Perquisitions et répression islamophobe: de la terreur psychologique comme discipline olympique

in Chroniques de la violence brune/islamophobie by

Il y a quelques mois, comme désormais mon entourage est au courant de ma « radicalisation » supposée, un ami d’enfance m’a brusquement parlé d’une personne qui avait subi une perquisition en 2015. Il s’agissait d’un livreur Uber qui connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un fiché comme « islamiste ». Je n’ai pas demandé de détails car les perquisitions préventives et leurs motifs sont absurdes et inutiles à décrypter sauf pour les avocats éventuels . D’ailleurs cet homme, musulman, faut-il le préciser, a été relâché après 48 heures de garde à vue. Mais aussi après qu’on eut fracassé sa porte à six heures du matin, qu’on l’ait braqué en hurlant, et qu’on lui ait mis une lumière « bleue « dans les yeux. Mon ami pensait que c’était plutôt une lumière rouge de viseur, mais nous avons conclu que cette hypothèse était peut-être liée au fait que nous avions vu beaucoup de films américains. Ce sujet de la couleur de la lumière, de l’altération de la perception des choses dans les moments de crise est revenu plusieurs fois dans les discussions sur cette histoire : je crois que cela permettait de meubler les silences et la gêne entre nous, qui nous connaissions depuis le collège, et qui ne parlions jamais de politique ensemble. Et brusquement les présumés « terroristes », ce truc de la télé de nos enfances, c’était presque nous, des amis à nous.
La personne perquisitionnée n’a pas pu sortir de chez elle pendant des semaines après cela, même pas pour acheter du pain et ce symptôme se répète depuis.

Depuis 2015.

Elle a perdu son emploi, sa compagne, son logement originel. Elle n’a pas vu de psychologue, n’a pas tenté d’obtenir réparation, n’a pas redémarré le moindre projet, n’a pas pris contact avec une association communautaire ou autre. Elle ne veut pas parler de ça, a refusé de me rencontrer. De l’extérieur, c’est simplement un Rsaste musulman, et je me demande comment il va faire pour aller faire quinze heures de travail gratuit et obligatoire, désormais imposé par les macronistes. Je pense très sincèrement qu’il ne le fera pas, et qu’il finira SDF et que personne ne saura plus jamais pourquoi.

Actuellement, une nouvelle vague de perquisitions et d’assignations à résidence préventives a lieu (1). Depuis un mois et demi. Je la vis de manière différente car je connais quelques personnes concernées ou éventuellement concernées dont une avec qui je suis en contact quotidien. Evidemment, ce que je vis est anodin à côté de ce qu’il vit lui, néanmoins cela a impacté mon état psychologique et physique.
Les symptômes précis n’ont aucune aucune importance en soi, ni aucune originalité globale. Sur une militante de base  moyennement  performante en temps normal, la seule chose à noter, c’est que cela invalide partiellement  ma capacité à militer, à hauteur de 70 pour cent environ, depuis plusieurs semaines. Cela fait évidemment partie des objectifs de masse d’une telle opération.

Il s’agit seulement de la manifestation individuelle  de la destruction psychologique massive que personne n’évaluera. Combien d’hommes, de femmes, d’adolescents et d’enfants musulmans vont être impactés par cette nouvelle offensive, en plus des personnes directement visées par les mesures iniques et antidémocratiques du gouvernement ?
Réponse : on ne pourra jamais le savoir exactement, pour plusieurs raisons.

Un, les dispositifs de signalement et de délation institutionnelles génèrent des phénomènes de non-recours aux soins psychologiques. La plupart des gens qui ont des personnes ciblées comme « islamistes » dans leur entourage ne le crient pas sur les toits. Leur souffrance psychique fait partie des choses à dissimuler au travail, dans la vie quotidienne, et aussi par exemple aux enfants de notre entourage, qui évidemment seraient en danger s’ils parlaient de la situation en milieu scolaire. Dans ces conditions, l’idée d’aller voir un professionnel de santé paraît absurde, d’autant que les “professionnels” ne sont pas neutres  (2), et qu’il est difficile de savoir quelle sera la réaction face à un ” Je fais des cauchemars parce que j’ai peur que mon entourage islamiste se fasse éclater sa porte à six heures du matin”. On peut imaginer qu’elle ne sera pas  forcément safe et dans le care, c’est certain, tout le monde n’a pas la chance de faire des cauchemars féministes psychologiquement corrects  . Et au fond la question de l’utilité de ce recours à des soins se pose, car l’état de détresse psychologique généré par l’islamophobie d’état n’est pas une pathologie ex nihilo, et l’islamophobie d’état ne s’arrêtant jamais, quelle guérison espérer de toute façon ?

Deux, pour être reconnu comme victime, il ne faut pas être vu socialement comme un bourreau ou un complice des bourreaux . Or, en France, même à gauche, on a beaucoup de mal à dépasser l’autosatisfaction prétendument humaniste consistant à reconnaître uniquement les formes les plus violentes de l’islamophobie, par exemple des agressions physiques commises de préférence par l’extrême droite, et de préférence également contre des musulmans certifiés totalement innocents selon les critères de gauche .

Ce ne sont évidemment pas des critères objectifs: par exemple, si l’on s’intéresse au sujet de la violence politique, celle-ci peut être parfaitement acceptée pour certains mouvements internationaux comme les mouvements kurdes, déclarés “résistants” d’emblée  , jamais pour d’autres, pour lesquels il n’y a pas la moindre empathie. A gauche la défense des  prisonniers politiques notamment contre les QHS et la torture blanche de l’isolement est une tradition existante, même si contestée et débattue.

Mais lorsque l’état désigne des personnes comme « islamistes » , « radicalisées » et qu’il sort pour ce faire des fichiers qu’il a lui-même arbitrairement remplis, lorsque le mot « terrorisme « est prononcé, même sans aucun recours à l’accusation d’actes concrets éventuellement commis,  la qualité de victime potentielle disparaît même pour des agressions étatiques extrêmement violentes. Par conséquent, bien que 99 pour cent des personnes perquisitionnées en 2015 n’aient fait l’objet d’aucune poursuite, non seulement ce scandale n’a pas généré l’indignation massive qui a eu lieu pour une répression beaucoup moins forte contre les écologistes, mais surtout, la suite, la vie Après n’a jamais été un sujet. Et l’oubli semble aussi la seule chance d’une partie des personnes concernées et de leurs proches : continuer à vivre, à être considéré comme à peu près « normal » espérer un arrêt de la surveillance étatique.

D’ailleurs de cela aussi on ne parle pas. Que génère la surveillance massive, ou simplement la menace de surveillance massive des « fichés islamistes « et de leur entourage ?

C’est un aspect intéressant psychologiquement, pourtant. Ayant longtemps été d’extrême-gauche, j’ai eu toute ma vie cette culture du jeu à se faire peur et à essayer ainsi de se sentir très important et rebelle et donc objet de l’attention des Renseignements Généraux et de la police de la pensée parce qu’on a critiqué le gouvernement sur les réseaux ou qu’on a fait deux pauvres manifs interdites ( je ne parle pas ici des camarades réellement surveillés (3) mais des militants de base peu importants comme je l’ai été la majeure partie de ma vie, membres d’une masse de dizaines de milliers de personnes ). C’était juste un moyen de compenser la non-reconnaissance sociale que ressentent tous les activistes de base à gauche. On se persuade qu’au moins la police s’intéresse à nous individuellement. Pas trop, le plus souvent.

La vie des musulmans décrétés islamistes et de leur entourage est différente. On ne sait pas. Enfin on sait que les messages qu’on envoie à telle personne fichée S ou membre d’une organisation ciblée sont lus. Ce qui amène à se torturer le cerveau des jours entiers pour savoir si on ne l’a pas mise en danger pour un message anodin qui pourrait cependant être interprété différemment.
Mais on ne sait rien de plus. En tout cas avant la répression. On vit juste avec cette idée que possiblement tous nos échanges privés sont lus, que toute notre vie est disséquée. On sait qu’on est soi même fiché S à la drôle de tête d’employés de banque ou des services publics ou quand on veut envoyer un mandat à son cousin afghan en Allemagne pour son anniversaire et que finalement lui-même ne pourra jamais toucher l’argent (4). On sait évidemment que tout ce qui est dit sur les réseaux sociaux est susceptible de servir pour plus tard. Lorsqu’on est militant, tout ceci se vit bon an mal an car on a des raisonnements politiques accessibles pour rationnaliser.
Mais pour les autres ? Pour ces milliers de gens perquisitionnés au fil des années, et pour leur entourage, quel impact psychologique de cette surveillance massive proclamée haut et fort par les ministères de l’intérieur ? Quelle vie psychique, quelles conséquences sur les interactions sociales et la manière de les mener ?

On ne sait pas. Sans doute y a-t-il eu quelques publications scientifiques peu accessibles à ce « on » qui est la masse des personnes concernées. A vrai dire nous sommes seuls, c’est cela le principal sentiment particulièrement destructeur. Contrairement au discours étatique la fameuse « association de malfaiteurs » ou la “frérosphère”  globale n’existe pas. La répression épuise, suscite les conflits, l’éloignement. Dans la société actuelle, où la popularité sur les réseaux sociaux est devenue l’enjeu central de la plupart des représentations de soi, l’écrasement est d’autant plus fort pour celles et ceux dont les récits ne susciteront pas de réaction.
Nous qui sommes juste des « proches » sans pouvoir, nous sommes inutiles aux nôtres et nous devenons des fardeaux pour l’entourage autre. Cela aussi, c’est un non-dit. Tout le discours sur les « mouvances islamistes » concourt à l’idée d’écosystèmes fermés et florissants. En fait, nous sommes souvent aussi, avant cela, proches de beaucoup d’autres gens. Il y ceux à qui on ne peut pas parler sinon ils vont être horrifiés, et l’impression d’être réellement coupable de quelque chose à force de le taire.

En monde militant de gauche, c’est différent : la lutte contre l’islamophobie a son prestige, des militants français veulent bien en tirer avantage et sont très heureux de rencontrer et de travailler avec des frères et des sœurs connues, si ça amène des bénéfices pour leur propre militantisme. Mais si on n’est juste personne, et qu’on n’a rien à apporter que nous-mêmes, on se retrouve très vite simplement en trop avec notre histoire, et notre état psychologique dégradé

De même on ne sait pas vraiment ce que génère psychologiquement le temps suspendu de ces phases islamophobes violentes. Par temps suspendu, il faut entendre l’arrêt brutal de l’horloge interne qui règle notre quotidien et du calendrier « normal ». A partir du moment où l’offensive a été lancée, le temps se raccourcit et se dilate en même temps.

Il se raccourcit sur des cycles éternels de 24 h où peut survenir le pire, l’arrestation d’un proche. Il se raccourcit car les annonces de perquisitions chez des inconnus rythment les journées sur les réseaux sociaux. A chaque rappel de la période qui est vécue, c’est un choc interne et les espaces entre les chocs semblent se réduire, ramenant la sensation d’écoulement du temps à un jour sans fin. Le temps se dilate en même temps car le futur réel est inaccessible. Le futur simple, dirons nous, les vacances, tel évènement personnel et familial prévu de longue date, la rentrée, les projets politiques ou autres sont en partie plongés dans un brouillard dense, après le Mur. Actuellement le ministère de l’Intérieur a décidé que ce Mur couvrait la période des JO, mais le simple fait de croire ça fait se sentir stupide.
De fait, on a beaucoup de mal à se remémorer l’ « avant » cette période. Je me souviens du moment matinal où j’ai lu la dépêche résumant le discours de Darmanin annonçant les perquisitions, un matin où j’avais beaucoup de projets jusqu’à fin août en cours : des déplacements politiques, des week end avec des amis de passage à Paris, des textes à finir. Et puis plus rien, sauf la sensation physique d’un morceau de glace sur la nuque. Ce moment me semble être arrivé dans un passé lointain et inquantifiable. De fait cela pourrait bien continuer toujours. De fait on pourrait bien avoir peur pour les siens toute la vie et ne jamais sortir de la nasse mentale

Que peuvent générer des pensées aussi morbides sur des personnes en difficultés autres, en précarité sociale par exemple ? Que se passe-t-il quand les états dépressifs deviennent tels qu’on ne peut pas aller au travail ni prendre d’arrêt maladie, car le contrat de travail est trop précaire ? Que se passe-t-il quand de surcroit, pendant plusieurs semaines, le fascisme est aux portes du pouvoir et qu’en supplément AUCUN parti politique même de gauche n’a promis la fin de cette vague de répression ?
Ces questions sont rhétoriques. Les effondrements de la personnalité sont inévitables, dans des proportions évidemment inconnues. On peut juste être certains qu’ils se produisent, car on les vit soi-même sans savoir à quoi ils vont aboutir dans quelques temps. Et certains aussi que cela ne posera pas question, même pour des personnes qui ne se vivent pas comme islamophobes, car la présomption de culpabilité prévaut dans tous les esprits dès lors que le « terrorisme » est évoqué.

Ce constat chez les personnes concernées peut créer un sentiment de résignation, de repli et de séparatisme effectif. Le séparatisme défini comme la volonté de ne plus être en contact avec un environnement brutal est un mécanisme rationnel d’autodéfense.

Comme l’est la dissimulation de sa situation, ou au contraire l’affirmation plus ostensible de son appartenance religieuse, seul moyen de retrouver une certaine assurance et de contrer la honte de soi. De même ces périodes entrainent forcément des changements de comportement et d’habitudes visibles qui vont perdurer …et qui sont très exactement dans l’imaginaire public, la marque de la « radicalisation ».

En dehors de sphères assez restreintes, l’on peut raisonnablement avancer l’hypothèse qu’il est impossible de contrer ce regard sur nous. Pour ma part, j’en ai parlé avec quelques frères et sœurs convertis récemment, précaires et isolés, donc les plus susceptibles de voir de manière « neuve » leur situation. Le constat a toujours été le même. Une hostilité dite ou une hostilité non dite qui prend au mieux la forme de l’indifférence affichée, l’injonction à redevenir la personne d’avant, non musulmane. Contrairement à l’imaginaire, absolument pas de repli communautaire, bien au contraire, un repli tout court. Une sœur m’a dit « En ce moment, je suis bien quand je dors ». Une jeune femme de 30 ans. Blanche, jolie, très vive et joyeuse selon ses dires, avant la période ouverte en octobre, alors qu’elle s’était convertie quelques mois avant, au terme d’un parcours spirituel heureux n’ayant rien à voir avec la politique, au demeurant. Notre rencontre n’avait rien à voir avec la politique non plus, j’étais au supermarché, elle a fait tomber une bouteille de jus de fruit à terre et elle pleurait, je lui ai dit que je faisais aussi tout tomber en ce moment, ensuite on a parlé . De manière significative, ensuite nous n’avons même pas échangé nos numéros de téléphone.

Alors comment en sortir ? Sans doute en comprenant que le phénomène de radicalisation ne nous touche pas, nous, mais une grande part de la société environnante, et avec des signaux extrêmement forts. Ce que nous percevons comme la normalité des non-musulmans opposée à notre délabrement psychologique est en réalité pathologique politiquement et provoqué par l’hégémonie islamophobe absolue qui règne dans ce pays.
Ce qui nous arrive est monstrueux, injuste et toutes celles et ceux qui nous le font vivre ou le tolèrent ont une grave responsabilité morale et politique. C’est très important de se le répéter et de se le répéter encore

Bien avant cette vague de perquisitions, depuis le 7 octobre, j’ai croisé dans les manifs Palestine et sur les réseaux, des personnes seules, comme moi. Ressentant une intense détresse en dehors des moments de mobilisation. Se sentant parfaitement nulles et inutiles pour la communauté, impuissantes face à un génocide  tout en subissant un rejet intense du reste de leur environnement. Passant leurs nuits sur les réseaux pour se sentir appartenir à une communauté et affrontant leur entourage non musulman et surtout non concerné par toutes ces histoires politiques islamistes la journée. Ce qui m’a marquée, c’est le sentiment d’être des ratés et des ratées partagées dans des proportions quantitatives que je n’aurais pas imaginées, mais accompagné du sentiment d’être le ou la seule à être aussi minable.

Jeune, j’ai eu la chance de connaître le mouvement des chômeurs et précaires de l’hiver 97/98. Un moment où les rebuts de la société et même du monde militant de gauche, des jeunes désocialisés, des SDF, des chômeurs très longue durée se sont rassemblés et ont brusquement pris conscience d’eux même , de leur force et de leur Beauté.

En quelques semaines, toutes les nasses mentales de haine de soi ont volé en éclats malgré la domination de classe très présente, même dans les mondes militants, et surtout à gauche où le mépris se dissimule sous un faux égalitarisme.
A l’époque, j’ai eu la chance de voir des personnes se transformer et prendre conscience d’elles même, en se parlant de manière horizontale et massive.

Cela peut sembler totalement absurde et hors de propos d’évoquer cela à propos de l’”islamisme”. Ce concept cependant est une arme de destruction psychologique massive en soi. Les vagues de répression soi-disant anti-terroriste touchent indirectement des milliers et des milliers et des milliers de musulmans et de musulmanes, et pas seulement les activistes. Pour diverses raisons, nous sommes des milliers et des milliers à vivre une situation similaire à celle de mon ami que j’évoquais au début de ce texte : nous sommes des amis d’islamistes présumés et persécutés, et nous le taisons. Et en même temps, nous sommes restés nous-mêmes, en l’occurrence des gens n’ayant pas spécialement réussi dans la vie non musulmane et pas des musulmans en vue dans notre communauté. Dans notre for intérieur, tout le discours islamophobe sur la puissance islamiste crée une réalité psychologique finalement très comique dans cette période intense de persécution.

Nous voudrions bien devenir magiquement ce que décrivent les islamophobes, des islamistes. Cet imbécile de Darmanin et ses amies  nous font rêver avec les portraits qu’il croient cauchemardesques On voudrait tellement être des vrais Séparatistes, au lieu de nous sentir juste nuls comme d’habitude.

Pourtant nous n’avons pas besoin d’être plaints, nous sommes nombreux.
En réalité, ce que décrit le Pouvoir existe. Nous sommes la masse qui ne pense qu’à arrêter un génocide islamophobe depuis octobre. Si le pouvoir réprime quelques centaines d’entre nous, c’est qu’il craint les centaines de milliers d’autres, qui dans leur petite vie de monsieur et madame Personne, font tout à leur modeste mesure, par petits grains de sable pour enrayer la machine génocidaire, qui ne fonctionne pas seulement avec des armes, mais aussi et surtout grâce à l’assentiment même passif . Le propre de la répression féroce et de la désapprobation sociale permanente est qu’elles créent un sentiment d’impuissance, de vulnérabilité et de faiblesse absolue, car nous la vivons de l’intérieur . La maltraitance infantile crée par exemple le même phénomène, tous les professionnels de l’enfance le savent: un enfant maltraité ne peut voir l’immense capacité de résistance dont il fait preuve sur le long terme, il ne voit que sa nullité, sa méchanceté supposée et son incapacité à susciter la moindre empathie autour de lui. Les mécanismes d’oppression de masse fonctionnent de la même manière: chaque personne qui lutte depuis des mois contre le génocide a affronté les manifestations interdites, la fatigue de la lutte, la stigmatisation sociale massive, l’islamophobie d’état, l’islamophobie ambiante dans la société française Ce n’est pas rien, c’est même immense, collectivement et nous avons tous contribué.

En réalité nous sommes l’Islamisme, le vrai, même si ce mot est celui du pouvoir et que nous sommes justes musulmans .  L’islamisme est le nom que le pouvoir donne à une Force réelle, celle de toutes les petites Ames, détruites à moitié par cette période terrible mais pas totalement. Toutes ces petites Ames effroyablement arrogantes au fond, ayant décidé que nous pouvions intervenir dans le cours de l’Histoire pour faire le bien. Ne trouvera grandiloquente cette conclusion que celui qui ne croit plus en Rien, sauf à des sons et Lumières  pathétiques où le Pouvoir fait tout le bruit possible pour cacher qu’il n’a rien à proposer que le Vide, en plus d’un génocide.

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( 1) Pour des données chiffrées et organisées sur cette vague de perquisitions et d’assignations à résidence  on lira le travail de CAGE International , en bref d’abord pour comprendre de quoi on parle et le rapport précis sur la période JO ensuite.  Mettre une  source musulmane= uniquement est volontaire, car à l’heure actuelle, les chercheurs, journalistes ou activistes des droits humains musulmans sont justement criminalisés pour ces activités , et les disqualifier comme “communautaires” et donc “non objectifs” fait notamment  partie du dispositif islamophobe de gauche, elles ne sont pas moins objectives que Libération ou Mediapart et de plus grande qualité, sauf quand ces médias mainstream pillent des sources musulmanes sans les citer.

(2) On notera que Loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement prévoit la mise à disposition de l’ensemble des dossiers médicaux des personnes décrétées radicalisées qui sont hospitalisées sans leur consentement , pour le préfet de leur département mais également pour l’ensemble des préfets et les services de renseignement. Dans ce cadre, l’on peut évidemment imaginer facilement que la paranoïa pour laquelle des gens vont être “soignés” de force puisse s’auto-alimenter et que le processus de soins soit légèrement compromis.

(3) A ce sujet, on notera que les dispositifs islamophobes , surveillance préventive, dissolutions, perquisitions administratives banalisés peu à peu pour les musulmans sont évidemment aujourd’hui utilisés de manière massive contre l’extrême-gauche et l’ensemble des mouvements d’opposition au régime, dans des proportions assez inédites depuis des décennies. La vie d’une ou d’une jeune gauchiste ou antifasciste conséquent n’a rien à voir avec celle de son équivalent dans les années 90 ou 2000. A cette époque, l’islamophobie d’état était déjà en plein développement, mais semblait un monde séparé et lointain. La comparaison entre la situation actuelle et les années de plomb italiennes est objectivement justifiée, mais ce n’est pas une attaque initiale contre la gauche radicale ou des mouvements de classe qui a généré l’état d’exception en pleine extension, mais la dite politique mondiale de la guerre contre le terrorisme lancée dans les années 2000

(4 ) La déshumanisation islamophobe crée un imaginaire étrange, où “islamiste” est une essence absolue, une créature démoniaque et quasiment surnaturelle qui n’a pas besoin de manger,  ne vit ni la crise des loyers dans les grandes villes , ni la diminution de son pouvoir d’achat, ou la réforme des retraites. L’état français naturellement n’a pas ce genre de superstitions et une des mesures les plus répandues accompagnant les perquisitions ou utilisée en soi est le blocage immédiat des comptes bancaires personnels, pour “vérification” . Des années de ce genre de mesures mais aussi de “formations à la laïcité et contre la radicalisation ” aimablement proposées aux banques ont amené à des refus d’ouverture de compte  par exemple pour des librairies musulmanes , pour des activistes ou des établissements musulmans. C’est un sujet dont il est peu question, tant le complotisme islamophobe généralisé valide l’idée selon laquelle l’argent étranger coule à flots chez l’Ennemi Intérieur.

 

PrecairE, antiracistE