“L’objectif est toujours de réconcilier et unir, on ne le fera pas en un jour, pas par l’inaction, pas en cédant à la tyrannie de minorités qui se sont habituées à ce que l’on leur cède”.
Emmanuel Macron 15 avril 2018.
Et c’est ainsi que le Président utilisa, contre les luttes sociales, le concept de ” tyrannie des minorités”, popularisé par tous les racistes et tous les antisémites.
Le glissement idéologique, s’il n’est pas original, est significatif. Lors de la campagne des primaires de la droite et du centre, Nicolas Sarkozy, lancé dans une tentative frénétique de recherche des voix de l’extrême-droite l’avait également utilisée, en affirmant que ” la République reculait chaque jour davantage devant la tyrannie des minorités”. Lesquelles selon lui, étaient constituées en vrac par “les lycéens”, les “casseurs”, les “zadistes” et les “islamistes radicaux”.
Le concept fait partie de ces attrape-fascistes utilisés par les hommes politiques en mal de soutien. La “tyrannie des minorités” comme narratif de propagande initialement développé par les idéologues d’extrême-droite sert depuis des années à renverser le réel. Toutes les victimes de discriminations qui osent les dénoncer et les combattre sont confrontés à ce discours qui inverse les rapports de domination. Dans le fantasme idéologique de la tyrannie des minorités, les manifestations d’auto-défense des victimes sont le symptôme visible de l’oppression, du pouvoir qui s’exercerait contre la majorité sous prétexte de défense de l’égalité.
Le concept va de pair avec une réécriture de l’histoire, et le fantasme nationaliste d’une société qui aurait été unie, paisible, et totalement dénuée de rapports sociaux conflictuels, avant que ne surgissent les ennemis intérieurs. Nicolas Sarkozy, dans son discours de 2016 évoquait la “disparition de la communauté nationale” là où Emmanuel Macron prétend “réconcilier ” et “unir”, en rompant avec le laissez-faire qui a amené les “minorités” à s’habituer à ce qu’on leur cède.
Initialement, le concept de “tyrannie des minorités” est essentiellement développé comme une offensive contre tous les antiracismes, et popularisée largement par tous les mouvements islamophobes. Mais elle sera recyclée lors des mobilisations réactionnaires contre le mariage pour tous: une mesure qui tend simplement vers l’égalité sera présentée comme la destruction d’un monde fantasmé où la famille “traditionnelle” était le modèle sociétal unique.
Plus récemment, elle a fait partie des éléments de langage de ceux qui se sont sentis touchés dans leurs privilèges par le mouvement #metoo: la “minorité” agressive, cette fois, c’était les femmes, venues remettre en cause le règne de l’amour courtois et des chevaliers grivois mais glamour qui durait depuis le glorieux Moyen Age.
L’expression est aussi commune chez Soral que chez Valeurs Actuelles ou Causeur ou qu’au Printemps Républicain
Elle est devenue une habitude de pensée, une banalité de comptoir. Quiconque se sent un peu menacé dans ses habitudes oppressives la brandira à un moment ou à un autre. Toujours accompagnée de la posture de pacificateur, qui voudrait bien “réconcilier” tout le monde mais ne le peut pas à cause de l’agressivité de “communautés ” qui veulent soumettre la majorité.
En la reprenant, Emmanuel Macron attise un feu qui, pourtant ne l’épargne pas, celui de l’antisémitisme, qui ne manque jamais de le rattraper par le biais des attaques qui le présentent comme le “suppôt des Rothschild”. En effet, la “minorité” originelle du discours raciste européen, celle qui fait mine d’être faible et oppressée pour mieux dominer, ce sont les Juifs. On trouve d’ailleurs un des condensés les plus limpides du concept et de son narratif dans l’ouvrage “Dialogues désaccordés” (2013), où Soral expose ses thèses face à Eric Naulleau qui lui sert la soupe.
A l’heure où beaucoup opposent , même à gauche, les luttes sociales et sociétales, où se brandit très vite l’accusation de division et de mise en danger de l’unité de tous les exploités face à ceux qui pensent les dominations de manière croisée, la déclaration de Macron devrait faire réfléchir.
Ce qu’il vient d’utiliser contre les luttes sociales , c’est un concept forgé par les prétendus “anti-communautaristes” qui ont dévoyé l’universalisme pour en faire un alibi de tous les racismes et de tous les sexismes.
Malheureusement,la France Insoumise, principale force d’opposition visible, parce que présente au sein de la représentation nationale , répond aux références sordides du Président….par des références sordides qui relèvent exactement du même narratif et viennent de la même sphère idéologique.
Clémentine Autain, députée, prend ainsi la responsabilité de raviver une énième fois le narratif antisémite sur la tyrannie de LA Minorité en agitant le fantasme séculaire des Rothschild , hommes de l’ombre et de l’argent cachés derrière nos dirigeants.
L’irresponsabilité, la complaisance avec les idéologies racistes et les narratifs de propagande développés par l’extrême-droite sont une nouvelle fois partagés par le pouvoir et par ceux qui se présentent comme son opposition de gauche. Les récits sur les tyrannies des minorités font partie des composantes du cercle vicieux à briser d’urgence, celui qui condamne les progressistes à être pris en même temps et constamment dans le recyclage cynique et généralisé des théories fascistes et réactionnaires par celles et ceux qui, chacunE à leurs manières, prétendent pourtant les combattre.