’intérieur. La démocratie est le régime qui leur donne le maximum de pouvoir.
Évidemment, Maurras était monarchiste. Homme de son époque, celle de la République qui incarne justement aux yeux du camp anti-laïque et anti-dreyfusard, la victoire des ferments destructeurs de la France .Et il y a aujourd’hui des maurrassiens ossifiés comme il y a des marxistes ossifiés refusant de distinguer le contingent et l’essence intemporelle d’une pensée, et puis il y a ceux qui adaptent. Il y a les jeunes royalistes de l’Action Française et puis il y a Darmanin et consorts.
La pensée contre le “séparatisme islamiste” ne se comprend pas sans Maurras. La République menacée dont il est question, c’est bien la France, le pays réel, attaqué dans ses fondements profonds et quotidiens par les assauts confédérés, à la piscine, à la cantine, à l’école, au sport, à la boucherie.
D’ailleurs, ce gouvernement qui s’affirme anti-communautariste, emploie pourtant sans arrêt le terme de “communauté nationale” menacée par le ferment de la division séparatiste. Ce sont les autres communautés qui sont la menace et pas la notion de communauté en elle-même car “nous ne sommes pas une société d’individus”, répète Macron. Maurras s’il admirait Barrès lui reprochait cependant fondamentalement une conception qu’il estimait romantique et individualiste du nationalisme, un ego de trop, en quelque sorte.
Maurras n’avait jamais dit que la liste des états confédérés était immuable et exhaustive. Lui-même a parfois modéré son propos sur les protestants par exemple. Mais jamais sur les Juifs, premiers de cordée du ferment de la dissolution, jamais sur les étrangers qu’il appelle “métèques”.
La loi séparatisme désigne une fusion des deux, au fond. Le musulman est celui qui est lié à l’Ailleurs hostile et, si au départ Darmanin affirmait qu’il n’y aurait aucun lien entre la loi contre le séparatisme et la politique d’immigration, le projet validé à l’Assemblée Nationale comporte bien des mesures de retrait ou de refus de titre de séjour, des possibilités d’interdiction du territoire, et surtout elle est habitée par le combat contre “l’influence étrangère” , appliquée au seul islam, nul n’allant évidemment remettre en cause le caractère international du christianisme et à plus forte raison du catholicisme. Métèque par essence, donc, les musulmans.
Mais aussi évidemment, porteurs des mêmes stigmates que les Juifs, et nous avons vu à quel point le discours sur le “virus séparatiste” a amené les hommes et les femmes du pouvoir à employer les termes les plus odieux de la métaphore médicale et hygiéniste, commencée dans le feu du boulangisme et de l’Affaire et poursuivie par la génération de Céline. Puis aujourd’hui, où les thèmes antisémites et islamophobes ne se substituent pas mais se nourrissent l’un et l’autre portés par des forces différentes, ou par les mêmes hommes à des moments différents. Darmanin le médecin au chevet de la France malade de ses musulmans est aussi celui qui jadis, reprochait à Macron d’être le séide de la banque Rothschild.
La loi Séparatisme c’est donc Maurras passé à l’aune de l’Histoire de France qui a suivi la mort du maître à penser du nationalisme français. L’affrontement colonial est passé par là, et a accouché de la cinquième République et de son état d’urgence possible inscrit dans ses fondements.Maurras était fédéraliste, la cinquième République ne l’est pas, et la lutte du pouvoir contre le prétendu séparatisme musulman, cet Etat confédéré qui menace le pays réel prend donc la forme de l’état d’urgence permanent, de la tentative du retour au statut indigène, de la toute puissance donnée au Préfet, qui se montra si efficace pendant la guerre d’Algérie. Tout en puisant dans l’imaginaire antisémite , une vulgate médicale et pandémique , adaptée à un moment historique où l’imaginaire et les peurs sont déjà influencées par la pandémie réelle, et la menace invisible et contagieuse .
Dans l’exaltation de la communauté nationale, le métèque musulman n’a qu’une seule place, que lui donnait déjà Maurras, qui eut des mots sympathiques pour les Juifs prêts à donner leur vie à la France sans rien demander en échange et surtout pas l’égalité. Ainsi parle Darmanin, à l’Assemblée Nationale, en des termes d’une clarté sans doute un peu involontaire
“L’islam est bien sûr absolument compatible avec la République. Beaucoup de musulmans français ou étrangers ont servi la République. Beaucoup sont morts pour elle, parfois dans des conditions particulièrement ignobles pour avoir choisi et la France et Allah contre leur nationalité ou leur terreau de naissance.”
Le meilleur musulman qui soit, celui qui a servi la République et dont on n’a pas à se méfier est celui est qui est mort, et auquel, certes l’on accordera le réconfort d’un drapeau sur son cercueil.
Conclure sur la loi Séparatisme ne consiste cependant pas à assimiler artificiellement le pouvoir et les forces d’extrême-droite organisée qui lui font face , au nom du commun héritage maurassien. Justement, celui-ci amène à comprendre la dynamique que souhaitent enclencher Emmanuel Macron et les siens face au Rassemblement National.
Dans un texte rédigé en 1948 par un Maurras frappé d’indignité nationale , ” L’Avenir du Nationalisme Français”, adressé aux jeunes de son camp terrassés par la défaite du nazisme et de Vichy, le mentor écrivait ces mots plein d’espoir et somme toute de juste anticipation
“Qu’est-ce qui est avantageux au pays ? Si l’on adopte ce critère du pays, outre qu’il est sous-entendu un certain degré d’abjuration des erreurs partisanes, son essentiel contient toute notre dialectique, celle qui pose, traite, résout les problèmes politiques pendants du point de vue de l’intérêt national : il faut choisir et rejeter ce que rejette et choisit cet arbitre ainsi avoué.
Il n’y a certes là qu’un impératif limité. Les partis en lutte feront toujours tout pour s’adjuger le maximum en toute propriété. Mais leur consortium n’est rien s’il ne feint tout au moins des références osant aller plus loin que la partialité collective. S’y refuse-t-il ? Son refus peut donner l’éveil au corps et à l’esprit de la nation réelle, et le point de vue électoral lui-même en peut souffrir. Si ces diviseurs nés font au contraire semblant de croire à l’unité du compromis nationaliste, tout spectateur de bonne foi et de moyenne intelligence en sera satisfait.
Donc, avec douceur, avec violence, avec lenteur ou rapidité, tous ces partis alimentaires, également ruineux, ou périront de leur excès, ou, comme partis, ils devront, dans une certaine mesure, céder à l’impératif ou tout au moins au constat du nationalisme. L’exercice le renforcera. La fonction, sans pouvoir créer l’organe, l’assouplira et le fortifiera”
Maurras qui toute sa vie, avait fait vivre un parti autonome et monarchiste envisageait donc parfaitement que le triomphe de ses idées et de sa conception de la Nation puisse venir de ces partis républicains qu’il avait combattus toute sa vie durant. Et que le rôle de l’Action Française comme des partis similaires qui lui succèderaient soient celui d’un aiguillon, qui finisse par amener d’autres forces à devenir nationalistes , à la fois par opportunisme mais aussi par véritable conviction née du travail de l’Action Française pour la conquête de l’hégémonie culturelle.
Le pouvoir s’est rangé au constat de Maurras sur lui même et a décidé d’être celui qui cède à l’impératif comme au constat. La loi Séparatisme est le nom de cet alignement sur le Rassemblement National, qui le privera peut-être de son utilité.
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(1) Toutes les citations issues des débats en commission et en plénière de l’Assemblée Nationale sont consultables ici
(4) La républicature, , p85 à 97 Images et vocabulaire de l’antisémitisme
(5) https://www.memoireonline.com/06/07/482/m_louis-ferdinand-celine-une-pensee-medicale18.html
(6)https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042602019