C’est vraiment amusant, cette arnaque sémantique, parce que finalement c’est un peu la seule de nos ruses de militants qui voulaient devenir modernes qui a fonctionné.
A la fin des années 90, c’était horriblement has been, d’être genre militant révolutionnaire classique. Bon déjà, on avait eu la chute du Mur de Berlin. C’était pas seulement l’effondrement des staliniens, c’était l’effondrement tout court, la révolution ça ne faisait pas rêver. Et en plus, on avait Robert Hue ou des trucs comme ça. Les anarchistes, c’était pas mieux, les gens aimaient bien le style mais bon après de là à militer sur la base de révolutions ratées y’a 70 ans, bon.
Non, militer c’était un gros mot. Ringard et suranné. Comme “journal militant”, Comme “parti” ou “organisation”.
Il fallait plus dire ça. Il fallait dire ” réseaux” , “coordination”, “activiste”. Et “alternatif”. Gommer la notion de conflictualité, d’opposition, non , fallait être vecteur d’agitation et de cogitation, tu vois. Entre individus totalement libres et indépendants, pas de rapports de pouvoir, mais non, mais non.
Donc du coup, hors de question de faire un “site militant”. Ben non, “média alternatif”. Objectif, neutre, indépendant. Surtout que les gens croient pas s’engager avec toi, hein.
Le vrai média alternatif vraiment alternatif
Donc après évidemment, il y a eu la concurrence des médias alternatifs. Non, pas la concurrence des organes militants, pas celle de la deux cent dix huitième internationale contre la quatre cent vingt quatrième mais imaginaire celle là, ouf. Celle du “vrai média alternatif et indépendant”, contre les faux qui étaient en réalité des organes de presse militante dissimulée.
Bon, en plus, les fascistes eux aussi avaient adopté ce style là, et leurs médias alternatifs étaient beaucoup plus puissants, parce qu’ils étaient plus puissants.
Et le problème c’est que tout cet enfumage sémantique avait tellement bien marché que les prétendus médias alternatifs des fascistes ont cartonné.
Et que nous, on ne se souvenait même plus de la manière de critiquer tout cela. On ne savait que répéter ” Non, mais ce ne sont pas de vrais médias alternatifs, les vrais, c’est nous”.
Et ça continue.
Et ça ne vas pas s’arrêter. Jusqu’à ce qu’on se dise les choses. Il n’y pas de “médias alternatifs” aux faux médias alternatifs . Il y a des sites dont la vocation est de faire de la politique.
C’est à dire des sites où nous nous exprimons sur le réel en tant que militants essentiellement pour convaincre les gens qu’on peut changer le monde dans le sens qui nous parait le mieux. Aussi bien , nous sommes tout sauf objectifs et désintéressés. Tous. Et à chaque fois qu’on dit ” La vérité est révolutionnaire”, ce qu’on dit, c’est pas qu’on est des amoureux du Vrai Absolu, c’est qu’on pense avoir toujours raison sauf les fois où on s’est trompés mais c’était la faute des autres.
Tout ça pour dire qu’en tout cas, chez moi, c’est pas plus l’AFP que chez Le Media. Je suis aussi partiale qu’eux sauf que je n’ai pas pris le même parti. Mais j’en ai pris un, je te préviens. Et je me méfie plus que tout de ceux qui prétendent n’en avoir aucun. Je suis pas là pour proposer une alternative, j’ai une ligne.
Si tu veux pas aller là où elle va, ben t’y va pas, ceci étant. Je suis bien obligée de te laisser cette alternative, mais parfois, ça m’ennuie un peu, je t’avoue parce que j’ai raison, quand même.