Début septembre, nous sommes allés faire un tour du côté d’Israël, voir et comprendre ce qui se jouait là bas en terme de révolutions. Huit mois de manifestations consécutives, c’est quand même quelque chose, pourquoi donc ces manifs, ce mouvement, ce pays? Evidemment on ne savait pas que ces chroniques deviendraient une photo d’histoire figée juste avant les attaques terroristes du 7 octobre 2023. Voici la première chronique ici,
Les autres sont à retrouver là:
1 – l’aterresaintissage
2 – des vapeurs
3 – Shabbat à Kaplan Street
4 – Antifascist Defense Force, Division Hegel
5 – Les mots de la femme
6 – Si il y avait une constitution et qu’à Jérusalem il y avait la mer
7 – Gog et Magog
8 – Falafel Final
Le début est un moment très délicat.
Commençons par la question : qu’est-ce que je venais faire ici ?
Focus, Objectif, efficacité. On n’est plus en vacances, d’ailleurs tout le monde fais sa rentrée et je bois du café.
Israël est le pays des juifs et l’antisémitisme ici n’existe pas. C’est ce qu’on vient trouver d’abord, en tant que juif, lorsqu’on se rend dans ce pays. Un pays où, en plein milieu de la ville, passe le Sderot Rothschild, boulevard Rothschild, correctement orthographié, sans que ça ne suscite aucune théorie foireuse sur des blogs douteux ou manifestations d’abrutis convaincus d’avoir trouvé le centre du pouvoir mondial, comme c’est le cas en France, pays des droits de l’homme et de l’islamophobie.
Et surtout, ça ne suscitera pas la peur intériorisée que ce nom sur ce boulevard puisse susciter des théories foireuses sur des blogs foireux et la peur de voir qu’un abruti aura écrit « Soral a raison » quelque part sur un mur. Se libérer de l’antisémitisme , c’est aussi ça. Se libérer de la peur et du devoir de voir l’antisémitisme partout, où il est, et où il pourrait être.
Ici au moins, les juifs sont protégés par l’armée et la bombe nucléaire. Et le Boulevard Rothschild est le premier qu’on emprunte pour déboucher sur la rue de la soif, Nahalat Binyamin. (qui s’avère être en fait un quartier de la soif, et en fait toute une ville de teuf, mais on y reviendra certainement plus tard…)
J’ai toujours été favorable à la bombe nucléaire. Arme pacifiste si il en est. L’armée israélienne par contre, ça fait plus débat, et je ne me suis jamais senti forcément protégé par elle. Mais ça aussi on y reviendra plus tard. Voyager change un brin les perspectives.
Mais bref, à ce stade, je n’en ai pas croisé encore de l’armée israélienne. Enfin pas en uniforme.
A l’aéroport c’est une borne automatique qui lit le passeport biométrique et délivre un petit papier qui fera office de visa. Sur une carte séparée. Avant il fallait demander si tu voulais ton visa sur un papier séparé pour voyager dans les pays alentours. Et certains pays autorisent deux passeports, dont un spécial pour entrer ici. Avoir passé ces frontières-là fait déjà débat.
Après réception automatique de la petite carte on passe quand même un contrôle avec une jolie fille en chemise kaki qui pose 3 questions.
– « Que viens-tu faire en Israël ?
– Es-tu déjà venu ?
– Tu restes où pour le séjour ? »
– Je viens pour tourisme
– Je suis déjà venu y’a 25 ans.
– Je reste au Abraham Hotel »
Voilà, bienvenu en Israël
« Le Abraham hotel », car il m’avait été recommandé par la diplomatie française rencontrée sur les hauteurs de Dormillouse. Vous n’aurez qu’à taper Dormillouse dans google map, ce n’est pas exactement l’endroit où on pense rencontrer la diplomatie française d’Israël. Et pourtant c’est là que ça s’est fait, un pur hasard, comme par hasard…
« Je suis déjà venu il y a 25 ans ». Bon, ce n’était pas exactement 25 ans, je suis pas si vieux (d’ailleurs j’ai l’air très jeune), mais c’était clairement il y a plus de 20 ans. D’ailleurs c’était juste avant le 11 septembre. Comme par hasard…
Et puis en fait je venais pas exactement pour du tourisme. J’avais un petit projet en tête, rapport à une certaine révolution se produisant actuellement dans le pays…
Tout le monde est jeune, beau, tech. En trottinette électrique on passe de la plage au coworking, au club.
Pas encore de trace de révolution ici, si ce n’est quelques autocollants avec des poings levés et des trucs écrits dessus en hébreux.
Je n’ai pas fait ma bar mitzvah, je ne déchiffre pas l’hébreux ni n’en parle le moindre mot. Ma mère m’avait parait-il demandé si je souhaitais la faire, à 13 ans donc et j’avais apparemment dit non, ce qui, avec le recul m’apparait comme complètement idiot, vu qu’à l’époque j’aurais reçu quantité de playstation et de cadeaux et aujourd’hui je parlerais quelques mots et pourrais déchiffrer des trucs.
J’ai aussi lu quelque part que la langue officielle d’Israël était devenue l’hébreux à cause de Eliezer Ben Yehuda qui a modernisé la langue alors que Théodore Herzl imaginait à la base qu’on parlerait Allemand. Génial, j’aurais pu déchiffrer les autocollants (et draguer tranquille au Moyen Orient avec mon allemand et son charmant accent français, mais non.)
Bon je ne connaissais pas l’hébreux mais je savais reconnaitre un autocollant gauchiste
Et aussi, phénomène étrange, les plus grandes et plus belles places de la ville était étonnamment toute en travaux. C’est souvent un bel indice du statut révolutionnaire d’une ville, lorsque les autorités ont soudain l’idée de faire des travaux justement sur les places où les citoyens pourraient se réunir.
La magnifique place Rabin ressemble donc à ceci :
En général ça ne marche pas. Les citoyens se réunissent quand même ailleurs. La révolution c’est comme l’eau. Elle trouve toujours un endroit où couler.
Il y a pire chose que d’être juif. Juif riche c’est pire. Les gens qui sont convaincus qu’il existe un petit groupe cabalistique qui utilise sa fortune pour diriger le monde en contrôlant les cerveaux grâce à l’argent, lorsqu’ils tombent sur toi (et que bêtement tu leur as offert un verre), ça y est ils réalisent leur rêve. Tu incarnes la réalité de leur fantasme et ça les excite tellement qu’ils décident de te pourrir la vie jusqu’à la fin et encore après celle de toute ta descendance, convaincu qu’en secouant fort y’a des millions que tu leur doit qui vont tomber de tes poches.
Si la démocratie israélienne était une démocratie parfaite, l’armée israélienne servirait à massacrer ces gens là plutôt que des Arabes. Mais la démocratie Israélienne ne semblait pas parfaite.
Ceci n’est qu’un minuscule apperçu des espoirs que suscite chez moi l’idée d’une démocratie juive parfaite. L’armée irait massacrer les antisémites et les nazis partout dans le monde par exemple. Je plaçais autant d’espoir dans une démocratie juive que j’en avais placé dans la démocratie Arabe au moment des printemps Arabes et c’était la principale raison de ma présence ici.
Les deux allaient ensemble de toutes façons, et le contrecoup fasciste que vivait Israël n’était pas sans rapport avec l’écrasement des printemps arabes par les dictatures alliées à l’islamophobie européenne convaincu que les Arabes ne méritent pas la démocratie. C’est ce qui s’était passé en occident au moment des révolutions arabes de 2011. Les islamophobes et les racistes avaient, sans grand mal, réussis à imposer leur récit « mais si le dictateur s’en va ce sera le chaos, ces gens ne sont pas prêts pour la démocratie ils vont voter pour des islamistes ». Bref la préoccupation des occidentaux à l’époque n’était pas du tout d’exporter la démocratie à coup de bombe, mais de bloquer l’importation de l’islamisme à coup de racisme. Ca avait marché et, de Bachar al Assad au maréchal Sissi, en passant par le général Haftar, les dictateurs « laïcs » et leurs amis étaient tous bien en place et l’occident avait échappé à l’horreur d’un moyen orient islamo-démocratique Arabe.
Pour la démocratie juive ça semblait différent. Personne, en occident, ne semblait en avoir quelque chose à faire de cette révolution. Rien, nulle part. A part quelques articles d’opinion, rappelant que personne ne semblait n’en avoir rien à faire de cette révolution.
Secrètement, je restais convaincu que ce désintérêt était probablement l’une des meilleurs choses qui puisse arriver à ce mouvement. Vu en général ce que l’intérêt occidental pour ce qui se passait habituellement dans le pays pouvait produire de tarés dégénérés préoccupé par la question, l’ignorance de ces gens ne pouvait être qu’une bénédiction. En général dans la gauche occidentale, on voulait en Israël des juifs qui tuent des arabes et rien d’autre. Une révolution antifasciste ne rentrait pas dans le logiciel.
« Super ta révolution, ils ne parlent même pas des Arabes. »
Bah oui, et peut-être font il bien d’éviter le sujet en vérité. Les Israéliens ne s’attireront jamais la sympathie et le soutien des Arabes avant d’avoir réussi leur révolution de toutes manière. Quant aux blancs tellement intéressés par le sujet « juif », souhaitait-on vraiment leur sympathie ?
De toute façon mon hypothèse de départ (encore un nouvel espoir qui venait s’accrocher à cette révolution mais qu’on appellera pudiquement hypothèse pour éviter de trop charger le chameau) l’hypothèse donc, était qu’on ne pouvait pas faire de révolution en Israël sans que LA question ne soit au cœur du sujet. D’autant plus centrale qu’elle n’est pas dite. Une révolution antifasciste ne s’imagine pas que le fascisme va se contenter de massacrer les Arabes et ensuite s’arrêter. Une révolution antifasciste a, en principe, bien comprit que les homosexuels, les femmes, les progressistes, les démocrates, les juifs, étaient les prochains sur la liste (et dans un pays juif ça veut dire tout le monde).
Par ailleurs, une révolution, si c’en est une, ça veut bien dire ce que ça veut dire. Ce n’est pas « revenons donc au Statu Quo d’avant où c’était les droits des Arabes qui mangeaient dans la tronche pendant que le fascisme établissait sa loi pour tous ». Le retour au « statu quo », même si certains étaient clairement séduits, était impossible.
Dans ce récit je ne parlerai pas des Palestiniens. Ni de Palestine. Je dirais juste P. P comme paix, comme Palestine, comme Palestinien, comme Pays. J’écris ces mots ici car ils doivent être écrits. La Palestine existe et les Palestiniens aussi. Mais le tabou qui entoure cette question est ici bien réel et il faut en rendre compte, même si tout le monde en parle (et ils disent « les Arabes. ») Par ailleurs, par respect, et par dégout pour le petit blanc qui va faire son tour guidé touristique en Palestine, je n’ai pas posé un pied ni à Jérusalem-est, ni en Cisjordanie, ni à Gaza, les « territoires » qui s’appellent et qui s’appelleront un jour Palestine.
J’ai failli le faire dans un contexte particulier. Par ailleurs j’ai rencontré de nombreuses personnes qui m’ont dit d’y aller. J’ai choisi ici de ne pas le faire et de ne pas dire Palestine mais simplement P en signe de respect pour la paix, pour les Palestiniens et pour l’idéal que représente et qu’incarnera la Palestine.
Si quelqu’un a un autre avis, meilleur, et une autre marque de respect plus respectueuse à faire valoir qu’ils le fasse donc. Et si cette marque c’est le petit blanc qui va en Palestine 2 semaines voire la misère et les victimes et revient avec un avis sur les juifs, je rangerais son avis là où j’ai rangé l’exacte même avis des 856 avant lui qui sont venus m’en parler.
Ceci dit, ne pas dire le mot au long de ce récit a aussi quelque chose de l’ordre de l’effacement et de la dissimulation et c’est absolument injuste. Alors ici j’écris ces mots. Palestiniens et Palestine.