J’ai publié ce texte en 2012, sur un blog antifasciste confidentiel. Les incendies criminels et les ratonnades d’Auxerre me sont revenus brusquement en tête après avoir vu la ratonnade à Romans sur Isère, qui a fait réagir beaucoup de commentateurs non issus de l’immigration musulmane, comme si c’était une horreur nouvelle et inquiétante.
Je me suis rappelé ma terreur sourde, dix ans en arrière quand cette violence était de plus en plus flagrante pour qui s’y intéressait, c’est à dire était capable de lire jour après jour la presse locale, les brèves ici et là. L’émergence de la peste brune extra-légale en même temps que la banalisation de l’extrême-droite parlementaire. Ces groupes néo nazis,qui se ressemblaient les uns les autres dans leur composition sociale: des jeunes imprégnés par les mythes et les appels aux meurtres des suprémacistes blancs américains et puis des policiers et des militaires. Ce fut le cas à Auxerre mais aussi toutes les années 2000 et 2010 à Carcassonne et Castres, villes de garnison où l’on brûle des mosquées et ou l’on chasse le “raton”, comme on va au bal, entre jeunes et paras.
Dix ans plus tard, ce sera aussi la composition d’un groupe Telegram de 8000 personnes FrDeter, démasqué par des journalistes communautaires musulmans juste avant de passer à l’acte et de commettre des attaques armées contre des mosquées et des activistes musulmans.
Les ratonnades d’Auxerre ont commencé en 2004 et 2005, en même temps que perçait un blog peu connu en dehors des cercles identitaires, FrançoisdeSouche qui deviendra quelques années plus tard un des sites politiques les plus lus de France.
Se souvenir d’Auxerre, c’est comprendre Romans sur Isère. C’est à dire, non pas une nouveauté dans la méthode et le geste, même pas forcément une explosion de la violence fasciste mais simplement le moment de sa banalisation absolue par le pouvoir et les médias dominants. Il y a dix ans la violence fasciste contre nous était réelle mais en sourdine, vécue en silence par les victimes. Aujourd’hui, les victimes parlent et la force de nos communautés donne un écho à leurs paroles, mais cette force fait ressortir aussi la détermination de ceux qui nous font face, pas seulement les milices de ratonneurs, mais aussi tous ceux qui leur donnent blanc seing.
Auxerre : ratonnades néo-nazies et incendies racistes, complaisance judiciaire et politique.
Dans la presse, on l’appelle l’ « affaire des kebabs d’Auxerre », et un de ses développements a été jugé en Cour d’Assises des Mineurs en ce mois de mai.
Il ne s’agit pas, comme on pourrait le croire, en ces temps de polémiques bidon, d’une controverse sur la prétendue dangerosité de la viande halal, mais des conséquences du climat entretenu par ces polémiques et par le racisme virulent exprimé dans les médias par une grande partie de la classe politique. Sans doute le lien est-il trop évident et explique-t-il, qu’en ces temps de légitimation et de dédiabolisation du fascisme, cette dite « affaire des kebabs » soit reléguée à la page fait divers des journaux régionaux.
Il s’agit pourtant de ce qui serait évidemment qualifié d’attentats commis par une organisation terroriste, si cela avait émané de toute autre mouvance que l’extrême-droite.
Quel autre nom donner, en effet, à une dizaine d’incendies volontaires de commerces auxerrois, accompagnée d’agressions préméditées contre des personnes, commise par un groupe d’individus qui avaient formé une organisation dénommée « Ordre National » ?
C’est en mai 2004 que les incendies commencent (1) : il y en aura 4 entre mai et septembre et la série se poursuit, toujours avec le même mode opératoire, toujours contre des restaurants tenus par des personnes d’origine maghrébine ou turque pendant toute l’année 2005.
Auxerre est une ville de 40 000 habitants, pas une métropole : la fréquence des incendies comme leurs cibles similaires ne peuvent évidemment laisser aucune place au doute lorsqu’ils sont commis sur une aire aussi restreinte. Le caractère raciste comme la présence d’une bande organisée sautent aux yeux.
Et ce d’autant plus lorsqu’en 2005, ce ne sont plus seulement les biens mais aussi les personnes qui sont attaquées.
Un soir de mai, une dizaine d’individus cagoulés, armés de battes de base ball et de couteaux ratonne plusieurs personnes d’origine maghrébine dans un des grands parcs de la ville. L’une d’elles fera même l’objet d’une tentative d’étranglement.
Pourtant, cette escalade de la violence raciste ne donne pas lieu à une procédure d’enquête particulière, ni à une couverture médiatique autre que locale, même s’il est évident que chacun de ces attentats aurait pu faire des morts.
Et si une partie des coupables sont arrêtés en novembre 2005, ce n’est pas à la suite d’un coup de filet dans les milieux d’extrême-droite mais à l’occasion d’un simple contrôle policier de nuit : ce soir là, Thibault Gond et quatre autres individus sont surpris sur un parking commercial habillés en treillis militaire et portant des éléments d’uniforme de la police nationale.
A partir de là, les domiciles sont enfin perquisitionnés et le résultat ne laisse aucun doute, ni quant à l’implication des individus arrêtés dans la ratonnade et dans les incendies, ni quant au caractère raciste des actes commis, ni sur l’existence d’un groupe néo-nazi organisé dans le but de commettre des actions violentes contre les biens et les personnes.
Le groupe en question avait été dénommé « Ordre National » par ses membres, dont certains sont de jeunes mineurs et d’autres des adultes très bien insérés socialement. Des individus qui craignaient si peu une descente de police qu’on retrouve chez eux un répertoire qui recense toutes les actions commises, ainsi que des textes « fondateurs » de l’organisation qui se revendique du 3ème Reich.
Les néo-nazis avaient au moins une bonne raison de ne pas trop se préoccuper d’une éventuelle répression policière surprise : l’enquête va démontrer qu’au moins deux policiers d’Auxerre étaient impliqués dans le groupuscule et ont notamment fourni les éléments d’uniforme de police portés par les inculpés le soir ou ils ont été arrêtés.
Dès novembre 2005, donc, la police et la justice ont en main TOUS les éléments possibles pour justifier une jonction des jugements des actes de violences commis, et la qualification d’entreprise terroriste et d’association de malfaiteurs. Les accusés reconnaissent les faits, les preuves matérielles sont légion, et l’intention homicide ne fait guère de doute, les victimes de la ratonnade ayant notamment été blessés à coups de couteau.
Pourtant le scénario judiciaire et médiatique va être tout à fait différent : il n’y aura aucune procédure commune, l’instruction et les procès de la ratonnade et ceux des incendies vont se dérouler de manière séparée et s’étaler dans le temps sur plusieurs années.
Bien que plusieurs individus mis en cause aient reconnu leur appartenance au FN, aucun article de presse n’en fera mention, pas plus d’ailleurs que de l’implication de membres de la police nationale.
Aucune investigation d’ampleur ne sera menée dans les milieux d’extrême-droite et ce alors même que deux nouveaux incendies ont lieu après l’arrestation d’une partie des membres du groupes en 2006.
Le premier procès , celui de la ratonnade s’ouvre donc six ans après le faits en novembre 2011 : il a lieu en correctionnelle et non aux assises, puisque l’intention homicide n’a pas été retenue. Les peines seront finalement bien en deçà des réquisitions du procureur, allant de six mois avec sursis à trois ans , dont la moitié avec sursis. Aucun des condamnés ne retourne en prison, certains ayant déjà fait de la préventive et les peines fermes en dessous de deux ans étant aménageables. Les victimes comme la partie civile sont abasourdies et ce d’autant plus que les sanctions pécuniaires se limitent à 5000 euros à verser aux associations antiracistes qui se sont portées parties civiles (2).
Le second procès qui concerne les incendies de commerce s’est ouvert en ce mois de mai, devant la Cour d’Assises des mineurs, et ce bien bien qu’une partie des accusés ait été majeure au moment des faits. Les accusés ont réussi à obtenir le huis clos, ce qui empêchera notamment une couverture presse des débats. Sur dix huit personnes mises en cause au moment des interpellations, seules 9 sont finalement traduites devant la Cour, huit ans après les faits.
Le verdict ? Pour les deux dirigeants du groupe, dix huit mois ferme, le reste avec sursis. Pour les autres, des peines fermes n’excédant pas quelques mois.
Mais tous les condamnés vont ressortir libres, en contradiction avec la loi en vigueur depuis le 1er janvier 2012, qui indique que toute peine prononcée en Cour d’Assises doit être immédiatement exécutée. La tolérance zéro, le durcissement de la répression ce n’est manifestement pas destiné aux militants d’extrême-droite.
Pour le président de la Cour d’Assises et les avocats des accusés, cette mansuétude, qui permettra un éventuel aménagement des peines s’explique par le délai écoulé entre les faits et le jugement, l’incarcération n’aurait donc plus de sens si longtemps après les actes…
Constat glaçant : dans le plus grand silence médiatique national, un groupe ouvertement néo-nazi , dont certains membres appartenaient au FN tant et tant « dédiabolisé », dont d’autres étaient membres des forces de police et ont utilisé leur profession pour aider à l’action collective, a donc pu se livrer à des agressions armées contre des personnes , à des attentats contre des commerces choisis en fonction de l’appartenance supposée de leurs propriétaires à une communauté, pour finalement écoper de peines beaucoup moins lourdes que celles infligées à n’importe quel voleur de poules, pour peu qu’il ait récidivé une ou deux fois.
L’Allemagne a été récemment secouée par une affaire semblable à bien des égards : de jeunes néo-nazis ont pu y commettre des meurtres contre des tenanciers immigrés de commerces et de restaurants pendant des années sans être inquiétés et sans même que l’enquête ne s’oriente sur la piste de l’extrême-droite, et sans le suicide de deux des membres du groupe, la police n’aurait encore arrêté personne. L’enquête a mis en évidence le rôle de complice joué par au moins un indicateur de police, mais aussi le fait que l’ensemble des renseignements facilement obtenables sur la mouvance néo-nazie aurait du conduire à orienter la police vers ces milieux beaucoup plus tôt.
A Auxerre, nous dira-t-on, il n’y a pas eu de morts. .
Mais comme dans bien d’autres cas, notamment lors de l’incendie volontaire accompagné de dessins de croix gammées commis contre des domiciles privés de personnes d’origine immigrée en Alsace il y a quelques mois, le fait qu’il n’y ait pas eu de victimes ne tenait pas à la volonté des auteurs, mais au hasard.
Surtout il ne se passe pas une semaine sans qu’une synagogue, une mosquée, un bidonville abritant des cibles potentielles, ne soient attaquées , avec au minimum de graves dégradations, et très souvent avec des croix gammées inscrites sur place qui attestent sans doute possible de l’origine de ces actes.
Trouver d’où viennent ces actes n’est vraiment pas compliqué puisque plusieurs forums regroupent la plupart des mouvances néo-nazies françaises et l’on y fait par exemple l’apologie des actes commis à Auxerre ( voir ici et ici).
Autorités judiciaires et policières comme spécialistes médiatiques de l’extrême-droite s’accordent sur une bien étrange contradiction : d’un côté sites et forums sont laissés en libre accès et quasiment jamais condamnés, et l’on nous explique doctement que c’est d’une part, parce qu’interdire ferait de la pub ou érigerait en martyrs les militants d’extrême-droite, et d’autre part, parce que cela permet ainsi de surveiller les activités de l’extrême-droite et de les contrer.
Mais de l’autre, ces mêmes autorités et ces mêmes spécialistes viennent expliquer que de toute façon, les groupes violents comme celui d’Auxerre seraient indétectables ( 3).
Bref, on laisse proliférer les outils qui permettent à l’extrême-droite de recruter, d’inciter à la violence, de diffuser modes d’emploi, exemples pratiques et cibles à abattre, et quand les passages à l’acte arrivent, on se prétend démuni, tout en continuant à affirmer que la répression et l’interdiction des ligues et partis fascistes rendrait la situation bien pire.
Et quand la réalité d’une affaire comme celle d’Auxerre démontre que la violence d’extrême-droite est organisée, en pleine expansion , et que ses auteurs comme ses instigateurs bénéficient d’un laxisme hallucinant, ne reste qu’à taire la réalité au plus grand nombre.
Aucun média national n’a en effet relayé cette affaire de manière sérieuse et approfondie : pas de complot derrière tout cela mais simplement la propension des journalistes à écarter les faits qui contreviennent à toutes leurs théories sur la « dédiabolisation ».
Sans mobilisation claire sur le mot d’ordre d’interdiction de toutes les ligues fascistes et de leur expression , rien ne changera.
(1) A ce propos une recension de 2015 écrite pour Memorial 98
(2) un bref compte-rendu dans la presse locale ici
(3) Ainsi Jean Yves Camus plaide-t-il après l’affaire Breivik pour la fonction sociale positive de la liberté d’expression laissée aux fascistes dans ces termes, à propos de Fdesouche : “Jean-Yves Camus, chercheur associé à l’IRIS et spécialiste de l’extrême-droite, aboutit à la même conclusion lorsqu’il parle de « soupape de compensation » Il y a un effet curatif, voire cathartique à laisser les gens s’exprimer sur ce site, et toujours selon le chercheur « Chacun va puiser, comme un consommateur, ses ingrédients idéologiques pour construire sa propre idéologie”.
“D’autant que sur Internet vous avez le manuel du parfait terroriste. Vous n’avez même plus besoin de faire partie d’un groupe structuré et structurant pour devenir un terroriste.”
Le même chercheur interrogésur l’affaire d’Auxerre , parle cette fois de groupes difficiles à détecter…”Où en est la mouvance d’extrême droite en France?? Si dans sa globalité, cette mouvance tend à s’effriter, on constate qu’il y a une multiplication des petits groupes locaux qui conçoivent leurs actions dans leur coin et qui passent ensuite à l’acte. Et ce sont ces mouvances locales qui sont difficiles à surveiller.”