Depuis quelques jours, j’ai décidé que le pôle nord serait à 50.034°N, 19.180°E. Je crois que nous sommes plusieurs à avoir observé ce changement dans nos boussoles intérieures parmi ceux du voyage vers la Pologne.
Il y avait pour ce voyage 36 élèves volontaires qui ont consacré quelques jours de leurs vacances à nous emmener, mes deux collègues et moi, jusqu’à Auschwitz et Birkenau. Oui, ce sont bien les jeunes qui nous ont emmenés et non le contraire. Oh, bien sûr, un de mes collègues s’était chargé de l’organisation, des coups de téléphone, des réservations, des réunions de préparation, des assurances, des autorisations, du calcul et de la gestion du budget… mais ce sont ces jeunes de 17 ou 18 ans qui nous ont emmenés et qui ont donné du sens à ce qui n’en avait pas.
Car Auschwitz n’a pas de sens. Il n’y a d’ailleurs pas de place décente pour les mots, la théorie, le rationnel et les explications en sortant d’un tel voyage. On ne commente pas Auschwitz. On ne raconte pas sa visite entre la poire et le fromage. En dehors des témoignages précieux de ceux qui y ont vécu l’horreur et qui humanisent l’Histoire, en dehors du savoir historique et des recherches d’experts qui attestent de l’horreur, il me semble indécent d’en parler. Même pour contrer le négationnisme. D’ailleurs, le négationnisme ne se raisonne pas puisqu’il est un choix politique et idéologique et non un aveuglement de l’ignorance. D’ailleurs, le négationnisme ne se discute pas puisqu’il ne s’agit pas d’une opinion. Auschwitz n’a pas de sens, donc. Mais si Auschwitz n’a pas de sens, visiter Auschwitz en a un. Surtout avec des jeunes à qui il appartient encore de tracer les chemins de l’avenir.
Et ce sont justement sur ces chemins d’un monde déboussolé que nous avons plus que jamais besoin de sherpas «reboussolés», c’est-à-dire de personnes qui ont intimement intégré le curseur des droits fondamentaux de l’être humain comme repère absolu de nos actions individuelles et collectives. Or, comment sortir d’une telle visite sans être frappé par l’évidence que toute action de nature à épargner ne serait-ce qu’une seule journée de l’enfer d’Auschwitz-Birkenau à une seule personne est amplement justifiée ? Face à cette évidence qui ne peut éclore qu’au fond du cœur et de l’esprit d’une personne qui a fait de ce voyage un voyage intérieur, aucune considération géopolitique, rationnalisante, relativiste ou de l’ordre du « réalisme » politique ne peut tenir. Et cette évidence a évidemment pour vocation d’appliquer ses conclusions à tous les lieux où se vivent l’horreur de la déshumanisation et de la brutalité. La voilà notre boussole ; elle ne nous guide pas à coup de « et si… », ni de « qui est légitime pour agir ? », ni de « quelle est l’alternative ? », ni de « vos motifs sont-ils purs ? » ; elle rappelle seulement qu’on ne raisonne pas face à l’horreur. On la combat.