Au vu de l’ambiance du moment, et des effets extraordinaires des titres un peu provocants, nous aurions tort de nous en priver pour introduire ce communiqué de solidarité avec le festival “Sortir de l’hétérosexualité” auquel participe notamment l’une de nos membres.
De quoi s’agit-il exactement ? D’un évènement féministe tout à fait banal, d’un point de vue théorique. Est il besoin de préciser que personne n’obligera quiconque a quitter son mec et manger ses enfants ? Aux dernières nouvelles, les thérapies de conversion, ce sont des hétérosexuels qui les imposent a des homosexuel.les, pas l’inverse, mais cela ne provoque pas les mêmes réactions outrées et haineuses de celles et ceux qui s’attaquent à ce festival dans des termes inacceptables.
Il s’agit de faire une critique qui est loin d’être nouvelle : le couple hétérosexuel est un espace d’exploitation de la force de travail des femmes, force de travail invisible comme telle car non rémunérée – ce que l’on appelle en langage plus policé l “inégale répartition des tâches ménagères”, ou encore le “devoir conjugal”. Qu’il y ait ou non de l’amour, pour son mec ou ses enfants, n’invalide pas cette analyse. Le modèle hétérosexuel, c’est à dire celui qui dévalorise des formes d’activités humaines essentialisées comme féminines est loin d’avoir des effets uniquement dans la sphère privée. Si les métiers dits du “care” par exemple sont encore en grande majorité occupés par des femmes, s’ils sont sous-payés, précaires, dévalorisés, ce n’est pas un hasard. Si encore aujourd’hui, l’idée selon laquelle il ne faut pas de compétences particulières pour bosser dans une crèche, dans les écoles maternelles ou élémentaires ou avec les personnes âgées, ou dans le nettoyage et que “tout le monde peut le faire”, est encore très vivace, c’est évidemment aussi à cause de la force du modèle familial patriarcal.
Au niveau sociétal, qui peut nier que les femmes sans enfants sont sans cesse interrogées et remises en cause dans leurs choix ? Qui peut nier aussi que des dispositifs parfaitement légaux reproduisent sans fin le modèle heterosexuel ? En France, les possibilités d’accès aux minima sociaux, par exemple, sont conditionnées à un calcul des ressources par “foyer”. Evidemment cela concerne -aussi- des hommes, mais factuellement, les femmes étant plus exposées à la précarité, au temps partiel, ce sont elles qui sont le plus souvent privées de tout revenu autonome lorsque leur compagnon a des revenus.
A partir de cette critique le festival fait une proposition, non pas nécessairement celle de changer d’orientation sexuelle, encore moins de forcer quiconque a le faire (encore une fois, ce sont les hétéros homophobes qui font ça) mais de réfléchir aux façons pour les femmes de gagner en autonomie à partir d’un constat lucide. Rien de neuf, ces analyses qui prétendent compléter l’analyse marxiste existent depuis des décennies, mais on fait semblant de découvrir tout ça à la faveur d’un article des Inrocks.
Naturellement, la critique, les divergences sont tout à fait légitimes. Il n’y a pas un féminisme, mais des féministEs. Traversées par des contradictions et des divergences. Ce festival s’inscrit dans certaines perspectives antiracistes qui ne sont pas celles de toutes les antiracistEs. De la même manière, nous ne sommes pas toutEs convaincuEs par les lesbianismes politiques… Ni même par la définition proposée de l’hétérosexualité.
Mais au fait quand serons nous tranquillEs pour en débattre entre nous, sans être violemment attaquées,non seulement par l’extrême-droite, dont après tout, c’est la raison d’être mais par des courants qui se prétendent progressistes ?
En effet, il est dans l’ordre des choses que les fascistes et les réactionnaires se déchaînent sur cet évènement, fassent mine d’y voir une horrible menace et de présenter les féministEs comme des castratrices toutes puissantEs. Dans quelques jours, les hordes de ceux qui veulent réellement imposer un mode de vie normatif et liberticide vont défiler dans les rues contre la PMA et multiplier les appels à la haine homophobes et sexistes. Rappelons-le, les hétéros ne se font pas tabasser dans les rues suite aux manifs féministes. Les agressions homophobes, elles, ont lourdement augmenté pendant et après les mobilisations contre le mariage pour tous. La pratique du retournement victimaire est la stratégie habituelle de l’extrême-droite et nous n’avons aucune raison d’être étonnées de l’article de Valeurs Actuelles qui, il y a quelques mois, titrait sur la “terreur féministe”. Nous faisons face, tous les jours aux offensives fascistes.
Mais depuis quelques années maintenant, nous devons également supporter de voir ce cirque hypocrite reproduit par des courants qui se prétendent progressistes et même “féministes” comme le Printemps Républicain.
Par un étrange hasard, renouvelé pour la 300 000 millième fois, les murs des dirigeants de ce mouvement et de leurs militantEs se sont mobilisés en même temps que ceux de Valeurs Actuelles ou de Fdesouche ou d’Egalité et Réconciliation contre ce festival. Parmi dix mille évènements politiques en France qu’il aurait été loisible de commenter dans le cadre d’une défense de la laïcité et des Lumières, Laurent Bouvet, notable universitaire, Gilles Clavreul ancien préfet à la lutte contre les discriminations ont choisi comme les pires réactionnaires et fascistes de monter au créneau contre un évènement féministe.
Et pas dans n’importe quels termes. Totalitarisme, carrément, de la part de Laurent Bouvet. A propos d’un festival de débats et de performances artistiques dans un espace culturel, évènement auquel nul n’est tenu de participer. Evènement qui ne menace personne, porté par des militantEs qui n’appellent pas à violenter les hétéros où à leur interdire l’accès aux droits, à les opprimer et interdire leur parole en leur envoyant des meutes harceleuse, ce que font bien des mouvements et des individus auxquels des personnalités comme Laurent Bouvet ont apporté leur soutien à commencer par Marsault, condamné pour harcèlement en ligne. Evidemment, avec une accroche pareille, en commentaires, l’on se déchaîne, certains vont jusqu’à dire que les soraliens sont moins antipathiques, pendant que la plupart psychiatrisent le débat : “hystériques”, “folles à interner” sont les injures les plus utilisées (1).
Notre objectif en dénonçant ces pratiques et ces collusions permanentes avec l’agenda de l’extrême-droite, n’est pas d’être plaintEs. Nous sommes nombreusEs, nous savons nous défendre et débattre et confronter, ce n’est pas le souci et la horde de gros machos aux comportements de collégiens obsessionnels ne va pas nous empêcher de faire ce festival. La question est ailleurs.
Ces mouvances, ces petits groupes ne sont plus et depuis longtemps dans l’espace du débat progressiste, ils s’en excluent eux-même en permanence, passant la majorité de leur temps à calomnier et à attaquer féminismes et antiracistes qui les dérangent. Il ya bien longtemps qu’ils ne se cantonnent d’ailleurs plus à s’en prendre à certaines sphères jugées trop radicales à leur gout. Rien que ces derniers jours, des membres du Printemps Républicain se sont notamment livrés à une campagne hallucinée visant à désigner Alain Policar, chercheur sur la laïcité et les libéralismes politiques comme un complice des intégristes religieux. Dans le même temps, d’autres ont accusé notre camarade Marie Gloris Bardiaux Vaiente, militante et autrice féministe en lutte contre la peine de mort d’être favorable à l’excision parce qu’elle avait osé dans un débat, exprimer une conception différente de la laïcité.
Cette pollution des débats dégrade l’ensemble du champ progressiste. Femmes en lutte, quelles que soient nos positions et nos divergences, nous n’avons pas besoin de ces ordureries supplémentaires dans un moment où la haine d’extrême-droite grandit à notre égard, où l’ambiance anti-féministe survoltée et encouragée conduit de jeunes hommes les “Incels” à envisager le meurtre de féministes, et à le pratiquer dans certains pays comme les Etats Unis.
Nous avons le droit, dans notre propre camp à la liberté de poser nos thématiques de combat féministe, nous n’obligeons personne à les partager. Nous avons le droit également de nous réunir exclusivement entre femmes si nous le souhaitons, et les ouin ouin d’hommes qui ne veulent assister qu’aux évènements non mixtes et sont infoutus de venir aux autres nous sont indifférents.
Que les mâles fragiles du Printemps républicain et consorts se rassurent, nous n’avons aucunement l’intention de les faire sortir de l’hétérosexualité. Bien au contraire, nous les invitons fermement à s’occuper de leurs précieuses couilles, d’aller voir si elles sont plus grosses que celles d’Eric Zemmour et d’arrêter de nous les briser.
(1) Ci-dessous, à titre d’illustration, quelques captures d’écran des commentaires laissés sur les murs de Laurent Bouvet et de Gilles Clavreul.