Depuis 2017, le macronisme vit à crédit et tente de s’affirmer face à l’extrême droite, tantôt en contraste, tantôt en séduction. Macron a triomphé deux fois au second tour de l’élection présidentielle face à Le Pen, mais cela ne suffit pas à en faire un président progressiste, d’autant que Macron souhaite lui-même se débarrasser du « barrage au fascisme » qu’il a pu incarner aux yeux des électeurs, et réclame qu’on arrête de fustiger l’héritage de Pétain.
Dans l’esprit du macronisme, en revanche, c’est tout comme si “le progressisme” et “la raison” étaient synonymes de Présidence Macron. À ce titre, le roi décide de tout, organise un simulacre démocratique en son pays et se montre particulièrement violent avec ses oppositions, dans la rue ou aux assemblées. Résultat : le roi est seul. Son mouvement n’est pas implanté dans les territoires, il perd la plupart des élections et son principal problème s’appelle la démocratie.
C’est ainsi que pour s’imposer, le macronisme a besoin d’une propagande intensive faisant table rase du réel, loin de la simple communication, destinée à lui assurer la mainmise sur tout le champ de la Ve république. Et, comme l’a montré sa gestion de la pandémie de Covid-19, c’est à la gauche en premier lieu qu’il s’adresse quand il souhaite diviser la population entre personnes raisonnables et mauvais citoyens.
Retourner les valeurs de la gauche : une spécialité de l’extrême centre
Gendre idéal de la droite française, Emmanuel Macron a trompé son monde en se faisant passer pour un homme de centre gauche afin de se faire élire en 2017. Multipliant les déclarations visant à séduire l’électorat socialiste, il a menti de manière délibérée dès le départ, sur les retraites,sur son opposition à Poutine,sur le barrage à l’extrême droite, sur l’ensemble de son projet qui, loin de l’esprit de concorde, a été et est toujours une déclaration de guerre à tout ce qui ne souhaite pas entrer dans son entonnoir néo-capitaliste. Le passage de la réforme des retraites contre l’avis de deux tiers de la population et de 93 % des actif-ves en est le dernier exemple.
Comment Emmanuel Macron peut-il encore gouverner une société avec un tel niveau de défiance, défiance qu’il a lui-même provoqué ? Schématiquement, trois forces politiques issues des milieux socialement favorisés lui permettent de se maintenir au pouvoir : le grand patronat qu’il gâte, la bourgeoisie d’extrême droite et les conservateurs, ravis du glacis social entretenu par le macronisme, et une partie de ce qu’il convient d’appeler « gauche macroniste », convaincue par l’horizon d’un capitalisme raisonné.
Dans ces trois camps qui parfois se recoupent, Emmanuel Macron pioche ses alliés par défaut et au gré des circonstances. C’est ce qui lui a permis d’affirmer durant la campagne présidentielle que son mouvement rassemblait de la gauche écologiste non-décroissante à une partie de la droite bonapartiste. Et malheureusement, même si l’on trouve épisodiquement des critiques de la politique menée par le chef de l’État dans ce large spectre, il faut avouer que ce bloc bourgeois a beaucoup plus en partage qu’en différences. La sacro-sainte cause qui les relie tous, de la droite du Parti socialiste à Reconquête, c’est la défense de la Constitution de la Ve république, cette constitution qui a récemment permis tous les excès et abus d’autorité, mais sur laquelle chaque autoritaire rêverait de mettre la main . Des excès et abus d’autorités qui se sont encore terriblement accentués durant les deux ans de pandémie COVID, lors desquelles il fut possible au macronisme d’élargir encore ses pouvoirs et d’en faire une normalité qu’on retrouve aujourd’hui.
Du côté des contre-pouvoirs, rappelons l’action de Jean-Michel Blanquer qui, dans l’Education nationale, et ce dès 2018, a enrayé la démocratie scolaire en éjectant les syndicats des commissions paritaires et promulgué une loi entravant la liberté d’expression des personnels dans sa loi dite « pour l’école de la confiance ». On peut également évoquer le cas de l’Observatoire de la laïcité, organisme indépendant accusé de complaisance avec « l’islamisme » par les thuriféraires d’une « laïcité de combat » et supprimé en 2021, pour être remplacé par un « comité interministériel de la laïcité » mis sous tutelle du Ministère de l’intérieur.
Rappelons également que la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) a été placée elle aussi sous la coupe du Ministère de l’intérieur, plus précisément sous la coupe de Marlène Schiappa et du CIPDR du préfet Gravel, qui vient de démissionner suite au scandale du Fonds Marianne. On comprend l’objectif du pouvoir macroniste à la lecture du rapport 2021 de la MIVILUDES au coeur de la pandémie, occupé à valider les atteintes au droit d’association derrière un chapitre sur “les dérives sectaires dissimulées derrière un statut associatif”, à rendre hommage à la loi Séparatisme en expliquant que “la frontière entre le séparatisme et les dérives sectaires est fine car de nombreux groupes à caractère sectaire le pratiquent de fait”, ou à rapprocher Mona Chollet de la dérive sectaire du « Féminin Sacré ». En même temps que l’on se donne le beau rôle en faisant des déclarations de principe contre les « antivax » et autres « conspirationnistes », on rapproche évidemment ces notions en amalgamant opposants politique et minorités prises comme boucs émissaires.
Affaiblissement du syndicalisme, instrumentalisation de la laïcité, de la lutte contre les dérives sectaires séparatistes, de la lutte contre la désinformation et la radicalisation complotiste : les macronistes ont opéré ici une stratégie du dévoiement perpétuel pour mettre tous les contre-pouvoirs à leur botte. C’est dans un mouvement similaire qu’Emmanuel Macron entend choisir son opposition politique, présentant Marine Le Pen comme une alternative crédible, effaçant résolument l’opposition « morale » aux héritiers de Pétain, tout en envoyant ses députés et ses ministres dézinguer la gauche sociale en diabolisant ses représentants insoumis, écologistes, communistes ou syndicaux. Autant de barbouzeries politiques elles aussi grassement rémunérées par le Fonds Marianne, en pleine période électorale.
La réintégration des soignants non-vaccinés qui cristallise aujourd’hui la rage des macronistes s’inscrit dans cette appropriation des valeurs, tout en condamnant la gauche dans un même mouvement. La condamnation des soignants non vaccinés n’est rien d’autre qu’une haine de la gauche maquillée, comme souvent chez les macronistes, en un combat pour “la raison” et “la vérité”. Une fois rattachées les institutions « anticomplotistes » à l’idéologie raciste et anti-gauche du macronisme, l’opération de création des équivalences peut se mettre en place. Grâce à des organes médiatiques comme Franc-Tireur, institutionnels comme le CIPDR et au Fonds Marianne (géré par le CIPDR et rémunérant les auteurs de Franc-Tireur), ainsi qu’à une flopée de compte Twitter, le macronisme s’est doté des arguments de propagande avec lesquels députés et ministres de la majorité peuvent exclure du champ républicain tout ce qui dépasse : les musulman-es, les écologistes radicaux, les « antivax complotistes » et, bien sûr, la force politique de gauche qui les soutient, à savoir la France Insoumise. Cette instrumentalisation de la science et de la raison trouve sa source dans la gestion de l’épidémie de Covid-19 par Emmanuel Macron, entre 2020 et 2022.
Science mise au pas et autocensure intellectuelle : les années Covid
Fin 2019, Emmanuel Macron affronte un mouvement social féroce, résolu à le faire reculer sur la réforme des retraites. Au même moment, un virus inconnu, le Covid-19, se répand en Chine et commence à faire des morts. En France, le pouvoir se veut rassurant : comme le nuage de Tchernobyl dans les années 80, il n’y a aucune raison pour que ce virus parvienne à traverser nos frontières. Dans son confusionnisme habituel, le président lui-même le jure : les théâtres, les salles de concert, les bars, tous les lieux publics vont rester ouverts, car il s’agit de protéger notre art de vivre à la française. Le 7 mars 2020, dix jours avant le début du Confinement, il déclare : « La vie continue. Il n’y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sortie ».
La suite, nous la connaissons : le 17 mars, un grand Confinement est déclaré, et la panique s’empare du pays. S’en suivent une déclaration de « guerre » contre le virus, les approximations du gouvernement sur les stocks de masques (voir cet article du Monde qui refait l’historique des déclarations contradictoires de Véran sur les masques), la promotion du gel hydro-alcoolique fabriqué par LVMH et les belles promesses sociales du Président pour la suite des événements. La France a besoin d’être rassurée et aussitôt, Macron grimpe dans les sondages. Il profite de la crise pour redorer sa stature d’homme d’État, considérablement affaiblie après la crise des Gilets jaunes et le mouvement contre la réforme des retraites.
Bien vite en effet, la pandémie se révèle être une aubaine politique exceptionnelle pour un gouvernement en plein naufrage. La population se divise, des personnes restent chez elles bien au chaud pendant qu’une partie de la société est envoyée « au front ». Les gens se surveillent, on dénonce volontairement le voisin qui a le malheur de dépasser le kilomètre de promenade autorisé par les mesures exceptionnelles, on accuse les homosexuel-les, les personnes d’origine asiatique et les musulmans de répandre la maladie ou d’être ceux qui respectent mal les consignes sanitaires.
Les rassemblements festifs sont dénoncés par les autorités, et pendant ce temps, d’autres continuent leur train-train, et l’on murmure que des fêtes ou des dîners mondains au restaurant se passent en catimini un peu partout sur le territoire. Macron lui-même attrape le COVID suite à une petite soirée privée ne respectant pas les gestes barrières imposés à tous, petite soirée que l’on renommera « dîner de travail » histoire d’amoindrir le scandale.
Les semaines passent, le premier Confinement prend fin le 11 mai 2020 mais de nombreux lieux publics restent fermés. Macron souhaite alors utiliser la fête du 14 juillet pour déclarer officiellement le retour à la vie normale. On constate déjà à ce moment que le Président se juge apte à décider seul de l’évolution de la situation sanitaire. Le macronisme continuera de promettre, d’assurer, de réassurer constamment le « retour à la vie normale », un discours performatif qui finira par effectivement scinder la société en deux, ceux qui croient au « retour à la normale » ou « retour des jours heureux » tels que promis et jurés par Macron, ceux qui vivent ou constatent que toute la société jusqu’aux plus solides structures capitalistes ont vécu un traumatisme inédit et mondial et qu’il y a un avant et un après.
Malgré les déclarations sur les jours heureux, les « déconfinements » et l’état d’urgence sanitaire renommé « loi sur le régime de sortie de crise », il devient manifeste que l’épidémie se répand toujours. Les infections et les morts continuent, et la Macronie semble s’accoutumer à sa gestion de crise à la petite semaine. Les mois suivants, le découpage du temps passe entièrement dans la main du chef de l’État, qui prétend s’appuyer sur la science pour successivement ouvrir et fermer les lieux publics. Fait notable, à mesure que le Président choisit de ne pas écouter son Conseil Scientifique, le discours macroniste s’amuse à diffuser la légende d’un président scientifique, épidémiologiste lui-même, son intelligence lui permettant de lire tous les travaux scientifique, de « challenger » les experts, de décider seul des bienfaits d’un remède, comme lorsqu’il commande des doses d’anticorps monoclonaux. Autre fait notable, la première décision macroniste ne suivant pas les recommandations du Conseil Scientifique fut celle de réouvrir les écoles le 11 mai 2020 au lieu de septembre, décision saluée par les macronistes comme “une victoire du pouvoir politique face au médical”.
Globalement sur l’esprit de ce temps, on constate que le travail est autorisé, voire encouragé, quand les loisirs sont considérablement restreints. Durant l’été 2020, le tourisme doit reprendre, mais les fêtes sauvages sont interdites et les « mauvais citoyens » vecteurs de maladie montrés du doigt. Un autre exemple est celui des fêtes de fin d’année 2020, où le gouvernement exhorte les Français à fêter Noël, traditionnel et catholique tout en « laissant mamie et papy manger la bûche seuls dans la cuisine », mais incitant à ne pas se réunir pour le Jour de l’An en maintenant le couvre-feu, pourtant levé exceptionnellement pour Noël.
Durant ce laps de temps, la politique continue, et Gérald Darmanin en profite pour faire passer sa loi Sécurité globale restreignant le droit de manifester et multipliant les possibilités de contrôle social, le 25 mai 2021. La loi sur le séparatisme instituant l’islamophobie d’état est quant à elle adoptée dans la foulée le 24 aout 2021. Puis en octobre, c’est une réforme de l’Assurance Chômage qui est imposée. Quelques protestations de rue ont lieu, mais le gros de la gauche est pétrifié à l’idée de sortir manifester, de peur de répandre la maladie, ou de s’afficher avec des musulmans « séparatistes ». Le dispositif policier encadrant les rares manifestations contre la loi sécurité globale est aussi hallucinant, le « maintien de l’ordre » du préfet d’alors, Didier Lallement, inventant de nouvelles méthodes de répression à cette occasion, comme les charges préventives.
Au même moment, la plupart des syndicats sont occupés à demander des mesures sanitaires pour le travail, mesures qui n’arriveront jamais. Tout se passe comme si le gouvernement avait jeté un os à ronger et que la gauche ne l’avait jamais lâché.
La fin définitive et officielle des mesures sanitaires a lieu le 1er aout 2022 avec la fin officielle de l’Etat d’Urgence Sanitaire.
Dans son ensemble, la gauche a été grandement invisibilisée entre 2020 et 2022, mise à part la très notable et salvatrice occupation des théâtre, démarrée un an après le 1er confinement mais qui permettrait de créer des solidarités essentielles pour la suite. Durant les années Covid, la gauche s’est autocensurée sur tous les sujets, trop inquiète de devoir porter la responsabilité intellectuelle de l’aggravation de la pandémie, trop lâche pour oser tenir une voix discordante face au Conseil de Défense qui permettait à Macron de contourner les institutions et de tout décider sous couvert de secret défense. Si l’on excepte quelques déclarations de principe, seuls des aménagements à la marge (masques FFP2, purificateurs d’air) ont été demandé par les syndicats. Conséquence directe, cela a laissé le temps à toutes les officines d’extrême droite et aux conspirationnistes de développer des thèses délirantes, qui ont trouvé un certain écho auprès de la part grandissante de la population qui ne faisait plus confiance au gouvernement.
C’est ainsi qu’en 2021, lorsque le gouvernement a annoncé la porte de sortie vaccinale, une opposition forte au vaccin avait eu le temps de se cimenter. Face à cela, loin de la pédagogie, Macron a décidé de mettre en place un pass sanitaire, braquant une partie de la population et donnant même raison à certains conspirationnistes de la première heure. Le début de la campagne de vaccination fut d’ailleurs conçue pour ménager les anti-vax.
On passe alors d’une question de santé publique à un embrigadement politique : à nouveau, la société se divise entre « bons » citoyens persuadés d’être des héros parce qu’ils « choisissent » le vaccin et « mauvais » citoyens parias de la République, exclus des lieux publics. Pourtant, les vaccins Pfizer et AstraZeneca, bien qu’ils réduisent fortement les risques d’hospitalisation, ne sont pas exactement les produits-miracles vendus par Olivier Véran. La communication gouvernementale bat son plein, promettant qu’avec la piqure reviendraient les amphis, le bowling, les salades avocats-crevettes et la victoire à la Coupe du monde.
Le tout est présenté sur le titre « Freedom » de Pharell Williams, ironiquement un titre que l’artiste a initialement composé en hommage aux migrants qui essayent d’entrer en Europe et à qui on refuse l’entrée, comme le montre le clip original. Malgré toute la communication visible à la télévision ou dans le métro parisien, les scientifiques continuent de marteler que les vaccins n’empêchent ni d’attraper le Covid, ni d’infecter quelqu’un d’autre. Un petit disclaimer en fin de publicité indique « même vaccinés, continuons à appliquer les gestes barrières ».
Cette communication a un effet pervers : petit à petit les responsables des restrictions qui pèsent sur la vie des gens deviennent non plus l’épidémie, non plus sa gestion questionnable par les autorités, mais les « non-vaccinés » rapidement assimilés aux « anti-vax ». Une constitution publique d’un bouc émissaire que le président assume pleinement lors de sa fameuse interview où il déclare qu’il a très envie « d’emmerder les non-vaccinés ». C’est le moment où les macronistes parlent ouvertement de “faire payer” voir de refuser les soins aux non-vaccinés, rendus responsables du manque de lits en réanimation. Lorsque la question lui est posée directement sur le refus de soin aux non-vaccinés, le président indique que sur le principe il est contre, que la question ne se pose pas puisque le tri des patients d’après lui n’existe pas, et que même si elle se posait ce serait la faute des antivaxx qui sont des irresponsables qui ont divisé notre Nation. Il ajoute : « Un irresponsable n’est pas un citoyen ».
C’est le début de longs mois de débats idiots pas encore tout à fait terminés, au cours desquels la rationalité prend des atours irrationnels. Pendant ce temps, la propagande gouvernementale a eu tout le temps de s’étendre à toutes les sphères du quotidien : travail, services publics, sécurité.
Ce moment du Pass sanitaire, qui devient ensuite le Pass vaccinal est aussi paradoxalement le moment où la division entre pro-vax et antivax est la plus factice. Des « antivax » deviennent très respectueux des règles sanitaires, mettent le masque et respectent les distances en s’excusant de ne pas être vacciné. Les vaccinés, quant à eux, se comportent en immunisés dispensés de masque ou de distanciation et brandissent leur pass comme preuve. Des non-vaccinés fraudent le pass, bien sûr, mais il devient aussi nécessaire de frauder pour les pro-vax qui veulent accéder à la vaccination avant l’instauration du pass, et qui doivent attendre l’ouverture de la vaccination. Des restrictions d’accès à la vaccination qui créent de facto des « pro-vax non-vaccinés ». La mise en place du pass et la vérification qui repose sur les serveurs des cafés créént une forte opposition et on voit apparaitre dans les manifestations antivax des « pro-vax mais anti-pass ». On verra aussi apparaitre des « vaccinés anti-vax », comme Eric Clapton qui, suite à des complications après avoir reçu le vaccin, devient une idole des antivax. On rappellera aussi que Didier Raoult incarne lui une ligne « pro-vax anti-vax », étant à la fois pro-vaxx et chef de file du mouvement complotiste, antivax et covidosceptique. En tout état de cause, la division sociale orchestrée par Macron à partir de l’été 2021, installée sur des bases « cercle de la Raison contre obscurantisme », s’avère bien plus politique que scientifique.
Que reste-t-il aujourd’hui de cette sombre période ? Bien des choses, malheureusement. En premier lieu, on a vu récemment que la réintégration des soignant-es non-vaccinés ne passait toujours pas. Les opposants à la réintégration, font fi du Code du Travail, et oublient qu’un millier de personne, même personnels de soin, dans une société où 90 % de la population est vaccinée, où l’on ne demande plus aucun rappel du vaccin, où même le masque à l’hôpital n’est plus obligatoire, ne peuvent être tenus responsables de répandre à nouveau la maladie.
Il est d’ailleurs à noter que ces soignant-es non-vacciné-es sont pour l’essentiel des aides-soignant-es, des infirmières, des brancardiers, « très peu de blouses-blanches » expliquait Olivier Véran au moment de décider leur suspension. A travers cette question, c’est donc au petit personnel qu’on s’attaque, celui-là même que l’on applaudissait en mars 2020. Pas un mot dans le même temps contre les médecins conspirationnistes producteurs de désinformation ou les atermoiements du gouvernement qui a su distribuer la parole aux franges antivax quand cela l’arrangeait.
Voilà ce qu’ont été le macronisme et la partie de la société qui a décidé de le soutenir pendant deux ans : mépris pour les « petits » soignants, mesures adoptées de force pour le bien commun, appropriation de la « raison scientifique » contre la déraison complotiste stimulée par le gouvernement lui-même, désignation de boucs émissaires, recherche d’une division maximale de la société, censure et silences. On se souviendra du fameux : « Mais tu n’as pas à t’exprimer sur la politique sanitaire du gouvernement, tu n’es pas épidémiologiste », phrase proférée par des personnes qui, dans 99 % des cas, n’étaient pas épidémiologistes non plus.
La pandémie a contribué à renforcer un fossé entre les premières lignes et les classes forcées de rester à la maison durant le Confinement. La division était assez claire : les premières lignes qui devaient sortir aller travailler et les « non-essentiels » forcés de rester chez eux, sur les réseaux et au balcon à 20h. Un macroniste déclarait alors sur un réseau social qu’une partie de la société était au travail « pour permettre aux autres de pouvoir continuer à manger des chips ou boire des bières devant la télé ». C’est, métaphoriquement, la définition du capitalisme et d’une société d’ordres.
Les années 2020-2022 expliquent pourquoi Emmanuel Macron a été réélu, et pourquoi il se permet désormais tous les excès autoritaires : début 2022, la société était dépolitisée, les Français-es étaient affaibli-es, la population, considérablement fracturée. La guerre en Ukraine aidant, une partie des électeurs, marquée par le ronronnement temporel de la pandémie, a écouté la propagande du gouvernement qui disait : « On ne change pas de capitaine en pleine tempête ». Voilà ce qui a permis à Emmanuel Macron d’aller au second tour.
Et maintenant ?
Il est assez clair qu’Emmanuel Macron a goûté à un pouvoir sans limite durant deux ans. Se défaussant sur les scientifiques qu’il faisait semblant d’écouter avant de s’autoproclamer scientifique lui-même, et s’appuyant sur une partie d’entre eux qui ont accepté d’embrasser l’ordre néo-libéral – certains médecins juraient que la création de lits et de postes n’étaient pas une solution d’urgence face à la pandémie -, il a pu faire tout ce qu’il voulait, jusqu’à devenir maître des horloges. Les décisions étaient prises en secret en Conseil de Défense par un exécutif restreint, un dispositif que le Président étend désormais à la plupart des sujets comme la crise écologique ou la crise énergétique.
Ses ministres ont emboîté le pas, à l’instar de Jean-Michel Blanquer, qui a pu mentir tout son saoul à la population, jurant que les protocoles sanitaires abscons décidés dans les hauts bureaux du Ministère étaient efficaces et suffisants pour protéger personnels et élèves.
Durant ce laps de temps, seuls quelques conspirationnistes ont montré une opposition frontale, souvent délirante, une réponse pas appropriée du tout aux délires du gouvernement. La gauche, elle, est devenu muette. Une vague de résistance a existé dans certaines zones, certains quartiers, des individus ont tenté de continuer à faire vivre leurs idéaux, ont continué à organiser des collectes ou des distributions alimentaires, des actions fugaces de solidarité, mais celles-ci sont demeurées silencieuses, invisibles.
Si l’ensemble de la société a réussi, avec plus ou moins de traumatisme, à dépasser ces deux années terribles, le macronisme et son individualisme twitteresque ont gardé une haine et une rancœur tenaces qui ressort aujourd’hui. Les deuxiemes lignes de la bourgeoisie macroniste ont assez peu apprécié d’être sauvé par des petits applaudis à 20h, éboueurs, livreurs, personel de l’éduc nat, soignants. Il leur faut aujourd’hui rétablir grâce à la rechercher de boucs émissaires.
L’acharnement contre des « antivax » difficilement identifiés, contre une poignée de « soignants non vaccinés », contre un ennemi ultra minoritaire désigné comme agissant de l’intérieur contre la société, ressemble à un désir de revanche du macronisme. Comme si le macronisme cherchait à faire oublier la différence pratique, apparue criante durant la pandémie, entre l’utilité sociale des premières lignes dans le réel, et l’inutilité de ceux qui sont restés dans le commentaire des réseaux sociaux. En continuant à agiter le chiffon rouge des soignants non-vaccinés, il devient possible pour les libéraux-conservateurs de remettre un peu les choses à l’équilibre : certes nous avons été sauvés par les soignants durant la pandémie, mais le monde d’après, lui, sera sauvé par la bourgeoisie anticomplotiste et macroniste, et il sera en fait un retour au monde d’avant. C’est l’ordre des choses indispensable pour permettre à la bourgeoisie radicalisée de continuer à dominer en clivant la société sur les mêmes bases.
Il faut alors se souvenir des mensonges proférés par le gouvernement et derrière lui, leur oblitération par toutes les instances officielles. Il faut se souvenir qu’à l’époque où Didier Raoult connaissait une aura spectaculaire grâce à une campagne de désinformation massive propagée sur Internet, sa rencontre avec Emmanuel Macron a été vécue comme un adoubement par bien des observateurs. Il faut s’entendre sur le fait que le Président a toujours ménagé et ménage encore la chèvre et le chou afin de rester maître des débats et d’emmener deux parties de la société à s’affronter dans le cadre que lui a choisi. Et il faut rappeler que non, les personnes vaccinées ne sont pas toutes de courageuses altruistes, et que les personnes non vaccinées ne sont pas toutes de dangereuses propagandistes de l’anti-science.
Récemment, l’impressionnante mobilisation contre la réforme des retraites a entamé de rebattre les cartes de ce cycle politique infernal. Désormais, l’idéologie macroniste est en phase de décomposition avancée, après avoir été désavouée par l’opinion publique et combattue sans relâche durant cinq mois par la société civile. C’est la raison pour laquelle Emmanuel Macron opère en ce moment dans sa propagande un tournant illibéral et anti-gauche plus assumé.
Désormais bien réveillées de leur léthargie, les organisations de gauche radicale et anticapitaliste portent en elles une subversion qui les rend dangereuses pour le pouvoir. Bien sûr, les macronistes continuent à vouloir se présenter comme le camp de la Raison contre l’obscurantiste de droite ou de gauche, mais plus personne n’est dupe. C’est la raison pour laquelle Macron a désormais besoin de traiter l’extrême droite avec plus de faveur. Il faut dire qu’entre les deux tendances politiques, les points d’accord sont nombreux, et la bourgeoisie radicalisée est bien plus facile à domestiquer que la fraction de la population décidée à la révolte.
L’épisode Covid-19 nous donne toutes les clés pour permettre à la gauche de réussir à mettre Emmanuel Macron en échec dans les mois qui suivent: depuis sa prise de pouvoir, ce dernier est très fort pour cliver notre camp politique en utilisant ses lignes de fracture. Les derniers épisodes en date de cette stratégie sont donc l’indignation causée par le vote pour la réintégration des soignant-es non-vacciné-es à leur poste, proposition pourtant émise il ya quelques semaines par le ministre François Braun lui-même, et la proposition de la majorité présidentielle de hisser des drapeaux européens sur toutes les mairies, ce qui a commencé à redessiner des lignes de fractures au sein de la NUPES.
Alors que le pouvoir macroniste est en train de terminer sa mutation en une extrême droite alternative à celle du Rassemblement national, le moment politique impose une réconciliation de toutes les franges du mouvement ouvrier et des partis de gauche. Les inégalités sociales continuent de se creuser tous les jours sous nos yeux : dernièrement, une étude a révélé que 16 % de la population ne mangeait plus à sa faim. Voilà l’œuvre du nationalisme entrepreneurial d’Emmanuel Macron.
Les socialistes, les communistes et les anarchistes de notre pays valent mieux que ces débats orchestrés par leurs ennemis. Musulman-es, gilets jaunes, écologistes, non-vaccinés il est temps désormais de créer la jonction entre tous les « séparatistes » mis au ban de la société par Emmanuel Macron.